Observations du Gouvernement en réponse à la saisine du Conseil constitutionnel en date du 24 juin 1996 par plus de soixante sénateurs :
Le Conseil constitutionnel a été saisi par plus de soixante sénateurs d'un recours dirigé contre la loi de réglementation des télécommunications, adoptée par le Parlement le 18 juin 1996. Ce recours appelle, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.
I : Sur l'article 6
A : Cet article insère notamment, dans le code des postes et télécommunications, un article L 33-1 définissant les conditions auxquelles peuvent être autorisés, par le ministre chargé des télécommunications, l'établissement et l'exploitation des réseaux ouverts au public. Le e mentionne les règles portant sur les prescriptions exigées par la protection de l'environnement et par les objectifs d'aménagement du territoire et d'urbanisme comportant, le cas échéant, des conditions d'occupation du domaine public.
Pour contester cette disposition, les auteurs de la saisine font valoir qu'elle méconnaît le principe de libre administration des collectivités territoriales mentionné à l'article 72 de la Constitution. Ils estiment que la loi adoptée remet en cause la compétence, appartenant à chaque collectivité, d'affecter son domaine public comme elle l'entend.
B : Cette argumentation est inopérante.
La disposition critiquée n'a ni pour objet ni pour effet d'attribuer au ministre des prérogatives susceptibles de porter atteinte à celles des collectivités locales. Elle n'implique, par elle-même, aucune dérogation aux règles applicables en matière d'environnement et d'urbanisme et ne crée pas, au profit de l'exploitant, d'autres droits que ceux qui lui sont reconnus par l'article L 47 du code des postes et télécommunications.
Les précisions figurant au e de l'article L 33-1 permettent, au contraire, de rappeler explicitement que l'autorisation d'établissement et d'exploitation d'un réseau ne vaut pas autorisation de plein droit d'occupation du domaine public. Cette dernière fait l'objet d'un titre distinct.
Il convient d'ailleurs de souligner que la loi déférée comporte des dispositions tendant à conférer des prérogatives aux collectivités concernées. C'est ainsi que le nouvel article L 45-1 prescrit de réaliser l'installation des infrastructures dans les conditions les moins dommageables pour la propriété publique. De même, l'article L 46 précise que l'implantation des ouvrages doit être compatible avec l'affectation du domaine. Enfin, l'article L 47 subordonne cette implantation à la délivrance, par l'autorité responsable de la gestion du domaine, d'une permission de voirie.
II. : Sur l'article 8
Cette disposition insère dans le code un chapitre IV, intitulé " La régulation des télécommunications " qui crée une " Autorité de régulation des télécommunications (ART), faisant l'objet des articles L 36 et suivants. Les requérants adressent quatre types de griefs à ces dispositions.
A : Sur l'article L 36-4 du code des postes et télécommunications
Les auteurs de la saisine font valoir que cet article, qui prévoit que les ressources de cette autorité comprennent " des rémunérations pour services rendus et des taxes et redevances dans les conditions fixées par les lois de finances ou par décret en Conseil d'Etat ", méconnaît l'article 34 de la Constitution et l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Ils estiment que cette disposition crée ainsi une compétence concurrente entre loi de finances et décret.
Cette argumentation est dépourvue de portée utile. Il est clair, en effet, que le législateur a simplement entendu décrire les ressources dont pourra disposer cette autorité et renvoyer, d'une part, aux dispositions de la loi de finances s'agissant des taxes qui pourraient lui être affectées, et, d'autre part, à un décret en Conseil d'Etat, conformément à l'article 5 de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959, dans le seul cas des redevances et rémunérations pour services rendus.
B : Sur l'article L 36-6
Cet article définit les conditions dans lesquelles l'autorité de régulation participe à l'exercice du pouvoir réglementaire. Il lui revient ainsi de préciser notamment les règles concernant les droits et obligations afférents à l'exploitation des différentes catégories de réseaux et de services.
1. Les requérants font grief à ces dispositions d'être imprécises et de comporter ainsi une habilitation excessive. Ce faisant, l'autorité de régulation pourrait, selon eux, porter préjudice aux droits et libertés que le secteur des télécommunications peut concerner.
Comme le rappellent les sénateurs auteurs de la saisine, l'article 21 de la Constitution ne fait pas obstacle à ce que le législateur confie à une autorité de l'Etat autre que le Premier ministre le soin de fixer des normes permettant de mettre en uvre une loi, sous réserve que cette habilitation ne concerne que des mesures de portée limitée tant par leur champ d'application que par leur contenu.
Cette condition vaut lorsque ce pouvoir est délégué à une autorité administrative indépendante (n° 88-2248 DC du 17 janvier 1989).
La possibilité, pour le législateur, de confier le pouvoir réglementaire à une autorité de l'Etat autre que le Premier ministre a, en outre, été rappelée par la décision n° 93-324 DC du 3 août 1993 sur la Banque de France.
2. La loi de réglementation des télécommunications respecte les exigences résultant de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Elle va même au-delà.
L'autorité de régulation des télécommunications ne disposera en effet que d'un pouvoir délégué pour participer à la mise en uvre de la loi : ses compétences sont strictement encadrées par cette dernière et par ses décrets d'application. Il suffit, pour bien mesurer la nature résiduelle des pouvoirs réglementaires attribués à l'ART, de se reporter aux articles L 33-1 et L 34-1 (cahier des charges type), L 34-8 (conditions générales d'interconnexion) et L 33-2 (conditions d'implantation des réseaux indépendants) qui habilitent le pouvoir réglementaire de droit commun à fixer l'essentiel des règles applicables aux réseaux et services concernés.
Le pouvoir de l'autorité de régulation des télécommunications est, en l'espèce, limité à plusieurs titres.
a) Il l'est, en premier lieu, quant à son champ d'application.
