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02/06/2004 | SUISSE | N°1A.204/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 02 juin 2004, 1A.204/2003


{T 0/2}
1A.204/2003 /col

Arrêt du 2 juin 2004
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du Tribunal
fédéral, Aeschlimann, Reeb,
Féraud et Eusebio.
Greffier: M. Jomini.

X. ________,
recourant, représenté par Me Jean-Claude Perroud, avocat,

contre

Département de la sécurité et de l'environnement du canton de Vaud, Service
des eaux, sols et assainissement (SESA), rue du Valentin 10, 1014 Lausanne,
intimé,
Y.________, représenté par Me Paul-Ar

thur Treyvaud, avocat,
Z.________,
Commune d'Eclagnens, 1376 Eclagnens, représentée par Me Marc-Etienne Favre,
a...

{T 0/2}
1A.204/2003 /col

Arrêt du 2 juin 2004
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du Tribunal
fédéral, Aeschlimann, Reeb,
Féraud et Eusebio.
Greffier: M. Jomini.

X. ________,
recourant, représenté par Me Jean-Claude Perroud, avocat,

contre

Département de la sécurité et de l'environnement du canton de Vaud, Service
des eaux, sols et assainissement (SESA), rue du Valentin 10, 1014 Lausanne,
intimé,
Y.________, représenté par Me Paul-Arthur Treyvaud, avocat,
Z.________,
Commune d'Eclagnens, 1376 Eclagnens, représentée par Me Marc-Etienne Favre,
avocat,
parties intéressées,
Tribunal administratif du canton de Vaud, avenue Eugène-Rambert 15, 1014
Lausanne.

sites contaminés, mesures d'investigation et de surveillance,
recours de droit administratif contre l'arrêt du Tribunal administratif du
canton de Vaud du 14 août 2003.
Faits:

A.
Par une décision du 11 avril 1983, le Département des travaux publics du
canton de Vaud a autorisé la Municipalité de la commune d'Eclagnens
(ci-après: la municipalité) "à aménager, à exploiter ou à délivrer un permis
de décharge inerte au propriétaire foncier", au lieu-dit "Les Fontanettes" à
Eclagnens, sur la parcelle n° 39 du registre foncier appartenant à
Y.________. Le 17 mai 1983, la municipalité a délivré à ce propriétaire un
permis d'exploiter une "décharge type classe II" sur son fonds. Une extension
de 22'000 m2 du périmètre de la décharge a été autorisée par la municipalité
le 22 décembre 1986.

B.
L'exploitation de la décharge a été confiée à une nouvelle société anonyme,
Décharge Les Fontanettes S.A., inscrite au registre du commerce le 10 mai
1983. Cette société comptait trois administrateurs: X.________, président du
conseil, Z.________ et Y.________. La société a été dissoute le 23 décembre
1992 et un tiers a été désigné comme liquidateur. Le 23 décembre 1997, la
société a été radiée du registre du commerce.
L'exploitation de la décharge s'était achevée en 1989 et les travaux de
remise en état en 1994.

C.
Le Département cantonal des travaux publics, de l'aménagement et des
transports a chargé le bureau Geotest S.A., à Cheseaux-sur-Lausanne,
d'évaluer les risques pour l'environnement provenant de la décharge des
Fontanettes. Le bureau Geotest a déposé un premier rapport le 11 mai 1994,
retenant en conclusion que cette décharge présentait un danger potentiel
relativement important pour la qualité des eaux de la rivière Le Talent,
coulant à proximité; ce rapport préconisait, avant une prise de position
définitive, une étude détaillée des conditions de ruissellement, du débit et
de la qualité des eaux de percolation suintant au pied de la décharge.
Le bureau Geotest a effectué d'autres investigations sur mandats du
Département cantonal des travaux publics, de l'aménagement et des transports
puis du Département cantonal de la sécurité et de l'environnement (Service
des eaux, sols et assainissement). Il a déposé de nouveaux rapports le 15
décembre 1995, le 17 octobre 1996 et le 7 août 2000. Les conclusions de ce
dernier rapport (intitulé "Eclagnens, ancienne décharge Les Fontanettes,
Investigations complémentaires") sont les suivantes:
"Les investigations complémentaires confirment que l'ancienne décharge "Les
Fontanettes" conduit à la contamination d'une petite nappe phréatique non
exploitable située en bordure du Talent. On dénote en particulier une
contamination par des composés organiques halogénés, entre autres le chlorure
de vinyle qui est carcinogène, qui proviennent probablement du stockage de
déchets artisanaux ou industriels (peintures, solvants).

