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20/07/2018 | FRANCE | N°16/00730

France | France, Cour d'appel de Toulouse, 4eme chambre section 2, 20 juillet 2018, 16/00730


20/07/2018





ARRÊT N°18/704



N° RG 16/00730

CAPA/SR



Décision déférée du 05 Février 2016 - Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de TOULOUSE F13/01907

Jean-Denis X...























SAS CASTEL ET FROMAGET





C/



Bernard Y...

Syndicat CFE-CGC / SIPEM































































CONFIRMATION PARTIELLE







REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

4eme Chambre Section 2 - Chambre sociale

***

ARRÊT DU VINGT JUILLET DEUX MILLE DIX HUIT

***



APPELANTE



SAS CASTEL ET FROMAGET

[...]

[...]



comparante en personne, assistée de Me Na...

20/07/2018

ARRÊT N°18/704

N° RG 16/00730

CAPA/SR

Décision déférée du 05 Février 2016 - Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de TOULOUSE F13/01907

Jean-Denis X...

SAS CASTEL ET FROMAGET

C/

Bernard Y...

Syndicat CFE-CGC / SIPEM

CONFIRMATION PARTIELLE

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

4eme Chambre Section 2 - Chambre sociale

***

ARRÊT DU VINGT JUILLET DEUX MILLE DIX HUIT

***

APPELANTE

SAS CASTEL ET FROMAGET

[...]

[...]

comparante en personne, assistée de Me Nathalie Z... de la SCP D'AVOCATS A..., avocat au barreau de TOULOUSE

INTIMÉS

Monsieur Bernard Y...

[...]

comparant en personne, assisté de Me Jean-François B..., avocat au barreau de GERS

Syndicat CFE-CGC / SIPEM

[...]

comparant en personne, assisté de Me Florence C..., avocat au barreau de TOULOUSE

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l'article 945.1 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 Mai 2018, en audience publique, devant , Caroline D... présidente et Sonia E... ARCO SALCEDO conseillère toutes deux chargés d'instruire l'affaire, les parties ne s'y étant pas opposées. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Caroline D..., présidente

Alexandra PIERRE-BLANCHARD, conseillère

Sonia E... ARCO SALCEDO, conseillère

Greffière, lors des débats : Brigitte COUTTENIER

Lors du prononcé : Stéphane F...

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile

- signé par Caroline D..., présidente, et par Stéphane F..., faisant fonction de greffier.

EXPOSE DU LITIGE

M.Bernard Y... a été embauché le 6 novembre 1972 par la société Castel et Fromaget en qualité d'employé de bureau, statut ETAM, suivant contrat à durée indéterminée régi par la convention collective nationale du bâtiment et des travaux publics.

Il a occupé les fonctions de responsable gestion des stocks avec un statut d'agent de maîtrise acquis en juin 1977 et a été promu cadre en 1984.

Il a exercé les fonctions de délégué du personnel sans étiquette jusqu'en 1992 puis les fonctions de délégué syndical CFE-CGC, de représentant syndical auprès du comité d'entreprise. A compter de 1996, il a été élu délégué du personnel CFE -CGC. Il est devenu membre du CHSCT de la société Castel et Fromaget pendant 3 mandats jusqu'en 2000. Il a occupé, à compter de 2010, les fonctions de membre titulaire du comité d'entreprise et, depuis le 28 octobre 2011, celles de membre titulaire du comité du groupe Fayat.

Parallélement, il a exercé divers mandats sociaux, notamment celui de secrétaire général régional de la CFE-CGC Midi-Pyrénées depuis novembre 1999, et de conseiller prud'homme depuis décembre 2002.

A la suite de la suppression du poste de gestionnaire des stocks qu'il occupait, l'employeur a diligenté une procédure de licenciement économique de M. Y..., alors salarié protégé. Suivant décision du 8 juillet 1992, l'autorisation de licenciement a été refusée par l'inspection du travail.

A compter du 1er septembre 1992, M. Y... a occupé le poste de gestionnaire des stocks et d'acheteur au sein de l'activité serrurerie.

En 1994, le groupe a décidé d'exploiter la branche serrurerie-menuiserie dans le cadre d'une société autonome.

C'est ainsi que plusieurs salariés ont été transférés de la société Castel et Fromaget à la société Castel et Fromaget Aluminium.

Le transfert de M. Y... a été refusé par l'inspection du travail, décision confirmée par le ministre du travail, le tribunal administratif et la cour administrative de Bordeaux . Le dernier recours de la société Castel et Fromaget devant le Conseil d'Etat a été rejeté en 2001.

A compter du 24 février 1994, et jusqu'à la fin de la relation contractuelle, le 1er janvier 2014, date de son départ à la retraite, M. Y... a été détaché au sein de la société Castel et Fromaget Aluminium dans le cadre de conventions de prêt de main d'oeuvre.

Le 18 novembre 2008, il a saisi la jurdiction prud'homale d'une demande en paiement d'une somme de 250 000 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral et discrimination.

Par décision du 17 mai 2010, le conseil a rendu une décision de radiation pour défaut de diligence du demandeur.

Suivant déclaration au greffe de son avocat du 25 juillet 2013, M. Y... a saisi le conseil de prud'hommes de Toulouse, au visa de l'article 47 du code de procédure civile, compte tenu de son statut de conseiller prud'homme à Auch, pour obtenir le prononcé de la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits de discrimination et de harcèlement moral et le paiement par la société Castel et Fromaget de diverses sommes.

Par jugement de départition du 5 février 2016, le conseil de prud'hommes de Toulouse a :

- requalifié la demande de mise à la retraite de M. Y... en une prise d'acte produisant les effets d'un licenciement nul pour harcèlement moral,

- condamné la société Castel et Fromaget à payer à M. Y... les sommes suivantes :

*19 289,52 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et 1928,95 € au titre des congés payés y afférents,

* 149 028,30 € à titre d'indemnité de licenciement,

* 98 858,70 € en réparation du préjudice subi du fait de la violation de son statut protecteur,

* 100 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi en raison du harcèlement moral,

* 50 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi en raison de la discrimination syndicale,

* 15 000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile

- dit que les créances de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter du 30 août 2013 et les dommages et intérêts à compter du jugement,

- ordonné l'exécution provisoire des condamnations, hormis celle sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- reçu l'intervention volontaire du syndicat CFE-CGC/SIPEM,

- condamné la société Castel et Fromaget à lui payer la somme de 2 000 € à titre de dommages et intérêts et 700 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- condamné la société Castel et Fromaget aux dépens.

La société Castel et Fromaget a régulièrement relevé appel de ce jugement.