C'est ainsi qu'elle ne peut se prononcer sur les grandes catégories de réseaux et de services. Celles-ci sont définies à l'article L 32. Leur régime juridique est, de même, déterminé par la loi elle-même : les articles L 33 et suivants fixent les régimes d'autorisation et de déclaration applicables respectivement à chaque catégorie de réseaux ou services.
Il n'appartient pas davantage à l'autorité de régulation de fixer le contenu des autorisations afférentes à chaque catégorie. Pour les réseaux et services relevant de l'article L 33-1 et L 34-1, un décret fixe les clauses types des cahiers des charges. Pour les réseaux indépendants, un décret fixe les conditions générales d'établissement. Pour les autres services, c'est un décret en Conseil d'Etat qui précise la procédure d'autorisation ou de déclaration.
b) En deuxième lieu, le pouvoir confié à l'autorité est limité dans son contenu. C'est ce que précise l'article L 36-6, selon lequel l'autorité intervient dans le respect des dispositions tant législatives que réglementaires du code des postes et télécommunications (ce qui recouvre notamment les principes définis à l'article L 32-1 du code).
Il sera encadré non seulement par les articles L 33-1 et L 34-1, mais aussi par l'existence de clauses types définies par décret.
Les réseaux et services peuvent toutefois être répartis en sous-catégories, pour lesquelles certaines précisions communes peuvent être apportées. Il appartiendra à l'ART de proposer des modèles de cahiers des charges par sous-catégories, dans l'espace résiduel laissé par le code et le cahier des charges type. Ces précisions sont de nature à rendre plus aisée la réalisation, par les exploitants autorisés, des objectifs définis par la loi.
A titre d'exemple, les matières pouvant ainsi donner lieu à une intervention de l'ART relèveront des domaines suivants :
: obligations d'égalité de traitement pour des opérateurs internationaux ;
: conditions d'accès aux préfixes d'appel pour les opérateurs longue distance ;
: obligations liées à la portabilité des numéros pour des opérateurs locaux ;
: bandes de fréquences accessibles à des opérateurs de services par satellite.
La rédaction adoptée par le législateur est donc conforme aux exigences constitutionnelles, telles qu'elles sont notamment rappelées dans la décision n° 89-260 DC du 28 juillet 1989 à propos de la compétence du Conseil des bourses de valeur.
On est donc bien loin des hypothèses censurées par le Conseil constitutionnel, telles que la disposition habilitant le Conseil supérieur de l'audiovisuel à fixer seul par voie réglementaire non seulement les règles déontologiques concernant la publicité mais également l'ensemble des règles relatives à la communication institutionnelle, au parrainage et aux pratiques analogues à celui-ci (n° 88-248 DC du 17 janvier 1989).
Beaucoup plus étroitement circonscrit apparaît le pouvoir réglementaire dévolu à l'ART par la loi déférée.
c) En troisième lieu, et surtout, il importe de souligner que l'autorité de régulation ne dispose, en matière réglementaire, que d'un pouvoir restreint dont l'opposabilité est subordonnée à une homologation ministérielle.
Dans la mesure où les décisions de l'ART ne portent pas sur le pouvoir réglementaire général mais bien sur un pouvoir délégué, l'homologation d'un ministre garde son efficacité. On rappellera, à cet égard, que le Conseil constitutionnel a relevé, s'agissant de la compétence similaire reconnue au Conseil des bourses de valeurs par la loi du 2 août 1989, qu'elle est limitée dans son champ d'application et doit s'exercer dans le respect des principes posés par le législateur et sous le contrôle du ministre chargé de l'économie (n° 89-260 DC du 28 juillet 1989).
Cet encadrement supplémentaire des attributions de l'ART achève de montrer l'inanité du grief.
C : Sur l'article L 36-11
1. Cet article dispose que l'autorité de régulation exerce son pouvoir de sanction en cas d'infraction d'un exploitant de réseau ou d'un fournisseur de service à une disposition législative ou réglementaire afférente à son activité.
Ce faisant, le législateur aurait, selon les auteurs de la saisine, reconnu à cette autorité administrative indépendante un pouvoir de sanction trop étendu. Ils estiment notamment que les dispositions législatives et réglementaires ainsi visées pourraient être étrangères au domaine d'activité de l'autorité de régulation.
2. Cette critique n'est pas fondée.
Les infractions aux dispositions législatives et réglementaires afférentes à l'activité d'un exploitant de réseau ou d'un fournisseur de services sont celles liées à l'application du code des postes et télécommunications et des autorisations données aux opérateurs pour leur activité dans les télécommunications. C'est ce qui résulte clairement des dispositions de l'article L 36-7, aux termes duquel l'ART : " 3° contrôle le respect par les opérateurs des obligations résultant des dispositions législatives et réglementaires qui leur sont applicables en vertu du présent code et des autorisations dont ils bénéficient et sanctionne les manquements constatés dans les conditions prévues aux articles L 36-10 et L 36-11 ".
La loi n'a donc pas pour effet de permettre à l'ART de sanctionner des infractions à des législations d'un autre ordre.
Au demeurant, la disposition contestée se retrouve, avec parfois une formulation plus large, dans des textes qui n'ont pas été censurés par le Conseil constitutionnel, alors même qu'ils lui étaient précisément déférés sur ce terrain. On peut à cet égard citer les articles 42 et suivants de la loi du 30 septembre 1986, relatifs aux pouvoirs de sanction du CSA.
Par ailleurs, la loi exclut sans ambiguïté le cumul d'une sanction pénale et d'une sanction pécuniaire (art L 36-11, 2°, b). Les seules infractions pénales qu'elle prévoit (art L 39 et L 39-1) concernent le fait d'exercer sans titre une activité soumise à autorisation préalable, et non la violation des conditions d'exercice de cette activité prévues par le cahier des charges, seule susceptible de faire l'objet d'une sanction administrative.
