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25/06/2018 | FRANCE | N°16/02128

France | France, Cour d'appel de Toulouse, 1ere chambre section 1, 25 juin 2018, 16/02128


25/06/2018





ARRÊT N°188



N° RG 16/02128

CB/CP



Décision déférée du 12 Avril 2016 - Tribunal de Grande Instance de TOULOUSE -

X...

















Jean Paul E...





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SA MAZARS

Société civile Y...

























































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INFIRMATION PARTIELLE







Grosse délivrée



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à

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

1ere Chambre Section 1

***

ARRÊT DU VINGT CINQ JUIN DEUX MILLE DIX HUIT

***



APPELANT



Monsieur Jean Paul E...

Chemin de Madame

[...]

Représenté par Me Caroline Z..., avocat au barreau de TOULOUSE







INTIMEES



SA MAZAR...

25/06/2018

ARRÊT N°188

N° RG 16/02128

CB/CP

Décision déférée du 12 Avril 2016 - Tribunal de Grande Instance de TOULOUSE -

X...

Jean Paul E...

C/

SA MAZARS

Société civile Y...

INFIRMATION PARTIELLE

Grosse délivrée

le

à

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

1ere Chambre Section 1

***

ARRÊT DU VINGT CINQ JUIN DEUX MILLE DIX HUIT

***

APPELANT

Monsieur Jean Paul E...

Chemin de Madame

[...]

Représenté par Me Caroline Z..., avocat au barreau de TOULOUSE

INTIMEES

SA MAZARS SA à conseil d'administration au capital de 100.000.€, RCS TOULOUSE, prise en la personne de son représentant légal, domicilié [...] III

[...]

Représentée par Me Manuel A... de la SELARL CLF, avocat au barreau de TOULOUSE

Représentée par Me Francesca B..., avocat au barreau de PARIS

Société civile de construction vente Y...

Chemin de Madame

[...]

Représentée par Me Caroline Z..., avocat au barreau de TOULOUSE

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 Janvier 2018, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant C.MULLER, conseiller et C.BELIERES, président chargé du rapport. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de:

C. BELIERES, président

C.ROUGER, conseiller

C.MULLER, conseiller

Greffier, lors des débats : C. BERNAD

ARRET :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

- signé par C. BELIERES, président, et par C.D..., greffier de chambre.

Exposé des faits et procédure

La société civile immobilière de construction vente (Sccv) Y..., créée le 7 mars 2005, dont le gérant est M. Jean-Paul E..., associé détenteur de la moitié du capital social, avait pour expert- comptable la Sa Mazars jusqu'à la fin de l'exercice clos au 31 décembre 2008.

En 2009 elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité par l'administration fiscale sur les exercices 2007 et 2008 pour lesquels elle était assujettie à l'impôt sur les sociétés.

Le compte courant d'associé de M. E... ayant été crédité en 2008 d'un montant de 232.685,89 €, égal à la moitié du résultat comptable de l'exercice précédent, l'administration fiscale a considéré qu'il s'agissait d'un bénéfice distribué constituant un revenu de l'associé gérant dont il avait reçu la libre disposition ; elle a procédé à un rappel d'impôts sur les revenus de 2008 de l'intéressé pour un montant de 93.074 € et, pour la même année, à un rappel de CSG/CRDS d'un montant de 28.156 €, outre des pénalités respectives de 38.347 € et de 11.600 € s'ajoutant au montant des droits rappelés ; cette rectification visait M. E... et non la Sccv Y... puisque le bénéfice porté dans le compte courant d'associé avait quitté le patrimoine social.

Par acte d'huissier du 15 juillet 2014 M. E... et la Sccv Y... ont fait assigner la Sa Mazars devant le tribunal de grande instance de Toulouse en déclaration de responsabilité et réparation du préjudice respectivement subi, égal au montant de l'impôt réclamé par l'administration fiscale pour le premier et à une somme de 1.000€ au titre du préjudice moral pour la seconde.

