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19/01/2004 | SUISSE | N°1A.233/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 19 janvier 2004, 1A.233/2003


{T 0/2}
1A.233/2003 /col

Arrêt du 19 janvier 2004
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du Tribunal
fédéral, Reeb, Féraud, Fonjallaz
et Eusebio.
Greffier: M. Kurz.

L. ________,
recourant, représenté par Me Dominique Poncet, avocat,

contre

Juge d'instruction du canton de Genève,
case postale 3344, 1211 Genève 3,
Chambre d'accusation du canton de Genève,
place du Bourg-de-Four 1, case postale 3108,
1211 Genève 3.

entraide j

udiciaire internationale en matière pénale à la France,

recours de droit administratif contre l'ordonnance
de la Chamb...

{T 0/2}
1A.233/2003 /col

Arrêt du 19 janvier 2004
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du Tribunal
fédéral, Reeb, Féraud, Fonjallaz
et Eusebio.
Greffier: M. Kurz.

L. ________,
recourant, représenté par Me Dominique Poncet, avocat,

contre

Juge d'instruction du canton de Genève,
case postale 3344, 1211 Genève 3,
Chambre d'accusation du canton de Genève,
place du Bourg-de-Four 1, case postale 3108,
1211 Genève 3.

entraide judiciaire internationale en matière pénale à la France,

recours de droit administratif contre l'ordonnance
de la Chambre d'accusation du canton de Genève
du 10 septembre 2003.

Faits:

A.
Le 5 avril 2001, le Vice-Président chargé de l'instruction au Tribunal de
Grande Instance d'Evry a adressé à la Suisse une commission rogatoire pour
les besoins d'une information suivie contre R.________, des chefs d'abus de
biens sociaux et recel. Se référant à de précédentes commissions rogatoires
du 18 février et du 10 août 2000, le magistrat requérant expose qu'à
l'occasion d'un plan de cession de la société X.________ au groupe
Y.________, des commissions auraient été versées à L.________, administrateur
judiciaire ayant proposé le plan de cession. La banque Y.________ aurait
ainsi versé 674'438 FF, le 13 décembre 1993, sur un compte auprès de la
banque B.________, correspondant à l'achat fictif d'un logiciel. L'autorité
requérante désirait connaître le destinataire final de ce versement. Ayant
appris, lors de l'exécution des premières commissions rogatoires, l'existence
d'un compte n° xxx sur lequel un chèque de deux millions de FF avait été tiré
le 1er octobre 1986 en faveur d'un avocat genevois, l'autorité requérante
désire connaître la destination finale de ce montant, correspondant à celui
de la commission précitée. Les mêmes informations étaient requises à propos
d'un transfert d'un million de FF.

B.
Le Juge d'instruction genevois, chargé d'exécuter cette demande, est entré en
matière le 31 mai 2001 et a ordonné la saisie de documents relatifs aux
transferts précités, en main de l'avocat genevois. Ce dernier a remis une
série de pièces relatives au versement d'un million de FF, soit des extraits
d'un compte client détenu par l'étude, des notes manuscrites, une facture
d'honoraires ainsi qu'un reçu signé par L.________ pour un montant de 248'990
fr., avec la référence "z.________". L'avocat a en revanche déclaré n'avoir
aucun document relatif à l'autre montant, l'opération remontant à onze ans.
Par ordonnance du 4 avril 2003, le juge d'instruction a décidé de transmettre
à l'autorité requérante les documents remis par l'avocat, ainsi que la note
dressée le même jour. Ces pièces se rapportaient à un versement intervenu
avant l'achat fictif, mais faisaient état de fonds parvenus à L.________; en
dépit des explications fournies par l'intéressé, les pièces ne paraissaient
pas inutiles à l'enquête menée en France.
Le 10 septembre 2003, la Chambre d'accusation genevoise a rejeté, dans la
mesure de sa recevabilité, le recours formé par L.________. La qualité pour
agir de ce dernier était douteuse, s'agissant de documents saisis en main
d'un tiers. Sur le fond, le principe de la proportionnalité était respecté,
car il n'était pas exclu que le montant d'un million de FF crédité en faveur
de l'avocat en mai 1992 ait un rapport avec la vente fictive intervenue fin
1993. Les explications fournies par L.________ au sujet de la référence
"z.________" n'étaient étayées par aucune pièce.

C.
L.________ forme un recours de droit administratif contre cette dernière
ordonnance. Il conclut à son annulation, ainsi qu'au refus de toute
transmission de documents et renseignements.
La Chambre d'accusation et le juge d'instruction se réfèrent à leurs
décisions respectives. L'Office fédéral de la justice (OFJ) conclut à
l'irrecevabilité du recours, pour défaut de qualité.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Interjeté dans le délai et les formes utiles contre une décision de clôture
confirmée en dernière instance cantonale, le recours de droit administratif
est en soi recevable (art. 80e let. a et art. 80f al. 1 de la loi fédérale du
20 mars 1981 sur l'entraide internationale en matière pénale [EIMP; RS
351.1]). Il y a lieu toutefois de s'interroger sur la qualité pour agir du
recourant. La question a été laissée indécise par la cour cantonale, mais
l'OFJ préconise l'irrecevabilité du recours en relevant que seul le détenteur
des documents saisis, en l'occurrence l'avocat, aurait qualité pour s'opposer
aux mesures d'entraide.

