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23/05/2019 | FRANCE | N°15/00130

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Chambre commerciale, 23 mai 2019, 15/00130


N° RG 15/00130 - N° Portalis DBVM-V-B67-HZMW





MFCT



Minute N°





































































Copie exécutoire

délivrée le :







la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE



la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE

GRENOBLE



CHAMBRE COMMERCIALE



ARRÊT DU JEUDI 23 MAI 2019







Appel d'un jugement (N° RG 2014J21)

rendu par le Tribunal de Commerce de GRENOBLE

en date du 05 janvier 2015 suivant déclaration d'appel du 13 Janvier 2015





APPELANTE :



ENEDIS

(anciennement dénommée ERDF - ELECTRICITE RESEAU DISTRIBUTION FRANCE), société anonyme à directoire et ...

N° RG 15/00130 - N° Portalis DBVM-V-B67-HZMW

MFCT

Minute N°

Copie exécutoire

délivrée le :

la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE

la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE COMMERCIALE

ARRÊT DU JEUDI 23 MAI 2019

Appel d'un jugement (N° RG 2014J21)

rendu par le Tribunal de Commerce de GRENOBLE

en date du 05 janvier 2015 suivant déclaration d'appel du 13 Janvier 2015

APPELANTE :

ENEDIS

(anciennement dénommée ERDF - ELECTRICITE RESEAU DISTRIBUTION FRANCE), société anonyme à directoire et conseil de surveillance au capital de 270.037.000 €, immatriculée au RCS [Localité 1] sous le n° B 444 608 442, prise en la personne de son représentant légal dûment habilité

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Alexis GRIMAUD de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE, avocat au barreau de GRENOBLE postulant, et par Me Cyril DELCOMBEL de la SELAS ADAMAS, avocat au barreau de LYON, plaidant

INTIMEE :

SARL MARK ELEC

société à responsabilité limitée au capital de 5 000 euros, immatriculée au RCS[Localité 2] sous le n°510 975 949, prise en la personne de son représentant légal,

[Adresse 2]

[Adresse 3]

Représentée par Me Josette DAUPHIN de la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC, avocat au barreau de GRENOBLE postulant, et par Me Anne LUCCHINI, avocat au barreau de LYON, plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Madame Marie-Françoise CLOZEL-TRUCHE, Président de chambre,

Madame Fabienne PAGES, Conseiller,

Madame Marie Pascale BLANCHARD, Conseiller,

Assistées lors des débats de Monsieur Frédéric STICKER, Greffier.

DÉBATS :

A l'audience publique du 21 Mars 2019

Madame CLOZEL-TRUCHE, Président, a été entendue en son rapport,

Les avocats ont été entendus en leurs conclusions et plaidoiries,

Puis l'affaire a été mise en délibéré pour que l'arrêt soit rendu ce jour,

------0------

LES FAITS

Afin de favoriser le développement des énergies renouvelables en France, la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité a institué à la charge d'EDF, producteur d'électricité, l'obligation de conclure avec les producteurs qui en font la demande un contrat d'achat de l'électricité produite par les installations de production d'électricité utilisant l'énergie radiative du soleil, à un prix supérieur à celui du marché.

Le mécanisme d'obligation d'achat de l'électricité photovoltaïque prévoit que la différence entre le prix d'achat par EDF et le prix de revente aux consommateurs est compensé par une taxe la Contribution au Service Public de l'Electricité

La loi du 10 février 2000 a notamment donné lieu aux décrets d'application des 6 décembre 2000 et du 10 mai 2001, ainsi qu'aux arrêtés des 10 juillet 2006 et du 12 janvier 2010 qui ont fixé les prix d'achat de l'électricité. Ce dernier arrêté est venu réduire le prix d'achat de l'électricité à 31,40 cts, 42 cts et 50 cts le kWh , ce qui induit une aide à la différence entre le tarif réglementé de 12 cts.

Le raccordement de ces installations au réseau de distribution d'électricité est réalisé par la société Electricité Réseau de France (ERDF) filiale de la SA EDF, ensuite devenue ENEDIS.