Par jugement contradictoire en date du 12 avril 2016 cette juridiction

- a débouté M. E... et la Sccv Y... de leurs demandes

- les a condamné in solidum à payer à la Sa Mazars une somme de 4.000 € au titre des frais irrépétibles et à supporter les entiers dépens avec recouvrement dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

Pour statuer ainsi, elle a considéré que l'expert comptable n'avait pas à intervenir et ne pouvait critiquer l'écriture consistant pour le gérant à créditer son compte courant d'associé, de telle sorte qu'il ne pouvait que constater cette absence de décision de l'assemblée générale et l'encaissement des bénéfices par l'associé.

Par déclaration en date du 26 avril 2016 M. E... a relevé appel général de cette décision en intimant toutes les parties.

Moyens des parties

M. E... et la Sccv Y... demandent dans leurs dernières conclusions communes du 1er juin 2016, de

- réformer le jugement

- constater que la Sa Mazars a engagé sa responsabilité contractuelle vis-à-vis de la Sccv Y... et sa responsabilité délictuelle vis-à-vis de M. E...

- condamner la Sa Mazars à verser à

* la Sccv Y... la somme de 1.000 € au titre du préjudice moral subi

* M. E... la somme de 159.604 € au titre du préjudice financier subi

- condamner la Sa Mazars à payer à chacun d'eux la somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens.

Ils font valoir qu'en 2008 la Sa Mazars a commis une erreur qui a eu d'importantes conséquences fiscales pour M. E... puisqu'elle a inscrit sur les comptes 2008 la quote part du résultat de l'année 2007 de la Sccv Y... lui revenant, soit 50 % au crédit de son compte courant d'associé, ce qui avait pour effet de leur donner un caractère de revenus imposables.

Ils indiquent que, comme toute société de construction vente, la Sccv Y... a été déficitaire les premières années de construction du programme immobilier soit en 2005/2006 et bénéficiaire lors de la commercialisation en 2007, pour la première fois.

Ils précisent que cette société ayant opté pour l'impôt sur les sociétés à compter du 1er janvier 2007, l'écriture comptable consistant à porter en compte courant d'associé les bénéfices n'est pas anodine puisqu'elle a pour conséquence de les faire rentrer dans les revenus imposables de l'associé, alors que le statut fiscal de ce type de société permet justement de l'éviter en affectant le bénéfice non distribué sur un compte de l'actif, le compte 'report à nouveau', destiné à recevoir les bénéfices non distribués aux associés et non affectés à une réserve légale ou facultative.

Ils précisent que l'article 31 des statuts relatif à la répartition des bénéfices, pose le principe de l'affectation éventuelle des bénéfices en premier lieu sur le compte 'report à nouveau' dans une proportion à déterminer et, dans un deuxième temps, l'éventuelle répartition du bénéfice entre les associés avec, dans tous les cas, la nécessité d'une assemblée générale ; ils estiment que la Sa Mazars ne pouvait décider, en lieu et place de la société et de ses associés, d'une quelconque affectation des bénéfices de l'année 2007 mais devait demander au gérant de faire le nécessaire pour la tenue d'une assemblée générale et attendre la décision de ladite assemblée avant de passer une écriture relative aux bénéfices de la Sccv Y... pour 2007, première année bénéficiaire.

Ils lui font grief d'avoir crédité les comptes courants des associés au prorata du bénéfice auquel donnaient droit leurs parts soit 232.685,69 € pour M. E..., ce qui a eu pour effet de les rendre disponibles pour l'associé et les a fait rentrer dans les revenus imposables de celui-ci puisque, selon l'article 109-1-1 du code général des impôts, sont considérés comme des revenus distribués, tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital et toutes les sommes mises à disposition des associés.

Ils expliquent que M. E..., néophyte en la matière, ne s'est pas aperçu de l'écriture comptable passée et de son impact fiscal et n'a pas déclaré cette somme du fait de l'option pour l'impôt sur les sociétés, ce qui a donné lieu au redressement fiscal.