Par conclusions visées au greffe le 17 mai 2018, au soutien de ses observations orales auxquelles il est expressément fait référence, la société Castel et Fromaget demande à la cour :

Sur la rupture du contrat de travail,

- à titre principal, d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que la prise d'acte de M. Y... produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et de débouter en conséquence M. Y... de ses demandes d'indemnité de préavis, de congés payés y afférents, d'indemnité de licenciement et de dommages et intérêts pour violation du statut protecteur,

- de juger que la prise d'acte de M. Y... produit les effets d'une démission et de condamner ce dernier au paiement d'une somme de 19 289,52 € correspondant au préavis non exécuté et de celle de 21 188,73 € correspondant à l'indemnité de départ à la retraite,

- à titre subsidiaire, dans le cas où la cour jugerait que la prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- de juger que l'indemnité de licenciement conventionnelle s'élève à 59 611,32 € et de déduire de ce montant l'indemnité de départ à la retraite perçue, soit la somme de 21 188,73 €, réformant ainsi le jugement entrepris,

- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. Y... de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement nul,

Sur le harcèlement moral et la discrimination syndicale,

- à titre principal, d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée aux sommes des 100 000 € et de 50 000 € pour harcèlement moral et discrimination,

- de juger que l'action est périmée,

- à titre subsidiaire,

- de juger que l'action est non fondée et de débouter M. Y... de ses demandes,

Sur le rappel de salaire,

- de confirmer le jugement entrepris, constater que toutes les demandes antérieures au 25 juillet 2010 sont prescrites, de juger que les demandes sont non fondées et de débouter M. Y... de ses demandes,

- d'infirmer le jugement entrepris pour le surplus et de condamner M. Y... au paiement de la somme de 10 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions visées au greffe le 2 mai 2018, au soutien de ses observations orales auxquelles il est expressément fait référence, M. Y... demande à la cour de confirmer le jugement entrepris, hormis en ce qu'il l'a débouté de sa demande de rappel de salaire et de ses demandes de dommages et intérêts ou en ce qu'il ne les a accueillies que partiellement :

- au titre de la pièce 48 versée aux débats indûment,

- pour absence de dispositions en vue de prévenir le harcèlement moral,

- pour son entier préjudice du fait de la discrimination syndicale,

- au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

- de réformer le jugement entrepris sur ces points et de condamner la société Castel et Fromaget à lui payer les sommes suivantes:

* 5 000 € par application de l'article 1382 du code civil au titre de la pièce 48 versée aux débats indûment,

* 102 877,44 € à titre de dommages et intérêts pour absence de dispositions en vue de prévenir le harcèlement moral,

* 102 877,44 € à titre de dommages et intérêts pour discrimination syndicale,

* 59 611,32 € à titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

* 67 783, 80 € au titre de rappel d'indemnité de salaire résultant des discriminations syndicales au titre de l'évolution du coefficient 135 à 195, assortie du versement des cotisations sociales correspondantes aux organismes sociaux ( 30 502, 71 € au titre des cotisations sociales patronales ) afin de permettre à M. Y... de faire procéder au recalcul de sa retraite de base et ses retraites complémentaires et à lui remettre toute pièce nécessaire, certificat de travail et bulletins de paie,

- y ajoutant,

- déclarer irrecevables les demandes nouvelles en cause d'appel de la société intimée au titre du préavis et de l'indemnité de départ à la retraite en application des dispositions de l'article 564 du code de procédure civile,

- condamner la société Castel et Fromaget à lui payer la somme de 30 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner aux dépens de première instance et d'appel.

Par conclusions visées au greffe le 3 janvier 2018 au soutien de ses observations orales auxquelles il est expressément fait référence, le syndicat CFE-CGC/SIPEM demande à la cour de confirmer le jugement entrepris hormis sur le montant des dommages et intérêts alloués et sur le montant de l'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de condamner la société Castel et Fromaget, outre aux entiers dépens de première instance et d'appel, à lui payer :

- 10 000 € à titre de dommages et intérêts,

- 2 200 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile

MOTIFS

Sur la demande relative à la pièce 48 produite par la société Castel et Fromaget

M. Y... demande à juste titre que la pièce 48 produite par la société Castel et Fromaget soit écartée des débats ; il s'agit d'un avertissement du 21 août 1996 que la société appelante ne peut verser aux débats, s'agissant d'une sanction disciplinaire amnistiée par application de l'article 11 de la loi du 6 août 2002. Cette pièce sera écartée des débats.

La société Castel et Fromaget qui avait déjà produit cette pièce en première instance et qui persiste en cause d'appel commet ainsi une faute qui cause à M. Y... un préjudice moral consistant dans celui subi du fait du rappel injustifié d'une faute disciplinaire et de sa sanction sera condamnée à payer à M. Y... la somme de 500 € à titre de dommages et intérêts, le jugement entrepris étant infirmé de ce chef.

Sur la péremption de l'action

La société Castel et Fromaget prétend que l'action de M. Y... est périmée conformément à l'article R. 1452-8 du code du travail qui dispose : ' en matière prud'homale, l'instance n'est périmée que lorsque les parties s'abstiennent d'accomplir, pendant le délai de deux ans mentionné à l'article 386 du code de procédure civile, les diligences qui ont été expressément mises à leur charge par la juridiction.'

Il résulte des explications des parties que M. Y... a saisi, le conseil de prud'hommes, le 18 novembre 2008 d'une demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral et discrimination et que, par décision du 17 mai 2010, le conseil de prud'hommes a prononcé la radiation de cette instance.

Aucune des parties n'indique qu'à cette occasion, le conseil de prud'hommes ait mis une diligence quelconque à la charge de l'une des parties de sorte que cette instance introduite le 18 novembre 2008 n'est pas atteinte de péremption.

La demande de péremption de l'action ne peut pas plus prospérer, la péremption régie par les articles 386 et s du code de procédure civile étant une cause d'extinction de l'instance et non de l'action de sorte que la demande de déclaration d'extinction de l'action sera rejetée, comme l'a fait à bon droit le conseil de prud'hommes.

Sur le harcèlement moral

Il est de principe qu'en matière de situation juridique extra-contractuelle, la loi nouvelle est d'application immédiate aux situations en cours.

En l'espèce, les faits de harcèlement moral dénoncés par M. Y... qui se seraient produits à compter de 1992 constituent une situation de fait en cours lors de l'entrée en vigueur de la loi du 27 janvier 2002, laquelle a défini le harcèlement moral, de sorte que, contrairement à ce que soutient la société Castel et Fromaget, celle-ci est applicable à cette situation.

En application de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ;

lorsque survient un litige relatif à des faits de harcèlement au sens de l'article L. 1152 - 1 du code du travail, le salarié présente, conformément à l'article L. 1154 - 1 du code du travail, des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement ;

au vu de ces éléments, il appartient à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;

le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En l'espèce M. Y... soutient qu'il a été victime, à partir de 1992, date du licenciement pour motif économique projeté par l'employeur et non autorisé par l'inspecteur du travail, de nombreux agissements de harcèlement moral qui ont gravement altéré à la fois ses conditions de travail et sa santé.

Il présente successivement les éléments de fait suivants au soutien de sa demande d'indemnisation des faits de harcèlement moral :

1) son affectation en 1992 sur un nouveau poste au département serrurerie acier et menuiserie aluminium dans des conditions particulières : après son refus de signer sans réserve l'avenant à son contrat de travail matérialisant le transfert au sein de la société Castel et Fromaget Aluminium, il a été affecté sur un nouveau poste de gestionnaire au moyen de conventions successives de prêt de main d'oeuvre, au sein de la société Castel et Fromaget Aluminium, poste comprenant des tâches multiples, sans disposer d'outils informatiques, sans formation réelle et l'employeur n'a eu de cesse que de multiplier les pressions sur lui alors qu'il lui faisait connaître ses difficultés à exercer ses tâches ;

il produit :

- ses courriers adressés à M. G..., directeur, pour exposer les difficultés auxquelles il était confronté et les courriers en réponse de ce dernier,

- des pièces justifiant d'une formation informatique de 6 jours en décembre 1992, du fait qu'il avait été prévenu seulement la veille de cette formation, et l'avertissement du 1er décembre 1992 lui reprochant une absence de relance auprès d'un fournisseur pendant cette absence pour formation,

- des pièces techniques destinées à éclairer la cour sur le contenu de ses tâches,

- ses premières alertes à l'inspecteur du travail,

- les attestations circonstanciées de :

* Monsieur Jean-Marc DD..., chargé d'études, qui atteste des conditions d'arrivée de M. Y... en 1992 au département aluminium de la société Castel et Fromaget :

- pas de présentation au reste du personnel

- pas de bureau

- pas de matériel informatique

- pas de connaissances et pas de formation

- insultes très sévères de M. H... et de M. I...

