Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu, de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et des prélèvements sociaux auxquels elle a été assujettie au titre de l'année 2015.
Par une ordonnance n° 2302174 du 30 novembre 2023, le président de la 7ème chambre du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 10 janvier 2024 et le 10 juillet 2024, Mme B..., représentée par Me Colin, demande à la cour dans le dernier état de ses écritures :
1°) à titre principal, d'ordonner avant dire droit, sur le fondement de l'article R. 621-1 du code de justice administrative, la désignation d'un expert judiciaire pour établir l'origine de la signature mentionnée sur l'avis de réception de la décision de rejet du directeur départemental des finances publiques de l'Isère rejetant sa réclamation préalable du 20 janvier 2020 ;
2°) à titre subsidiaire, d'annuler l'ordonnance du 30 novembre 2023 ;
3°) à titre infiniment subsidiaire, de prononcer la décharge de ces impositions et pénalités ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la désignation d'un expert judiciaire en vue d'apporter la preuve technique du fait que la signature visée dans l'ordonnance attaquée n'est pas la sienne est utile ;
- le tribunal administratif l'a privé de la possibilité de combattre la présomption simple de la régularité de la notification du pli alors qu'elle démontre par un ensemble d'indices le doute quant à l'authenticité de la signature ou de la qualité du signataire ;
- le tribunal en recourant à l'ordonnance de tri sans l'inviter à apporter des observations à la fin de non-recevoir opposée dans le mémoire en défense a méconnu les droits de la défense, le principe du contradictoire et le droit au recours effectif garantis par l'article 6-3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et par l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la demande n'est pas tardive dès lors que la lettre portant notification de la décision remise à une personne sans qualité n'est pas de nature à faire courir le délai de recours de deux mois prévu à l'article R. 199-1 du livre des procédures fiscales et qu'il incombait à l'administration de notifier la décision à l'avocat mandataire de la requérante en vertu de l'article R. 431-1 du code de justice administrative alors qu'elle avait élu domicile pour les besoins de la procédure dans les locaux du cabinet ;
- sur le fond, l'imposition de la soulte en tant que revenu distribué sur le fondement de l'article 109-1 2° du code général des impôts est irrégulière au vu de la jurisprudence du Conseil d'Etat du 31 mai 2022 n° 454288 qui fonde l'imposition de la soulte en tant que plus-value ;
- l'administration ne pouvait pas imposer les sommes dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers dès lors qu'ils n'ont pas appréhendé effectivement le montant de la soulte au vu de la jurisprudence et qu'ils caractérisent l'existence d'un support juridique d'une opération d'apport avec soulte ;
- la rémunération partielle de son apport au moyen d'une soulte n'est pas constitutive d'un abus de droit, en l'absence d'appréhension de la somme et en l'absence de but exclusivement fiscal de l'opération ;
- l'application de la majoration de 80 % pour abus de droit n'est pas justifiée en l'absence de démonstration de l'existence d'un abus de droit matérialisé par les actes accomplis.
Par un mémoire enregistré, le 12 juillet 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la demande présentée devant le tribunal est irrecevable pour tardiveté ;
- les moyens de contestation de la régularité de l'ordonnance ne sont pas fondés ;
- s'agissant du bien-fondé des impositions, l'administration sollicite une demande de substitution de base légale et entend modifier la base légale retenue dans la proposition de rectification 2120-SD du 29 novembre 2017 pour la taxation de la soulte de 3 960 100 euros, en substituant aux dispositions du 3° de l'article 120 du code général des impôts, celles de l'article 150-0 A du même code ;
- les autres moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 17 juillet 2024, la clôture d'instruction a été reportée et fixée en dernier lieu le 28 août 2024.
Un mémoire présenté pour Mme B... par Me Colin a été enregistré le 11 septembre 2024 postérieurement à la clôture de l'instruction.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Haïli, président assesseur,
- les conclusions de M. Laval, rapporteur public,
- et les observations de Me Colin, représentant Mme B... ;
Considérant ce qui suit :
1. Par la présente requête, Mme B... relève appel de l'ordonnance du 30 novembre 2023 par laquelle le président de la 7ème chambre du tribunal administratif de Grenoble a rejeté comme tardive et, par suite, manifestement irrecevable sa demande de décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu, de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et des prélèvements sociaux auxquels elle a été assujettie au titre de l'année 2015 et des pénalités correspondantes.