Selon l'Ordonnance sur les sites contaminés, l'ancienne décharge "Les
Fontanettes" est un site contaminé car il nécessite un assainissement du
point de vue des eaux souterraines et des eaux de surface (pour ces
dernières, dépassement des valeurs de référence uniquement pour le chlorure
de vinyle). Les exigences de l'Ordonnance sur la protection des eaux pour le
déversement dans le Talent des eaux de percolation issues de la décharge ne
sont par ailleurs pas respectées.

L'évaluation sommaire du risque pour le Talent montre qu'un faible effet
écotoxique dans ce cours d'eau ne peut être exclu.

L'appréciation du besoin et de l'urgence d'un éventuel assainissement du site
sera effectuée par l'autorité compétente dans le contexte global de gestion
des décharges du canton de Vaud.

Nous recommandons dans l'immédiat une surveillance régulière du site (2 fois
par an) permettant de contrôler l'évolution de la contamination des eaux
souterraines et de celle du Talent. Il serait dans ce cadre judicieux de
déterminer la répartition spatiale de la contamination des polluants
problématiques (composés organiques volatils) par des analyses d'air
interstitiel du sol et de vérifier ainsi que le réseau d'observation
actuellement en place est suffisamment dense pour une surveillance adéquate
du site."

D.
Le 26 mars 2002, le Service cantonal des eaux, sols et assainissement
(ci-après: le service cantonal, ou SESA) a rendu une décision fondée sur
l'art. 13 de l'ordonnance sur l'assainissement des sites pollués (ordonnance
sur les sites contaminés, OSites - RS 814.680), décision dont le dispositif
est le suivant:
"1. Messieurs X.________, Z.________ et Y.________ feront effectuer, à leurs
frais, une investigation de détail sur le site de l'ancienne décharge "Les
Fontanettes", ceci dans un but de déterminer si un assainissement du site est
nécessaire du point de vue des eaux souterraines et des eaux de surface.

2. Ils feront également assurer, à leurs frais, une surveillance du site du
point de vue de la protection des eaux souterraines et des eaux de surface,
ceci sans délai et jusqu'à ce que les besoins de surveillance aient disparu.

3. A cet effet, ils mandateront un bureau d'ingénieurs de leur choix. Le nom
de ce bureau ainsi que le mandat et le programme de l'investigation de détail
et de la surveillance seront communiqués au SESA pour approbation. De plus,
un rapport relatif à l'investigation de détail sera remis au SESA à l'issue
de l'investigation, au plus tard le 31 mai 2003.

4. [...]

5. L'art. 14 OSites décrit les données qui doivent figurer dans
l'investigation de détail, soit les éléments suivants: [...]. Au besoin,
cette étude s'étendra sur un cycle hydrologique complet (12 mois). L'autorité
redéfinira les besoins et l'urgence de l'assainissement (art. 15 OSites) sur
la base de ces données. Dans le cas où les résultats de l'investigation de
détail divergent fortement de ceux de l'investigation préalable, l'autorité
réexaminera si le site doit être assaini ou non".

E.
X.________, Z.________ et Y.________ ont tous trois recouru au Tribunal
administratif du canton de Vaud contre cette décision. Le Tribunal
administratif a joint les trois causes et, par un arrêt rendu le 14 août
2003, il a rejeté les recours (ch. I du dispositif) en prolongeant au 31 août
2004 le délai pour la remise du rapport relatif à l'investigation de détail,
la décision attaquée étant pour le reste maintenue (ch. II du dispositif). Un
émolument judiciaire de 1'000 fr. a été mis à la charge de X.________ (ch.
III let. a du dispositif) ainsi qu'à celle des deux autres recourants (ch.
III let. b et c du dispositif). Les trois recourants ont enfin été condamnés
solidairement à verser des dépens à la commune d'Eclagnens (ch. IV du
dispositif).
Dans les considérants de son arrêt, le Tribunal administratif a qualifié le
cas de X.________ de "plus délicat" que celui des deux autres intéressés. Il
n'a "pas exploité la décharge au sens strict" parce qu'il n'a "pas participé
directement à l'entreposage des déchets". Il a néanmoins rédigé une lettre de
la société anonyme à la municipalité le 13 octobre 1983, en réponse à une
lettre de cette autorité signalant différents problèmes liés à l'exploitation
de la décharge. Dans ce courrier, X.________ - qui est avocat et qui,
auparavant, "avait apparemment été consulté au moment de l'élaboration des
statuts" de la société puis avait apporté son aide dans l'élaboration d'une
convention conclue entre la municipalité et la société - a demandé que la
correspondance relative à la décharge lui soit désormais adressée (à son
étude). Il a participé à une séance sur place avec l'autorité communale le 15
novembre 1983, puis a reçu un courrier de la municipalité du 5 décembre 1983
concernant cette séance. Par la suite, le dossier ne contient plus de "traces
d'intervention de X.________ dans l'exploitation de la décharge". Néanmoins,
ce dernier, qui "entendait notamment être un interlocuteur vis-à-vis des
autorités", a "participé à la gestion de la société et, partant, à
l'exploitation de la décharge, quand bien même il s'agissait d'un rôle
secondaire et limité dans le temps, dont l'ampleur exacte n'a pas pu être
établie". Comme l'exploitation de la décharge est la cause des mesures à
prendre en application de l'ordonnance sur les sites contaminés, X.________
pouvait, d'après le Tribunal administratif, être tenu de participer à
l'investigation de détail et aux mesures de surveillance, en application de
l'art. 20 al. 2 OSites.