La délibération de la Commission de Régulation de l'Energie (CRE) du 11 juin 2009 a précisé les règles minimum d'élaboration des procédures de traitement de raccordement au réseau public de distribution d'électricité, ainsi que le suivi de leur mise en oeuvre, obligation à la charge de ERDF et qui a pour objet l'exploitation et l'entretien du réseau public de distribution d'électricité. L'annexe 1 de ce document précise que la proposition technique et financière (PTF) présente les résultats de l'étude de raccordement et la solution technique envisagée pour répondre à la demande de raccordement et qu'elle doit être traitée dans un délai ne devant pas excéder trois mois.

Le 23 août 2010 le gouvernement a annoncé qu'une nouvelle baisse des tarifs d'achat serait appliquée à compter du premier septembre 2010 aux projets n'ayant pas fait l'objet d'une demande complète de raccordement à la date de publication du futur arrêté.

A compter de novembre 2010 toute la filière photovoltaïque, notamment par les indications du 1er décembre 2010 du blog TECSOL, était informée de l'imminence d'un décret conforme à la loi du 10 février 2000 ayant pour effet de mettre en place un moratoire.

Un décret 2010-1510 du 9 décembre 2010 a suspendu pour une durée de trois mois, à compter de son entrée en vigueur le 10 décembre 2010, l'obligation de conclure un contrat d'achat d'électricité produite par certaines installations photovoltaïques, aucune demande de contrat ne pouvant être déposée pendant la période de suspension et les demandes suspendues devant faire l'objet , à l'issue de la période de suspension , d'une nouvelle demande complète de raccordement au réseau. Cette suspension ne s'applique pas aux installations dont le producteur a notifié au gestionnaire du réseau avant le 2 décembre 2010 , son acceptation de la proposition technique et financière de raccordement au réseau .

A l'issue de ce moratoire, un décret et deux arrêtés du 4 mars 2011 ont fixé le prix d'achat de cette électricité à des tarifs inférieurs à ceux prévus par les arrêtés antérieurs (28,83 centimes au lieu de 42 centimes) et exclu du bénéfice de l'obligation d'achat les installations d'une puissance supérieure à 100kWh pour lesquelles une procédure d'appel d'offres était prévue.

Les arrêtés des12 juillet 2006 et 12 janvier 2010 n'ont pas été notifiés à la Commission européenne.

L'arrêté du 4 mars 2011 a été présenté en décembre 2014 à la Commission européenne qui dans une décision du 10 février 2017 a qualifié d'aide d'Etat le mécanisme d'obligation d'achat d'électricité tel que mis en oeuvre par cet arrêté tarifaire

La loi 2010-788 du 12 juillet 2010 dite loi GRENELLE II a validé dans son article 88 l'arrêté du 12 janvier 2010. Dans sa décision du 19 janvier 2011 le Conseil d'Etat a refusé de renvoyer au Conseil Constitutionnel la Question Prioritaire de Constitutionnalité sur l'article 88 de la loi 2010-788 du 12 juillet 2010.

Dans un arrêt du 12 avril 2012 le Conseil d'Etat a statué sur la légalité en droit interne de l'arrêté du 12 janvier 2010, ce qui l'a conduit à annuler pour l'avenir certaines dispositions dudit arrêté.

Dans un premier arrêt du 19 décembre 2013 la Cour de justice de l'Union européenne, statuant sur les dispositifs d'aide au développement en matière d'électricité d'origine éolienne a dit que celles-ci constituaient une intervention au moyen de ressources d'Etat; en précisant dans ses motifs qu'il n'y avait dans l'affaire aucun élément de nature à justifier une dérogation au principe selon lequel les effets d'un arrêt d'interprétation remontent à la date d'entrée en vigueur de la règle interprétée.

