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28/09/2011 | FRANCE | N°10/00389

France | France, Cour d'appel de Toulouse, 2ème chambre section 1, 28 septembre 2011, 10/00389


COUR D'APPEL DE TOULOUSE2ème Chambre Section 1ARRÊT DU VINGT HUIT SEPTEMBRE ARRÊT No 275
No RG: 10/00389
Décision déférée du 11 Janvier 2010 - Tribunal de Commerce de TOULOUSE - 2009JOO793

S.A. SOCIÉTÉ MANUREVAreprésentée par la SCP BOYER LESCAT MERLE
C/
S.A.S. SOCIÉTÉ BRICOMINGESreprésentée par la SCP RIVES PODESTA

APPELANTE
S.A. SOCIÉTÉ MANUREVALieudit : Le Paban31800 ESTANCARBON
représentée par la SCP BOYER LESCAT MERLE, avoués à la Courassistée de Me Caroline JAUFFRET, avocat au barreau de Toulouse

INTIMÉE
S.A.S. SOCIÉTÉ BR

ICOMINGESZ.A.C des Landes31800 ESTANCARBONreprésentée par la SCP RIVES PODESTA, avoués à la Cour assistée de la...

COUR D'APPEL DE TOULOUSE2ème Chambre Section 1ARRÊT DU VINGT HUIT SEPTEMBRE ARRÊT No 275
No RG: 10/00389
Décision déférée du 11 Janvier 2010 - Tribunal de Commerce de TOULOUSE - 2009JOO793

S.A. SOCIÉTÉ MANUREVAreprésentée par la SCP BOYER LESCAT MERLE
C/
S.A.S. SOCIÉTÉ BRICOMINGESreprésentée par la SCP RIVES PODESTA

APPELANTE
S.A. SOCIÉTÉ MANUREVALieudit : Le Paban31800 ESTANCARBON
représentée par la SCP BOYER LESCAT MERLE, avoués à la Courassistée de Me Caroline JAUFFRET, avocat au barreau de Toulouse

INTIMÉE
S.A.S. SOCIÉTÉ BRICOMINGESZ.A.C des Landes31800 ESTANCARBONreprésentée par la SCP RIVES PODESTA, avoués à la Cour assistée de la SCP SCP LESAGE SCP LESAGE, avocats au barreau de Nantes

COMPOSITION DE LA COUR
Après audition du rapport, l'affaire a été débattue le 22 juin 2011 en audience publique, devant la Cour composée de :
G. COUSTEAUX, présidentP. DELMOTTE, conseillerF. CROISILLE-CABROL, vice président placé qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : A. THOMAS

ARRÊT :
- contradictoire- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties- signé par G. COUSTEAUX, président, et par A. THOMAS, greffier de chambre.

FAITS et PROCÉDURE
Depuis 1991, la S.A. MANUREVA exploite un magasin de bricolage à l'enseigne BRICOMARCHE à ESTANCARBON.
Après avoir essuyé 4 refus depuis 1999, la SCI des LANDES obtient le 22 décembre 2003 une autorisation d'ouverture d'un magasin de bricolage à l'enseigne M. Bricolage sur le territoire de la même commune.
Le 25 juin 2008, le magasin est ouvert au public, l'exploitation en étant confiée à la S.A.S. BRICOMINGES alors que le 21 août 2007 la S.A. MANUREVA avait interjeté appel du rejet par le tribunal administratif de Toulouse, par jugement du 28 juin 2007, de ses requêtes en annulation de la décision de la commission départementale d'équipement commercial (CDEC) ainsi que du permis de construire accordé le 20 février 2006.
Le 19 février 2009, la cour administrative d'appel de Bordeaux annule le jugement du 28 juin 2007 et l'autorisation de la CDEC.
Le commissaire du gouvernement ayant à l'audience du 22 janvier 2009 conclut à l'annulation de la décision de la CDEC en raison d'une délimitation irrégulière de la zone de chalandise, la SCI des LANDES a déposé une demande qui a abouti le 9 avril 2009 à une nouvelle autorisation prise à l'unanimité.
Le 17 juin 2009, la S.A. MANUREVA a fait assigner la S.A.S. BRICOMINGES devant le tribunal de commerce aux fins de condamnation au paiement de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la concurrence déloyale entre le 25 juin 2008 et le 9 avril 2009.
Par jugement du 11 janvier 2010, le tribunal de commerce de TOULOUSE a débouté la S.A. MANUREVA de l'ensemble de ses demandes, la S.A.S. BRICOMINGES de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et a condamné la S.A. MANUREVA à payer à la S.A.S. BRICOMINGES la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La S.A. MANUREVA a interjeté appel le 25 janvier 2010.
La S.A. MANUREVA a déposé ses dernières écritures le 22 novembre 2010.
La S.A.S. BRICOMINGES a déposé ses dernières écritures le 18 mai 2011.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 24 mai 2011.