1.1 Selon l'art. 80h let. b EIMP, la qualité pour agir contre une mesure
d'entraide judiciaire est reconnue à celui qui est personnellement et
directement touché. La personne visée par la procédure pénale étrangère peut
recourir aux mêmes conditions (art. 21 al. 3 EIMP). La jurisprudence
reconnaît ainsi notamment la qualité pour recourir au titulaire d'un compte
bancaire dont les pièces sont saisies (ATF 118 Ib 547 consid. 1d et les
arrêts cités), et à la personne qui doit se soumettre personnellement à une
perquisition ou une saisie (ATF 118 Ib 442 consid. 2c - concernant la saisie
de documents en main d'une banque -, ATF 121 II 38 - remise du dossier d'une
procédure civile à laquelle l'intéressé est partie). L'art. 9a de
l'ordonnance du 24 février 1982 sur l'entraide internationale en matière
pénale (OEIMP; RS 351.11) précise que sont réputés personnellement et
directement touchés, au sens des art. 21 al. 3 et 80h EIMP, le titulaire du
compte en cas d'informations sur celui-ci, et le propriétaire ou le
locataire, en cas de perquisition (let. b). La jurisprudence constante dénie
en revanche la qualité au détenteur économique d'un compte bancaire visé par
la demande, ou à l'auteur de documents saisis en main d'un tiers (ATF 116 Ib
106 consid. 2a), même si la transmission des renseignements requis entraîne
la révélation de son identité (ATF 114 Ib 156 consid. 2a et les arrêts
cités), ainsi qu'au témoin, dans la mesure où il n'est pas amené à fournir
des informations sur sa propre personne (ATF 126 II 258 consid. 2d/bb p. 261;
pour un résumé de la jurisprudence relative à la qualité pour recourir, cf.
ATF 122 II 130).

1.2 Sur le vu de ces principes, le recourant n'apparaît pas légitimé à
s'opposer à la transmission des pièces remises par l'avocat à propos du
transfert d'un million de FF. Pour l'essentiel, il s'agit de pièces relatives
à un compte client détenu par l'étude de l'avocat. La seule pièce où figure
le nom du recourant est un reçu du 9 février 1994 portant sur 248'990 fr.,
soit apparemment la contre-valeur d'un million de FF. L'ensemble des
documents se trouvait en possession de l'avocat, lequel les détenait en son
propre nom.

1.3 Le recourant évoque la jurisprudence récente selon laquelle une banque
n'est plus habilitée à recourir lorsqu'elle doit fournir des renseignements
sur ses clients, et non sur ses propres affaires (ATF 128 II 211). Il en
déduit que l'avocat appelé à fournir des renseignements ou documents qu'il
détient à propos d'un client n'aurait pas, lui non plus, qualité pour agir.
Le client devrait ainsi être admis à agir, faute de quoi plus personne ne
pourrait contester une décision de clôture.
Pour l'essentiel, la jurisprudence invoquée est fondée sur l'adoption de
l'art. 9a let. a OEIMP, qui considère comme seul touché par la mesure
d'entraide le titulaire du compte bancaire visé (ATF 128 II 211 consid. 2.4
p. 220). Elle est au surplus limitée aux cas dans lesquels la banque n'est
pas touchée dans la conduite de ses propres affaires, la qualité pour agir
lui étant toujours reconnue lorsqu'elle est, par exemple, elle-même titulaire
d'un compte soumis aux investigations (ATF 128 II 211 consid. 2.4 p. 219).
Comme le relève l'OFJ, l'application de la jurisprudence précitée aux avocats
et fiduciaires présenterait plusieurs difficultés, liées notamment à la
notification des décisions (contrairement au titulaire d'un compte bancaire
dont l'identité ressort des documents d'ouverture, l'identité du client de
l'avocat ou du fiduciaire n'apparaît pas forcément d'emblée). La question n'a
toutefois pas à être résolue définitivement dans le cas présent.
En effet, les documents remis par l'avocat se rapportent essentiellement à un
compte détenu et géré par l'étude. Même s'il s'agit de montants détenus pour
le compte d'un client, leur gestion constitue une activité propre de l'avocat
et ce dernier aurait pu recourir en se fondant sur l'art. 9a let. a OEIMP. On
trouve d'ailleurs aussi, parmi les documents, une facture d'honoraires et des
notes manuscrites révélant l'activité de l'avocat. Il n'y a pas lieu, dans un
tel cas, de déroger à la règle selon laquelle seul le détenteur des documents
a qualité pour s'opposer à leur transmission. Contrairement à ce que soutient
le recourant, le simple fait que son identité figure sur le reçu du 9 février
1994, et la possibilité d'une révélation de son identité à l'autorité
requérante, ne constituent pas des motifs justifiant de lui reconnaître la
qualité pour recourir.

2.
Le recours de droit administratif est par conséquent irrecevable.
Conformément à l'art. 156 al. 1 OJ, un émolument judiciaire est mis à la
charge du recourant, qui succombe.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est irrecevable.

2.
Un émolument judiciaire de 3'000 fr. est mis à la charge du recourant.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, au Juge
d'instruction et à la Chambre d'accusation du canton de Genève ainsi qu'à
l'Office fédéral de la justice (B 120592 BOT).

Lausanne, le 19 janvier 2004

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1A.233/2003
Date de la décision : 19/01/2004
1re cour de droit public

Analyses

Entraide judiciaire internationale en matière pénale; qualité pour recourir contre la transmission de documents remis par un avocat; art. 80h let. b EIMP, art. 9a let. a OEIMP. En tant que détenteur des documents saisis - lesquels se rapportent essentiellement à un compte détenu par l'étude - l'avocat avait seul qualité pour recourir, à l'exclusion de son client (précision de jurisprudence; consid. 1).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2004-01-19;1a.233.2003 ?
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