La Cour constitutionnelle statuant en matière constitutionnelle, en son audience publique du quinze juin deux mil vingt tenue au palais de ladite Cour, a rendu l’arrêt dont la teneur suit :
LA COUR
Vu la Constitution;
Vu la loi organique n° 2012-35du 19 juin 2012 déterminant l’organisation, le fonctionnement de la Cour constitutionnelle et la procédure suivie devant elle ;
Vu la loi organique n° 2017-64 du 14 août 2017 portant Code électoral du Niger modifiée et complétée par la loi n° 2019-38 du 18 juillet 2019;
Vu la requête de Monsieur le Premier Ministre;
Vu l’ordonnance n°16/PCC du 05 juin 2020 de Monsieur le Président désignant un Conseiller-rapporteur ;
Vu les pièces du dossier;
Après audition du Conseiller-rapporteur et en avoir délibéré conformément à la loi ;
EN LA FORME
Considérant que par requête en date du 04 juin 2020 enregistrée le 05 juin2020 au greffe de la Cour sous le n° 15/greffe/ordre, Monsieur le Premier Ministre saisissait la Cour constitutionnelle «aux fins qu’elle se prononce sur l’interprétation de l’article 7 de la Constitution en lien avec l’article 37 alinéa 1er du Code électoral.» ;
Considérant qu’aux termes de l’article 120 de la Constitution, « La Cour constitutionnelle est la juridiction compétente en matière constitutionnelle et électorale. Elle est chargée de statuer sur la constitutionnalité des lois, des ordonnances ainsi que de la conformité des traités et accords internationaux à la Constitution.
Elle interprète les dispositions de la Constitution. Elle contrôle la régularité, la transparenceet la sincérité du référendum, des élections présidentielles et législatives. Elle est juge du contentieux électoral et proclame les résultats définitifs des élections.» ;
Considérant que l’article 126 de la Constitution dispose :
« La Cour constitutionnelle se prononce par arrêt, sur:
-la constitutionnalité des lois;
-le règlement intérieur de l’Assemblée nationale avant sa mise en application et ses modifications;
-les conflits d’attributionentre les institutions de l’Etat.
La Cour constitutionnelle est compétente pour statuer sur toute question d’interprétation et d’application de la Constitution.» ;
Considérant que le Premier Ministre fait partie des autorités publiques habilitées à saisir la Cour constitutionnelle ;
Considérant que la requête est introduite par le Premier Ministre ;
Qu’au regard de ces dispositions, la requête est recevable et la Cour compétente pour statuer ;
AU FOND
Considérant quele Premier Ministre a saisi la Cour aux fins d’interprétation de l’article 7 de la Constitution en lien avec l’article 37 al 1erdu Code électoral;
Considérant que lerequérant sollicite de la Cour, qu’elle se prononcer sur:
- «la question de savoir si la situation actuelle (fermeture des frontières nigériennes aériennes et terrestres, suspension des missions à l’extérieur et fermeture des frontières des pays retenus) résultant des contraintes liées à la pandémie du covid-19 constitue un cas de force majeure qui oblige à suspendre les opérations d’enrôlement, plus particulièrement de la diaspora;
-le point de savoir si cette situation de blocage entrainant un retard dans le recensement des citoyens de la diaspora pourrait constituer un cas de force majeure susceptible de justifier une dérogation à la loi sur le code électoral concernant le fichier électoral national biométrique;
-la conformité à la Constitution d’un fichier électoral établi sans les électeurs de la diaspora dans les conditions ci-dessus;
-Enfin, si la Cour constate que cette situation est constitutive d’un cas de force majeure, donner acte à la CENI qu’elle s’engage à reprendre les activités d’enrôlement des citoyens de la 9èmerégion dès que les circonstances le permettront en temps utile»;
1°) SUR LA QUESTION DE SAVOIR SI LA PANDEMIE DU COVID-19 CONSTITUE UN CAS DE FORCE MAJEURE
Considérant que le requérantpose la question de savoir si la situation actuelle de la pandémie du Covid-19,caractérisée par la fermeture des frontières nigériennes aériennes et terrestres, la suspension des missions à l’extérieur et la fermeture des frontières des autres pays, constitue dans son ensemble un cas de force majeure qui oblige la CENI à suspendre les opérations d’enrôlement, plus particulièrement de la Diaspora ;
Considérant que la force majeure est un évènementimprévisible, irrésistible et extérieur, donc indépendant de la volonté de celui qui l’invoque pour justifier ou expliquer une défaillance ; qu’elle suppose la réunion des éléments suivants :
- un évènement échappant au contrôle de celui qui l’invoque ;
- qui ne pouvait être raisonnablement prévu ;
- dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées ;
- qui empêche celui qui l’invoque d’exécuter sa mission ou son obligation ;
Considérant que la pandémie du Covid-19 était imprévisible à la date de la confection du chronogramme de l’enrôlement des électeurs, et surtout à la date de l’adoption de la loi organique portant Code électoral ;
Que certains de ses effets, notamment la fermeture des frontières des autres Etats rendant impossible l’enrôlement des électeurs de la Diaspo raconstitue un effet extérieur, imprévisible et irrésistible que l’Etat du Niger et la CENI ne pouvaient éviter par la prise de mesures appropriées ;
Que dès lors, toutes les caractéristiques de la force majeure sont réunies pour dire que le Covid-19 en constitue un cas, en l’espèce;