Ils critiquent la motivation en fait et en droit du premier juge ; ils affirment que ce n'est pas M. E... qui a crédité cette somme sur le compte courant d'associé mais l'expert comptable lorsqu'il a fait les comptes de l'année 2007, que cet associé n'a d'ailleurs pas utilisé cette somme, ignorant totalement l'écriture passée et encore plus son implication fiscale ; ils précisent que, dans le cas présent, ces derniers souhaitaient que ces bénéfices restent dans le patrimoine de la société car il avait été décidé que la Sccv Y... faisait une avance de trésorerie à d'autres sociétés ayant les mêmes associés, la Sa L'Hôtan à hauteur de 788.952 € et à la Sarl Diane à hauteur de 138.508 € et voulaient se réserver la possibilité de réaliser éventuellement une autre opération immobilière en laissant le bénéfice 2007 dans le compte 'report à nouveau', toutes raisons qui rendaient inopportune la distribution des bénéfices aux associés.

Ils estiment que la Sa Mazars a failli au devoir d'information et de conseil à l'égard de la Sccv Y..., mis à sa charge par l'article 155 du décret n° 2012-432 du 30 mars 2012, et n'a pas accompli sa mission avec toute la compétence et le soin que l'on est en droit d'attendre d'un professionnel éclairé et diligent et a donc engagé sa responsabilité contractuelle envers elle sur le fondement de l'article 1147 du code civil en prenant une décision d'affectation des bénéfices qui ne lui incombait pas au lieu d'attirer son attention sur l'absence d'assemblée générale et sur l'article 30 des statuts.

Ils considèrent que la Sa Mazars a engagé sur le fondement de l'article 1382 du code civil sa responsabilité délictuelle envers M. E... pour les mêmes motifs, un tiers à un contrat pouvant invoquer sur le fondement de la responsabilité délictuelle un manquement contractuel dès lors que celui-ci lui a causé un dommage.

Ils indiquent que la faute commise par la Sa Mazars est source de préjudice pour M. E... puisque le montant réclamé par l'administration fiscale est de 103.498 € au titre de l'impôt sur le revenu, de 31.343 € au titre des prélèvements sociaux outre 14.413 € de frais alors que celui-ci ne voulait pas disposer de ces bénéfices, qu'il ne les a toujours pas prélevés à ce jour, que le fait que l'administration fiscale n'ait pas voulu en 2010 prendre en compte l'impact fiscal de la liasse rectificative de l'année 2008, dressée en septembre 2009, est sans incidence au plan civil et n'empêchait pas les associés de garder le bénéfice en 'report à nouveau', ce qui a été fait comme en attestent les extraits des bilans de la Sccv Y... de 2008 à 2014.

Ils font remarquer que la trésorerie de l'année 2008 au cours de laquelle la Sa Mazars a réalisé l'écriture comptable fautive impliquant la fiscalisation du bénéfice était de 128 €, de sorte qu'elle ne permettait pas une telle distribution et qu'à ce jour et depuis 2010 elle reste très faible variant de 933 € en 2010 à 1.629 € en 2011, 1.759 € en 2012, 765 € en 2013 et 3.071 € en 2014 et en déduisent que c'est bien le montant total de l'impôt réglé qui constitue le préjudice.

Ils considèrent que la faute commise par la Sa Mazars a également causé un préjudice moral à la Sccv Y... puisque son expert comptable a pris une décision en ses lieu et place concernant l'affectation du bénéfice 2017.

La Sa Mazars, dans ses dernières conclusions du 4 juillet 2016, demande de

A titre principal,

- constater que ni sa responsabilité contractuelle à l'égard de la Sccv Y..., ni sa responsabilité délictuelle à l'égard de M. E... ne sont engagées

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions

- condamner M. E... et la Sccv Y... à lui payer la somme complémentaire de 5.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile

A titre subsidiaire,

- constater que sa responsabilité ne pourrait être que minime par rapport à celle première et prépondérante de M. E...

- constater que la Sccv Y... et M. E... ne justifient pas du bien-fondé des préjudices qu'ils allèguent

- les débouter de toutes leurs demandes, fins et conclusions

- condamner in solidum M. E... et la Sccv Y... à lui payer la somme de 9.000€ en application de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les entiers dépens.

Elle fait valoir qu'elle n'est tenue, en sa qualité d'expert comptable, que d'une obligation de moyens, l'existence de redressements fiscaux n'impliquant pas nécessairement sa responsabilité.

