DU 3 avril 2000 ARRET N° Répertoire N° 1999/03392 Première Chambre Première Section HM/EKM 30/06/1999 TGI TOULOUSE (M. X...) ASSOCIATION A. S.C.P RIVES PODESTA C/ ASSOCIATION B. S.C.P NIDECKER PRIEU INFIRMATION GROSSE DELIVREE LE A COUR D'APPEL DE TOULOUSE REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS Arrêt de la Première Chambre, Première Section Prononcé: A l'audience publique du trois avril deux mille, par H. MAS, président, assisté de E. KAIM-MARTIN, greffier. Composition de la cour lors des débats et du délibéré: Président :
H. MAS Conseillers :
R. METTAS
M. ZAVARO Y... lors des débats: E. KAIM-MARTIN Débats: A l'audience publique du 6 Mars 2000. La date à laquelle l'arrêt serait rendu a été communiquée. Avant l'ouverture des débats, les parties ont été informées des noms des magistrats composant la cour. Nature de l'arrêt : contradictoire APPELANTE ASSOCIATION A. Ayant pour avoué la S.C.P RIVES PODESTA Ayant pour avocat Maître PRIM du barreau d' Auch INTIMEE ASSOCIATION B. Ayant pour avoué la S.C.P NIDECKER PRIEU Ayant pour avocat Maître PEDAILLE du barreau de Toulouse
FAITS ET PROCEDURE :
L'association A a organisé à Rieumes, les 2, 3 et 4 juillet 1999, une feria. Il était prévu, pour le 4 juillet 1999, à 17 heures, un grand spectable taurin becerrada, dans des arènes installées pour l'occasion.
Au motif que la becerrada supposait l'utilisation de banderilles pouvant engendrer un mauvais traitement à l'animal, la SOCIETE B sollicitait en référé son interdiction sous astreinte.
Par ordonnance de référé en date du 30 juin 1999, le président du tribunal de grande instance de Toulouse a : - constaté que la société
A a précisé que la becerrada organisée le 4 juillet 1999 ne sera pas avec mise à mort puisque "l'autorité préfectorale a, dans sa lettre du 19 mars 1999, pris note que les festivités ne comporteront aucun versement de sang et d'autre part qu' à la question du juge formulée à l'audience, la défenderesse a précisé que les banderilles n'auraient pas de harpon", - interdit l'utilisation de banderilles agressives pouvant se planter dans le dos des taureaux, lors de la manifestation du 4 juillet 1999, sous astreinte de 100.000 francs au motif que "la pose de banderilles -qui est un dard au bout métallique en forme de harpon devant être planté dans le dos du taureau- constitue àl'évidence un mauvais traitement à animal prévu à l'alinéa 1er de l'article R 654-1 du nouveau code pénal" sans qu'aucune tradition locale ininterrompue de courses de taureaux puisse être invoquée du fait que "la tradition tauromachique de la région toulousaine (a été) interrompue, en 1976, les arènes locales devant être détruites en 1990", - condamné l'association A à payer à l'association B la somme de 6.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et à payer les dépens, - rappelé l'exécution provisoire de plein droit de la décision.
L'association A a régulièrement relevé appel.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES :
L'association A, par conclusions en date du 26 janvier 2000, conclut à l'incompétence du juge des référés et subsidiairement à la réformation de l'ordonnance.
Elle demande à la cour de : - déclarer son appel recevable, en vertu des articles 893 et 894 du code de procédure civile et bien fondé, - dire que l'appréciation de la "tradition locale taurine ininterrompue" est de la compétence du juge du fond et que donc le juge des référés est incompétent pour réglementer ce genre de spectacle, - condamner la société B à 6.000 francs, au titre de
l'article 700 du nouveau code de procédure civile et payer les entiers dépens.
Subsidiairement, elle demande à la cour de : - dire que le juge des référés ne pouvait réglementer de quelque manière que ce soit le spectacle, du fait qu'il résultait d'une tradition locale ininterrompue, - réformer la décision en ce que le juge des référés s'est réservé le pouvoir de liquider cette astreinte et en ce qu'il a condamné l'association A à payer 6.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et à payer les dépens.
Elle soutient, à l'appui de ses prétentions, que l'interprétation de l'interruption d'une tradition locale relève du pouvoir souverain du juge du fond et en déduit que le juge des référés en relevant, dans sa motivation, l'interruption de la tradition, a statué au fond, violant par là même "les articles 893 et 894 du code de procédure civile".
En droit, elle invoque l'article R 654-1 alinéa 3 du nouveau code pénal autorisant "les courses de taureaux lorsqu'une tradition locale ininterrompue peut être invoquée".
Elle plaide, en ce sens, pour une application géographique large de la tradition taurine et invoque divers arrêts notamment une ordonnance du juge des référés d'Auch qui aurait rejeté une demande identique d'interdiction.
Elle rappelle, ensuite, le long passé historique toulousain, relatif aux combats de toros.