MOYENS et PRÉTENTIONS des PARTIES
Dans ses écritures, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'énoncé du détail de l'argumentation, la S.A. MANUREVA conclut à l'infirmation de la décision de première instance ainsi qu'à la condamnation de la S.A.S. BRICOMINGES à lui payer :- la somme de 251.333 euros,- la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Subsidiairement, elle sollicite sa condamnation au paiement de la somme de 50.000 euros à titre de provision et à l'organisation d'une expertise pour chiffrer son préjudice.
Elle demande également qu'à défaut de règlement spontané, la S.A.S. BRICOMINGES supporte les sommes retenues par l'huissier en application de l'article 10 du décret du 8 mars 2001.
L'appelante développe les moyens suivants :- si elle a involontairement laissé passer les délais de recours contre la seconde autorisation n'en ayant pas été informée, elle ne reconnaît pas pour autant le bien fondé de l'implantation du magasin exploité par la S.A.S. BRICOMINGES,- l'annulation prononcée par une juridiction administrative est rétroactive, et a une autorité absolue de chose jugée,- la S.A.S. BRICOMINGES est dépourvue rétroactivement d'autorisation d'exploitation depuis le démarrage le 25 juin 2008 jusqu'à l'obtention de la nouvelle autorisation,- le défaut de respect de la réglementation administrative dans l'exercice d'une activité commerciale constitue une faute génératrice d'un trouble commercial pour un concurrent,- l'action en concurrence déloyale n'exige pas la constatation d'un élément intentionnel,- la S.A. MANUREVA est installée à 750 mètres du magasin exploité par la S.A.S. BRICOMINGES, - son chiffre d'affaires a diminué de 19% entre la date d'ouverture du point de vente de la S.A.S. BRICOMINGES et la date de la nouvelle autorisation administrative,- son préjudice comprend la perte de la marge brute sur le chiffre d'affaires soit 223.000 euros et des frais de publicité soit 28.333 euros.
Dans ses écritures, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'énoncé du détail de l'argumentation, la S.A.S. BRICOMINGES sollicite la confirmation du jugement entrepris ainsi que la condamnation de la S.A. MANUREVA à lui payer la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et celle de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
L'intimée développe les moyens suivants :- si la S.A. MANUREVA n'a pas contesté la seconde autorisation, c'est tout simplement parce qu'elle reconnaît la légitimité juridique du magasin exploité par la S.A.S. BRICOMINGES, - aucune faute, aucun comportement déloyal ne peut lui être imputé, l'ouverture du magasin étant intervenue sur le fondement de l'autorisation d'équipement commercial accordée par la CDEC le 22 décembre 2003, qui bénéficiait d'une présomption de légalité,- si la surface de vente n'était pas ouverte dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le permis de construire est devenu définitif, l'autorisation d'équipement commercial était périmée,- en ouvrant au public le magasin en application d'une autorisation d'équipement commercial exécutoire nonobstant le fait qu'elle avait fait l'objet d'un recours devant le juge administratif, la S.A.S. BRICOMINGES ne s'est livrée à aucun acte de concurrence déloyale,- l'arrêt de la cour administrative de Bordeaux rendu le 19 février 2009 n'est devenu opposable à la SCI des LANDES et donc à la S.A.S. BRICOMINGES que le 4 mars 2009, date de sa notification,- l'exploitation sans autorisation n'a duré que de cette date au 9 avril 2009, date de la nouvelle autorisation, - aucune faute ne peut lui être imputée du chef de cette exploitation très ponctuelle. Une interruption aurait eu des conséquences sur les salariés et les fournisseurs ainsi que les clients,- la S.A. MANUREVA ne démontre pas le préjudice qu'elle allègue, son chiffre d'affaires ayant connu une baisse avant même l'ouverture du magasin exploité par la S.A.S. BRICOMINGES.