Par arrêt du 20 septembre 2016 la cour d'appel de VERSAILLES, dans le cadre d'une affaire OMBRIERE LE BOSC/ENEDIS et AXA a saisi la Cour de justice de l'Union européenne de la question préjudicielle suivante:

- 1 . L'article 107 paragraphe 1 du Traité de fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), doit-il être interprété en ce sens que le mécanisme d'obligation d'achat d'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative solaire à un prix supérieur à celui du marché et dont le financement est supporté par les consommateurs finals d'électricité , tel que ce mécanisme résulte des arrêtés ministériels des 10 juillet 2006 et 12 janvier 2010 , fixant les conditions d'achat de cette électricité, lus en combinaison avec la loi N°2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité, le décret 2000-1196 du 6 décembre 2000 et le décret N°2001 410 du 10 mai 2001, constitue-t-il une aide d'Etat '

- 2. Et, dans l'affirmative, l'article 108 , paragraphe 3, du TFUE doit-il être interprété en ce sens que le défaut de notification préalable à la Commission européenne de ce mécanisme affecte la validités des arrêtés susvisés comportant mise à exécution de la mesure d'aide litigieuse '

Par ordonnance du 15 mars 2017 la Cour de justice de l'Union européenne a répondu :

1. L'article 107 , paragraphe 1, TFUE, doit être interprété en ce sens qu'un mécanisme , tel que celui instauré par la réglementation nationale en cause au principal d'obligation d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative solaire à un prix supérieur à celui du marché et dont le financement est supporté par les consommateurs finals d'électricité doit être considéré comme une intervention de l'Etat ou au moyen des ressources d'Etat

2. L'article 108 , paragraphe 3 TFUE, doit être interprété en ce sens qu'en cas de défaut de notification préalable à la Commission européenne d'une mesure nationale constituant une aide d'Etat au sens de l'article 107, paragraphe 1, TUE il incombe aux juridictions nationales de tirer toutes les conséquences de cette illégalité, notamment en ce qui concerne la validité des actes d'exécution de cette mesure.

Sur la seconde question, cette décision a précisé dans ses motifs qu'il appartenait à la juridiction de renvoi de déterminer préalablement si la mesure nationale en cause constitue une aide d'Etat, en vérifiant si les trois autres conditions visées à l'article 1 paragraphe 1 TFUE sont remplies dans l'affaire avant de répondre à la deuxième question, que sous cette réserve au regard des dispositions de l'article 108, paragraphe 3, TFUE, qui institue un contrôle préventif sut les projets d'aide nouvelle, lequel vise à ce que seules les aides compatibles soient mises à exécution, il en résultait :

* qu'une mesure d'aide au sens de l'article 107, paragraphe1, TFUE, mise à exécution en méconnaissance des obligations découlant de l'article 108, paragraphe 3, TFUE, est illégale

* que la mise en oeuvre du contrôle préventif instauré à l'article 108, paragraphe 3, TFUE, revient d'une part à la Commission chargée d'apprécier la compatibilité des mesures d'aide avec le marché intérieur et d'autre part aux juridictions nationales , chargées de veiller à la sauvegarde, jusqu'à la décision finale de la Commission, des droits des justiciables face à une méconnaissance éventuelle , par les autorités étatiques, de l'interdiction visée à l'article 108, paragraphe 3, TFUE

* qu'il incombe aux juridictions nationales de garantir aux justiciables que toutes les conséquences d'une violation de l'article 108, paragraphe 3, TFUE, seront tirées conformément à leur droit national, en ce qui concerne tant la validité des actes comportant mise à exécution des mesures d'aide que le recouvrement des soutiens financiers accordés au mépris de cette disposition ou d'éventuelles mesures provisoires

* que partant, en cas de défaut de notification préalable à la Commission d'une mesure nationale constituant une aide d'Etat, au sens de l'article 107, paragraphe 1, TFUE, il incombe aux juridictions nationales de tirer toutes les conséquences de cette illégalité, notamment en ce qui concerne la validité des actes d'exécution de cette mesure.

PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

En mars 2010 la société MARKAL, qui exploite un activité de production et de distribution de céréales, a décidé d'équiper de panneaux photovoltaïques sur une surface de 1.400 m2 le toit d'une extension des locaux loués à [Adresse 3][Localité 3] à la SCI MARK IMMO.

