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20/01/2025 | FRANCE | N°23MA01617

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 6ème chambre, 20 janvier 2025, 23MA01617


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Par deux requêtes distinctes, la société par actions simplifiée Provence Alpes Connect (" PACT "), enregistrée au registre du commerce et des sociétés d'Evreux sous le n° 818 009 748, a demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, d'annuler la délibération n° 2018-064 du syndicat mixte ouvert Provence-Alpes-Côte d'Azur Très Haut Débit (" PACA THD ") du 20 décembre 2018 portant résiliation de la convention de délégation de service public conclue avec ce

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par deux requêtes distinctes, la société par actions simplifiée Provence Alpes Connect (" PACT "), enregistrée au registre du commerce et des sociétés d'Evreux sous le n° 818 009 748, a demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, d'annuler la délibération n° 2018-064 du syndicat mixte ouvert Provence-Alpes-Côte d'Azur Très Haut Débit (" PACA THD ") du 20 décembre 2018 portant résiliation de la convention de délégation de service public conclue avec cette société pour motif d'intérêt général, et, d'autre part, d'annuler la lettre du syndicat mixte ouvert PACA THD du 24 mai 2019 l'informant de cette résiliation et de condamner le syndicat mixte ouvert PACA THD à lui verser la somme de 45 871 494,70 euros, augmentée des intérêts moratoires en réparation du préjudice subi.

Par un jugement nos 1906318, 1906323 du 27 avril 2023, le tribunal administratif de Marseille a condamné le syndicat PACA THD à verser à la société PACT la somme de 87 779 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 18 juillet 2019 et de la capitalisation des intérêts à compter du 17 juillet 2020 et à chaque échéance à compter de cette date, et rejeté le surplus des demandes de la société.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 27 juin 2023, et deux mémoires enregistrés le 1er février 2024 et le 15 mars 2024, la société PACT, représentée par Me Champy, demande à la Cour dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il rejette sa demande de requalification de la résiliation en résiliation aux torts de l'autorité délégante et le surplus de ses demandes indemnitaires ;

2°) de procéder à cette requalification et de condamner la région Provence-Alpes-Côte d'Azur à lui verser la somme de 45 930 384 euros, à parfaire, assortie des intérêts de retard et de la capitalisation des intérêts ;

3°) de rejeter l'appel incident de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur ;

4°) de mettre à la charge de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est entaché de plusieurs erreurs de droit et d'appréciation ;

- il est insuffisamment motivé ;

- la résiliation doit être regardée comme prononcée aux torts exclusifs du syndicat ;

- le comportement du syndicat a été contraire aux principes de bonne foi et de loyauté ;

- les premiers juges ont dénaturé l'article 27 de la concession ;

- elle doit être indemnisée de la totalité du préjudice résultant de l'indisponibilité des prises et correspondant aux composantes " A " à " F " de ses réclamations ;

- elle doit être indemnisée de la totalité du préjudice résultant de la résiliation, et correspondant aux composantes " N ", " P ", " Q ", " R ", " S " et " T " de ses réclamations ;

- les moyens présentés par la région à l'appui de son appel incident sont infondés.

Par deux mémoires en défense et en appel incident, enregistrés le 9 novembre 2023 et le 7 mars 2024, la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, représentée par Me Tissier, demande à la Cour :

1°) de rejeter la requête d'appel de la société PACT ;

2°) par la voie de l'appel incident, d'annuler le jugement en tant qu'il fait partiellement droit aux demandes de la société PACT ;

3°) de mettre à la charge de la société PACT la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens présentés par la société PACT à l'appui de son appel sont infondés ;

- c'est à tort que le tribunal administratif l'a condamnée au titre de la composante " K ".

Par une lettre en date du 22 septembre 2023, la Cour a informé les parties qu'il était envisagé d'inscrire l'affaire à une audience qui pourrait avoir lieu d'ici au 30 juin 2024, et que l'instruction était susceptible d'être close par l'émission d'une ordonnance à compter du 20 octobre 2023.

Par ordonnance du 26 mars 2024, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Renaud Thielé, rapporteur,

- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,

- et les observations de Me de Kersauson pour la société PACT et de Me Briere pour la région Provence-Alpes-Côte d'Azur.

Connaissance prise de la note en délibéré produite pour la société PACT et enregistrée le 10 janvier 2025.

Connaissance prise de la note en délibéré produite pour la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et enregistrée le 10 janvier 2025.