On soulignera enfin que le niveau des sanctions pécuniaires se situe tout à fait dans les fourchettes habituelles.
D : Sur l'article L 36-8
1. Le IV de cet article attribue à la cour d'appel de Paris le contentieux des décisions prises par l'autorité de régulation lorsqu'elle est saisie, en application du même article, d'un différend portant sur un refus d'interconnexion, sur la conclusion ou l'exécution d'une convention d'interconnexion ou d'accès à un réseau de télécommunications, sur l'adaptation des conventions d'accès aux réseaux câblés ou sur les conventions entre les opérateurs prévoyant une utilisation partagée de leurs installations.
Les requérants estiment que la loi votée méconnaît le principe selon lequel, à l'exception des matières réservées par nature à l'autorité judiciaire, relève en dernier ressort de la compétence de la juridiction administrative l'annulation ou la réformation des décisions prises dans l'exercice des prérogatives de puissance publique, par les autorités exerçant le pouvoir exécutif, leurs agents, les collectivités territoriales de la République ou les organismes publics placés sous leur autorité ou leur contrôle (n° 86-224 DC du 23 janvier 1987).
Ils contestent en particulier que l'intérêt d'une bonne administration de la justice puisse justifier cette attribution de compétence au juge judiciaire.
2. L'argumentation des requérants repose sur une lecture erronée tant de la loi déférée que de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
a) Comme l'a souligné le Conseil constitutionnel dans la décision dont se prévalent les requérants, et comme il l'a rappelé dans sa décision n° 89-261 DC du 28 juillet 1989, le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires issu de la loi des 16 et 24 août 1790 n'a pas, en lui-même, valeur constitutionnelle. Seul se voit reconnaître une telle valeur, sous réserve d'ailleurs des tempéraments qui peuvent y être apportés dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, le principe suivant lequel le contentieux de la légalité des actes que les autorités administratives prennent dans l'exercice de leurs prérogatives de puissance publique ressortit à la compétence de la juridiction administrative.
Il en résulte que seuls les actes présentant cette dernière caractéristique font l'objet, s'agissant de la désignation de l'ordre de juridiction compétent pour en connaître, d'un encadrement constitutionnel.
b) Ces exigences n'ont pas été méconnues par la loi déférée.
En premier lieu, les actes dont le contentieux est en cause ne traduisent pas l'exercice de prérogatives de puissance publique. Il ne s'agit pas de pouvoirs régaliens appartenant par nature aux autorités administratives. Dans l'exercice des attributions que lui confie l'article L 36-8, l'ART ne mettra pas en uvre des règles de droit administratif.
En réalité, le législateur a entendu lui permettre d'intervenir pour résoudre des différends d'ordre contractuel entre opérateurs ayant entre eux des liens de droit privé.
Tant dans sa forme que dans son contenu, l'interconnexion est, en effet, par détermination de la loi, une convention de droit privé entre les parties concernées (art L 34-8, alinéa 3) : elle recouvre les prestations réciproques entre des opérateurs de réseaux et des prestataires de services et fait l'objet d'une convention commerciale entre des acteurs économiques.
Cela vaut tant pour les contrats d'accès aux réseaux visés au I de l'article L 34-8 que pour les autres conventions mentionnées au II.
A cet égard, et contrairement à ce que soutiennent les requérants, le renvoi opéré par l'article L 47 à l'intervention de l'Autorité de régulation dans les conditions fixées à l'article L 36-8 n'implique nullement que celle-ci aura alors à résoudre des litiges de droit public. Les différends entre opérateurs que vise cette disposition sont exclusifs de tout contentieux mettant en cause la permission de voirie qui aura été accordée, ou portant sur l'application des règles de la domanialité publique.
L'intervention de l'autorité de régulation se justifie par la technicité de la matière. Mais, compte tenu de son objet et de ses modalités (sa décision devra se fonder, selon l'article L 36-8, sur " les conditions équitables, d'ordre technique et financier ", dans lesquelles l'interconnexion, l'accès ou le partage des installations doivent être assurés) le contentieux qui en résultera ne se rattachera nullement au domaine de compétence qui appartient par nature au juge administratif.
Le Gouvernement considère donc que la solution retenue par le législateur se situe hors du champ d'application du principe dégagé par la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
A supposer même que ce principe fût en cause, les conditions mises par la jurisprudence pour que le législateur puisse y déroger seraient, en tout état de cause, réunies.
Il convient en effet de souligner que, dans le silence de la loi, le contentieux de l'Autorité de régulation des télécommunications relève, de manière générale, du juge administratif. Ce n'est que dans le cas très particulier où elle intervient pour trancher des litiges contractuels privés que la loi prévoit une exception.
Or une telle dérogation limitée n'est pas sans précédents.
A la différence de celles exerçant une régulation plus éthique les conduisant à intervenir dans un secteur où les libertés publiques sont en jeu (CNIL, CSA, Commission des sondages), certaines décisions d'autorités administratives assurant une régulation de type économique relèvent largement du contrôle judiciaire, sans que, pour autant, cette attribution de compétence porte sur l'ensemble de leurs décisions (COB, Conseil des bourses de valeurs).
Il est alors loisible au législateur, lorsque des contestations diverses se répartiraient selon les règles habituelles de compétence entre la juridiction administrative et la juridiction judiciaire, d'unifier ces règles, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, et au sein de l'ordre juridictionnel principalement intéressé.
En pareil cas, il est plus pertinent d'envisager la notion de " blocs de compétence " sous l'angle de la matière traitée et de la situation du requérant que sous celui de l'organisme dont les décisions sont contestées. En d'autres termes, le critère décisif est matériel plutôt qu'organique.
En l'espèce, le législateur a entendu préserver l'unité du contentieux de la matière considérée, indépendamment de la voie choisie par le justiciable.