C'est ainsi que la société de projet ad hoc MARK ELEC au capital de 5.000 euros a été immatriculée le 30 juillet 2010 au Registre du Commerce de ROMANS SUR ISÈRE avec pour activité la production et la vente d'électricité au moyen de source d'énergie solaire.

La société MARK ELEC a adressé le 30 août 2010 une demande de PTF à ERDF qui l'a informée de son caractère complet , pour la mise en oeuvre d'une centrale photovoltaïque d'une puissance de 186 kWh que sa mandataire la société SPIE SUD EST devait réaliser pour un coût de 600.460 euros HT.

Le 24 mai 2011 la société MARK ELEC a présenté à ERDF une demande aux fins d'obtenir une offre de raccordement bénéficiant de la grille tarifaire du 12 janvier 2010, ce qu'ERDF a refusé.

Par exploit en date du 22 septembre 2011 la société MARK ELEC a fait citer devant le Tribunal de Commerce de ROMANS SUR ISÈRE la SA ERDF à laquelle elle reprochait d'avoir manqué à son obligation d'instruire dans le délai de trois mois sa demande de PTF, pour la voir condamner au paiement à titre de dommages et intérêts de la somme de 834.022,55 euros et à tout le moins la facture d'installation réclamée par la société SPIE.

La société ERDF a contesté la compétence du juge judiciaire .

Par un premier jugement en date du 11 janvier 2012 le Tribunal de Commerce de ROMANS SUR ISÈRE s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal Administratif de GRENOBLE;.

Statuant sur l'appel interjeté le 29 février 2012 par la société MARK ELEC la cour , par un précédent arrêt du 13 décembre 2012 a, pour principales dispositions, :

- infirmé le jugement déféré

- rejeté l'exception d'incompétence matérielle soulevée par la SA ERDF

- dit et jugé que l'affaire relève des juridictions de l'ordre judiciaire

- dit n'y avoir lieu à évocation du litige

- renvoyé les parties pour jugement sur le fond devant le Tribunal de Commerce de ROMANS SUR ISÈRE

- condamné la SA ERDF à payer une indemnité de procédure à la société MARK ELEC et aux dépens.

La SA ERDF s'est désistée du pourvoi qu'elle avait inscrit contre cet arrêt.

Par jugement en date du 2 décembre 2013, le Tribunal de Commerce de ROMANS SUR ISÈRE, faisant application des dispositions de l'article 47 du Code de procédure civile alors que l'un des dirigeants de la SARL MARK ELEC avait été élu comme juge consulaire de cette juridiction, a désigné le Tribunal de Commerce de GRENOBLE pour connaître du litige.

Par jugement en date du 5 janvier 2015 le Tribunal de Commerce de GRENOBLE a :

- dit que la société MARK ELEC a été privée par suite du non respect par la société ERDF du délai de traitement de sa demande de raccordement au réseau, du bénéfice de l'obligation d'achat de l'électricité photovoltaïque au tarif fixé avant le moratoire du 9 décembre 2010, 'par l'arrêté du 10 juillet 2006"

- dit le préjudice indemnisable à hauteur de 80 %

- avant dire droit sur l'évaluation du préjudice subi par la société MARK ELEC

- ordonné une expertise et désigné [W] [M], aux frais avancés de la société MARK ELEC, avec mission de déterminer ce préjudice selon la base de détermination suivante :

la différence sur une durée prévisible de contrat de 20 ans entre les anciens et les nouveaux tarifs d'achat de l'électricité résultant de l'arrêté du 4 mars 2011 et dans le cadre des procédures d'appels d'offres organisés par la Commission de régulation de l'énergie, incluant les incidences financières pour le producteur, notamment fiscales

- condamné la société ERDF à payer à la société MARK ELEC une indemnité de procédure de 6000 euros

- rejeté la demande d'exécution provisoire du jugement

- débouté les parties du surplus de leur demande

- dit qu'après dépôt du rapport d'expertise il appartiendra à la partie la plus diligente de revenir devant le juge du fond

- condamné la SA ERDF aux dépens.