Considérant ce qui suit :

1. Le 4 octobre 2012, la région Provence-Alpes-Côte d'azur, le département des Alpes-de-Haute-Provence et le département des Hautes-Alpes ont, dans le cadre du programme national de déploiement du très haut débit en France, décidé, sur le fondement de l'article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales, de créer un syndicat mixte ouvert dénommé Provence-Alpes-Côte d'Azur Très Haut Débit (" PACA THD ") en vue du développement des réseaux de très haut débit dans leurs territoires. Par un contrat d'affermage conclu le 5 décembre 2015, ce syndicat mixte a délégué à la société Provence Alpes Connect (" PACT ") l'exploitation du service public de l'exploitation d'un réseau de haut et très haut débit sur le territoire des départements des Alpes-de-Haute-Provence et des Hautes-Alpes, ce périmètre étant élargi, par l'effet d'un avenant n° 4 conclu le 19 juillet 2017, au département des Bouches-du-Rhône. Ce contrat prévoyait, au cours de la phase 1, la remise à la société fermière de 62 000 prises " fiber to the home " (FttH) sur les territoires des Hautes-Alpes et des Alpes-de-Haute-Provence, et 54 000 prises sur celui des Bouches-du-Rhône et, au cours de la phase 2, la remise de 153 000 prises FttH supplémentaires. Faisant face à des difficultés budgétaires pour financer la phase 2, le syndicat mixte a, par une délibération du 11 avril 2018, décidé de lancer un " appel à manifestation d'engagement locaux " pour la phase 2 du déploiement du réseau dans les départements des Alpes-de-Haute-Provence et des Hautes-Alpes. En raison des retards dans l'exécution des travaux de la phase 1, le syndicat mixte a ensuite invité les candidats à proposer une extension de couverture sur le périmètre de la phase 1 et à formuler une offre de rachat des infrastructures existantes. Par trois délibérations nos 2018-063, 2018-064 et 2018-065 du 20 décembre 2018, le syndicat mixte a, en premier lieu, retenu l'offre de la société SFR, en deuxième lieu, décidé de supprimer le service public de communications électroniques et de résilier la délégation de service public conclue avec la société PACT et, en troisième lieu, décidé du principe de la cession du réseau à la société SFR. Par courrier en date du 24 mai 2019, le syndicat a notifié à la société sa décision de résilier pour motif d'intérêt général la convention. La société PACT a alors saisi le tribunal administratif de Marseille de demandes tendant à l'annulation de la délibération n° 2018-064 du 20 décembre 2018 portant résiliation de la convention de délégation de service public, à l'annulation du courrier du 24 mai 2019 et à la condamnation du syndicat mixte à lui payer la somme de 45 871 494,70 euros, assortie des intérêts moratoires, en réparation du préjudice résultant de la résiliation. Par le jugement attaqué, dont la société PACT relève appel en tant qu'il lui fait grief, le tribunal administratif a condamné le syndicat mixte à payer à la société la somme de 87 779 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 18 juillet 2019 et capitalisation des intérêts à compter du 17 juillet 2020, et rejeté le surplus des demandes de la société. Par la voie de l'appel incident, la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, venant aux droits et obligations du syndicat mixte dissout par arrêté préfectoral du 26 avril 202, conteste le jugement en tant qu'il fait droit à la composante " K " de la réclamation.

Sur l'étendue du litige :

2. La société PACT ne sollicite plus, en appel, l'annulation de la délibération du syndicat PACA THD ayant résilié le contrat, ni celle du courrier du 24 mai 2019 l'informant de cette résiliation. Le jugement est donc devenu définitif en tant qu'il a rejeté ces demandes.

Sur l'appel principal :

En ce qui concerne la régularité du jugement :

3. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".

4. En relevant, au point 13, que " PACA THD ne conteste pas les retards dans la livraison des prises FttH et ne conteste pas davantage le principe de l'indemnisation due à PACT due à ce titre " et que, " Dans ces conditions, la société PACT est fondée à solliciter la réparation de son préjudice du fait de ces retards ", les premiers juges ont répondu au moyen tiré des manquements contractuels imputés au syndicat mixte.

