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05/11/2019 | FRANCE | N°17/05626

France | France, Cour d'appel de Grenoble, 1ere chambre, 05 novembre 2019, 17/05626


N° RG 17/05626 - N° Portalis DBVM-V-B7B-JKGQ

HC

N° Minute :

















































































Copie exécutoire délivrée



le :

à :



Me Martine MANGIN



la SCP CLEMENT-CUZIN LEYRAUD DESCHEEMAKER







AU NOM DU PEUP

LE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE GRENOBLE



1ERE CHAMBRE CIVILE



ARRÊT DU MARDI 05 NOVEMBRE 2019







Appel d'un jugement (N° R.G. 14/02183)

rendu par le Tribunal de Grande Instance de GRENOBLE

en date du 13 novembre 2017

suivant déclaration d'appel du 08 Décembre 2017



APPELANT :



Monsieur [T], [M] [F]

né le [Date naissance 3] 1952 à [Localité 7]

de nationalité ...

N° RG 17/05626 - N° Portalis DBVM-V-B7B-JKGQ

HC

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Martine MANGIN

la SCP CLEMENT-CUZIN LEYRAUD DESCHEEMAKER

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

1ERE CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU MARDI 05 NOVEMBRE 2019

Appel d'un jugement (N° R.G. 14/02183)

rendu par le Tribunal de Grande Instance de GRENOBLE

en date du 13 novembre 2017

suivant déclaration d'appel du 08 Décembre 2017

APPELANT :

Monsieur [T], [M] [F]

né le [Date naissance 3] 1952 à [Localité 7]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Martine MANGIN, avocat au barreau de GRENOBLE

INTIMÉE :

LA CAISSE D'EPARGNE ET DE PRÉVOYANCE RHÔNE ALPES prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège [Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentée par Me Charlotte DESCHEEMAKER de la SCP CLEMENT-CUZIN LEYRAUD DESCHEEMAKER, avocat au barreau de GRENOBLE

COMPOSITION DE LA COUR : LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ   :

Madame Hélène COMBES, Président de chambre,

Madame Dominique JACOB, Conseiller,

Madame Joëlle BLATRY, Conseiller,

Assistées lors des débats de Madame Anne BUREL, Greffier

DEBATS :

A l'audience publique du 30 Septembre 2019, Madame COMBES a été entendue en son rapport.

Et l'affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l'arrêt a été rendu.

EXPOSE DU LITIGE

Le 10 avril 2004, [T] [F] alors âgé de 52 ans, a souscrit auprès de la Caisse d'Epargne un plan d'épargne retraite populaire (Perp), en vertu duquel il a effectué des versements trimestriels de 800 euros.

Le 3 janvier 2013, il a sollicité la liquidation de ses droits et la conversion du plan en rente avec option de réversion à 100 % à son héritière.

Le 17 mai 2013, la Caisse d'Epargne lui a adressé un avenant de conversion en rente viagère simple sur la base d'une rente trimestrielle de 275,15 euros.

Invoquant le manquement de la banque à son obligation d'information et de conseil, [T] [F] a par acte du 1er avril 2014, assigné la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Rhône-Alpes devant le tribunal de grande instance de Grenoble en résolution du plan et paiement de diverses sommes.

Par jugement du 13 novembre 2017, le tribunal a déclaré l'action de [T] [F] irrecevable comme prescrite.

[T] [F] a relevé appel le 8 décembre 2017.

Dans ses dernières conclusions du 18 août 2019, il demande à la cour d'infirmer le jugement déféré, de dire sa demande recevable et de :

- à titre principal, prononcer la résolution du plan d'épargne de retraite populaire et subsidiairement dire que la Caisse d'Epargne est responsable de son préjudice financier,

- condamner la Caisse d'Epargne à lui payer la somme de 800 euros au titre de la cotisation du 16 janvier 2013 indûment prélevée et celle de 34.600 euros à titre de dommages intérêts.