- charge de travail tellement importante qu'il n'arrivait pas à remplir tout ce qui était demandé par la direction,

* Monsieur Christian J..., responsable prévention sécurité de la société Castel et Fromaget, qui décrit toutes les difficultés de M. Y... et relate, notamment, les faits suivants : une arrivée en 1992 dans un bureau insalubre et mis à l'écart ; .' Au début la direction lui donnait trop de travail, la finalité étant de lui reprocher des fautes professionnelles. '

Il ajoute : ' Au fil des semaines, j'ai compris avec mes collègues de travail que Mr Y... était une cible à abattre par la direction générale dont nous ignorions réellement les raisons. M. H..., Jean K..., Responsable du département aluminium, avait donné ordre aux chefs de services de ne pas adresser la parole à M. Y... afin de l'isoler, de le déstabiliser dans sa nouvelle fonction. Ce message a été communiqué également aux employés, avec la consigne de ne pas l'aider, ni professionnellement ni personnellement, une mise à l'écart, et attendre que M. Y... fasse la faute qui permettra à la direction de le licencier. »

* M. L..., conducteur de travaux, confirme que, lors de son arrivée, rien n'avait été prévu pour accueillir et installer M. Y... ; qu'il fut placé au fond du bureau sur une table destinée aux poseurs, sans même un téléphone pour débuter.

2) la création de la société Castel et Fromaget Aluminium en 1994 ; M. Y... explique qu'en 1994, a été créée cette société Castel et Fromaget Aluminium, notamment pour permettre son transfert au sein de cette nouvelle structure, en dépit du refus de transfert décidé par l'inspecteur du travail, ce transfert ayant eu lieu au moyen de conventions de prêt de main d'oeuvre, découvertes tardivement par M. Y..., sans information de ce dernier.

3) M. Y... expose qu'à compter de 1996, le comportement de l'employeur était destiné à le mettre en difficulté, entraînant la dégradation de ses conditions de travail et des relations difficiles avec ses supérieurs, le tout dénoncé régulièrement dans des courriers et par des alertes à l'inspecteur du travail.

Il produit la notification de mises en demeure, d'un avertissement et l'attestation de 5 pages de M. M..., menuisier au sein de la société Castel et Fromaget, qui écrit : ' la Direction a toujours maintenu M. Y... dans un isolement total, refusant de le saluer, de lui parler, à plus forte raison de le conseiller, de l'informer ou de l'aider ... MM G... et H..., sur les ordres de M. N... ont demandé aux cadres et à certains salariés du département de rejeter et d'ignorer M. Y... '.

4) Il indique avoir été l'objet de provocations, d'intimidations et d'insultes notamment de la part de M. G..., par oral ou par téléphone, et il produit ses courriers de dénonciation de ces insultes.

Il verse encore aux débats plusieurs attestations circonstanciées qui reprennent les propos injurieux ou insultants des membres de la direction à son égard ; c'est ainsi que :

- M. Franck-Joël O..., D.R.H de la société Castel et Fromaget de janvier à avril 2013, expose avoir été témoin des propos suivants tenus par des membres de la direction, quelques jours après son arrivée :

« Il fallait détruire M. Y... Bernard avant qu'il n'engage une procédure en contentieux contre la société Castel et Fromaget, et, en tout état de cause, tout mettre en place pour l'anéantir, puis que je le persuade de demander sa mise à la retraite au mieux ... Tout était mis en 'uvre pour le mettre « hors circuit » et le faire craquer ... Je me demande comment il a fait pour résister aussi longtemps car à l'évidence il était très affecté. '

- M. Alain P..., directeur de travaux, de 1970 à 2011, atteste avoir constaté personnellement que : ' Il fallait compliquer la tâche de Bernard Y..., lui pourrir la vie, éviter de lui parler, ne pas lui faire de cadeau, lui repourrir la vie, en un mot ' Tuer la bête '. Je n'ai, malgré mes responsabilités, jamais adhéré à cette démarche et ce malgré les sollicitations de la direction. Bernard Y..., malgré tout ce qu'il subissait, parfois même des propos insultants, faisait bien son travail ' J'avais un jour évoqué à mon directeur M. H... une éventualité dramatique, à savoir que certaines histoires de ce type se terminent parfois tragiquement, heureusement il n'en a pas été ainsi. '

- M. DD..., déjà nommé, atteste de la réalité d'insultes très sévères de MM H... et I..., ajoute, dans son attestation : ' Au fil des semaines, j'ai compris avec mes collègues de travail que M. Y... était une cible à abattre par la direction générale dont nous ignorions réellement les raisons...M. H... Jean K..., Responsable du département aluminium, avait donné ordre aux chefs de services de ne pas adresser la parole à M. Y... afin de l'isoler, de le déstabiliser dans sa nouvelle fonction. Ce message a été communiqué également aux employés, avec la consigne de ne pas l'aider, ni professionnellement ni personnellement, une mise à l'écart et attendre que M. Y... fasse la faute qui permettra à la direction de le licencier. '

- M. J..., déjà présenté, atteste : ' au cours de toutes ces années, des écarts de langage de M. G... envers M. Y.... Les injures, menaces, pressions de M. G... étaient courantes à l'encontre de M. Y.... '

- M. M..., déjà nommé, atteste encore : ' MM G... et H... sur les ordres de M. N... ont demandé aux cadres et à certains salariés du département de rejeter et d'ignorer M. Y......MM G... et H... n'ont cessé de déstabiliser M. Y... par des agressions verbales et des faux-témoignages afin de donner une image déplorable de M. Y... ... Il nous arrivait avec d'autres salariés d'entendre M. G... invectiver violemment M. Y... sans aucune raison et de voir M. H... l'épier ... J'ai été témoin d'appels téléphoniques de M. G... avec dans la voix un timbre de haine, de colère, de rage, insultant M. Y..., lui criant qu'il n'était qu'une merde, qu'il l'écraserait et lui dire au final qu'il aurait sa peau. L'appareil téléphonique de M. Y... étant équipé d'un haut-parleur, ce dernier en faisait profiter tous les collègues qui se trouvaient à côté. '.

- M. Philippe Q..., directeur d'usine de 2007 à 2010, ayant repris le poste de Monsieur G..., décrit les faits suivants : ' L'objectif était de faire partir M. Y... par tous les moyens. Je n'avais pas le droit d'augmenter son salaire au contraire des autres salariés. Je n'ai jamais vu un tel acharnement ni une telle violence dans les mots contre un salarié et n'aurai pas été étonné que cela se termine par un drame ... Une des grandes fierté de M. G... était d'avoir traîné Monsieur Y... jusqu'au Conseil d'Etat. '

- M. L..., atteste encore qu'il a pu assister ponctuellement à quelques propos déplacés et attitudes incorrectes à l'égard de B. Y... de la part du directeur du département.