5. En outre, en relevant, dans le point 21 du jugement, que la société PACT, ayant déjà été indemnisée de son manque à gagner par la somme de 26 062 846 euros sur la base du calcul effectué, en application de l'article 44 de la convention de délégation de service public, n'était pas fondée à solliciter la somme complémentaire de 15 658 020 euros en se prévalant de l'amélioration des conditions de marché dans le secteur de l'exploitation et de la commercialisation des prises FttH depuis 2020, " ce préjudice n'étant ni certain ni actuel ", les premiers juges ont suffisamment répondu au moyen soulevé par la société. S'ils ont estimé à tort que le préjudice devait être actuel, alors qu'un préjudice futur peut être indemnisé s'il est certain, cette critique relève du bien-fondé du jugement et non de sa régularité.

En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :

S'agissant des retards dans la livraison des prises :

- Quant au cadre juridique :

6. Aux termes de l'article 27 de la convention de délégation de service public liant le syndicat mixte à la société PACT : " Dans l'hypothèse où le rythme de livraison de prises FttH au Délégataire serait revu à la baisse par rapport au référentiel précisé en annexe 2, le Délégant indemnisera le Délégataire dans les conditions présentées ci-après. / Deux types de retard pouvant survenir sont identifiés, à savoir le retard dit " temporaire " et le retard dit " durable ". / À tout moment, si un retard est constaté en année (n) et qu'il est rattrapé en année (n+1), ce retard sera considéré comme " temporaire " et le Délégataire tolérera un écart de 15 % par rapport au calendrier. / À tout moment, si un retard persiste en année (n+2) par rapport au calendrier de l'annexe 2, ce retard sera considéré comme " durable " et le Délégataire tolérera un écart de 5 % par rapport au calendrier. / Lorsque ces deux seuils seront franchis, une indemnité liée au retard de livraison viendra en déduction de la redevance d'usage, donc le calcul est détaillé ci-dessous : / - Soit M(np) le nombre de prises moyennes en année (n) d'après le calendrier prévisionnel / - Soit M(nr) le nombre de prises moyennes réellement constatées en année (n) ; / - Soit (I(n) l'indemnité par prise à verser en année (n) / - Soit C(n) l'indemnité à verser pour une année (n) / L'indemnité I(n) est due pour toute prise affectée d'un retard " durable ". Elle est fixée à vingt-cinq (25) euros quelle que soit l'année. / Si M(nr)/M(np ( 95 % alors une indemnité annuelle C(n) est calculée selon la formule suivante : / C(n) = (95 % x M(np)-M(nr) x I(n)) / Une fois que l'écart entre les prises livrées et le calendrier prévisionnel redevient égal ou inférieur à 5 %, le mécanisme d'indemnisation s'arrête. / (...) ".

- Quant aux réclamations indemnitaires :

7. Il résulte de l'instruction qu'en application de ces stipulations, le syndicat mixte a versé à la société PACT une indemnité de 314 938 euros correspondant aux prises indisponibles depuis plus de deux ans à la date de la résiliation.

8. La société sollicite l'indemnisation de son entier préjudice, qui comprend deux indemnités de 780 895 euros et 1 515 731 euros correspondant aux prises non livrées en 2018 et 2019 (composante " A "), ainsi que des indemnités au titre des autres pertes occasionnées par l'indisponibilité des prises, tenant à hauteur de 3 854 104 euros, au coût du financement bancaire surdimensionné et au coût d'opportunité de la mobilisation des fonds propre (composante " B "), à hauteur de 354 979 euros à la dépréciation des biens de retour (composante " C "), à hauteur de 126 736 euros à la perte économique liée à l'amortissement de la part trop versée de la redevance d'usage P1 (composante " D "), à hauteur de 792 869 euros à la perte de profit résultant des retards de livraison (composante " E ") et à hauteur de 1 536 000 euros au surdimensionnement des équipes de son sous-traitant (composante " F ").

- Quant à la composante " A " :

9. Il résulte des dispositions précitées de l'article 27 de la convention, sur lequel la société PACT fonde ce chef de réclamation, que l'indemnité ainsi convenue ne concerne que les retards persistant en année n+2 par rapport au calendrier. Compte tenu de la résiliation, décidée par délibération du 20 décembre 2018, et qui, comme il est indiqué aux points 15 à 19 du présent arrêt, est régulièrement fondée sur un motif d'intérêt général, aucune indemnité ne peut être accordée au titre des prises non installées en 2017 et 2018.

- Quant aux composantes " B " à " F " :

10. Contrairement à ce que soutient la société PACT, les dispositions précitées de l'article 27 régissent entièrement, et de manière forfaitaire, l'indemnisation des retards de livraison des prises FttH constatés en cours d'exécution du contrat, même dans l'hypothèse d'une résiliation ultérieure de ce contrat.