Elle ne discute pas être l'auteur de l'écriture comptable ayant crédité le compte courant d'associé de M. E... d'une somme de 232.685,69 € correspondant à 50 % du résultat de l'exercice 2007 de la Sccv Y... qui s'élevait à 465.371,80 € mais conteste avoir engagé sa responsabilité, alors que la société avait négligé de tenir l'assemblée générale d'approbation des comptes et d'affectation du résultat de l'exercice 2007, comme rappelé dans ses courriers des 29 juillet 2009 et 25 septembre 2009, qu'elle n'a tenu une assemblée générale ordinaire que le 11 août 2009 au cours de laquelle elle a approuvé les comptes de l'exercice 2007 et de l'exercice 2008 décidant d'affecter le bénéfice net comptable au poste 'report à nouveau', ce qui lui permis d'établir le 4 septembre 2009 une liasse rectificative des comptes clos au 31 décembre 2008, faisant figurer le résultat bénéficiaire de l'exercice 2017 en report à nouveau pour la somme de 465.371 € adressée par la Sccv Y... à la direction générale des finances publiques le 7 septembre 2009.

Elle considère que seule l'absence de tenue, dans les délais, de l'assemblée annuelle d'approbation des comptes par la Sccv Y... et son gérant est à l'origine de la passation de l'écriture litigieuse comptabilisant la moitié du résultat de l'exercice 2007 au crédit du compte courant des associé, alors que l'article 27-2 des statuts prévoit que 'l'approbation du rapport écrit d'ensemble des gérants sur l'activité de la société au cours de l'exercice écoulé comportant l'indication des bénéfices réalisés ou des pertes encoures doit faire l'objet d'une décision collective des associés', que l'article 30-2 des statuts indique que 'les comptes de l'année écoulée, peu importe qu'ils soient bénéficiaires ou déficitaires, sont présentés pour approbation aux associés', ce qui ne pouvait être ignoré de M. E..., signataire des statuts et dirigeant de société expérimenté ; elle ajoute que dans la mesure où il n'existe aucune règle relative à la quote part de bénéfice à affecter en report à nouveau, les dispositions de l'article 31 des statuts qui prévoient que les associés 'décident de porter tout ou partie du bénéfice sur un ou plusieurs comptes de réserve, générales ou spéciales, dont ils déterminent l'emploi et la destination ou de la reporter à nouveau, le surplus du bénéfice est réparti entre les associés' permettent seulement de comprendre qu'en l'absence d'affectation des bénéfices de report à nouveau, ce qui était le cas en l'absence d'assemblée générale, le bénéfice était bien réparti entre les associés.

Elle en déduit que sa responsabilité ne peut être engagée et qu'à tout le moins elle ne pourrait qu'être partagée avec les appelants du fait de leur retard et négligence dans la tenue de l'assemblée générale annuelle statuant sur les comptes 2007 et l'affectation du résultat de cet exercice.

Elle souligne que les quote parts des déficits de l'exercices 2005 et 2006 ont bien été attribués à M. E..., qui pouvait donc prévoir que, faute d'instruction contraire de sa part, elle lui affecterait sa part de bénéfice de l'exercice 2007, d'autant qu'il avait dû certainement déclarer ses quote parts des déficits 2005 et 2006 dans ses déclarations de revenus et avait donc une parfaite connaissance du traitement comptable et fiscal des déficits et bénéfices de ses sociétés.

Subsidiairement, elle soutient que les préjudices allégués sont infondés.

Elle fait valoir que le redressement fiscal concernant l'impôt en principal ne fait que rétablir la situation dans laquelle le contribuable aurait dû être dès l'origine, de sorte qu'il ne peut s'agir d'un préjudice indemnisable s'agissant d'un impôt dû sur une somme qu'il aurait pu percevoir courant 2008 et pourrait toujours percevoir tôt ou tard, la liasse fiscale rectificative n'ayant pas été admise par l'administration fiscale ; elle considère que le choix de maintenir le bénéfice de l'exercice 2007 en report à nouveau incombe à la Sccv Y... seule et qu'il est toujours distribuable conformément à l'article L 232-11 du code de commerce puisqu'il fait partie des réserves de la société pour un montant supérieur à la réserve légale.