5 et 8) attitudes destinées à nuire à M. Y... et concertation des sociétés Castel et Fromaget et Castel et Fromaget Aluminium pour ce faire

M. Y... relève la notification d'un avertissement pour une tâche qui n'était pas la sienne en 1998 et stigmatise la multiplication des tâches alors qu'il s'en est plaint par courrier circonstancié du 14 octobre 1999 ; il se réfère aux attestations des salariés qui détaillent les agissements de la direction de l'entreprise. Il fait remarquer la nomination de M. R... en 2000, agent de maîtrise, auquel a alors été confiée la responsabilité du service achats de l'entreprise

6 et 7) mépris, insultes et intimidations répétés

M. Y... dénonce sous ces deux paragraphes, d'une part, le mépris affiché lors de son absence pour se rendre aux obséques de son beau père et, d'autre part,sa saisine de l'inspecteur du travail en raison des propos irrespectueux tenus par le directeur des ressources humaines en octobre 2009.

9) Placardisation en riposte à la décision de 2001 du Conseil d'Etat rejetant le recours contre la décision de la cour administrative de Bordeaux ; il expose qu'il a été laissé sans tâche réelle à accomplir, notamment à partir de mai 2002, placardisation dénoncée à l'inspecteur du travail ; il produit les attestations déjà rappelées et un tableau ayant pour objet de confirmer cette assertion ; M. Q... atteste notamment : ' MM N... et G... ne voulaient pas lui confier d'autres missions, espérant ainsi que l'inactivité en vienne à bout et qu'il finisse par démissionner '.

10 ) acharnement de la société Castel et Fromaget

M. Y... récapitule les agissements de la société et verse aux débats les certificats des médecins ou psychologues intervenus à compter de 2002, à sa demande ou à celle du médecin du travail, le Docteur S... :

- M. Y... est suivi par un psychiatre, à la demande du médecin du travail, et ce depuis avril 2001 ; le médecin du travail écrit dans un certificat du 15 avril 2004 : ' Il fait l'objet d'un harcèlement moral depuis de très nombreuses années de la part de sa hiérarchie. Sa situation personnelle s'est sérieusement dégradée depuis 2001. Il souffrait d'un sérieux syndrome anxio-dépressif et je l'ai adressé au Docteur EE..., psychiatre, afin d'être pris en charge sur le plan psychologique et chimio thérapique. '

- En octobre 2003, ce psychiatre évoque, dans une lettre adressée au médecin du travail, des effondrements narcissiques, précisant que M. Y... n'était atteint d'aucune pathologie mentale.

- En avril 2004, le médecin du travail, dans une lettre adressée à la psychologue du travail du service des maladies professionnelles de l'hôpital Purpan, décrivait un état moyennement stabilisé du fait d'une épine irritative permanente sous la forme de harcèlement, d'humiliations, d'entraves dans son activité professionnelle.

- En mai 2004, en réponse, Madame T..., psychologue du travail écrivait notamment :

' La situation relatée par le patient fait état d'un conflit ouvert avec le directeur ' depuis 12 ans. Mr B... fait remonter l'origine de ses problèmes à sa candidature puis à son élection comme délégué du personnel.

Il semblerait que chacune des deux parties soit entrée dans une guerre des tranchées.

Je ferais l'hypothèse, en première lecture, que le conflit s'est cristallisé dans une relation symétrique de dominant-dominant où la seule issue honorable passerait par l'éviction de l'adversaire. Mr B... me paraît complètement englué dans ce combat, qui implique au fil des années de plus en plus d'acteurs et qui voit les procédures se succéder.

Mr B... m'est apparu dans un état d'épuisement psychique important. Il est anxieux et exprime un vis sentiment d'injustice...

Je me dis enfin, que la raison d'être de cette guerre c'est la guerre elle-même. Notre entretien m'a laissé perplexe quant aux conséquences à long terme de cette situation sur l'équilibre psychique du patient ...

Si je m'en tiens aux propos relatés par Mr B..., les conditions de travail (l'amputation de la partie significative de ses fonctions de cadre) ainsi que le climat relationnel (isolement géographique et désaffiliation du groupe d'appartenance) seraient bien à mon sens, à l'origine de l'humeur dépressive du patient. '

- En mai 2004 encore, le Dr U..., médecin psychiatre ( médecin expert ) écrivait notamment : ' Cet homme décrit sa souffrance au travail et sa grande sensation de fatigue. Je peux résumer sa souffrance par ses propres mots : ' ils veulent me crever '. '

- En 2006, son psychiatre traitant relevait la persistance d'un état anxieux sévère sur fond de harcèlement professionnel particulièrement maltraitant.

Le Docteur EE... a interpellé l'inspecteur du travail en 2007 sur l'état d'effondrement des défenses de M. Y... et a établi un nouveau certificat en 2009 relatif au suivi et à l'état de M. Y... ; dans son certificat du 21 janvier 2014 il rappelle l'historique des soins prodigués à M. Y..., expliquant l'importante souffrance morale au travail subie par M. Y... justifiant d'un suivi régulier sans arrêt de travail, l'exercice de ses mandats constituant une fonction antidépressive évidente.

La cour estime que M. Y... présente ainsi de très nombreux éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral.

Face à ces éléments, il appartient à la société Castel et Fromaget de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

La société Castel et Fromaget fait valoir que M. Y... s'est fort rarement arrêté de travailler, de sorte que la réelle dégradation de son état de santé n'est pas démontrée : elle liste les 17 arrêts de travail de courte durée pris par l'intimé et expose que le médecin du travail n'a pas pris position, les médecins se contentant de livrer la version de leur client. Elle demande à la cour de constater la responsabilité de M. Y... dans le conflit l'opposant à la société Castel et Fromaget, responsabilité parfaitement démontrée par la psychologue du travail.

Elle estime qu'en réalité, c'est M. Y... qui a imposé à la société Castel et Fromaget le contour de son nouveau poste, après avoir refusé de signer l'avenant de modification du contrat de travail ; elle expose que la création de la société Castel et Fromaget Aluminium avait pour objet de spécialiser cette société dans la serrurerie métallique, que M. Y... refusait d'exécuter ses tâches en dépit des sanctions disciplinaires à lui notifiées et elle met en exergue le soutien de l'inspecteur du travail à un salarié n'exécutant pas ses missions.

La réduction des tâches est devenue nécessaire, eu égard à l'insuffisance professionnelle de M. Y..., justifiant son remplacement par M. R....

Elle conteste la réalité des insultes, brimades et intimidations nullement prouvées, rappelant qu'aucun procès-verbal d'entrave n'a été dressé.

Elle verse aux débats le courrier de Mme V... qui relate que M. Y... l'a insultée, lui disant qu'elle l'emmerdait et faisait le jeu du patron pour finir par la brutaliser en lui repoussant les bras.

Elle produit 3 attestations d'élus qui relatent le comportement délétère de M. Y... pendant les réunions de délégués du personnel ou du comité d'entreprise, et, notamment, ses insinuations et attaques ( M. W... ), les réglements de compte organisés par M. Y... ( M. XX... ), rappelant que les foudres de M. Y... pouvaient se déclencher à n'importe quel moment et que ses propos pouvaient être violents, étant dans une posture de dénigrement ( M. YY... ).