MOTIFS de la DÉCISION
L'action en concurrence déloyale trouve son fondement dans les dispositions des articles 1382 et 1383 du code civil.
Le fait générateur de la responsabilité en matière de concurrence déloyale doit non seulement résider dans un acte de concurrence mais encore dans son caractère fautif. Toutefois, la caractérisation de la faute de concurrence déloyale n'exige pas la constatation d'un élément intentionnel.
Par ailleurs, le défaut de respect de la réglementation administrative dans l'exercice d'une activité commerciale constitue une faute génératrice d'un trouble commercial pour un concurrent.
Il appartient à la partie qui dénonce la concurrence déloyale d'établir préalablement un fait fautif en matière de concurrence.
En l'espèce, la simple circonstance que, le 25 juin 2008, la S.A.S. BRICOMINGES ait commencé à exploiter un commerce après autorisation de la CDEC du 22 décembre 2003, à proximité du magasin ouvert par la S.A. MANUREVA ne présente pas un caractère fautif et constitue au contraire un acte justifié par le principe de libre concurrence et de liberté du commerce. Le simple fait que l'autorisation de la CDEC ait été annulée par la cour administrative de Bordeaux le 19 février 2009 ne dénature par les agissements de la S.A.S. BRICOMINGES en fait fautif dès lors qu'elle avait respecté l'acte administratif d'origine, même si ce dernier a été annihilé rétroactivement du fait de l'annulation par la cour administrative d'appel et sans que, par ailleurs, soit établi à son encontre le recours à des procédés déloyaux ou non conformes aux usages du commerce. La fiction juridique selon laquelle un acte administratif annulé est réputé n'avoir jamais existé à l'égard de tous et ne produit aucun effet ne peut avoir pour conséquence de faire naître, postérieurement aux actes examinés, une faute, même non intentionnelle, engageant la responsabilité de son auteur.
Certes la juridiction administrative a relevé dans sa décision du 19 février 2009 que les données relatives à la zone de chalandise mentionnées dans la demande d'autorisation étaient incomplètes et inexactes. Mais, d'une part la CDEC a bénéficié d'une instruction de la demande par la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. D'autre part et surtout, la notion de zone de chalandise retenue par la juridiction administrative du second degré a été précisément déterminée par une circulaire du 7 mars 2005 sur l'application des dispositions du code de commerce relatives à l'équipement commercial,, circulaire faisant état d'une évolution jurisprudentielle s'étant développée à partir de juin 2002 dans un premier arrêt du Conseil d'Etat, jurisprudence confirmée en décembre 2003, puis février 2004 et consacrée en novembre 2004, alors que la demande d'autorisation présentée par la S.A.S. BRICOMINGES avait été enregistrée le 5 septembre 2003.
Le caractère fautif de l'acte visé par l'action n'est donc pas démontré entre le 25 juin 2008 et le 4 mars 2009, date de signification de l'arrêt de la cour administrative.
En revanche, en maintenant son magasin ouvert au public après le 4 mars 2009, et ce, jusqu'au 9 avril 2009, date de la nouvelle autorisation non contestée, la S.A.S. BRICOMINGES a commis un fait fautif par l'exploitation de son magasin sans autorisation, ce qui portait nécessairement atteinte à la concurrence.
La brièveté de la période entre la signification de la décision et la nouvelle autorisation ne fait pas disparaître le caractère fautif du maintien de l'ouverture. Les difficultés tenant au personnel ne justifient pas plus l'absence de concurrence déloyale retenue par les premiers juges alors que la S.A.S. BRICOMINGES avait nécessairement eu connaissance du contenu de la décision dès sa lecture le 19 février 2009, ce qui lui laissait le temps d'organiser un chômage technique. De même, la réduction temporaire de l'offre n'aurait pas porté altéré gravement le dynamisme du commerce local, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal de commerce.