Il réclame 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Il expose que lors de la souscription du contrat, il entendait s'assurer un complément de revenu lors de son départ à la retraite et a ainsi opté pour une cotisations de 800 euros tous les trois mois ;

qu'il est apparu au moment de son départ à la retraite, que la rente qui lui serait servie avait un montant dérisoire par rapport aux versements effectués depuis la conclusion du contrat.

Il observe que le tribunal n'a pas statué sur l'ensemble de ses demandes puisqu'il s'est prononcé sur la seule demande de résolution du contrat et développe l'argumentation suivante au soutien de son appel :

Sur la recevabilité

- La date du 18 juin 2008 retenue par le tribunal ne correspond à aucun événement intervenu dans l'affaire et les premiers juges n'ont pas indiqué la date du fait générateur qui justifiait le recours à la justice.

- C'est à tort que la Caisse d'Epargne invoque la jurisprudence en matière boursière.

- Il s'attendait légitimement à ce qu'au travers de la perception des rentes, il récupère le capital constitué,

- C'est au moment où on lui a notifié sa rente qu'il a compris que le capital constitué ne lui serait jamais payé durant sa durée de vie prévisible.

- jusqu'en 2013, aucun relevé ne lui permettait de connaître le montant de la rente qu'il allait percevoir, et la Caisse d'Epargne ne l'a pas informé du montant estimé de la rente,

- il n'a pas été informé du fait qu'il ne pourrait percevoir le capital épargné,

- le point de départ du délai de prescription se situe au jour où il a connu les faits lui permettant d'exercer son droit, soit au jour où il a eu connaissance du montant de la rente le 31 décembre 2012. L'action a été introduite dans le délai de 5 ans.

Sur le bien fondé de la demande, il fait valoir que la Caisse d'Epargne a manqué à ses obligations tant lors de la phase précontractuelle que durant l'exécution du contrat :

- en ne s'informant pas sur sa situation financière pour lui proposer un produit adapté.

Il fait valoir sur ce point qu'elle ne l'a pas informé sur la nature du produit proposé et lui a fait opter pour des cotisations dont le montant était excessif alors qu'il n'était pas imposable.

Il observe que pour obtenir le remboursement du capital versé, il doit vivre jusqu'à 94 ans.

- en ne lui communiquant à aucun moment une estimation du montant de la rente viagère.

Il invoque une perte de chance de percevoir le capital épargné.

Il soutient encore que la Caisse d'Epargne n'a pas tenu compte de sa demande de conversion du Perp en rente avec option de réversion à 100 % à son héritière et a considéré à tort qu'elle était saisie d'une demande de conversion en rente simple, ce choix fait à son insu étant irrévocable.

Dans ses dernières conclusions du 2 août 2019, la Caisse d'Epargne conclut à la confirmation du jugement sur la prescription et subsidiairement au rejet des demandes de [T] [F].

Elle réclame 3.000 euros fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur la recevabilité de l'action, elle réplique que le point de départ de la prescription est la date de signature du Perp et que le délai de prescription de 30 ans ayant été ramené à 5 ans le 18 juin 2008, l'assignation du 1er avril 2014 a été délivrée alors que la prescription était acquise.

Elle fait valoir que tous les reproches formulés par [T] [F] correspondent à des éléments connus des parties au moment de la phase précontractuelle et au moment de la signature du contrat ;

qu'en effet [T] [F] ne peut pas avoir compris à la lecture des documents qui lui ont été remis qu'il avait la garantie de récupérer son capital au moment de sa retraite.

Elle ajoute qu'il avait souscrit deux placements complémentaires, que les conditions générales du Perp étaient explicites et que l'estimation de la rente est strictement conforme aux dispositions contractuelles ; que la banque n'avait pas à lui énoncer tout ce à quoi il n'avait pas droit.