11. Par ailleurs, si ces stipulations prévoient que l'indemnité ainsi calculée s'impute sur le montant de la redevance versée par le délégataire, cette précision vise seulement à déroger au principe de non-compensation des créances normalement applicable, et n'ont pas pour effet de faire regarder l'indemnité ainsi prévue comme un simple dégrèvement de la redevance due, sans préjudice de l'indemnisation du préjudice du délégataire.

S'agissant des conséquences de la résiliation :

- Quant au cadre juridique :

12. Aux termes de l'article 44 de la convention de délégation de service public : " Pour des motifs tirés de l'intérêt général, le Syndicat peut mettre fin de façon unilatérale et anticipée à la Convention, sous réserve des droits à indemnisation du Délégataire. / (...) L'exercice de ce droit par le Syndicat entraîne l'indemnisation complète du Délégataire de manière à assurer à ce dernier tous les avantages qu'il aurait tiré de l'exécution intégrale de la Convention. / A cet égard, le Délégataire a droit à une indemnité correspondant à l'indemnisation au titre de la valeur nette comptable des investissements diminués de la part des subventions non encore reprise au compte de résultat et du manque à gagner sur la durée résiduelle de la Convention. / Elle est ainsi constituée : / - d'une somme correspondant au remboursement de la part non amortie des Biens de retour et au reversement de la TVA initialement récupérée au titre des investissements si le Délégataire y est obligé dans le cadre des dispositions du code général des impôts. A l'indemnité est déduite la part des subventions déjà versées par le Délégant et/ou par tout autre organisme public et qui n'aurait pas encore été reprise au compte de résultat lors des exercices passés. / - d'une somme correspondant au remboursement de la part non amortie des biens de reprise, majoré de la TVA à reverser au Trésor Public ; / - d'une somme correspondant au remboursement de la part non amortie des sommes versées au titre des composantes T, P1 et P2 de la redevance d'usage immobilisée au bilan du Délégataire, majoré de la TVA à reverser au Trésor Public; / - de la valorisation du rachat éventuel des stocks et de pièces de rechange nécessaires à la marche normale de l'exploitation. / - d'une somme représentant l'indemnité pour remboursement anticipé éventuellement due aux organismes financiers du fait de la résiliation des contrats de prêts et d'autres contrats financiers, comme les contrats de couverture de taux.

/ - d'une somme correspondant à son manque à gagner sur la durée restant à courir du contrat : / calculée sur la base de la moyenne des résultats avant impôts des deux (2) derniers exercices précédant la date de résiliation obtenus par le Délégataire après neutralisation des éléments exceptionnels et actualisation au TME (Taux Moyen d'emprunt d'État). Cette somme est plafonnée au résultat avant impôt prévisionnel sur la durée restant à courir de la Convention présenté à l'Annexe 14 actualisé au taux de l'OAT (Obligation Assimilable au Trésor) d'une durée équivalente à la durée restant à courir du contrat majoré deux points pour tenir compte du paiement anticipé et de la suppression du risque commercial attaché à l'exploitation ; / - dans l'hypothèse où la moyenne des résultats avant impôts des deux (2) derniers exercices précédant la date de résiliation serait négative la somme correspondant au manque à gagner serait nulle. / - si huit (8) exercices ne sont pas écoulés avant la date de résiliation, la somme est calculée sur la base du résultat constant avant impôt prévisionnel sur la durée restant à courir de la Convention présenté à l'Annexe 14 actualisé au taux de l'OAT (Obligation Assimilable au Trésor) d'une durée équivalente à la durée restant à courir du contrat majoré de deux points pour tenir compte du paiement anticipé et de la suppression du risque commercial attaché à l'exploitation. A compter de la sixième année de la convention, cette somme pourra être diminuée de 50 % dans l'hypothèse où la résiliation est motivée par une diminution totale ou partielle des cofinancements nationaux ou européens attendus par le Syndicat. / - d'une somme correspondant aux indemnités liées à la résiliation des contrats autres que ceux conclus avec les sociétés du groupe Altitude, conclus par le Délégataire et hors contrats de financement. / Déduction faite des produits constatés d'avance et des provisions non utilisées décrits à l'Article 46 ".