Elle affirme que M. E... ne peut se prévaloir de problèmes de trésorerie de la Sccv Y... résultant d'avances faites par elle à d'autres sociétés (Sociétés L'Hotan et Diane), dans lesquelles il a des intérêts pour être leur dirigeant commun mais sans lien économique avec la Sccv Y..., et qui n'ont pas, à ce jour été remboursées comme elles devraient l'être depuis longtemps.

Elle ajoute que les majorations de retard sur les sommes dues en principal ne sont pas davantage constitutives d'un préjudice indemnisable car elles ne font que réparer le retard du règlement des sommes qui auraient déjà dues être payées au Trésor Public.

Elle estime que, si par extraordinaire sa responsabilité était retenue, seules les pénalités de 10 % de l'article 1758 A du code général des impôts réclamées à M. E... seraient susceptibles d'être à sa charge et que la Sccv Y... n'a subi aucun préjudice.

Motifs de la décision

Sur la responsabilité

L'expert comptable est tenu d'exécuter la mission qui lui est confiée avec toute la compétence et le soin que l'on est en droit d'attendre d'un professionnel éclairé et normalement diligent ; la mise en oeuvre de sa responsabilité exige la démonstration de l'existence d'une faute en relation de causalité directe avec un préjudice subi.

Le grief formulé à l'encontre de la Sa Mazars est unique et consiste à avoir inscrit en 2008 dans les comptes de la Sccv Y... la quote part du résultat de l'année 2007 revenant à l'associé M. E... (soit 50 %) au crédit de son compte courant d'associé, et non en 'report à nouveau', ce qui a eu pour effet de donner à ces bénéfices le caractère de revenus imposables.

La passation de cette écriture comptable caractérise un manquement de cet expert comptable à ses obligations.

Lors de cet exercice 2007 la Sccv Y... était pour la première fois bénéficiaire.

L'article 31 des statuts prévoyait que 'après approbation du rapport d'ensemble des gérants, les associés décident de reporter tout ou partie du bénéfice à un ou plusieurs comptes de réserves, générales ou spéciales, dont ils déterminent l'emploi et la destination ou de les reporter à nouveau ; le surplus du bénéfice est réparti entre les associés comme indiqué à l'article 11.1" à savoir que 'chaque part sociale confère à son représentant un droit égal, d'après le nombre de parts existantes, dans les bénéfices de la société et dans l'actif social.'

En sa qualité de professionnel la Sa Mazars était tenue à un devoir de conseil qui l'obligeait à informer et à attirer l'attention de son client sur la nécessité d'exercer une option pour l'affectation à donner aux bénéfices, ce qui exigeait la tenue d'une assemblée générale, à l'éclairer sur les avantages et inconvénients respectifs de ces choix et à lui en signaler les implications fiscales, étant souligné que les compétences personnelles du client ne déchargent pas l'expert comptable de cette obligation.

En procédant à la comptabilisation de l'affectation du résultat bénéficiaire de la société par le crédit du compte 'Associés- Comptes courants' sans décision des associés, comme exigé par les statuts, la Sa Mazars a failli à sa mission, ce qui est en relation directe avec le redressement fiscal en cause.

La Sccv Y... peut se prévaloir de cette faute, sur le fondement de la responsabilité contractuelle de l'article 1147 du code civil, tout comme M. E..., tiers au contrat, peut l'invoquer sur le fondement délictuel de l'article 1382 devenu 1240 du code civil.

Cependant, cette société n'a subi aucun préjudice financier puisque l'impact fiscal de cette écriture n'a affecté que l'associé ; et le préjudice moral invoqué pour 'avoir pris une décision en ses lieu et place concernant l'affectation du bénéfice 2007" n'est pas suffisamment démontré, d'autant qu'aucune assemblée générale n'avait été tenue depuis la création de la société en 2005.