Lorsqu'elle connaîtra des différends en matière d'interconnexion, d'accès ou de partage d'installations, l'autorité de régulation des télécommunications sera notamment appelée à appliquer le droit de la concurrence. Cela sera le cas lorsqu'elle aura à se prononcer sur les refus d'interconnexion ou les conditions abusives qu'un opérateur de télécommunications en situation dominante voudrait opposer à ses concurrents.
Il faut en outre souligner que le contentieux de l'interconnexion est un contentieux technique et économique qui suppose une appréciation des coûts et met en uvre des théories et techniques comptables souvent complexes, dont le juge judiciaire est plus familier que le juge administratif.
Enfin, et peut-être surtout, il résulte du choix opéré par le législateur que la compétence de l'autorité de régulation n'est pas exclusive : les tribunaux judiciaires et le Conseil de la concurrence pourront connaître des mêmes conventions. Il est donc conforme à l'intérêt d'une bonne administration de la justice d'assurer l'homogénéité de la procédure et du type de contrôle sur les décisions prises en matière d'interconnexion, ainsi que l'unité de la jurisprudence, sous le contrôle de la Cour de cassation.
En résumé, et à supposer que les conditions liées à l'intérêt d'une bonne administration de la justice soient requises pour fonder constitutionnellement le choix, opéré en l'espèce par le législateur, de confier cette matière à l'autorité judiciaire, le Gouvernement estime que la loi déférée y satisfait.
III. : Sur l'article 15
Cet article insère, dans la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986, des dispositions tendant à préciser le régime applicable aux personnes qui fournissent des services de communication audiovisuelle soumis à déclaration préalable en vertu de l'article 43 de cette loi, c'est-à-dire des services télématiques ou ceux qui empruntent le réseau Internet.
A l'encontre de ces dispositions, les sénateurs requérants soulèvent deux types de griefs.
A : Sur les propositions de recommandation formulées par le Comité supérieur de la télématique
1. Ce comité est placé auprès du Conseil supérieur de l'audiovisuel. Il est chargé, par le nouvel article 43-2, d'élaborer des recommandations, qu'il appartient à ce dernier d'adopter, permettant d'assurer le respect, par les services de communication visés à l'article 43, des règles déontologiques.
Les auteurs de la saisine soutiennent que la délégation ainsi consentie par le législateur est insuffisamment encadrée.
Ils font en outre grief au texte déféré de ne pas définir la composition du comité ni la procédure applicable devant lui.
2. Cette argumentation ne saurait être accueillie.
Elle est, sur le dernier point, inopérante, dès lors que le comité est essentiellement un organe de propositions et d'études placé auprès du CSA et non une instance de décision. Elle manque, au demeurant, en fait, dans la mesure où les règles de la composition du comité sont définies par le cinquième alinéa de l'article 43-2.
Pour le surplus, c'est-à-dire l'étendue des prérogatives définies à l'article 43-2, la contestation est inopérante, s'agissant non d'un pouvoir décisionnel mais d'un pouvoir de recommandation. A supposer même que ce pouvoir fût normatif, l'argumentation se heurterait à la jurisprudence déjà rappelée du Conseil constitutionnel, laquelle admet de semblables attributions et considère qu'elles ne méconnaissent pas les limites dans lesquelles le législateur peut confier un pouvoir normatif à une autorité autre que le Premier ministre.
B : Sur les avis relatifs au respect des recommandations déontologiques
Il faut souligner, à titre liminaire, que le dispositif conçu par le Parlement en accord avec le Gouvernement, n'a nullement pour objet d'instaurer une censure déguisée ou de restreindre la liberté d'expression et de communication sur les réseaux télématiques ou Internet. Cette liberté reste soumise au régime de déclaration préalable défini au 1° de l'article 43 de la loi du 30 septembre 1986. Les dispositions critiquées n'ont ni pour objet ni pour effet de réintroduire, fût-ce indirectement, une autorisation ou un agrément préalable à la fourniture des services de communication audiovisuelle relevant de l'article 43 (1°) de la loi du 30 septembre 1986.
Au contraire, le dispositif a été conçu pour clarifier la situation des professionnels qui assurent la " fourniture d'accès ".
Ces professionnels ont en effet manifesté auprès des pouvoirs publics leur crainte d'être mis en cause pénalement à raison du contenu des messages véhiculés sur les réseaux qu'il gèrent, alors même qu'ils ne sont pas prestataires de services de communication et qu'ils n'ont pas les moyens de contrôler exhaustivement l'ensemble des messages qui peuvent transiter sur leurs réseaux. C'est pourquoi le Gouvernement et le Parlement ont souhaité, en quelque sorte, indiquer la ligne de conduite que doivent suivre les " fournisseurs d'accès ", sans pour autant porter atteinte à la liberté d'appréciation du juge pénal. Ce faisant, ils se sont inspirés du dispositif mis en place, dans un cadre réglementaire, pour les services télématiques dont la connexion est assurée par France Télécom. Ce dispositif a permis, en effet, de mettre fin aux abus constatés dans les premiers temps du développement de la télématique, sans pour autant entraver la libre expression des usagers, ni le développement des fournisseurs de services télématiques.
Les articles 43-1 à 43-3 de la loi de 1986 ont donc pour objet d'inciter les fournisseurs de réseaux :
: d'une part, à proposer à leurs clients des logiciels permettant de restreindre l'accès à certains services de communication ou de les sélectionner (de tels logiciels existent d'ores et déjà dans le commerce) ;
: d'autre part, à exercer une vigilance accrue à l'égard des services de communication qui auraient fait l'objet d'un avis défavorable de la part du Comité supérieur de la télématique.
Le législateur décrit ainsi ce que sont, selon lui, les diligences normales que doit accomplir un fournisseur d'accès. Devant un juge pénal, ledit fournisseur pourra faire valoir qu'il a accompli ces diligences normales, sans pour autant que cela lui permette de s'exonérer automatiquement de toute responsabilité.