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :
2. Aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " Les présidents de tribunal administratif et (...) les présidents de formation de jugement des tribunaux (...) peuvent, par ordonnance : / (...) / 4° Rejeter les requêtes manifestement irrecevables, lorsque la juridiction n'est pas tenue d'inviter leur auteur à les régulariser ou qu'elles n'ont pas été régularisées à l'expiration du délai imparti par une demande en ce sens ; / (...) ".
3. En premier lieu, l'appelante ne peut utilement invoquer une atteinte au principe du contradictoire dès lors que les dispositions précitées du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, ont entendu limiter, dans le cas des conclusions entachées d'une irrecevabilité manifeste non susceptible d'être couverte en cours d'instance, l'exercice du principe du débat contradictoire. Par ailleurs, il résulte des pièces du dossier de première instance que la requérante a été mise à même de présenter ses observations en réplique à la fin de non-recevoir pour tardiveté opposée par l'administration défenderesse dans son mémoire en défense enregistré au greffe du tribunal le 26 septembre 2023 et communiqué le même jour à la requérante par un courrier avec une indication l'invitant à présenter lesdites observations dans un délai de deux mois. Par suite, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que les exigences du caractère contradictoire de la procédure juridictionnelle ont été méconnues par le premier juge.
4. En second lieu, le droit à un procès équitable reconnu par les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'implique pas qu'avant de rejeter une demande comme étant manifestement irrecevable, la juridiction fasse connaître au demandeur que son affaire doit être rejetée pour irrecevabilité insusceptible d'être couverte en cours d'instance, en application des dispositions précitées de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, dès lors qu'en procédant ainsi elle ne préjudicie ni aux droits du demandeur, la solution étant d'ores et déjà certaine, ni aux droits du ou des défendeurs, la demande ne pouvant qu'être rejetée. Si l'appelante invoque également l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne relatif au droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial, selon lequel " Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. Toute personne a la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter ", elle n'a nullement été privée d'exercer un recours effectif devant le juge compétent par le seul fait que ce recours a été rejeté à raison de son irrecevabilité.
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
5. D'une part, aux termes de l'article L. 199-1 du livre des procédures fiscales : " En matière d'impôts directs et de taxes sur le chiffre d'affaires ou de taxes assimilées, les décisions rendues par l'administration sur les réclamations contentieuses et qui ne donnent pas entière satisfaction aux intéressés peuvent être portées devant le tribunal administratif (...). Aux termes de l'article R. 199-1 du livre : " L'action doit être introduite devant le tribunal compétent dans le délai de deux mois à partir du jour de la réception de l'avis par lequel l'administration notifie au contribuable la décision prise sur la réclamation, que cette notification soit faite avant ou après l'expiration du délai de six mois prévu à l'article R. 198-10. (...) ". Selon l'article R. 198-10 de ce livre : " (...) En cas de rejet total ou partiel de la réclamation, la décision doit être motivée. (...) ". L'article R. 421-5 du code de justice administrative dispose enfin que " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ". Il ressort des dispositions de l'article L. 199 et des articles R. 198-10 et R. 199-1 du livre des procédures fiscales, qu'en matière d'impôts directs et de taxes sur le chiffre d'affaires ou de taxes assimilées, le délai de recours pour saisir le juge de l'impôt ne court qu'à compter du jour de réception de l'avis portant notification d'une décision de l'administration des impôts suffisamment motivée pour permettre au contribuable de connaître et de discuter devant le tribunal administratif les motifs du rejet de sa réclamation.
6. D'autre part, aux termes de l'article R. 190-1 du livre des procédures fiscales : " Le contribuable qui désire contester tout ou partie d'un impôt qui le concerne doit d'abord adresser une réclamation au service territorial, selon le cas, de la direction générale des finances publiques ou de la direction générale des douanes et droits indirects dont dépend le lieu de l'imposition (...) ". Aux termes de l'article R. 198-10 du même livre : " La direction générale des finances publiques ou la direction générale des douanes et droits indirects, selon le cas, statue sur les réclamations dans le délai de six mois suivant la date de leur présentation. (...). Les décisions de l'administration sont notifiées dans les mêmes conditions que celles prévues pour les notifications faites au cours de la procédure devant le tribunal administratif ". Aux termes de l'article R. 751-3 du code de justice administrative : " Sauf disposition contraire, les décisions sont notifiées le même jour à toutes les parties en cause et adressées à leur domicile réel, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception (...) ". En indiquant que les décisions par lesquelles l'administration statue sur une réclamation sont notifiées dans les mêmes conditions que celles prévues pour les notifications faites au cours de la procédure devant le tribunal administratif, l'article R. 198-10 du livre des procédures fiscales a entendu renvoyer aux dispositions du code de justice administrative qui régissent la notification des décisions clôturant l'instance. Il suit de là que le délai de recours devant le tribunal administratif ne court qu'à compter du jour où la notification de la décision de l'administration statuant sur la réclamation du contribuable a été faite au contribuable à son domicile réel, alors même que cette réclamation aurait été présentée par l'intermédiaire d'un mandataire au nombre de ceux mentionnés à l'article R. 431-2 du code de justice administrative. La circonstance que le contribuable aurait non seulement mandaté un conseil pour le représenter, mais aussi fait élection de domicile en son cabinet, est sans incidence sur l'application de cette règle.