Par déclaration reçue au greffe le 13 janvier 2015 la SA ERDF, qui est devenue ENEDIS a interjeté appel de ce jugement dans toutes ses dispositions.

Par conclusions N°4 notifiées le 23 octobre 2018 la société ENEDIS demande à la cour

Sur le défaut de lien de causalité de

- dire et juger que la société MARK ELEC ne démontre pas que, en l'absence de retard D'ENEDIS dans la transmission de la PTF, elle aurait nécessairement matérialisé son accord sur ce document avant le 1er décembre 2010 à minuit

- dire et juger en conséquence, qu'il n'existe pas de lien de causalité entre le dépassement du délai de trois mois dans la transmission de la PTF et le préjudice tiré d'un manque à gagner sur 20 ans, qui résulte exclusivement de l'application du décret du 9 décembre 2010 au projet

- dire et juger que, outre le décret du 9 décembre 2010, la société MARK ELEC est responsable du préjudice relatif aux frais engagés pour la construction de sa centrale

Subsidiairement , sur le caractère non réparable du manque à gagner invoqué par la société MARK ELEC de :

- dire et juger que l'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative du soleil à un prix supérieur à sa valeur du marché, dans les conditions définies par l'arrêté du 12 janvier 2010, a le caractère d'une aide d'Etat

- constater que cet arrêté n'a pas été notifié préalablement à la Commission européenne en violation de l'article 108 paragraphe 3 du TFUE

- dire et juger que cet arrêté est illégal et que son application doit, en tout état de cause être écartée

- rejeter en conséquence les demandes de la société MARK ELEC fondées sur une cause illicite

Plus subsidiairement, sur la perte de chance inexistante de

- dire et juger que le seul préjudice dont pourrait se prévaloir la société MARK ELEC est la perte d'une chance d'avoir analysé et retourné une PTF acceptée accompagnée d'un chèque d'acompte dans un délai de 24 heures afin qu'ENEDIS réceptionne ces documents avant le 1er décembre 2010 minuit; puis d'avoir obtenu un contrat d'achat d'électricité et enfin d'avoir pu exploiter sur 20 ans sa centrale virtuelle; que cette perte de chance est inexistante et dès lors non indemnisable

En conséquence de

- infirmer le jugement entrepris et statuant de nouveau

- débouter la société MARK ELEC de l'ensemble de ses demandes et de son appel incident

- rejeter toutes autres prétentions contraires

- condamner la société MARK ELEC au paiement de la somme de 13.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens dont ceux d'appel distraits au profit de la société LEXAVOUE GRENOBLE

Encore plus subsidiairement si la cour retenait un pourcentage de perte de chance symbolique au profit de la société MARK ELEC

- dire et juger que les préjudices allégués par la société MARK ELEC sont totalement injustifiés dans leur quantum et confirmer le principe d'une expertise judiciaire pour évaluer l'assiette sur laquelle s'appliquera le pourcentage de perte de chance subie avec la détermination suivante : la

différence entre la somme des flux financiers actualisés générés après impôts par l'exploitation sur20 ans de'installation projetée sur la base du tarif de 42 cts €/kWh issu de l'arrêté du 12 janvier 2010 et la somme de ces mêmes flux actualisés calculés en 2011 sur la base du nouveau tarif issu de l'arrêté du 4 mars 2011.