13. En vertu des règles générales applicables aux contrats administratifs, l'autorité concédante peut toujours, pour un motif d'intérêt général, résilier un contrat de concession, sous réserve des droits à indemnité du concessionnaire. L'étendue et les modalités de cette indemnisation peuvent être déterminées par les stipulations du contrat, sous réserve qu'il n'en résulte pas, au détriment d'une personne publique, une disproportion manifeste entre l'indemnité ainsi fixée et le montant du préjudice résultant, pour le concessionnaire, des dépenses qu'il a exposées et du gain dont il a été privé. En revanche, rien ne s'oppose à ce que des stipulations prévoient une indemnisation inférieure au montant du préjudice subi par le cocontractant privé de l'administration.

14. Il en résulte que les parties ont entendu, comme elles le peuvent sans qu'y fasse obstacle le principe de l'indemnisation intégrale du préjudice, fixer contractuellement le montant de l'indemnité due au délégataire en cas de résiliation pour motif général.

- Quant à la qualification de la résiliation :

15. Il ressort des termes de la délibération n° 2018-064 du 20 décembre 2018 par laquelle le conseil du syndicat mixte a décidé la résiliation de la convention de délégation de service public que celle-ci a été justifiée par l'inutilité de l'intervention publique dans le déploiement des réseaux très haut débit, compte tenu du développement d'une initiative privée rendant envisageable un déploiement sans financement public intégral des infrastructures. Ces considérations constituent un motif d'intérêt général qui justifiait la résiliation de la convention. Ces considérations expliquent d'ailleurs la décision du Gouvernement, intervenue au cours de l'année 2017, de suspendre le financement des réseaux d'initiative publique par le Fonds national pour la Société numérique (FSN) géré par la Caisse des dépôts et consignations, en privilégiant le recours à des opérateurs privés dans le cadre d'appels à manifestation d'intérêts. Ainsi que le précisent les stipulations précitées de l'article 44 de la convention, ce motif, tenant au défaut des cofinancements publics, constitue un motif d'intérêt général.

16. Si la société PACT soutient que ces motifs sont insuffisamment démontrés, elle n'apporte aucun élément de nature à en démentir l'exactitude. Elle n'apporte pas plus d'éléments de nature à critiquer le montant de l'économie évoquée par le syndicat mixte. Elle n'établit dès lors pas que la résiliation aurait en réalité été justifiée par un autre motif, tenant au retard accumulé dans la livraison des prises ou du caractère intenable des objectifs de déploiement.

17. Dès lors que la volonté du syndicat mixte d'économiser des fonds publics en cédant le réseau existant à un opérateur privé est établi, il n'appartient pas au juge administratif d'apprécier la pertinence de ce choix au regard de ses inconvénients, en termes patrimonial et stratégique.

18. Par ailleurs, la circonstance que la résiliation du contrat est justifiée par la volonté de supprimer un service public rendu inutile par le développement d'une initiative privée n'est pas de nature à lui ôter son caractère de résiliation pour motif d'intérêt général, ce motif résultant de l'économie réalisée par les financeurs publics.

19. Enfin, la société PACT ne peut utilement se prévaloir des manquements contractuels du syndicat pendant la période antérieure à la résiliation, dès lors que ces manquements, qui tiennent au retard dans la constitution du réseau affermé à la société PACT, à la méconnaissance alléguée de la clause d'exclusivité prévue à l'article 8 de la convention de délégation et à la violation alléguée du principe de loyauté contractuelle, n'ont ni motivé ni justifié la décision de résiliation.

- Quant aux réclamations de la société PACT :

20. Le 31 décembre 2019, le syndicat mixte a versé à la société PACT, en application de l'article 44 de la convention de délégation de service public, une indemnité d'un montant de 26 062 846,48 euros au titre du manque à gagner de la société au titre de la période non exécutée de la convention, ce préjudice correspondant à la composante " L " de la réclamation indemnitaire de la société. Par la suite, à l'issue d'échanges, il lui a versé une indemnité de 940 822 euros au titre de la part non amortie des biens de retour (composante " G "), une indemnité de 1 174 004 euros au titre de la part non amortie des composantes T, P1 et P2 et de la redevance d'usage immobilisée au bilan de la société (composante " I "), une indemnité de 44 932 euros au titre de la valorisation du rachat éventuel des stocks et des pièces de rechange (composante " J "), et une indemnité de 402 221 euros au titre des indemnités pour remboursement anticipé dues aux organismes financiers (composante " K ").