Elle verse aux débats une attestation de Mme ZZ..., faisant partie du personnel rattaché aux ressources humaines qui évoque les exigences de M. Y... et 3 attestations des membres de la direction mis en cause par M. Y... à savoir :

- M. AA..., directeur de développement, directeur général de la société Castel et Fromaget d'avril 2010 à octobre 2014, qui conteste les propos qui lui sont imputés sur le fait d'avoir voulu détruire M. Y... ; il expose avoir entretenu des relations professionnelles normales avec ce dernier et manifesté du respect envers les représentants du personnel, toujours traités sur un pied d'égalité et ajoute que les compte-rendus de réunions de CE ou de délégués du personnel reflétaient la réalité ;

- M. G..., ancien directeur de Castel et Fromaget, qui explique les motifs de la restructuration décidée en 1992 justifiant le projet de suppression de poste de responsable des stocks de M. Y... et la procédure suivie aux fins d'annulation du refus du transfert de M. Y... au sein de la nouvelle société créée ; il concède que ses relations avec M. Y... ont pu être tendues mais affirme n'avoir jamais voulu le détruire, se réservant le droit de déposer plainte et ajoute que M. Y... n'était pas en reste pour lui répondre et pour l'invectiver ;

- M. FF..., directeur du développement de la société Castel et Fromaget, ancien directeur et directeur général de Castel et Fromaget de 2010 à 2014, réfute avoir demandé à M. O... de détruire M. Y... avec lequel il a entretenu des relations professionnelles normales dans le respect des représentants du personnel et s'insurge contre les prétendus bénéfices accordés à d'autres élus, ajoutant que le directeur des ressources humaines avait présidé pratiquement toutes les réunions de CE et de DP.

Elle conteste le contenu de l'attestation de M. J... et réplique aux prétendus dysfonctionnements relatifs à l'organisation des réunions CE et DP.

La cour estime que ne sont pas établis les faits dénoncés de création de la société Castel et Fromaget Aluminium dans le seul but d'évincer M. Y..., les explications techniques énoncées par la société Castel et Fromaget permettant d'évacuer l'affirmation d'une création d'entreprise dans le but principal de nuire à l'intimé.

Elle considère, en revanche, que les faits dénoncés de prise de poste et d'exercice anormal par M. Y... de ses fonctions à compter de 1992 sont constitutifs d'agissements de nature à dégrader les conditions de travail de ce dernier : la situation du bureau, l'absence de formation utile, le défaut de connexion à l'intranet de l'entreprise et l'isolement sont des pratiques managériales harcelantes, couplées en l'espèce, avec une surcharge de travail suivie d'une absence de travail de nature à dégrader la santé mentale de M. Y... ; les attestations versées aux débats par M. Y... sont très circonstanciées sur ces faits et les attestations des 3 directeurs en poste au moment des faits qui se contentent de relater avec beaucoup de recul leur parfait exercice de leurs fonctions sont parfaitement insuffisantes pour contredire les attestations de témoins des faits, attestations qui n'ont pas fait l'objet de procédures de faux. Il n'est pas sérieux de prétendre, comme le fait la société Castel et Fromaget, que M. Y... a imposé le contour de son poste en 1992 alors qu'il s'est contenté, ce qui était son droit, de refuser de signer sans réserve l'avenant à son contrat de travail et que la définition des tâches afférentes au nouveau poste a été effectuée par l'employeur dans le cadre de son pouvoir de direction.

Le fait qu'épisodiquement M. Y... ait pu se montrer discourtois avec Mme V... et qu'il ait pu se révéler insistant et belliqueux pendant les réunions de CE ou de DP est sans incidence sur la réalité du harcèlement subi par M. Y... à compter de 1992 et jusqu'en 2014, parfaitement décrit par les attestations versées aux débats qui relaient les courriers de plainte et les mises au point de l'inspecteur du travail. Le management consistant à vouloir détruire, isoler, surcharger de travail M. Y... caractérise un management harcelant, ces agissements ayant dégradé la santé mentale de M. Y... ; il est établi clairement par les nombreux certificats des psychiatres, médecin et psychologue du travail le lien entre les agissements subis au travail et la dégradation de la santé de M. Y..., victime de dépression sévère justifiant des soins entre 2001 et 2017 et, contrairement à ce que soutient la société Castel et Fromaget, le médecin du travail est intervenu au moins à deux reprises pour saisir un médecin psychiatre des difficultés rencontrées par M. Y... au travail et l'orienter vers un suivi spécialisé, puis saisir la psychologue du travail des difficultés de M. Y....

Le fait que M. Y... ait pu participer au conflit avec son employeur est constant et est parfaitement relaté par la psychologue du travail et par le médecin psychiatre de M. Y..., mais il est sans incidence sur la résolution de la question du harcèlement moral ; il est révélateur de l'importance du conflit opposant M. Y... à la société Castel et Fromaget, celui ci ayant duré plus de 20 ans, avec les conséquences démontrées sur le psychisme de l'intimé, la gravité de la situation étant clairement évoquée, tant par certains salariés de l'entreprise, que par les médecins ayant assuré la prise en charge de M. Y....

La cour estime, comme le conseil de prud'hommes, que, pris dans leur ensemble, les faits présentés par M. Y... sont constitutifs de harcèlement moral, justifiant la condamnation de la société Castel et Fromaget au paiement de dommages et intérêts ; elle confirmera la condamnation de première instance, la somme allouée, à savoir 100 000 € à titre de dommages et intérêts, réparant le préjudice subi pendant 21 ans par M. Y....

Elle confirmera également le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnisation du préjudice lié au défaut de prévention par la société Castel et Fromaget des faits de harcèlement moral ; en effet, il résulte des paragraphes précédents que la société Castel et Fromaget n'a pas exécuté son obligation de prévention des faits de harcèlement moral posée par l'article L. 1152- 4 du code du travail, et, notamment, quand M. Y... a été victime de la scène de la photographie de sa personne en position dénudée accompagnée d'une mention dénigrante à l'occasion des élections professionnelles ; pour autant le préjudice causé par ce manquement vient d'être réparé par l'allocation de dommages et intérêts et la cour n'a trouvé la démonstration d'aucun préjudice distinct non réparé par cette indemnité.

Sur la discrimination

En application de l'article L. 1132 - 1 du code du travail, aucun salarié ne peut faire l'objet de mesure discriminatoire directe ou indirecte notamment en raison de ses activités syndicales et en vertu de l'article L 2141 - 5 du même code, l'employeur ne peut prendre en considération l'appartenance à un syndicat ou l'exercice d'une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière notamment de conduite et de répartition du travail, de rémunération et d'octroi d'avantages sociaux, de mesures de discipline et de rupture du contrat de travail.

Et, conformément à l'article L. 1134 - 1 du code du travail, il appartient au salarié concerné de présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte et, au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, la cour formant sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes mesures d'instruction utiles.

A titre liminaire, la société Castel et Fromaget oppose aux demandes formées au titre de la discrimination la prescription de l'article L. 1134-5 du code du travail qui dispose, dans sa version applicable au litige : ' L'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination.

Ce délai n'est pas susceptible d'aménagement conventionnel.

Les dommages et intérêts réparent l'entier préjudice résultant de la discrimination, pendant toute sa durée. '

Elle soutient que les demandes sont prescrites, les faits de discrimination s'étant révélés en 2001, date de la décision du Conseil d'Etat ayant rejeté le recours contre la décision de la cour administrative de Bordeaux, soit plus de 5 ans avant la saisine du conseil de prud'hommes.

La cour rappelle que cet article L.1134-5 du code du travail est issu de la loi du 17 juin 2008 qui a réduit de 30 ans à 5 ans le délai de prescription de l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination.

En application de son article 26 II : ' Les dispositions de la présente loi qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.'