Par conclusions N°4 notifiées le 11 septembre 2018 au visa des articles 1148,1382 et 1383 du Code civil encore 564 et 565 du Code de procédure civile la SARL MARK ELEC demande à la cour de

- déclarer irrecevable, à tout le moins non fondée, la demande nouvelle en cause d'appel de la société ENEDIS visant à faire déclarer l'arrêté du 12 janvier 2010 illégal

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions, à l'exception de celle relative à la mission de l'expert

- désigner un expert avec mission de

* convoquer les parties

* recueillir et consigner les explications des parties, prendre connaissance des documents de la cause , se faire remettre par les parties ou par des tiers tous autres documents utiles et toutes pièces justificatives

* évaluer le préjudice qu'elle a subi par référence aux bénéfices perdus sur la durée d'achat de 20 ans par rapport aux seuls tarifs résultant de l'arrêté du 12 janvier 2010

* s'expliquer sur les dires et observations des parties qu'il aura recueillis après le dépôt de son pré-rapport, lequel devra répondre à tous les points de la mission

* déposer un pré-rapport

- à titre subsidiaire , si la cour n'entendait pas droit à la demande d'expertise condamner la société ERDF à lui payer la somme de 1.311.195,95 euros , à tout le moins 715.797,55 euros en réparation de son préjudice

Y ajoutant

- condamner ERDF à lui payer la somme de 20.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure et aux entiers dépens, distraits au profit de la SELARL DAUPHIN MIHAJLOVIC, Avocats.

Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties la cour renvoie à leurs conclusions récapitulatives qu'elle vise expressément.

Une ordonnance en date du 18 octobre 2018 clôture la procédure.

SUR CE

Attendu qu'il résulte du caractère contraignant de la délibération en date du 11 juin 2009 de la CRE , qui dispose d'un pouvoir réglementaire sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 février 2000, que le dépassement par ERDF du délai de trois mois dans lequel la Proposition Technique et Financière doit être transmise au demandeur et qui court à compter de la réception par le gestionnaire de réseau de la demande de raccordement complétée, constitue un manquement fautif susceptible d'ouvrir droit à réparation ;

Qu'en l'espèce , dans le cadre de l'instance, la société MARK ELEC justifie que sa mandataire la société SPIE SUD EST a adressé une demande de PTF à ERDF qui l'a déclarée complète le 30 août 2010 ; que la société MARK ELEC a obtenu le 24 novembre 2010 de la SOCIÉTÉ LYONNAISE DE BANQUE un prêt pour financer son projet ; que ERDF n'a pas fait parvenir à la société MARK ELEC ou à sa mandataire SPIE SUD EST une PTF avant le 30 novembre 2010; que sur les relances adressées par la société ERDF la société MARK ELEC l'a finalement invitée le 27 avril 2011 à déposer une nouvelle demande de raccordement ;

Que la société MARK ELEC n'a pas poursuivi son projet alors qu'elle ne disposait pas de fonds propres suffisants pour répondre aux nouvelles

exigences posées par l'article 9 de l'arrêté du 4 mars 2011 et alors que la SOCIÉTÉ LYONNAISE lui refusait tout nouveau concours en ce que les nouvelles conditions d'achat de l'électricité prévues par l'arrêté du 4 mars 2011 rendaient le bilan économique de l'installation photovoltaïque négatif ;

Qu'ainsi la SA ERDF a commis une faute en ne respectant pas le délai de réponse de trois mois qui lui était imparti ;

Attendu que dans le cadre de l'instance la société MARK ELEC demande la réparation du préjudice que lui a occasionné le retard d'ERDF dans la transmission de la PTF exposant que ce retard lui a interdit de lui notifier son acceptation à celle-ci avant le 2 décembre 2010, la privant ainsi du bénéfice du tarif d'achat de l'électricité utilisant l'énergie radiative du soleil institué par l'arrêté du 12 janvier 2010 ;

Que la société MARK ELEC qui soutient qu'elle était en mesure et mobilisée en raison des baisses et moratoire annoncés dans la presse, pour retourner en 24 heures la PTF signée accompagnée de l'acompte, invoque donc comme fondement de son préjudice l'arrêté du 12 janvier 2010 dont ENEDIS demande à la cour de dire qu'il est illégal et que son application doit en tout état de cause être écartée car le tarif fixé par cet arrêté a le caractère d'une aide d'Etat qui n'a pas fait l'objet d'une notification préalable à la Commission européenne en violation de l'article 108 paragraphe 3 TFUE ;