21. La société ne soutient pas que les indemnités versées au titre des composantes " G ", " I ", " J " et " L ", d'un montant total de 28 624 825,48 euros, seraient insuffisantes au regard des stipulations contractuelles. Elle ne conteste pas plus l'absence de versement d'une indemnité au titre de la composante " H ", relative à la part non amortie des biens de reprise, et de la composante " M ", relative aux indemnités liées à la résiliation des contrats conclus par la société autres que ceux conclus avec les sociétés du groupe Altitude. Elle ne conteste pas le fait que l'indemnisation ainsi reçue correspond à l'intégralité de l'indemnité contractuellement prévue.

22. Dès lors qu'ainsi qu'il a été dit, la résiliation doit être regardée comme une résiliation prononcée pour motif d'intérêt général, la société requérante n'est pas fondée à solliciter une indemnité supérieure au montant de l'indemnité contractuellement prévue pour ce type de résiliation.

S'agissant de la déloyauté et la mauvaise foi :

23. Si la société PACT reproche au syndicat mixte de ne pas avoir recherché de solution amiable, il résulte de ce qui a été dit que le syndicat a, dès la résiliation de la convention, indemnisé la société PACT conformément à ce que prévoyait le contrat. Il a ainsi exécuté le contrat loyalement et de bonne foi.

24. Si la société reproche par ailleurs au syndicat d'avoir engagé une procédure d'appel à manifestation d'intérêt et de ne pas l'avoir informée de son intention de résilier la convention de délégation de service public, elle n'invoque aucun préjudice spécifiquement en lien avec cette faute supposée.

En ce qui concerne les erreurs de droit et d'appréciation, et la dénaturation du contrat imputées aux premiers juges :

25. Compte tenu de l'office du juge d'appel, la société PACT ne peut utilement invoquer, pour solliciter l'annulation du jugement, les erreurs de droit et d'appréciation entachant les motifs de ce jugement.

Sur l'appel incident :

26. Par la voie de l'appel incident, la région Provence-Alpes-Côte d'Azur conteste le jugement en tant qu'il octroie à la société PACT une indemnité de 87 779 euros au titre de la composante " K " de sa réclamation, cette somme correspondant à la différence entre le montant de 490 000 euros sollicité par la société et le montant déjà versé par le syndicat mixte.

27. Il résulte des stipulations précitées de l'article 44 de la convention de délégation de service public que l'indemnité de résiliation devait notamment être constituée : " d'une somme représentant l'indemnité pour remboursement anticipé éventuellement due aux organismes financiers du fait de la résiliation des contrats de prêts et d'autres contrats financiers, comme les contrats de couverture de taux ".

28. Comme l'ont relevé les premiers juges, la société PACT a justifié sa demande de 490 000 euros en produisant une facture émise par la société Alto et correspondant à une " soulte de recalage du SWAP suite au remboursement de la quote-part de dette de PACT ", versée par la société Alto à la Société Générale en contrepartie du remboursement anticipé de sa dette par la société PACT.

29. En se contentant, d'une part, de soutenir que le montant de l'encours de dette visé est supérieur à l'encours prévisionnel de 9,9 millions d'euros, et, d'autre part, que la marge réalisée par la Société Générale serait excessive, la région ne conteste utilement ni la réalité ni le montant de l'indemnité pour remboursement anticipé due par la société PACT. Cette indemnité doit donc, en application des stipulations précitées de l'article 44 de la convention, faire l'objet d'un remboursement par le syndicat mixte.

30. Il résulte de tout ce qui précède que les appels principal et incident doivent l'un comme l'autre être rejetés. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : La requête d'appel de la société PACT est rejetée.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Provence Alpes Connect (PACT) et à la région Provence-Alpes-Côte d'Azur.

Délibéré après l'audience du 6 janvier 2025, où siégeaient :

- M. Alexandre Badie, président,

- M. Renaud Thielé, président assesseur,

- Mme Isabelle Ruiz, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 janvier 2025.

N° 23MA01617 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23MA01617
Date de la décision : 20/01/2025
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-04-05-02-02 Marchés et contrats administratifs. - Fin des contrats. - Fin des concessions. - Résiliation. - Droit à indemnité du concessionnaire.


Composition du Tribunal
Président : M. BADIE
Rapporteur ?: M. Renaud THIELÉ
Rapporteur public ?: M. POINT
Avocat(s) : CABINET WHITE & CASE

Origine de la décision
Date de l'import : 23/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-20;23ma01617 ?
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