C'est à la lumière de ces indications qu'il convient d'examiner le dispositif critiqué.
1. Le deuxième alinéa de l'article 43-2 prévoit qu'une instance est chargée, au sein du Comité supérieur de la télématique, d'émettre un avis sur le respect des recommandations déontologiques par un service relevant du 1° de l'article 43. Cet avis peut être sollicité par tout utilisateur, tout opérateur ou fournisseur de services, ainsi que par toute organisation professionnelle ou association d'usagers.
Le Comité supérieur de la télématique peut décider, selon des modalités sur lesquelles on reviendra plus loin, de publier cet avis au Journal officiel.
L'article 43-3 précise, s'agissant des poursuites pénales engagées à raison d'infractions résultant du contenu des messages diffusés, qu'il pourra être tenu compte de l'absence d'avis défavorable publié au Journal officiel.
Les requérants contestent qu'un avis donné par une autorité administrative puisse avoir de telles conséquences sans que la composition de celle-ci soit connue.
Ils estiment que le Comité supérieur de la télématique se trouve ainsi dépositaire d'un pouvoir d'interprétation de la loi pénale et de déclenchement des poursuites. Ils font grief au texte de lier le juge pénal en cas de procès.
Les auteurs de la saisine soutiennent également que le principe de la légalité des peines et des délits serait méconnu, dès lors que ces avis défavorables, ayant des conséquences pénales, sont fondés sur des règles déontologiques dont le contenu est non législatif et imprécis.
Enfin, il est reproché au texte de méconnaître, par son silence, le droit à un recours effectif et les droits de la défense.
2. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, le dispositif qu'ils critiquent n'est pas contraire à la Constitution.
a) En premier lieu, les avis rendus en matière de respect des règles déontologiques n'ont pas, au regard notamment d'éventuelles poursuites pénales, la portée que leur prête la saisine.
Les dispositions critiquées ne définissent pas des infractions.
L'article 43-3, en particulier, vise essentiellement, comme on l'a rappelé plus haut, à clarifier les responsabilités des fournisseurs de réseaux. Pour en apprécier la portée, il convient de distinguer selon que le Comité supérieur de la télématique a ou non émis un avis défavorable concernant un service de communication audiovisuelle mentionné au 1° de l'article 43.
Si le comité n'a émis aucun avis défavorable concernant un service qui diffuse des messages tombant sous le coup de la loi pénale, et si, par ailleurs, le dispositif de protection prévu par l'article 43-1 a été proposé, l'article 43-3 se borne à préciser que la responsabilité pénale du service de connexion mentionné à l'article 43-1 n'est pas engagée, sauf si, conformément aux règles générales édictées par les articles 121-1 et suivants du code pénal, il est établi que le dirigeant de ce service a personnellement et intentionnellement commis une infraction, soit comme co-auteur (en commettant l'infraction), soit comme complice par fourniture de moyens (en participant à sa commission).
Dans cette première hypothèse, l'article 43-3 ne fait donc que rappeler expressément le principe constitutionnel de la présomption d'innocence, qui présente en l'espèce une importance toute particulière, s'agissant de la mise en cause de services qui n'ont fait que transporter un message, sans être à l'origine ni de sa conception, ni de son émission.
Si, à l'inverse, le service qui a diffusé des messages tombant sous le coup de la loi pénale a fait l'objet, de la part du Comité supérieur de la télématique, d'un avis défavorable, ou si le dispositif mentionné à l'article 43-1 n'a pas été proposé, il résulte des termes mêmes de l'article 43-3 qu'il n'est pas applicable. Il ne saurait pour autant avoir pour effet de poser une présomption de responsabilité pénale, aucune interprétation a contrario ne pouvant être tirée de la rédaction de cet article. C'est d'ailleurs pour éviter que ne soit instituée une telle présomption : ce qui n'était souhaité ni par le Gouvernement ni par le Parlement : que la rédaction de cet article a été modifiée sur amendement du Gouvernement, après son adoption en commission mixte paritaire.
La seule différence avec l'hypothèse dans laquelle aucun avis défavorable n'a été rendu, est que, dans cette seconde hypothèse, le législateur ne rappelle pas expressément la présomption d'innocence dont bénéficient les services de connexion. Mais leur responsabilité pénale ne peut, en tout état de cause, être engagée qu'en conformité avec les principes rappelés plus haut, c'est-à-dire s'il est établi qu'ils ont personnellement et intentionnellement commis l'infraction, comme co-auteur ou complice.
Contrairement à ce que soutient la saisine, le législateur n'a pas introduit de lien juridique entre les avis du Comité supérieur de la télématique et la responsabilité pénale des services de connexion.
Ces avis n'ont donc pas d'incidence directe en matière pénale. Ils constituent des éléments de fait soumis à l'appréciation des tribunaux répressifs. Qu'il existe ou non un avis défavorable, les juridictions compétentes peuvent toujours rechercher l'éventuelle responsabilité pénale des services de connexion, en application des règles générales du droit pénal, sans être aucunement liés par l'avis du comité. De même qu'un avis défavorable ne fait pas obstacle à une relaxe, un avis favorable n'interdit pas une condamnation.
Ce qui vient d'être dit pour les avis défavorables vaut, mutatis mutandis, pour l'omission des précautions prévues à l'article 43-1 nouveau de la loi de 1986.
En d'autres termes, l'article 43-3 n'a ni pour objet ni pour effet de déterminer directement la responsabilité pénale des fournisseurs de services mentionnés au 1° de l'article 43. En l'adoptant, le législateur a seulement entendu inciter les juridictions répressives, chargées de statuer sur d'éventuelles poursuites résultant du contenu des messages diffusés par ces services, à tenir compte de l'existence ou de l'absence d'un avis défavorable du Comité parmi les différents éléments de fait qu'il leur appartient d'apprécier librement avant de se prononcer sur la culpabilité.
b) En second lieu, et dès lors que l'existence ou le sens d'un avis du comité n'affecte pas directement les droits des fournisseurs de services, l'argumentation que les requérants tirent du caractère, selon eux, insuffisamment précis de la loi ne peut qu'être écartée.