Que l'illégalité ainsi alléguée par ENEDIS qui s'était contentée devant le Tribunal de contester le calcul du préjudice ne constitue pas une prétention nouvelle mais un moyen nouveau destiné à paralyser les effets de l'arrêté du 12 janvier 2010 invoqué par l'intimée et partant à interdire de fonder aucune demande à son encontre, y compris sur le terrain délictuel ;

Que l'invocation d'un moyen nouveau en cause d'appel est autorisée par l'article 563 du Code de procédure civile; que c'est donc vainement que l'intimée invoque le principe de concentration qui interdit de reprendre une nouvelle instance sur le fondement d'autres moyens ;

Que le moyen tiré du caractère illégal de l'arrêté du 12 janvier 2010 est donc recevable en cause d'appel ;

Attendu que, pour satisfaire au principe de primauté , les juridictions nationales ont l'obligation d'écarter le droit interne lorsqu'il est contraire au droit de l'Union européenne ;

Que le juge national chargé d'appliquer , dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit de l'Union, a l'obligation d'assurer le plein effet de ces normes en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure, sans qu'il ait à demander ou à atteindre l'élimination préalable de celle-ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel (CJUE 22 juin 2010 [E] [W] et [T] [L]) ;

Qu'ainsi sont inopérants les moyens tirés par la société MARK ELEC de la validation législative de l'arrêté du 12 janvier 2010 par la loi 2010-788 du 12 juillet 2010 dite loi GRENELLE II, de ce que le 15 avril 2016 le Conseil d'Etat (association Vent de Colère) en présence d'une aide non notifiée à la Commission a décidé que l'Etat devait seulement récupérer auprès des bénéficiaires de l'aide pendant la période d'illégalité ;

Qu'est aussi inopérant le moyen tiré de l'existence ou du caractère annulable ou non de contrats d'achat en cours au profit d'autres producteurs d'électricité aux conditions prévues par l'arrêté tarifaire du 12 janvier 2010;

Attendu que le juge national ne peut se substituer à la Commission pour apprécier la compatibilité d'une disposition; qu'il lui incombe de veiller à la sauvegarde, jusqu'à la décision finale de la Commission, des droits des justiciables face à une méconnaissance éventuelle, par les autorités étatiques, de l'interdiction visée à l'article 108, paragraphe 3, TFUE et de rejeter une

demande en indemnisation fondée sur l'absence de perception d'une aide d'Etat illégale au regard du droit de l'Union européenne ;

Que ni l'arrêté tarifaire du 10 juillet 2006, ni l'arrêté tarifaire du 12 janvier 2010 n'ont fait l'objet d'une notification préalable à la Commission européenne ainsi qu'il résulte de la réponse du ministre des affaires européennes publiée au Journal Officiel le 27 septembre 2016 ;

Que ces deux arrêtés prévoient au profit des producteurs d'énergie photovoltaïque une rémunération à un tarif supérieur à celui qu'ils auraient pu obtenir sur le marché de l'électricité, dont le financement est supporté par les consommateurs finals d'électricité ; que le mécanisme en cause, instauré par la réglementation nationale, d'obligation d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative solaire à un prix supérieur à celui du marché doit être considéré comme une intervention de l'Etat ou au moyen des ressources d'Etat comme l'a dit la CJUE dans son ordonnance du 15 mars 2017 ;

Que cette aide s'adresse uniquement aux producteurs d'électricité utilisant l'énergie radiative du soleil et à aucun autre ; que les bénéficiaires concernés par ces arrêtés opèrent sur le marché de l'électricité libéralisé caractérisé par des échanges transfrontières de sorte que cet avantage est susceptible d'affecter les échanges entre Etats membres, ce traitement avantageux faussant donc la concurrence ;