F.
Agissant par la voie du recours de droit administratif, X.________ demande au
Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du Tribunal administratif ainsi que la
décision du Service cantonal. A titre subsidiaire, il conclut à la réforme de
la décision attaquée en ce sens que les mesures d'investigation et de
surveillance seraient imposées à l'Etat de Vaud, à la commune d'Eclagnens, à
Y.________ et à Z.________, mais pas à lui-même. Le recourant se plaint, sur
le fond, d'une violation de l'art. 20 OSites. Il reproche en outre au
Tribunal administratif de n'avoir pas sanctionné une violation des garanties
relatives à l'indépendance des autorités administratives; il fait en effet
grief au SESA d'avoir statué alors que ce service est rattaché au Département
de la sécurité et de l'environnement dirigé par le Conseiller d'Etat
Jean-Claude Mermoud, ancien syndic de la commune d'Eclagnens et époux de la
syndique actuelle de cette commune.
Le Département de la sécurité et de l'environnement, représenté par le SESA,
conclut au rejet du recours.

Y. ________ et la municipalité concluent également au rejet du recours.
Z.________ a renoncé à répondre.
Le Tribunal administratif se réfère à son arrêt et propose le rejet du
recours.
L'Office fédéral de l'environnement, des forêts et du paysage a été invité à
donner son avis. Ses déterminations ont été communiquées aux parties, qui ont
pu présenter leurs observations à ce sujet.

G.
Par ordonnance du 13 novembre 2003, le Président de la Ire Cour de droit
public a admis la requête d'effet suspensif présentée par le recourant en
relevant que, vu l'objet de la contestation - l'obligation imposée à
X.________ d'effectuer une investigation et une surveillance du site -, cette
mesure provisionnelle ne modifiait pas le caractère exécutoire des décisions
prises à l'encontre de Z.________ et Y.________.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours
qui lui sont soumis (ATF 129 II 225 consid. 1 p. 227, 453 consid. 2 p. 456 et
les arrêts cités).
La contestation porte sur une décision obligeant le recourant à prendre des
mesures d'investigation et de surveillance d'un site pollué. Ces mesures sont
définies dans l'ordonnance sur les sites contaminés (OSites), qui règle les
différentes étapes de la procédure d'assainissement des décharges contrôlées
et des autres sites pollués par des déchets, conformément à l'art. 32c al. 1
LPE (RS 814.01). L'arrêt du Tribunal administratif est donc une décision
fondée sur le droit public fédéral (cf. art. 5 al. 1 PA, auquel renvoie
l'art. 97 al. 1 OJ); prise en dernière instance cantonale, elle peut faire
l'objet d'un recours de droit administratif (art. 97 ss OJ, notamment art. 98
let. g OJ; cf. également. art. 54 LPE et ATF 130 II 32 consid. 2 p. 34).
Cette décision ne met pas fin à la procédure introduite en vue d'un
assainissement de la décharge. Il ne s'agit cependant pas d'une décision
incidente au sens de l'art. 101 let. a OJ mais bien d'une décision partielle
sur le fond (cf. ATF 129 II 286 consid. 4.2 p. 291, 384 consid. 2.3 p. 385;
arrêt 1A.67/1997 du 26 février 1998 in DEP 1998 p. 152, consid. 1c). Une
telle décision partielle peut faire l'objet d'un recours de droit
administratif au Tribunal fédéral dans le délai de trente jours prévu à
l'art. 106 al. 1 OJ. Ce délai a été observé en l'espèce.
Dans la procédure de recours de droit administratif (art. 97 ss OJ), a
qualité pour recourir en vertu de l'art. 103 let. a OJ quiconque est atteint
par la décision attaquée et a un intérêt digne de protection à ce qu'elle
soit annulée ou modifiée. Celui qui est tenu de prendre des mesures
d'investigation et de surveillance d'un site pollué remplit manifestement ces
conditions. Le recours satisfait aux autres exigences de recevabilité des
art. 97 ss OJ. Il y a donc lieu d'entrer en matière.