Il en résulte que la prescription, qui avait commencé à courir sous l'empire de la loi ancienne prévoyant un délai trentenaire, n'était pas acquise au moment de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, le 19 juin 2008. A cette date, et en application de la loi nouvelle, s'est substitué au délai de prescription résiduel, un nouveau délai de cinq ans. C'est ce nouveau délai quinquennal qui a été interrompu par la saisine du conseil de prud'hommes du 18 novembre 2008, conformément à l'article 2241 du code civil ; cette interruption de la prescription produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance. L'instance introduite le 18 novembre 2008 est toujours en cours, de sorte que la prescription de l'action n'est pas acquise et ainsi sont recevables les demandes de dommages et intérêts fondées sur la discrimination syndicale formées par M. Y..., contrairement à ce qu'a jugé le conseil de prud'hommes qui a, pour autant, statué sur le fond de cette demande.

M. Y... présente les éléments de fait suivants au soutien de sa demande de dommages et intérêts en réparation de la discrimination syndicale qu'il prétend avoir subie :

- il a exercé au sein de la société Castel et Fromaget les mandats ou fonctions successifs suivants : délégué du personnel sans étiquette jusqu'en 1992, délégué syndical CFE-CGC, représentant syndical auprès du comité d'entreprise. A compter de 1996, il a été élu délégué du personnel CFE -CGC puis est devenu membre du CHSCT jusqu'en 2000. Il a occupé, à compter de 2010, les fonctions de membre titulaire du comité d'entreprise et, à compter d'octobre 2011, celles de membre titulaire du comité du groupe Fayat.

Parallélement, il a exercé divers mandats sociaux, notamment celui de secrétaire général régional de la CFE-CGC Midi-Pyrénées depuis novembre 1999, et de conseiller prud'homme depuis décembre 2002 ;

- la société Castel et Fromaget a vainement tenté de le licencier puis, de voir autoriser son transfert en utilisant toutes les voies de droit pour y parvenir ;

- à compter de 1992, date à laquelle il est devenu délégué syndical CFE-CGC-CGC, il n'a bénéficié que des augmentations conventionnelles alors que, depuis son embauche en 1972, il avait fait l'objet de promotions au mérite et d'une élévation du niveau employé au niveau agent de maîtrise en 1977 puis à celui de cadre en 1984, et ce, en dépit du financement d'un congé individuel de formation ; il estime que nombre de salariés de l'entreprise ont profité d'une meilleure progression de carrière, et notamment Mme BB... et M. CC... ;

- la création de la société Castel et Fromaget Aluminium a eu pour but d'entraîner la perte de sa qualité de délégué syndical, eu égard au nouvel effectif de l'entreprise inférieur à 50 salariés ;

- la société Castel et Fromaget a, à plusieurs reprises, empêché le syndicat CFE-CGC de pouvoir bénéficier d'un panneau d'affichage dédié, et ce, en dépit des interventions répétées de M. Y... et des rappels à la réglementation effectués par l'inspecteur du travail ;

- l'employeur a multiplié les obstacles à l'exercice par M. Y... de son droit à la formation professionnelle, syndicale, CHSCT et prud'homale, en dépit des observations de l'inspecteur du travail ;

- M. Y... n'a pas obtenu la participation de l'entreprise lors de sa remise de la médaille d'or du travail ;

- sa participation à l'organisation des élections professionnelles n'a pu être prise en compte qu'à la suite d'interventions de l'inspecteur du travail,et des difficultés sont survenues à l'occasion de la désignation des membres du CHSCT ;

- M. Y... a dû faire intervenir l'inspecteur du travail pour voir inscrire ses questions à l'ordre du jour des séances des réunions de DP et les jours des réunions étaient fixés souvent les jours où M. Y... était indisponible ; des difficultés sont survenues à l'occasion de la réunion des différentes instances représentatives du personnel dont était membre M. Y... ; les interventions de M. Y... n'étaient pas toutes notées dans les procès verbaux de réunion ;

- M. Y... n'a pas bénéficié avant 2009, comme les autres cadres de l'entreprise d'un entretien annuel d'évaluation et, par la suite, il relève que certaines compétences n'ont pas été évaluées et qu'il était fait mention dans les entretiens de ses activités représentatives.

La cour estime que M. Y... présente ainsi des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination en raison de ses activités syndicales.

En réponse, la société Castel et Fromaget conteste toute forme de discrimination syndicale ; elle fait valoir les moyens suivants :

- le transfert partiel d'entreprise à la société Castel et Fromaget Aluminium est sans lien avec les mandats de M. Y... dont le transfert a effectivement été refusé tant par l'inspection du travail que par les juridictions amenées à statuer sur les recours diligentés contre cette décision ;

- M. Y... ne fournit aucune preuve d'un quelconque arrachage survenu sur les panneaux d'affichage ;

- il a bénéficié de très nombreuses formations et les difficultés rencontrées viennent de son absence de suivi des régles en matière de demandes de formation ;

- l'absence de perception de la prime d'entreprise lors de la remise de la médaille d'or du travail est liée à son absence le jour de la remise, condition obligatoire à la perception de la prime ;

- M. Y... a refusé de signer ses entretiens d'évaluation, ce qui rendait difficile son évolution au sein de l'entreprise ;

- rien n'établit que la fixation des dates de réunion de représentants du personnel ait été déterminée dans le seul souci de nuire à M. Y... ;

- M. Y... ne produit aucun procès-verbal d'entrave et l'intervention du syndicat CFE-CGC est tardive ;

- M. Y... ne compare pas sa carrière à celle des autres salariés de l'entreprise placés dans la même situation ; la société Castel et Fromaget verse aux débats des panels et les fiches individuelles des salariés qui, selon elle, établissent que M. Y... se situe dans le haut des rémunérations des salariés composant sa population de référence ; il ne peut se comparer avec les deux salariés qui ont eu des progressions de carrière hors normes ;

- sa demande de rappel de salaire est à la fois partiellement prescrite et non fondée M. Y... ne pouvant solliciter le bénéfice des dispositions applicables aux cadres en forfait jour.

La lecture des très nombreuses pièces versées aux débats ne permet pas à la cour de dire que la société Castel et Fromaget a effectivement commis des agissements discriminatoires envers M. Y... dans le cadre de l'organisation des réunions de CE et de DP, de l'organisation des élections professionnelles ou de la désignation des membres du CHSCT, de l'affichage syndical ; seules sont démontrées les plaintes de M. Y... et les interventions de l'inspecteur du travail comme les frictions et difficultés relationnelles entretenues entre M. Y... et M. W..., autre représentant syndical membre des instances représentatives ; les attestations de MM W..., XX... et YY... établissent la réalité de ces difficultés, des postures de dénigrement et les réglements de compte organisés, selon eux, par M. Y....

De même, la société Castel et Fromaget fait le détail des nombreuses formations dont a bénéficié, au cours de sa longue carrière, M. Y... et le fait que M. Y... n'ait pas utilisé le mode opératoire mis en place par l'employeur pour accéder à certaines formations n'implique pas que le refus de certaines formations ait eu pour cause l'exercice par l'intimé de fonctions syndicales.

La société Castel et Fromaget fournit à la cour une explication objective selon laquelle le défaut de versement de la prime entreprise à M. Y... lors de la remise de la médaille d'or du travail était causé par l'absence de ce dernier le jour de la remise de la médaille et fait valoir que cette prime lui a été versée lors de la remise de la médaille grand or.

La cour estime encore que les raisons objectives de la création de la société Castel et Fromaget Aluminium détaillées dans les conclusions et dans l'attestation de M. G... sont établies de sorte que sera écartée comme non étayée l'affirmation selon laquelle la création de cette structure n'avait pour seul objet que de réduire l'effectif de l'entreprise pour empêcher M. Y... d'exercer son mandat syndical.