Qu'il convient d'en conclure que le mécanisme prévu par l'arrêté du 12 janvier 2010 tout comme celui prévu par l'arrêté du 10 juillet 2006 constituent des aides d'Etat au sens de l'article 107, paragraphe1, TFUE, mises à exécution en méconnaissance des obligations découlant de l'article 108, paragraphe 3, TFUE car ils devaient faire l'objet de notification préalable ;que d'ailleurs dans sa décision du 10 février 2017 intitulée 'aide sous la forme de tarifs d'achat pour le développement d'installations photovoltaïques' prise à la suite de la notification de l'arrêté tarifaire du 4 mars 2011, qui est venu remplacer l'arrêté du 12 janvier 2010 ,en prévoyant un tarif beaucoup moins attractif que les précédents pour les producteurs selon les écritures mêmes de la société MARK ELEC la Commission européenne a considéré ce tarif d'achat constituait une aide d'Etat ; que le 10 février 2017 la Commission a ainsi autorisé trois régimes français d'aides aux producteurs d'énergie solaire et hydrolélectrique après avoir apprécié les trois régimes au regard des règles de L'Union Européenne en matière d'aides d'Etat, qui garantissent un recours limité au fonds publics et l'absence de surcompensation , en veillant à ce que soient limitées les distorsions de concurrence engendrées ;

Que dans sa décision du 10 février 2017, par laquelle la Commission s'est prononcée sur la compatibilité de l'arrêté du 4 mars 2011 modifié par les arrêtés des 26 juin et 30 octobre 2015 et le décret 2016-691 du 28 mai 2016, celle-ci n'a aucunement validé, les arrêtés qui précédaient celui qui a été pris le 4 mars 2011; que cette décision n'a pas non plus considéré que de telles aides seraient exemptées de l'obligation de notification en vertu notamment du Règlement communautaire du 6 août 2008 ou encore de celui du 17 juin 2014 ou encore en vertu de la Directive du 23 avril 2009, 2009/28/CE lue en combinaison avec les articles 107 3° b, c et e et 109 TFUE ;

Attendu que si le propre de la responsabilité civile est de rétablir l'équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation dans laquelle elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit, cette règle ne peut conduire à reconstituer un avantage illicite ;

Qu'en conséquence , en raison de l'illégalité du tarif institué par l'arrêté du 12 janvier 2010 pour n'avoir pas fait l'objet de notification préalable à la Commission européenne, la société MARK ELEC ne peut obtenir réparation d'un préjudice né de son impossibilité de bénéficier dudit tarif consécutif à un retard D'ERDF dans le traitement de sa demande de PTF calculé, par référence à un arrêté illégal au regard du droit communautaire ;

Qu'elle ne peut non plus se voir rembourser le montant de la créance de la société SPI SUD EST (702.488,55 euros TTC en principal au titre de la fourniture de panneaux) ni les frais engagés pour mettre en place des garanties hypothécaires (13.309 euros) ;

Attendu en conséquence qu'il y a lieu d'infirmer le jugement entrepris, de dire que le préjudice invoqué par la société MARK ELEC n'est pas réparable et de la débouter de toutes ses demandes ;

Attendu que les dépens de première instance et d'appel seront donc mis à la charge de la société MARK ELEC dont toutes les prétentions ont été rejetées ;

Qu'aucune considération d'équité ne conduit à faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de la société ENEDIS ;

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant, publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme le jugement rendu le 5 janvier 2015 ;

Statuant à nouveau,

Dit que la société ERDF a commis une faute en ne respectant pas le délai de réponse à la demande de PTF de la société MARK ELEC ;

Dit que le préjudice invoqué par la société MARK ELEC n'est pas réparable ;

Déboute la société MARK ELEC de toutes ses demandes et dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de la société ENEDIS ;

Condamne la société MARC ELEC aux entiers dépens de première instance et d'appel et autorise au profit de la société LEXAVOUE GRENOBLE, Avocats, le droit de recouvrement direct prévu par l'article 699 du Code de procédure civile.

SIGNE par Madame CLOZEL-TRUCHE, Président et par Monsieur STICKER, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le GreffierLe Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 15/00130
Date de la décision : 23/05/2019

Références :

Cour d'appel de Grenoble 07, arrêt n°15/00130 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-05-23;15.00130 ?
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