2.
Le recourant se plaint d'une violation de l'art. 20 OSites en faisant valoir
que l'obligation de prendre des mesures d'investigation et de surveillance
d'un site pollué doit être en principe imposée au détenteur du site, et
exceptionnellement à un tiers, si les causes de la pollution sont clairement
établies et s'il est certain que ce tiers devra assumer les frais
d'assainissement. Or il n'est pas lui-même le détenteur du site ni le
principal responsable de la pollution; son comportement, dans la création et
la gestion de la société ayant exploité la décharge, n'a en outre d'après lui
aucun rapport causal avec la pollution. Le recourant reproche donc au
Tribunal administratif d'avoir admis à tort, en l'absence de circonstances
exceptionnelles,
que la réalisation d'une investigation de détail pouvait
être exigée de lui.

2.1 L'art. 32c al. 1 LPE prescrit aux cantons de veiller à ce que soient
assainis les décharges contrôlées et les autres sites pollués par des
déchets, lorsqu'ils sont à l'origine d'atteintes nuisibles ou incommodantes
ou qu'ils risquent de l'être un jour. Le Conseil fédéral est habilité à
édicter des prescriptions à ce sujet; il a adopté, le 26 août 1998,
l'ordonnance sur les sites contaminés (OSites), qui règle les différentes
étapes du traitement des sites pollués (cf. art. 1 al. 2 OSites). Cette
ordonnance prévoit une phase d'investigation préalable (art. 7 OSites), à
l'issue de laquelle l'autorité examine si le site pollué nécessite une
surveillance ou un assainissement (cf. art. 8 al. 1 OSites). Si un site
pollué nécessite un assainissement (en d'autres termes s'il s'agit d'un "site
contaminé"), l'autorité demande d'une part qu'une investigation de détail
soit effectuée dans un délai approprié, et d'autre part que le site soit
surveillé jusqu'à la fin de l'assainissement (art. 13 al. 2 OSites).
L'investigation de détail est nécessaire pour apprécier les buts et l'urgence
de l'assainissement (art. 14 al. 1 OSites). Les données suivantes doivent
être identifiées et évaluées dans ce cadre: type, emplacement, quantité et
concentration des substances dangereuses pour l'environnement présentes sur
le site pollué (art. 14 al. 1 let. a OSites); type des atteintes à
l'environnement effectives et possibles, charge et évolution de ces atteintes
dans le temps (art. 14 al. 1 let. b OSites); emplacement et importance des
domaines environnementaux menacés (art. 14 al. 1 let. c OSites).
L'exécution des mesures d'investigation (préalable ou de détail) et de
surveillance est réglée à l'art. 20 OSites, qui a la teneur suivante:
1 Les mesures d'investigation, de surveillance et d'assainissement doivent
être exécutées par le détenteur du site pollué.
2 L'autorité peut obliger des tiers à procéder à l'investigation préalable, à
exécuter les mesures de surveillance ou à effectuer l'investigation de détail
lorsqu'il y a lieu de penser que leur comportement est à l'origine de la
pollution du site.