Sa composition : sur laquelle, comme il a été souligné plus haut, la loi fournit au demeurant des précisions : ne méconnaît pas la compétence du législateur. N'entache pas non plus la loi d'une incompétence négative le manque de précisions expresses concernant la composition de l'instance plus particulièrement chargée de préparer les avis relatifs au respect des recommandations déontologiques.
Sans doute, le Conseil constitutionnel considère-t-il que l'exercice d'une fonction consultative, qui relève, par nature, du pouvoir réglementaire, peut néanmoins ressortir au domaine législatif dans la mesure où elle apporte aux intéressés une garantie essentielle dans une matière touchant aux droits et libertés (n° 73-80 L du 28 novembre 1973 ; n° 92-170 L du 8 décembre 1992).
Mais la loi contestée satisfait à ces exigences. Il résulte en effet du deuxième alinéa de l'article 43-2 que l'instance prévue par cet article se bornera à donner un avis dont il appartiendra au seul Comité de tirer les conséquences, le cas échéant, en décidant de le publier au Journal officiel.
La loi prévoit expressément qu'avant cette décision l'avis sera notifié aux intéressés. Ces derniers seront ainsi mis à même, conformément au principe général des droits de la défense, de faire part de leurs observations sur les griefs qui pourraient être retenus dans l'avis. Ce n'est qu'au terme de cette procédure que le Comité portera sa propre appréciation sur le respect par le service concerné des recommandations précédemment édictées.
L'intention du législateur a donc clairement été de réserver au Comité, sur la composition duquel la loi fournit des précisions suffisantes, la compétence pour décider du seul acte susceptible d'avoir une incidence pratique pour les fournisseurs de service, c'est-à-dire la décision de publier l'avis défavorable.
L'intervention de l'instance prévue au même article présente donc un caractère préparatoire. Il va de soi que les avis qu'elle émettra pourront être confirmés, rectifiés ou infirmés à la diligence du Comité.
Il est évident, au surplus, que la composition de l'instance constituée au sein du Comité ne pourra que refléter celle de ce dernier, dès lors qu'elle n'en sera que l'émanation. Elle sera donc composée, de même, pour moitié de représentants des fournisseurs et pour moitié de personnalités qualifiées. Elle sera également présidée par le président désigné par le CSA Autrement dit, le législateur a simplement souhaité, en prévoyant l'intervention, à un stade préparatoire, de cette instance, que le Comité puisse par là même siéger dans une formation plus restreinte.
Enfin, il est clair, sans que la loi ait à le préciser, que les décisions faisant grief susceptibles d'être prises dans le cadre de ce dispositif, à supposer qu'il y en ait, pourront faire l'objet d'un recours effectif, conformément au droit commun.
En définitive, le texte déféré au Conseil constitutionnel n'encourt aucun des griefs qui lui sont adressés. C'est pourquoi le Gouvernement demande au Conseil de rejeter le recours dont il est saisi.
SAISINE SENATEURS : Monsieur le président, Madame et Messieurs les conseillers,
Nous avons l'honneur, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, de soumettre à votre examen la loi de réglementation des télécommunications telle qu'elle a été définitivement adoptée par le Parlement le 18 juin 1996.
Sur l'article 5 :
En précisant le régime juridique applicable aux réseaux de télécommunications, la loi a méconnu l'article 72 de la Constitution, lequel dispose que les collectivités territoriales s'administrent librement.
En prévoyant à l'article L 33-1 nouvellement rédigé que le ministre chargé des télécommunications autorise l'établissement et l'exploitation des réseaux ouverts au public dans le respect d'un cahier des charges portant notamment sur " les conditions d'occupation du domaine public et les modalités de partage des infrastructures ", la compétence appartenant à chaque collectivité territoriale d'affecter son domaine public comme elle l'entend se trouve remise en cause.
L'autonomie de gestion des collectivités locales conduit celles-ci à choisir l'utilisation la mieux appropriée du domaine public leur appartenant. A cet égard, il se peut donc qu'une autorisation délivrée par le ministre vienne contrarier l'utilisation du domaine public déjà affecté par une collectivité à un service public.
Un tel changement d'affectation, ou à tout le moins une modification de celle-ci, sans l'accord de la collectivité intéressée viole certainement le principe de libre administration des collectivités territoriales.
Sur l'article 6 :
Les auteurs du texte discuté ont créé une nouvelle institution, l'autorité de régulation des télécommunications, figurant au chapitre IV du code des postes et télécommunications aux articles L 36 et suivants.
Or, plusieurs dispositions relatives à cette nouvelle instance, qui viendraient enrichir la catégorie protéiforme des autorités administratives plus ou moins indépendantes, sont à l'évidence contraires à la Constitution.
En premier lieu, selon l'article L 36-4 dans sa rédaction ici proposée, les ressources de cette autorité de régulation comprennent " les rémunérations pour services rendus et des taxes et redevances dans les conditions fixées par les lois de finances ou par décret en Conseil d'Etat ".
Pourtant l'article 34 de la Constitution dispose clairement que " la loi fixe les règles concernant () l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ".
A cet égard, il ne saurait faire de doute que les taxes figurent au rang des impositions de toutes natures. En conséquence, leur régime relève du domaine de la loi.
C'est donc en méconnaissance de cette règle que le présent texte a organisé une compétence concurrente entre la loi de finances et le décret même pris en Conseil d'Etat. D'autant plus que les limites de la compétence de chacune de ces normes ne sont pas déterminées et que la plus grande imprécision imprègne la disposition en cause.