En revanche, la société Castel et Fromaget ne fournit à la cour aucune raison objectivant l'absence de tout entretien annuel d'évaluation de M. Y... avant l'année 2009, alors que l'entretien professionnel avait fait l'objet d'un accord national interprofessionnel en 2003 et elle ne contredit pas le fait allégué par l'intimé selon lequel d'autres cadres avaient bénéficié de ce type d'entretiens avant 2009.

Et la lecture des entretiens annuels d'évaluation est édifiante sur la prise en compte de l'appartenance de M. Y... à un syndicat dans la rédaction de l'entretien par le représentant de l'employeur : en 2009, les seuls évènements pris en considération sont les mandats et fonctions représentatives de M. Y... et la conclusion est la suivante : ' la difficulté rencontrée est de trouver un poste avec des missions et responsabilités correspondant à un statut de cadre, compatible avec l'exercice des mandats et fonctions en interne et à l'extérieur de l'entreprise ' ; la fiche de notation des compétences professionnelles de M. Y... n'a pas été remplie .

Les fiches d'entretien individuel de 2010 et 2011 ne font mention que de l'absence d'activité depuis 2002 et de la formation réalisée, le salarié sollicitant une demande d'activité et une demande de charge de travail, les fiches précisant la non applicabilité de la fiche de notation en l'absence de toute activité.

La lecture des décisions administratives relatives au transfert refusé du poste de M. Y... au sein de la société nouvelle Castel et Fromaget Aluminium permet d'établir le lien entre cette décision de transfert et l'activité syndicale : l'inspecteur du travail motive sa décision de refus d'autorisation du 9 février 1994 par le fait que le transfert de M. Y... au sein d'une entreprise dont l'effectif est inférieur à 50 personnes aurait pour effet la disparition de son mandat syndical ; la même motivation est celle du ministre du travail dans sa décision du 21 juillet 1994 ; le tribunal administratif de Pau la fait sienne dans son jugement du 10 juillet 1997, ajoutant que cette circonstance ainsi que les diverses mesures ou sanctions dont l'intéressé a fait l'objet depuis qu'il a été désigné comme délégué syndical CFE-CGC, notamment l'attribution d'un surcroît de charges de travail difficiles à gérer pour une personne qui, au surplus, exerce l'effectivité d'un mandat syndical, doivent faire considérer comme discriminatoire le projet de transfert de M. Y... à la société Castel et Fromaget Aluminium ; la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté le recours de la société Castel et Fromaget contre le jugement du tribunal administratif le 9 novembre 2000 en estimant que c'est à bon droit que l'inspecteur du travail et le ministre du travail ont pu estimer que le transfert critiqué n'était pas sans lien avec les activités syndicales de l'intéressé, rappelant les sollicitations de M. Y... auprès de l'inspecteur du travail aux fins de faire respecter la législation du travail et la détérioration des relations entre le délégué syndical et la direction ainsi que les incidents qui ont rendu plus difficile l'exercice du mandat de M. Y... ; cette décision est définitive, le Conseil d'Etat n'ayant pas admis, dans son arrêt du 13 septembre 2001, la requête de la société Castel et Fromaget.

La société Castel et Fromaget n'objective pas les raisons pour lesquelles M. Y... n'a bénéficié depuis 1992, date du début de son engagement syndical, d'aucune promotion au mérite mais seulement de promotions obligatoires par application de la convention collective, se contentant de faire référence à des pièces qui démontrent que M. Y... se situait dans la moyenne supérieure du graphique d'évolution de carrière des salariés constitutifs de la population de référence et dans la moyenne supérieure des rémunérations de cette population de référence.

La situation au dessus de la moyenne de la population de référence s'explique par la rapide ascension professionnelle de M. Y... en début de carrière : embauché en 1972 en qualité d'employé de bureau, il est devenu responsable gestion des stocks, statut d'agent de maîtrise en juin 1977 et a été promu cadre en 1984.

L'étude des fiches personnelles des salariés de la population de référence met en évidence la platitude de l'évolution de carrière de M. Y... entre 1995 et 2013 et révèle qu'il est le seul parmi cette population de référence à ne pas faire l'objet de commentaires de sa hiérarchie sur lesdites fiches, seule la conclusion étant remplie.

Et l'absence d'évolution normale de carrière et de rémunération est encore caractérisée par la lecture du tableau des rémunérations de la population de référence ( pièce 186 de la société Castel et Fromaget ) qui établit qu'entre 1995 et 2013 la rémunération moyenne est passée de 20 658 € à 46 410 €, alors que sur la même période, la rémunération de M. Y... est passée de 27 012 € ( nettement au-dessus de la moyenne ) à 38 580 € ( environ 8 000 € de moins que la moyenne ).

La cour estime, dans ces conditions, que M. Y... a également fait l'objet de discrimination dans l'évolution de sa carrière et de sa rémunération.

En revanche, elle rejettera, par confirmation du jugement déféré, sa demande de rappel de salaire formée à hauteur de 67 783, 80 € , demande fondée sur la discrimination qui n'est pas plus atteinte par la prescription que la demande principale de dommages et intérêts soutenue sur le même fondement, et ce, pour les motifs exposés plus avant.

En effet, cette demande, intitulée demande de rappel d'indemnité de salaire, est fondée sur la comparaison du salaire de M. Y... avec l'évolution du salaire de Mme BB... alors que Mme BB... occupe des fonctions différentes de celles de M. Y... puisqu'elle occupait le poste de responsable des achats de l'entreprise ; qu'elle est cadre en forfait jour, ce qui n'était pas le cas de M. Y... qui n'a jamais revendiqué le bénéfice de ce forfait.

La cour indemnisera le préjudice subi par M. Y... du fait de cette discrimination qui a duré plus de 20 ans, entre 1992 et 2013, par l'allocation de la somme de 80 000 € à titre de dommages et intérêts, par réformation du jugement entrepris.

Sur la demande de requalification de la demande de mise à la retraite de M. Y... en une prise d'acte produisant les effets d'un licenciement nul

Pour déterminer si la demande de mise à la retraite de M. Y... constitue, comme le soutient M. Y... et, comme l'a jugé le conseil de prud'hommes, une prise d'acte par le salarié de la rupture du contrat de travail, il convient d'analyser si la demande de départ à la retraite était sans réserve et non équivoque ou bien si, au contraire, elle était équivoque et résultait de circonstances antérieures ou contemporaines de ce départ à la retraite.

La lettre de demande de mise à la retraite de M. Y... du 28 octobre 2013 est libellée comme suit :

' Je viens par la présente ... vous notifier officiellement mon intention de faire valoir mes droits à la retraite à compter du 1er janvier 2014 ...

En effet, je n'ai plus la force de mener à bien mes mandats de représentation du Personnel au sein de l'entreprise et au niveau du Comité du Groupe FAYAT.

Je le déplore de tout mon c'ur car il s'agissait pour moi d'un moteur pour avancer et avoir un sentiment d'utilité au sein de l'entreprise en dépit de tous les agissements menés à mon encontre depuis plus de vingt-un ans...

Cela fait vingt-un ans que je subis inlassablement un harcèlement moral et une discrimination syndicale systématiques de la part de la direction et de quelques ' serviteurs zélés'...

Vos prédécesseurs et vous-même vous m'avez usé...'