2°) DE LA VALIDITE DU FICHIER ELECTORAL NATIONAL BIOMETRIQUE ETABLI SANS LES LISTES DES AMBASSADES ET/OU CONSULATS DU FAIT DU COVID-19
Considérant que le Premier Ministre pose la question de savoir si cette situation de blocage née du Covid-19 et entrainant un retard dans le recensement des nigériens de la diaspora pourrait constituer un cas de force majeure susceptible de justifier une dérogation au Code électoral dans ses dispositions relatives au fichier électoral national biométrique ;
Qu’il demande par ailleurs à la Cour d’apprécier la conformité à la Constitution d’un fichier électoral établi sans les électeurs de la diaspora dans les conditions ci-dessus;
Considérant qu’aux termes de l’article 7 de la Constitution, «Le suffrage est direct ou indirect. Il est universel, libre, égal et secret. Sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, les nigériens des deux (2)sexes, âgés de dix-huit (18) ans accomplis au jour du scrutin ou mineurs émancipés, jouissant de leurs droits civils et politiques.» ;
Considérant quel’article 37 alinéa1er du Code électoral dispose: « Le fichier électoral est unique et national. Il est le produit de l’ensemble des listes des régions, des ambassades et/ou des consulats.» ;
Considérant qu’aux termes de l’article 47 alinéa 2 de la Constitution, « En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels ou proroger le mandat pour quelque motif que ce soit.» ;
Considérant quel’article 48 alinéa 3 de la Constitution disposeque « Le premier tour de scrutin en vue de l’élection du Président de la République a lieu quatre-vingt-dix(90) jours, au moins et cent vingt (120) jours, au plus, avant la date d’expiration du mandat du Président en exercice.» ;
Considérant qu’aux termes de l’article 85 de la Constitution: «La durée de la législature est de cinq (5) ans. Les élections générales en vue du renouvellement de l’Assemblée nationale ont lieu soixante (60) jours au moins et quatre-vingt-dix(90) au plus avant la fin de la législature en cours.» ;
Considérant qu’il a été démontré plus haut que la pandémie du Covid-19 constitue un cas de force majeure ne permettant pas aux nigériens de la Diaspora d’être enrôlés dans les délais utiles au fichier électoral national biométrique;
Considérant que la force majeure consécutive au Covid-19 a mis les électeurs de la Diaspora dans une situation différente des autres électeurs résidant sur le territoire national; que traiter de manière différente des citoyens se trouvant dans des situations différentes n’est pas une discrimination en soi, du moment où le non enrôlement imposé par la force majeure est temporaire et ne vise pas à priver définitivement ou durablement les citoyens de la Diaspora de leur droit d’être électeurset éligibles;
Considérant, par ailleurs, que les articles 47 al 2, 48 al 3 et 85 de la Constitution fixent des délais incompressibles pour la tenue des élections présidentielles et législatives ;
Que dans ces conditions, une dérogation temporaire à la mise en œuvre de l’article 37 al 1er du Code électoral relativement au fichier électoral national biométrique, en ce qui concerne l’enrôlement des nigériens de la Diaspora n’est pas contraire à la Constitution ;
Que dès lors, le fichier électoral national biométrique ne comportant pas les listes des ambassades et/ou des consulats demeure valide ;
3°) SUR LA REPRISE DES OPERATIONS D’ENROLEMENT DES ELECTEURS DE LA 9ème REGION PAR LA CENI
Considérant qu’en dernier lieu, le Premier Ministre demande à la Cour, dans le cas où elle constate que la situation née du Covid-19 est constitutive d’un cas de force majeure, de donner acte à la CENI de son engagement à reprendre les activités d’enrôlement des nigériens de la 9ème région (Diaspora) dès que les circonstances le permettront en temps utile ;
Considérant qu’au regard des dispositions de la Constitution, il ne revient pas à la Cour constitutionnelle de donner acte à la CENI de son engagement de reprise des activités d’enrôlement des électeurs qui relèvent de sa mission conformément aux textes en vigueur;
PAR CES MOTIFS
•Reçoit la requête de Monsieur le Premier Ministre;
•Dit que:
-le Covid-19 est un cas de force majeure qui justifie la suspension de l’enrôlement des nigériens de la Diaspora au fichier électoral national biométrique ;
-une dérogation temporaire à la mise en œuvre de l’article 37 al 1er du Code électoral relativement au fichier électoral national biométrique, en ce qui concerne l’enrôlement des nigériens de la Diaspora n’est pas contraire à la Constitution;
-le fichier électoral national biométrique, même en l’absence des listes des ambassades et/ou des consulats, demeure valide;
-il ne revient pas à la Cour de donner acte à la CENI de son engagement de reprise des activités d’enrôlement des électeurs qui relèvent de sa mission conformément aux textes en vigueur;
•Dit que le présent arrêt sera notifié au requérant et publié au Journal officiel de laRépublique du Niger.
Ainsi fait, jugé et prononcé par la Cour constitutionnelle les jours, mois et an que dessus où siégeaient
Monsieur Bouba MAHAMANE, Président,
Messieurs IBRAHIM Moustapha, Vice-président,
Zakara GANDOU, Illa AHMET, Mahamane Bassirou AMADOU, Issaka MOUSSA et Madame SAMBARE Halima DIALLO Conseillers, en présence de Maître Nouhou SOULEY, Greffier.
Ont signé: le Président et le Greffier.