En revanche, l'inscription en 2008 du bénéfice 2007 sur le compte d'associé de M. E... a entraîné pour celui-ci la soumission de ces sommes à l'impôt, étant considérées comme des revenus distribués imposables dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers en vertu de l'article 109-1-1° du code général des impôts qui vise les revenus dont le contribuable a eu la disposition au cours de l'année d'imposition, quel que soit l'usage qu'il en fait, et même s'il ne les pas effectivement prélevés ; cette situation a généré d'une part, un rappel de droits fiscaux de 93.074 € assorti d'intérêts de retard pour un montant de 1.117 € et une majoration de l'article 1758 A du code général des impôts de 9.307 € soit au total une somme de 103.498 € et d'autre part, des prélèvements sociaux de 28.156 € assortis d'intérêts de retard pour un montant de 338 € soit au total une somme de 28.494 €, mais sans les majorations pour manquement délibéré prévu à l'article 1729 du code général des impôts que l'administration fiscale a finalement accepté de ne pas appliquer, soit une somme globale de 131.992 € qui a été portée à 159.604 € en intégrant la majoration de 10 % pour absence ou insuffisance de paiement dans les délais (1.0350 € + 2.849 €) et les frais (14.413 €) suivant justificatif versé aux débats.

Cette imposition à laquelle M. E... se trouve légalement tenu constitue un préjudice réparable dans son intégralité dès lors que, sans le manquement de l'expert comptable à son obligation de conseil, il est certain qu'il n'aurait pas été exposé au paiement de l'impôt rappelé.

En effet, dès le contrôle fiscal opéré, l'assemblée générale des associés s'est réunie le 11 août 2009 et a décidé à l'unanimité d'approuver les comptes de l'exercice clos le 31 décembre 2007 et d'affecter au poste 'report à nouveau' le bénéfice net comptable de l'exercice ressortant à 465.371,38 € et a pris une décision identique pour les comptes de l'exercice clos le 31 décembre 2008 et l'affectation du bénéfice net comptable de 187.699,81 € ; une liasse rectificative a été immédiatement établie par l'expert comptable et adressée le 7 septembre 2009 au service des impôts qui a refusé de reconsidérer la situation au motif qu'une rectification d'écriture postérieure à la clôture de l'exercice 2008 ne peut faire échec à la présomption de disponibilité l'année de l'inscription, ce qui a amené M. E... à exercer tous les recours à sa disposition, amiable puis devant le conciliateur puis judiciaire, sans succès.

Ces circonstances établissent clairement que si la Sa Mazars avait, préalablement à l'écriture en compte courant d'associé, avisé la Sccv Y... de l'option dont elle disposait puisqu'elle était soumise à l'impôt sur les sociétés, elle n'aurait pas exercé celle que l'expert comptable a inscrite et qui est à l'origine de l'imposition litigieuse.

L'indemnité de 159.604 € allouée porte intérêt au taux légal, conformément à l'article 1153-1 devenu 1231-7 du code civil, à compter du prononcé du présent arrêt.

Le jugement sera modifié en ce sens.

Sur les demandes annexes

La Sa Mazars qui succombe partiellement dans ses prétentions et qui est tenue à indemnisation supportera la charge des dépens de première instance et d'appel et doit être déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité commande d'allouer une indemnité globale de 3.000€ au titre de la première instance et de l'appel à chacun de la Sccv Y... et M. E... sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ces motifs

La Cour,

- Infirme le jugement sauf en ce qu'il a rejeté la demande indemnitaire de la société civile immobilière de construction vente Y....

Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant,

- Dit que la Sa Mazars a commis un manquement à son obligation de conseil vis à vis de la société civile immobilière de construction vente Y...

- Dit que cette faute n'a causé aucun préjudice à la société civile immobilière de construction vente Y....

- Dit que la Sa Mazars a engagé sa responsabilité délictuelle vis à vis de M. E....

- Condamne la Sa Mazars à payer à M. E... en réparation de ce préjudice les sommes de

* 159.604 € à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter de ce jour

* 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

- Condamne la Sa Mazars à payer à la société civile immobilière de construction vente la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

- Déboute la Sa Mazars de sa demande au titre de ses propres frais irrépétibles exposés.

- Condamne la Sa Mazars aux entiers dépens de première instance et d'appel avec recouvrement dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIERLE PRESIDENT

C. D... C. BELIERES


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Toulouse
Formation : 1ere chambre section 1
Numéro d'arrêt : 16/02128
Date de la décision : 25/06/2018

Références :

Cour d'appel de Toulouse 11, arrêt n°16/02128 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-06-25;16.02128 ?
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