Il est clair qu'il y a une violation flagrante des articles 21, 34 et 37 de la Constitution non pas tant dans leur domaine respectif que dans l'organisation par la loi d'une compétence concurrente et encore une méconnaissance de l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
En second lieu, l'article L 36-6 nouveau en confiant à l'autorité de régulation des pouvoirs de réglementation particulièrement larges viole l'article 21 de la Constitution.
Certes, votre jurisprudence admet que les dispositions de l'article 21 précité ne font pas obstacle à ce " que le législateur confie à une autorité de l'Etat autre que le Premier ministre le soin de fixer des normes permettant de mettre en uvre une loi, mais c'est à la condition que cette habilitation ne concerne que des mesures de portée limitée tant par leur champ d'application que par leur contenu " (n° 88-2248 DC du 17 janvier 1989).
En l'occurrence, il ressort de la loi critiquée que ladite autorité " précise les règlements concernant :
" 1° Les droits et obligations afférents à l'exploitation des différentes catégories de réseaux et de services en application des articles L 33-1 et L 34-1 () ".
Une telle rédaction s'avère singulièrement imprécise. Il s'ensuit que le champ d'application et le contenu du pouvoir réglementaire ainsi octroyé à cette instance dépasse l'ampleur supportable pour une telle habilitation. L'emploi du terme " précise " ne saurait être satisfaisant de ce point de vue.
Plus sérieusement encore, l'expression " les droits et obligations afférents à l'exploitation " vise un domaine d'intervention de l'autorité dont les limites n'apparaissent pas. Bien plus, il s'agit là d'une définition de ses pouvoirs pouvant porter préjudice aux droits et libertés que le secteur des télécommunications peut concerner.
Au demeurant, s'agissant d'un secteur qui participe d'un service public d'importance nationale, le pouvoir d'édicter des réglementations confié à une autorité relativement indépendante, sans que cette compétence soit strictement encadrée, méconnaît certainement l'article 21 de la Constitution.
C'est en vain que l'on relèverait le pouvoir d'homologation dont le ministre chargé des télécommunications bénéficie.
D'une part, un ministre ne possède pas davantage qu'une autorité administrative indépendante de pouvoir réglementaire général. Dès lors, les conditions posées pour une habilitation sont identiques selon qu'il s'agit d'un ministre ou d'une autre autorité administrative relevant de l'autorité de l'Etat. Et si celle-ci est trop large et imprécise en ce qui concerne l'autorité de régulation, elle ne peut apparaître satisfaisante du fait de l'intervention du ministre.
D'autre part, un pouvoir d'homologation ne permet pas nécessairement de s'opposer au contenu des prescriptions adoptées par l'autorité de régulation. Le fait que le législateur a préféré ce terme à celui d'approbation montre que dans ce cas, le ministre aura une compétence liée.
En raison de sa portée trop étendue, cette habilitation méconnaît les dispositions de l'article 21 de la Constitution.
En troisième lieu, il apparaît que l'autorité de régulation dispose d'un pouvoir de sanction trop étendu.
Ainsi, il résulte de la rédaction de l'article L 36-11 que ladite instance exerce son pouvoir de sanction " en cas d'infraction d'un exploitant de réseau ou d'un fournisseur de service à une disposition législative ou réglementaire afférente à son activité ".
Encore une fois, vous avez reconnu aux autorités administratives indépendantes le pouvoir de prononcer des sanctions administratives (n° 88-248 DC du 19 janvier 1989) mais dans la limite nécessaire à l'accomplissement de leur mission.
Au cas présent, la notion d'infraction " à une disposition législative et réglementaire afférente à son activité " paraît dépasser le lien existant entre le bénéfice d'une autorisation délivrée par l'administration et les règles applicables à cette autorisation. Eu égard au secteur concerné rien n'interdit de penser que certaines de ces " dispositions législatives ou réglementaires " afférentes à cette activité sont, par exemple, de nature pénale ou à tout le moins étrangères au domaine d'activité de l'Autorité de régulation.
Or les sanctions administratives sont bien distinctes des sanctions pénales. Ainsi que la doctrine l'a souligné, de telles sanctions administratives " peuvent avoir leur place dans un Etat libéral, à la condition que leur domaine d'application soit étroitement limité, qu'elles n'empiètent en aucune manière sur la répression pénale " (JM Aubry, Les Sanctions administratives en matière de circulation automobile, D 1952, chron. p 111).
Dans le texte en cause, cette nécessaire frontière n'est manifestement pas garantie et le pouvoir de sanction accordé à cette autorité est trop étendu.
En quatrième lieu, la loi votée méconnaît le principe selon lequel, à l'exception des matières réservées par nature à l'autorité judiciaire, relève en dernier ressort de la compétence de la juridiction administrative l'annulation où la réformation des décisions prises, dans l'exercice des prérogatives de puissance publique, par les autorités exerçant le pouvoir exécutif, leurs agents, les collectivités territoriales de la République ou les organismes publics placés sous leur autorité ou leur contrôle (n° 86-224 DC du 23 janvier 1987).
En l'espèce, il s'avère qu'une partie des décisions adoptées par l'autorité de régulation relève de la compétence contentieuse de la cour d'appel de Paris. Parmi ces conditions figurent celles concernant les possibilités et les conditions d'une utilisation partagée entre opérateurs, prévue à l'article L 47, d'installations existantes situées sur le domaine public.
Il peut en résulter des questions à juger relevant normalement de la compétence du juge administratif.
On ne saurait ici exciper de l'intérêt d'une bonne administration de la justice pour justifier cette attribution de compétence au juge judiciaire.
D'abord, loin de clarifier la répartition des compétences contentieuses, une telle disposition est de nature à créer des difficultés supplémentaires. En effet, une autre partie des pouvoirs appartenant à l'autorité de régulation sera jugée par le Conseil d'Etat. Et il n'est pas toujours certain que la répartition de ces divers contentieux soit aisée. Pour le justiciable, le choix du juge risque d'être obscurci.