Sur le fond, elle soutient qu'elle a respecté toutes ses obligations précisant :

- que le Perp n'est pas réservé à une catégorie de personnes,

- que toutes les informations précontractuelles ont été données,

- que [T] [F] a reconnu avoir eu la notice d'information lorsqu'il a signé la demande d'adhésion,

- qu'aucun document n'a indiqué qu'il percevrait le même montant que celui qui avait été versé,

- qu'il invoque des dispositions qui n'étaient pas applicables lors de la souscription du contrat,

- que le Perp est un produit réglementé.

- que [T] [F] qui a commencé à cotiser à 52 ans ne peut prétendre recevoir une rente importante.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 septembre 2019.

DISCUSSION

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux dernières conclusions déposées.

1 - Sur la recevabilité de l'action

Pour déclarer la demande de [T] [F] irrecevable comme prescrite, le tribunal a sommairement indiqué qu'il disposait pour agir d'un délai de 5 ans à compter du 18 juin 2008, de sorte que la prescription était acquise au 18 juin 2013.

Il n'a toutefois pas précisé à quel événement se rattache la date du 18 juin 2008 et n'a pas recherché, comme il devait le faire, le point de départ du délai de prescription.

Il est de jurisprudence constante que la prescription de l'action en responsabilité ne court qu'à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il s'est révélé à la victime si celle-ci n'en avait pas eu précédemment connaissance.

Au soutien de son action, [T] [F] fait valoir que ce n'est qu'au moment de la notification de la rente en 2013 qu'il a découvert le caractère dérisoire de son montant par rapport au montant des versements effectués.

Il ne ressort d'aucune des pièces produites aux débats de part et d'autre, qu'au moment de la souscription du Perp [T] [F] a été informé du montant de la rente qui lui serait servie au moment de son départ à la retraite.

Même si la Caisse d'Epargne soutient qu'elle n'avait pas à dire à [T] [F] tout ce à quoi il n'avait pas droit, elle devait lui indiquer avec un minimum de précision, ce à quoi il avait droit.

Et les simulations figurant sur la notice d'information remise à l'adhérent, ne sont pas de nature à le renseigner dès lors qu'elles concernent des personnes qui ne sont pas dans la même situation que lui, tant sur le plan de l'âge que sur celui des revenus.

C'est à juste titre que [T] [F], tenu dans l'ignorance du montant de la rente pendant tout la période de cotisation, soutient que le délai de prescription a commencé à courir lorsque le montant de la rente lui a été communiqué avec l'avenant de conversion.

La pièce 14 qu'il verse aux débats révèle que cette information lui a été donnée par courrier du 17 mai 2013. A cette date, le délai de prescription de l'action en responsabilité était de cinq ans.

C'est à tort que le tribunal a jugé prescrite l'action intentée le 1er avril 2014.

2 - Sur le fond

[T] [F] sollicite à titre principal la résolution du Perp et subsidiairement l'allocation de dommages intérêts en réparation de son préjudice financier.

Au soutien de sa demande, il reproche à la Caisse d'Epargne de l'avoir insuffisamment informé et de lui avoir fait souscrire un produit inadapté à sa situation.

Il fait essentiellement valoir que compte tenu de son montant dérisoire, la rente servie ne lui permet pas d'obtenir le remboursement du capital épargné au regard de sa durée de vie prévisible.

Mais la Caisse d'Epargne ne s'est nullement engagée à rembourser à [T] [F] le montant du capital versé à l'issue de la période d'épargne, et l'affirmation que fait l'appelant tout au long de ses écritures selon laquelle la Caisse d'Epargne lui a fait croire qu'il récupérerait le capital épargné, procède d'un défaut de compréhension qui est imputable à lui seul, de la finalité d'un plan d'épargne retraite.

En revanche, sans information préalable sur le montant de la rente qui lui serait servie in fine, [T] [F] n'a pas pu mesurer le décalage entre le montant des sommes versées pendant la période de cotisation (800 euros par trimestre) et le montant de la rente mensuelle servie lors de la liquidation de sa retraite (275 euros par trimestre).