2.2 La contestation porte sur des mesures d'investigation de détail et de
surveillance (cf. art. 13 et 14 OSites), une investigation préalable ayant
déjà été effectuée par l'autorité cantonale, avec la collaboration d'un
bureau spécialisé (cf. art. 7 OSites - cette phase a pris fin après le dépôt
du rapport du 7 août 2000). Le recourant n'a pas été considéré, en procédure
cantonale, comme le détenteur du site pollué au sens de l'art. 20 al. 1
OSites car, selon le Tribunal administratif, le détenteur est en l'occurrence
le propriétaire de la parcelle sur laquelle la décharge a été exploitée.
Cette interprétation de la notion de détenteur n'a pas été critiquée dans la
présente procédure; l'Office fédéral de l'environnement, des forêts et du
paysage s'y rallie également, en estimant que la situation est claire à ce
propos. Le recourant a en revanche été obligé de prendre des mesures en
qualité de tiers au sens de l'art. 20 al. 2 OSites, parce que - si l'on se
réfère au texte de cette disposition - il y avait lieu de penser que son
comportement était à l'origine de la pollution du site.
Dans un arrêt récent (mentionné du reste dans l'arrêt attaqué), le Tribunal
fédéral a exposé que l'obligation de prendre des mesures de surveillance et
d'investigation incombait en premier lieu, ou de façon prioritaire, au
détenteur du site pollué (art. 20 al. 1 OSites); ce n'est donc
qu'exceptionnellement qu'une telle obligation peut être imposée à un tiers,
sur la base de l'art. 20 al. 2 OSites. L'autorité n'a pas à faire intervenir
systématiquement, à ce stade, les tiers dont le comportement serait à
l'origine de la pollution du site. Elle dispose d'un certain pouvoir
d'appréciation (en d'autres termes, l'art. 20 al. 2 OSites est une
"Kann-Vorschrift") mais elle doit tenir compte de la nécessité d'effectuer
aussi rapidement que possible les investigations; le détenteur du site
pollué, qui en a effectivement la maîtrise, est normalement le mieux à même
de prendre les mesures requises. Si, lors de ces étapes préalables, il
fallait toujours rechercher également celui qui est à l'origine de la
pollution ou de l'assainissement, on prendrait le risque de différer
inutilement l'assainissement ainsi que la possibilité, pour le détenteur,
d'utiliser à nouveau son immeuble sans restrictions. Cela étant, la question
de l'obligation de prendre des mesures (art. 20 OSites) doit être distinguée
de celle, à résoudre ultérieurement, de la prise en charge des frais
d'assainissement, en principe supportés, en vertu de l'art. 32d al. 1 LPE,
par "celui qui est à l'origine de l'assainissement" (dans le texte allemand:
"der Verursacher"; dans le texte italien: "colui che inquina"). Néanmoins,
s'il apparaît d'emblée clairement qu'un tiers devra supporter les frais
d'assainissement parce qu'il est le principal responsable de la pollution du
site, on pourrait considérer qu'en renonçant à l'obliger de prendre des
mesures d'investigation et de surveillance, l'autorité fait un mauvais usage
de son pouvoir d'appréciation et viole partant l'art. 20 OSites (arrêt
1A.214/1999 du 3 mai 2000 in DEP 2000 p. 590, consid. 2d, e et h).

2.3 Le recourant n'exerce actuellement aucune maîtrise de fait sur le site
litigieux. Il a pu intervenir dans l'exploitation de la décharge lorsqu'il
était administrateur, entre 1983 et 1992, de l'ancienne société Décharge Les
Fontanettes, liquidée puis radiée du registre du commerce plusieurs années
avant les décisions de l'administration cantonale relatives aux
investigations de détail. Outre son activité d'administrateur stricto sensu,
il a en effet accompli certaines tâches de gestion courante de la société, à
savoir quelques travaux de nature administrative ou juridique en 1983 -
d'après les faits constatés par le Tribunal administratif, qui lient le
Tribunal fédéral (art. 105 al. 2 OJ). Ces tâches ne consistaient cependant ni
à transporter les matériaux destinés à cette décharge, ni à les entreposer
sur le site, ni à les trier, ni encore à surveiller sur place l'exécution des
opérations de traitement des déchets. Vu le caractère subsidiaire ou
secondaire de l'intervention des tiers - par rapport à celle du détenteur du
site pollué - pour les mesures d'investigation et de surveillance, il faut,
pour appliquer l'art. 20 al. 2 OSites, un lien suffisamment clair ou évident
entre leur comportement, à savoir des actes concrets, et la pollution du
site. Il faut donc des indices sérieux d'un tel rapport de causalité; il n'en
va pas déjà ainsi lorsqu'on reproche de manière indéterminée un manque de
diligence (cf. art. 717 CO) à un membre du conseil d'administration d'une
société qui, elle, aurait pu le cas échéant être considérée comme l'auteur de
la pollution. En d'autres termes, il faut des motifs sérieux et objectifs
d'imputer au tiers visé un comportement causal (voir le texte allemand de
l'art. 20 al. 2 OSites, dont il ressort plus clairement que l'appel aux tiers
n'est possible que sur la base de motifs objectifs: "...wenn Grund zur
Annahme besteht, dass diese [= Dritte] die Belastung des Standorts durch ihr
Verhalten verursacht haben").
Dans le cas particulier, les actes de gestion de la société accomplis par le
recourant n'apparaissent pas constitutifs d'un comportement clairement à
l'origine de la pollution du site. Aussi l'obligation, imposée au recourant,
de prendre des mesures d'investigation et de surveillance viole-t-elle l'art.
20 al. 2 OSites. Pareille obligation ne saurait être fondée sur une autre
norme du droit fédéral de la protection de l'environnement. A cet égard, les
griefs du recourant doivent donc être admis.