Elle considère, enfin, que l'interruption de la tradition ne peut résulter d'un fait matériel fortuit comme, par exemple, la destruction d'arènes, abritant habituellement les spectacles, mais seulement d'un changement de moeurs locales qui, selon elle, n'est pas caractérisé dans la région midi-pyrénéenne du fait de l'existence de spectacles tauromachiques (Gimont et Vic Fezansac) et aussi du
fait de l'existence de nombreuses associations.
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La SOCIETE B conclut à la confirmation de l'ordonnance.
Par conclusions en date du 9 février 2000, elle sollicite, en outre, la condamnation de l'appelant au paiement de 20.000 francs, à titre de dommages et intérêts, de 10.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et au paiement des entiers dépens.
Elle rappelle que le juge des référés, en vertu de l'article 809 du nouveau code de procédure civile, peut prescrire des mesures qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite et ce m me en présence d'une contestation sérieuse.
Elle estime, qu'en l'espèce, le dommage imminent se manifestait par l'utilisation sur des jeunes taureaux de harpons provoquant des blessures incontestables.
Elle soutient que la contestation relative à l'existence d'une tradiction tauromachique n'est pas sérieuse, du fait que l'appelant n'aurait pas rapporté la preuve de manifestations tauromachiques, depuis l'année 1976.
MOTIFS DE LA DECISION :
Attendu que le juge des référés peut même en présence de contestations sérieuses prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite ;
Attendu qu'il doit donc pour exercer ses pouvoirs, apprécier le caractère manifestement illicite du trouble allégué ou l'existence du dommage imminent ;
Attendu qu'en matière de corridas le caractère manifestement illicite du trouble allégué ne peut résulter que de l'impossibilité évidente pour les organisateurs de se prévaloir de la tradition suffisante de nature à justifier l'organisation de spectacles taurins prévue par les articles 511-1 et R 654-1 alinéa 3 du nouveau code pénal ;
Attendu alors qu'il n'est pas démontré que des spectacles taurins avec utilisation de banderilles, dont l'association intimée prétend qu'elle constitue un acte de cruauté répréhensible, ont été régulièrement organisés sur le territoire de la commune de Rieumes, ces dernières années ou même dans des périodes plus reculées ;
Attendu que l'association appelante prétend cependant au maintien dans la proche région d'une tradition taurine ;
Attendu qu'il ne saurait être contesté que dans le midi de la France entre le pays d'Arles et le pays basque, entre garrigue et méditerranée, entre Pyrénées et Garonne, en Provence, Languedoc, Catalogne, Gascogne, Landes et Pays Basque existe une forte tradition taurine qui se manifeste par l'organisation de spectacles complets de corridas de manière régulière dans les grandes places bénéficiant de structures adaptées permanentes et de manière plus épisodique dans les petites places à l'occasion notamment de fêtes locales ou votives ;
Attendu que la seule absence ou la disparition d'arènes en dur qui peut résulter de circonstances diverses ne peut donc être considérée comme la preuve évidente de la disparition d'une tradition qui se manifeste aussi par la vie de clubs taurins locaux, l'organisation de manifestations artistiques et culturelles autour de la corrida et le déplacement organisé ou non des "aficionados" locaux vers les places actives voisines ou plus éloignées ;
Attendu que le maintien de la tradition doit s'apprécier dans le cadre d'un ensemble démographique ;
Attendu que Rieumes est située à quelques kilomètres de Toulouse et à proximité de Gimont dans le Gers où sont organisés régulièrement des spectacles taurins, que l'agglomération toulousaine a connu l'organisation de spectacles taurins complets jusqu'en 1976, que les arènes ont été détruites en 1990, que d'autres spectales toutefois sans pique ni mise à mort en public mais avec banderilles ont été récemment organisés à Grenade sur Garonne ou encore dans le Tarn à Gaillac en 1985, qu'il existe dans la proche région toulousaine de nombreuses associations ayant un lien avec la tauromachie ;
Attendu qu'il appartient au seul juge du fond d'apprécier si les éléments susvisés sont réellement susceptibles de permettre d'invoquer une tradition locale suffisamment constante pour justifier l'organisation de spectale taurin à Rieumes mais qu'il n'apparaît pas en l'état qu'une telle organisation de spectale sans pique ni mise à mort en public puisse être considérée comme constitutive du trouble manifestement illicite qui seul pouvait justifier la saisine du juge des référés aucun dommage imminent ne pouvant être invoqué dès lors que les règles tauromachiques sont respectées ;
Attendu que compte tenu de la contestation sérieuse existante, il n'apparaît pas équitable de faire application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; que chaque partie conservera la charge de ses dépens de première instance et d'appel ;
PAR CES MOTIFS :
LA COUR :
Déclare l'appel recevable ;
Infirme la décision déférée ;
Dit n'y avoir lieu à référé en l'absence de preuve d'un trouble manifestement illicite ou d'un risque de dommage imminent ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens de première instance et d'appel. Le présent arrêt a été signé par le président et le greffier. LE Y... :
LE PRESIDENT :