En ne donnant pas à [T] [F] les éléments qu'elle connaissait nécessairement sur le montant de la rente, la Caisse d'Epargne a incontestablement manqué à son obligation d'information et il est indifférent à la solution du litige que la communication du montant estimé de la rente ait été rendue obligatoire par la loi du 9 novembre 2010.

Ce manquement a causé à [T] [F] un préjudice caractérisé par la perte de chance de ne pas contracter.

Il sera réparé par l'allocation de dommages intérêts sur la base d'une perte de chance moyenne, [T] [F] étant débouté de sa demande de résolution du contrat.

[T] [F] reproche également à la Caisse d'Epargne de ne pas avoir tenu compte de sa demande de conversion du Perp en rente avec option de réversion.

Les conditions générales du Perp prévoient dans le titre consacré à la vie du contrat, que celui-ci est constitué de deux périodes successives : une période d'épargne pendant laquelle l'adhérent verse des cotisations et une période de rente.

Au cours de cette seconde période, l'adhérent perçoit soit une rente viagère simple, soit une rente viagère réversible.

Il est précisé que le choix du bénéficiaire de la réversion se fait lors de la signature de la demande de conversion en rente et ne peut être modifié au cours du service de la rente.

Ainsi, au décès de l'adhérent, si le bénéficiaire de la réversion désigné est en vie, il perçoit selon le choix de l'adhérent 60 % ou 100 % de la rente jusqu'à son décès.

Lorsqu'il a établi sa demande de conversion le 3 janvier 2013, [T] [F] a clairement mentionné qu'il optait pour une réversion de 100 % en faveur de son héritière, sa fille née le [Date naissance 5] 1989 (pièce 13).

Nonobstant cette demande claire, en tous points conforme aux dispositions générales du contrat, la Caisse d'Epargne a informé [T] [F] le 17 mai 2013 que le complément de revenu lui serait versé sous forme de rente viagère simple (pièce 14).

En dépit de la protestation de [T] [F] (pièce 15), la Caisse d'Epargne qui confirme en page 20 de ses conclusions le principe de la clause bénéficiaire, n'a pas apporté de correctif au type de rente servie à l'appelant, manquant également à son obligation d'exécuter le contrat de bonne foi.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les divers manquements de la Caisse d'Epargne ont causé à [T] [F] un préjudice qui sera réparé par la somme de 15.000 euros à titre de dommages intérêts.

[T] [F] réclame le paiement de la somme de 800 euros correspondant à la cotisation du mois de janvier 2013.

Il soutient que le prélèvement a été fait à tort dès lors que la conversion en rente prend effet le 5ème jour suivant la signature de la demande de conversion.

Selon les conditions générales du contrat, la demande de conversion doit être postérieure à la date de liquidation de la pension dans un régime obligatoire d'assurance vieillesse.

La Caisse d'Epargne n'allègue pas et a fortiori ne justifie pas que la demande de conversion de [T] [F] était prématurée au regard de sa situation au titre de l'assurance vieillesse.

La conversion en rente a donc pris effet le 9 janvier 2013, de sorte que c'est à tort que la Caisse d'Epargne a le 16 janvier 2013 (voir pièce 35) prélevé la somme de 800 euros.

La demande de [T] [F] de ce chef est bien fondée et il y sera fait droit.

Il sera alloué à [T] [F] la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, contradictoirement

- Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions.

- Statuant à nouveau, déclare l'action de [T] [F] recevable.

- Déboute [T] [F] de sa demande de résolution du plan d'épargne retraite populaire souscrit le 10 avril 2004.

- Condamne la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Rhône-Alpes à payer à [T] [F] la somme de 15.000 euros à titre de dommages intérêts, celle de 800 euros en remboursement d'un prélèvement indû et celle de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamne la Caisse d'Epargne aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

Signé par Madame COMBES, Président, et par Madame BUREL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : 1ere chambre
Numéro d'arrêt : 17/05626
Date de la décision : 05/11/2019

Références :

Cour d'appel de Grenoble 01, arrêt n°17/05626 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-11-05;17.05626 ?
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