Cette lettre ne constitue pas une lettre de départ sans réserve mais au contraire une lettre notifiant le départ à la retraite en raison du harcèlement moral et de la discrimination subis par M. Y... depuis plus de 21 ans.

Il convient en conséquence d'analyser cette lettre en une prise d'acte.

La réalité du harcèlement moral et de la discrimination syndicale dont M. Y... a fait l'objet de la part de la société Castel et Fromaget pendant plus de 20 ans vient d'être établie par la cour dans les paragraphes qui précèdent. La gravité de ces manquements est certaine, notamment au regard de leurs conséquences sur l'état de santé de M. Y... déjà examinées par cette cour.

Contrairement à ce que prétend la société Castel et Fromaget, l'ancienneté de ces manquements n'empêche pas de déclarer cette prise d'acte imputable à l'employeur en raison de la persistance de ces graves manquements qui a rendu impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et la poursuite du contrat de travail.

Cette prise d'acte produit les effets d'un licenciement nul par application de l'article L.1152-3 du code du travail , le jugement déféré étant confirmé sur ce point.

M. Y... est bien fondé à se voir allouer des dommages et intérêts pour licenciement nul dont le montant sera évalué compte tenu du préjudice subi du fait de la nullité de ce licenciement, étant rappelé l'âge de M. Y..., soit 60 ans en 2013 , son ancienneté, 41 ans au sein des effectifs de la société Castel et Fromaget, et le montant de son salaire moyen, soit 3 311, 74 €.

La société Castel et Fromaget sera condamnée au paiement de la somme de 80 000 € à titre de dommages et intérêts, par ajout au jugement entrepris qui avait omis de statuer sur ce point.

Sur le surplus des demandes indemnitaires de M. Y...

La requalification du départ à la retraite en prise d'acte de la rupture produisant les effets d'un licenciement nul a pour conséquence l'obligation de l'employeur au paiement des indemnités de rupture, à savoir :

- 19 289, 51 € à titre d'indemnité de préavis et 1 928, 95 € au titre des congés payés y afférents,

- 59 611,32 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement.

Les demandes nouvelles de la société Castel et Fromaget de paiement d'une indemnité de préavis et de remboursement de l'indemnité de départ à la retraite versée à M. Y... à hauteur de 21 188, 73 € sont recevables : elles ont été formées contradictoirement en cause d'appel, dans le cadre d'une procédure orale.

La demande de paiement d'une indemnité de préavis de l'appelante sera rejetée, la rupture ayant été qualifiée licenciement par la cour de sorte que c'est, au contraire, l'employeur qui est débiteur du paiement d'une indemnité de préavis.

Il sera fait droit à la demande de remboursement de l'indemnité de départ à la retraite dans la mesure où il est constant qu'en cas de concours d'avantages prévus par la loi et la convention collective, les avantages ayant le même objet ou la même cause ne peuvent, sauf stipulations contraires, se cumuler, le plus favorable d'entre eux pouvant seul être accordé. Tel est le cas, en l'espèce, du concours entre l'indemnité légale de départ à la retraite versée à M. Y... et de l'indemnité conventionnelle de licenciement à lui allouée, conformément au présent arrêt, ces deux indemnités ayant le même objet, à savoir l'indemnisation de la perte d'emploi du salarié.

La cour opère compensation entre la créance de remboursement d'indemnité de départ de la société Castel et Fromaget et celle d'indemnité de licenciement de M. Y... de sorte que la société Castel et Fromaget reste devoir à M. Y..., après compensation, la somme de 38 422, 59 € et sera condamnée au paiement de cette somme.

La société Castel et Fromaget ne conteste pas que M. Y... puisse également prétendre au paiement d'une indemnité pour violation de son statut protecteur de conseiller prud'homme, la rupture de la relation contractuelle en cours de mandat n'ayant pas été autorisée par l'inspecteur du travail conformément à l'article L. 2411- 22 du code du travail ; compte tenu de la nullité de la rupture du contrat de travail et de l'absence de demande de réintégration de M. Y..., ce dernier peut prétendre à l'allocation d'une indemnité d'un montant équivalant à 30 mois de salaire, soit 98 858,70 €, en réparation du préjudice subi du fait de la violation de son statut protecteur, le jugement dont appel étant confirmé de ce chef.

Sur les demandes du syndicat CFE-CGC/SIPEM

Il résulte des explications qui précèdent que la société Castel et Fromaget a commis, pendant plus de 20 ans, des actes de discrimination syndicale à l'encontre de M. Y... qui exerçait des mandats syndicaux pour le compte du syndicat CFE-CGC qui est intervenu volontairement en cours d'instance prud'homale aux côtés de M. Y....

Ce faisant, la société Castel et Fromaget a violé l'article L. 2141-7 du code du travail en usant de pressions à l'encontre du syndicat CFE-CGC représenté par M. Y... et a causé un préjudice à l'intérêt collectif des salariés représenté par le syndicat CFE-CGC qui est en droit d'en demander réparation conformément à l'article L.2132-3 du code du travail.

La somme allouée à titre de dommages et intérêts par le conseil de prud'hommes qui a relevé la tardiveté du soutien du syndicat à M. Y... constitue la juste indemnisation du préjudice de ce dernier. Il convient de confirmer l'allocation de la somme de 2 000 € à titre de dommages et intérêts ordonnée par le jugement entrepris

Sur le surplus des demandes

La société Castel et Fromaget qui succombe sera condamnée aux dépens d'appel, le jugement entrepris étant confirmé sur les dépens et à payer à M. Y... la somme de 15000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et au syndicat CFE-CGC celle de 1 000 € au titre des frais irrépétibles d'appel.

PAR CES MOTIFS

Déclare recevables les demandes de paiement d'indemnité de préavis et de remboursement de l'indemnité de départ à la retraite formées en cause d'appel par la société Castel et Fromaget,

Confirme le jugement entrepris, à l'exception des dispositions sur la prescription des demandes formées au titre de la discrimination syndicale et sur la pièce 48 de la société Castel et Fromaget, du montant des dommages et intérêts pour discrimination syndicale et de l'indemnité de licenciement,

L'infirme sur ces points, et statuant à nouveau,

Rejette la fin de non recevoir tirée de la prescription de l'action en paiement de dommages et intérêts et de rappel de salaire fondée sur la discrimination syndicale,

Ecarte des débats la pièce 48 produite par la société Castel et Fromaget,

Condamne la société Castel et Fromaget à payer à M. Bernard Y... les sommes suivantes :

- 500 € à titre de dommages et intérêts pour production de la pièce 48,

- 80 000 € à titre de dommages et intérêts pour discrimination syndicale,

- 38 422, 59 € à titre de solde d'indemnité de licenciement, après compensation avec l'indemnité de départ à la retraite,

y ajoutant,

Condamne la société Castel et Fromaget à payer à M. Y... la somme de 80 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

Condamne la société Castel et Fromaget à payer à M. Y... la somme de 15 000 € au titre des frais irrépétibles d'appel,

Condamne la société Castel et Fromaget à payer au syndicat CFE-CGC/SIPEM la somme de 1 000 € au titre des frais irrépétibles d'appel,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Condamne la société Castel et Fromaget aux dépens d'appel.

Le présent arrêt a été signé par Caroline D..., présidente et par Stéphane F..., faisant fonction de greffier.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

Stéphane F... Caroline D...


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Toulouse
Formation : 4eme chambre section 2
Numéro d'arrêt : 16/00730
Date de la décision : 20/07/2018

Références :

Cour d'appel de Toulouse 42, arrêt n°16/00730 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-07-20;16.00730 ?
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