Les faits de concurrence déloyale sont donc établis mais uniquement sur la période du 4 mars au 9 avril 2009. Le jugement sera infirmé sur ce point.
Sur le préjudice, selon l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
La S.A. MANUREVA n'a pas distingué dans le chiffrage de son préjudice les deux périodes de juin 2008 à mars 2009 et mars 2009 à avril 2009.
Les éléments globaux fournis, non sérieusement contestés par la S.A.S. BRICOMINGES, permettent cependant de chiffrer le préjudice de l'appelante à la somme de 27.875 euros, sans qu'il soit nécessaire d'organiser une mesure d'instruction, en prenant pour base la perte de marge calculée sur la période du 25 juin 2008 au 9 avril 2009, soit 288 jours et en la rapportant à la période du 4 mars 2009 au 9 avril 2009, soit 36 jours.
En revanche, compte tenu de la brièveté de la période retenue par la cour, les frais de publicité ne seront pas pris en compte.
Dès lors, la S.A.S. BRICOMINGES sera condamnée à payer à la S.A. MANUREVA la somme de 27.875 euros en réparation de son préjudice.
Par ailleurs, la S.A. MANUREVA sollicite que la S.A.S. BRICOMINGES soit condamnée à lui rembourser les honoraires proportionnels résultant du décret du 12 décembre 1996 modifié. L'article 10 modifié prévoit qu'en cas d'exécution forcée, un droit proportionnel soit à la charge du créancier. L'article 8 du même texte réglementaire prévoit quant à lui un droit proportionnel à la charge du débiteur. Dès lors, le juge ne peut pas condamner le débiteur au règlement des honoraires mis expressément à la charge du créancier. En conséquence S.A. MANUREVA sera déboutée de ce chef.
De même, la S.A.S. BRICOMINGES qui succombe sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts du chef de procédure abusive.
Enfin, la S.A.S. BRICOMINGES qui succombe sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement du tribunal de commerce de Toulouse,
Et statuant à nouveau,
Juge que la S.A.S. BRICOMINGES a commis des faits de concurrence déloyale pour la période comprise entre le 4 mars 2009 et le 9 avril 2009,
Condamne la S.A.S. BRICOMINGES à payer à la S.A. MANUREVA la somme de 27 875,00 € (VINGT-SEPT MILLE HUIT CENT SOIXANTE-QUINZE EUROS) à titre de dommages et intérêts,
Déboute la S.A. MANUREVA de sa demande relative à l'article 10 du décret du 12 décembre 1996 modifié,
Déboute la S.A.S. BRICOMINGES de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute la S.A.S. BRICOMINGES de sa demande de ce chef,
Condamne la S.A.S. BRICOMINGES à payer à la S.A. MANUREVA la somme de 1.500 euros de ce chef,
Condamne la S.A.S. BRICOMINGES aux dépens de première instance et d'appel,
Autorise les avoués de la cause à recouvrer directement les dépens d'appel dont ils auraient fait l'avance sans avoir reçu de provision conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le greffier, Le président, .


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Toulouse
Formation : 2ème chambre section 1
Numéro d'arrêt : 10/00389
Date de la décision : 28/09/2011
Sens de l'arrêt : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Analyses

La fiction juridique selon laquelle un acte administratif annulé est réputé n'avoir jamais existé ne peut avoir pour conséquence de faire naître, postérieurement aux faits respectueux dudit acte, une faute engageant la responsabilité de son auteur. Ainsi, l'exploitation d'un magasin ne devient fautive et ne peut donc constituer un fait générateur de responsabilité en matière de concurrence déloyale qu'à compter de la date de signification de l'arrêt de la cour administrative annulant son autorisation.


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.toulouse;arret;2011-09-28;10.00389 ?
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