7. Il incombe enfin au contribuable qui soutient que l'avis d'accusé de réception d'un pli recommandé n'a pas été signé par lui d'établir que le signataire de l'avis n'avait pas qualité pour recevoir le pli dont il s'agit. Dans le cas où le contribuable n'apporte aucune précision sur l'identité de la personne signataire de cet avis et s'abstient de dresser la liste des personnes qui, en l'absence de toute habilitation, auraient néanmoins eu qualité pour signer de tels avis, il ne peut être regardé comme ayant démontré que le signataire de l'avis de réception n'était pas habilité à réceptionner ce pli.
8. Il résulte de l'instruction que la décision du 20 janvier 2020 par laquelle le directeur départemental des finances publiques de l'Isère a rejeté la réclamation préalable formée le 17 juin 2019 par Mme B... a été notifié à cette dernière par un pli recommandé dont il a été accusé réception le 23 janvier 2020. Il résulte également de l'instruction que cette lettre avec avis de réception envoyée à l'adresse de son domicile comportait la mention " présenté/Avisé le 23/01/2020 Distribué le 23/01/2020 " et une signature manuscrite. Si l'appelante soutient que cette signature n'est pas la sienne, au vu de la discordance existante, ni celle de son conjoint, mais d'un tiers, probablement son père ou son frère susceptibles d'être présent à la date du passage du préposé de La Poste, outre qu'aucune différence notable n'existe entre la signature figurant sur l'avis de réception et la sienne telle qu'elle figure sur les autres pièces de la procédure, il résulte de l'instruction, et selon les propres dires de l'appelante que lesdites personnes ainsi désignées, même non expressément habilitées, entretiennent avec elle des relations susceptibles de leur donner qualité pour réceptionner ce pli dans des conditions régulières. Par ailleurs, à supposer même que le conseil de Mme B... ait déclaré à l'administration fiscale que cette dernière avait élu domicile à son cabinet, ce qui ne ressort d'aucune pièce de l'instruction, la notification de la décision dont il s'agit au domicile de Mme B... est réputée régulière et a fait courir le délai de recours juridictionnel à son encontre, dès lors qu'il résulte de ce qui vient d'être énoncé que le pli de notification a été effectivement remis à la contribuable ou à l'une des personnes ayant qualité pour signer l'avis de réception. Il ressort par ailleurs de l'examen de la décision du directeur départemental des finances publiques qu'elle était suffisamment motivée au regard des exigences de l'article R. 198-10 du livre des procédures fiscales pour permettre à Mme B... de connaître et de discuter devant le tribunal administratif les motifs du rejet de sa réclamation et qu'elle était accompagnée de la mention des voies et délais de recours
9. Par suite, Mme B... ne justifiant pas que la signature n'est pas la sienne ou que la personne qui a signé et réceptionné le pli n'avait pas qualité pour le faire, la décision de rejet de sa réclamation préalable doit être regardée comme lui ayant été régulièrement notifiée à la date du 23 janvier 2020. Par conséquent, la demande présentée par Mme B... le 5 avril 2023 devant le tribunal administratif était tardive et donc irrecevable.
10. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner l'expertise sollicitée, que l'appelante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le président de la 7ème chambre du tribunal administratif de Grenoble a rejeté, sur le fondement du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, sa demande comme manifestement irrecevable. Il y a lieu, par voie de conséquence, de rejeter les conclusions de l'appelante présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, dès lors que l'Etat n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B... et au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 14 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
M. Haïli, président-assesseur,
M. Porée, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 décembre 2024.
Le rapporteur,
X. Haïli
Le président,
D. Pruvost
La greffière,
M. A...
La République mande et ordonne au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 24LY00068