Ensuite, s'agissant de l'application d'une législation ou d'une réglementation spécifique, à savoir le droit de la concurrence, il est prévu que le président de l'autorité puisse saisir le Conseil de la concurrence.
Autrement dit, l'attribution d'une partie du contentieux, qui pourrait naître de l'exercice des pouvoirs de l'autorité de régulation à la cour d'appel de Paris, méconnaît la compétence naturelle du juge administratif sans qu'une bonne administration de la justice puisse en être la justification.
Sur l'article 11 bis A :
Le présent texte a modifié la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 en créant une nouvelle instance intervenant dans le domaine de la liberté de communication.
Les articles 43-1 à 43-3 ainsi insérés dans cette loi sont cependant entachés de plusieurs vices d'inconstitutionnalité.
En effet, le Comité supérieur de la télématique placé auprès du CSA se trouve doté de pouvoirs propres en méconnaissance de l'article 34 de la Constitution et des articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
La procédure mise en place à travers ces dispositions, au-delà d'une certaine complexité, peut conduire à entraver la libre communication des pensées et des opinions, voire à instituer un système d'autorisation préalable.
L'élaboration dans les présentes conditions de règles déontologiques adoptées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel et publiées au Journal officiel porte atteinte à la compétence du législateur qui seul peut fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques.
D'une part, les pouvoirs ainsi accordés audit comité et au Conseil supérieur de l'audiovisuel concernant l'utilisation, par exemple, du réseau appelé Internet, sont excessivement larges. La loi ne saurait déléguer à une autorité administrative une telle compétence sans indiquer le champ d'application précis de ces règles déontologiques, alors même que ces services sont aujourd'hui dispensés de toute autorisation préalable.
D'autre part, il apparaît quelque peu étonnant qu'un tel comité placé auprès du Conseil supérieur de l'audiovisuel pour intervenir dans un domaine touchant aux libertés publiques ne voit ni sa composition ni la procédure applicable devant lui définies par la loi.
Enfin, et ce point mérite une attention toute particulière, le Comité supérieur de la télématique aura compétence pour donner un avis sur le respect de ces recommandations déontologiques.
Lequel avis, s'il est défavorable, sera selon l'article L 43-3 nouveau de nature à permettre la recherche de la responsabilité pénale de son destinataire.
Cet aspect paraît éminemment critiquable.
D'abord, la mise en place de cette procédure complexe de définition d'une déontologie, laquelle servira de base à l'adoption d'avis faisant grief : puisque propres à fonder des poursuites pénales : s'apparente à l'édiction déguisée d'une procédure d'autorisation préalable.
Il est aisé d'imaginer que les conséquences très graves attachées à ces avis contraindront leurs destinataires à n'accepter la connexion de services télématiques ou d'Internet qu'à la condition que ceux-ci soient respectueux desdits avis.
S'agissant, notamment pour les réseaux télématiques ou les réseaux de type Internet, de la libre communication des idées et des opinions, une telle procédure détournée d'autorisation préalable méconnaît tant l'article 34 de la Constitution que les articles 10 et 11 de la déclaration de 1789.
Ensuite, il ne saurait être constitutionnellement admis qu'un avis donné par une instance créée au sein d'une autorité, sans que la composition de l'une et de l'autre soit connue, puisse déclencher d'éventuelles poursuites pénales. S'agissant d'une commission dont les décisions concernent à l'évidence les libertés publiques, sa composition doit nécessairement relever de la compétence du législateur.
Force est même de constater que de tels avis défavorables sont étroitement liés à la loi pénale. C'est en tout état de cause ce qui ressort de la rédaction de l'article L 43-3, de sorte que ce Comité supérieur de la télématique se trouve en réalité dépositaire d'un pouvoir singulier d'interprétation de la loi pénale et, plus encore, bien que indirectement, de déclenchement des poursuites pénales. Tel que rédigé, ce texte paraît même lier le juge pénal pour la future interprétation qu'il serait appelé à donner en cas de procès.
Encore une fois, le domaine des sanctions administratives doit demeurer strictement distinct de celui des sanctions pénales.
Pourtant, en l'occurrence, l'avis dont il s'agit dépasse le cadre du pouvoir de sanction normalement accessible à une autorité administrative.
D'autant plus que ces avis ne respectent aucune des règles constitutionnelles applicables en matière répressive.
A cet égard, le principe de légalité des peines et des délits est méconnu puisque ces avis défavorables, ayant des conséquences pénales, sont pris au motif du non-respect de règles déontologiques dont le contenu est flou, imprécis, et pour tout dire inconnu.
Rien d'ailleurs n'indique en quoi un tel avis défavorable publié au Journal officiel sera une réponse proportionnée à l'atteinte présumée à une recommandation dont la nature précise n'est pas déterminée.
Quant au droit à un recours effectif et aux droits de la défense, leur violation est également manifeste.
C'est en vain qu'il serait opposé l'existence de voies des recours contre les décisions du CSA Les avis en cause sont adoptés par le Comité supérieur de la télématique sans l'intervention du Conseil supérieur de l'audiovisuel. Il s'agit donc de l'exercice d'un pouvoir propre contre lequel aucune voie de recours n'a été prévue.
De même, l'absence totale de précisions quant aux droits offerts aux intéressés avant que l'avis, éventuellement défavorable, ne soit prononcé prive ceux-ci de garanties indispensables en cette matière concernant les libertés publiques.
Décidément, les pouvoirs imprécis excessivement étendus donnés à cette instance dont la nature est très floue, en l'absence de toute garantie accordée aux personnes susceptibles d'être ainsi sanctionnées, viole ensemble les articles 34 de la Constitution et les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789.
Nous vous prions d'agréer, Monsieur le président, Madame et Messieurs les conseillers, l'expression de notre haute considération.