3.
L'admission du recours de droit administratif pour les motifs précités
entraîne l'annulation partielle de l'arrêt attaqué, en tant qu'il rejette le
recours formé par X.________ (ch. I du dispositif), qu'il maintient la
décision adressée le 26 mars 2002 au prénommé par le service cantonal (ch. II
du dispositif). Dans ces conditions, il n'y a pas lieu d'examiner les autres
griefs du recourant - concernant l'impartialité de l'autorité administrative,
notamment - ni de renvoyer l'affaire au Tribunal administratif pour nouvelle
décision sur le fond.
En droit cantonal vaudois, l'émolument judiciaire et les dépens sont, en
principe, mis à la charge de la partie qui succombe (art. 55 al. 1 de la loi
sur la juridiction et la procédure administratives). Vu ce qui précède,
l'arrêt attaqué doit donc également être annulé en tant qu'il condamne le
recourant aux frais judiciaires (ch. III let. a du dispositif) et aux dépens
(ch. IV du dispositif). Le Tribunal fédéral n'est pas en mesure de statuer
lui-même sur les dépens éventuellement dus au recourant pour la procédure
cantonale; l'affaire doit donc être renvoyée au Tribunal administratif pour
nouvelle décision à ce sujet (art. 114 al. 2 OJ).

4.
Quand bien même le Département cantonal de la sécurité et de l'environnement
succombe, l'Etat de Vaud est dispensé de par la loi du paiement des frais de
la présente procédure de recours (art. 153, 153a et 156 al. 1 et 2 OJ). Il ne
se justifie pas de mettre un émolument judiciaire à la charge des parties
intéressées Y.________, Z.________ et commune d'Eclagnens.
Le recourant, qui a mandaté un avocat pour le représenter, a droit à des
dépens, à la charge de l'Etat de Vaud (art. 159 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours de droit administratif est admis et l'arrêt rendu le 14 août 2003
par le Tribunal administratif du canton de Vaud est annulé en tant qu'il
rejette le recours formé par X.________, qu'il maintient la décision adressée
le 26 mars 2002 à X.________ par le Service cantonal des eaux, sols et
assainissement, et qu'il condamne X.________ à payer un émolument judiciaire
ainsi que des dépens.

2.
L'affaire est renvoyée au Tribunal administratif pour nouvelle décision sur
les dépens éventuellement dus à X.________ pour la procédure de recours
cantonale.

3.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

4.
Une indemnité de 3'000 fr., à payer à X.________ à titre de dépens, est mise
à la charge de l'Etat de Vaud.

5.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires du recourant, de
Y.________ et de la commune d'Eclagnens, à Z.________, au Département de la
sécurité et de l'environnement et au Tribunal administratif du canton de Vaud
ainsi qu'à l'Office fédéral de l'environnement, des forêts et du paysage.

Lausanne, le 2 juin 2004

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1A.204/2003
Date de la décision : 02/06/2004
1re cour de droit public

Analyses

Art. 20 OSites; mesures d'investigation et de surveillance d'un site pollué par des déchets. Recevabilité du recours de droit administratif contre une décision partielle prise au cours d'une procédure d'assainissement d'un site pollué (consid. 1). L'exécution de mesures d'investigation et de surveillance incombe de façon prioritaire au détenteur du site pollué, conformément à l'art. 20 al. 1 OSites, une telle obligation ne pouvant qu'exceptionnellement être imposée à un tiers sur la base de l'art. 20 al. 2 OSites; le cas échéant, il faut un lien suffisamment clair ou évident entre le comportement du tiers et la pollution du site (consid. 2).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2004-06-02;1a.204.2003 ?
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