Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
5A_896/2024
Arrêt du 21 janvier 2025
IIe Cour de droit civil
Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux Bovey, Président,
Hartmann et De Rossa.
Greffière : Mme de Poret Bortolaso.
Participants à la procédure
A.________,
représentée par Me Cloé Dutoit, avocate,
recourante,
contre
B.________,
représenté par
Me Aliénor Bossard, avocate,
intimé,
Autorité de protection de l'enfant et de l'adulte des Montagnes et du Val-de-Ruz, Hôtel judiciaire, avenue Léopold-Robert 10, 2300 La Chaux-de-Fonds,
D.________,
Objet
effet suspensif (levée du placement de l'enfant),
recours contre l'ordonnance de la Cour des mesures de protection de l'enfant et de l'adulte du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel du 16 décembre 2024 (CMPEA.2024.60).
Considérant en fait et en droit :
1.
1.1. A.________ et B.________ sont les parents non mariés de C.________, née en 2017.
Les parents détiennent l'autorité parentale conjointe. Le père vit en France.
L'enfant bénéficie d'une mesure de curatelle d'assistance éducative depuis le 13 décembre 2017, D.________ étant désignée en qualité de curatrice.
Le 8 mai 2019, par décision de mesures superprovisionnelles, la curatelle dont bénéficiait l'enfant a été étendue à la représentation légale et à la gestion de ses biens. La mineure a par ailleurs été placée. Cette décision, qui faisait suite à l'incarcération de la mère, a été confirmée par le Tribunal régional des Montagnes et du Val-de-Ruz, Autorité de protection de l'enfant et de l'adulte (ci-après: l'APEA) le 4 juin 2019.
1.2. Les relations personnelles entre C.________ et ses parents ont été réglées par une décision de l'APEA du 21 juin 2023.
Statuant le 30 mai 2024 sur le recours de la mère, la Cour des mesures de protection de l'enfant et de l'adulte du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel l'a partiellement admis et renvoyé la cause à l'APEA pour complément d'instruction.
1.2.1. Entre-temps, à savoir le 28 mai 2024, B.________ a requis la garde de sa fille, requête à laquelle la mère s'oppose.
1.2.2. Par décision du 1er octobre 2024, l'APEA a, entre autres, levé le placement de l'enfant avec effet au 3 janvier 2025 (ch. 1); réintégré dès cette date le père dans son droit de déterminer la résidence de sa fille et lui a attribué la garde de fait de l'enfant (ch. 2); fixé le droit de visite (médiatisé) entre l'enfant et sa mère (ch. 4); ordonné une expertise visant à établir les capacités parentales de la mère (ch. 5) et retiré l'effet suspensif au recours qui pourrait être déposé contre les chiffres 1 et et 2 du dispositif de sa décision (ch. 6).
1.2.3. A.________ a formé recours contre cette décision, sollicitant préalablement la restitution de l'effet suspensif.
Par ordonnance du 16 décembre 2024, la Cour des mesures de protection de l'enfant et de l'adulte a confirmé le retrait de l'effet suspensif au recours pour les ch. 1 et 2 de la décision du 1er octobre 2024 (ch. 1) et ordonné l'exécution immédiate du ch. 4 de son dispositif (ch. 2).
1.3. Agissant le 27 décembre 2024 par la voie du recours en matière civile au Tribunal fédéral, A.________ (ci-après: la recourante) conclut à l'annulation du ch. 1 de l'ordonnance cantonale et, principalement, à la restitution de l'effet suspensif au recours sur les ch. 1 et 2 de la décision rendue le 1er octobre 2024 par l'APEA; subsidiairement, elle demande le renvoi de la cause à l'autorité cantonale pour nouvelle décision au sens des considérants.
La recourante sollicite l'octroi de l'effet suspensif à titre préalable et superprovisoire; elle demande de surcroît le bénéfice de l'assistance judiciaire.
Invités à se déterminer sur le recours et sur la requête d'effet suspensif présentée par la recourante, l'APEA conclut au rejet de la requête d'effet suspensif, la cour cantonale se réfère à l'ordonnance attaquée et B.________ (ci-après: l'intimé) conclut au rejet de la requête et du recours, sous bénéfice de l'assistance judiciaire.
L'effet suspensif a été attribué à titre superprovisoire par ordonnance présidentielle du 30 décembre 2024.
2.
2.1. Le recours est dirigé contre une décision rendue en matière de protection de l'enfant (art. 72 al. 2 let. b ch. 6 LTF), relative à l'octroi de l'effet suspensif, à savoir contre une décision incidente, qui ne concerne ni la compétence ni une demande de récusation (cf. art. 92 LTF ), et qui tombe ainsi sous le coup de l' art. 93 LTF (ATF 137 III 475 consid. 1).
2.1.1. Pour faire l'objet d'un recours immédiat au Tribunal fédéral, la décision incidente doit être de nature à causer un préjudice irréparable aux termes de l' art. 93 al. 1 let. a LTF , la condition de l' art. 93 al. 1 let. b LTF étant d'emblée exclue s'agissant de mesures provisionnelles (ATF 144 III 475 consid 1.2; arrêt 5A_133/2024 du 25 avril 2024 consid. 1.3). Un préjudice ne peut être qualifié d'irréparable au sens de la disposition précitée que s'il cause un inconvénient de nature juridique, qui ne puisse pas être ultérieurement réparé ou entièrement réparé par une décision finale favorable au recourant; un dommage économique ou de pur fait n'est pas considéré comme un dommage irréparable (ATF 147 III 159 consid. 4.1; 142 III 798 consid. 2.2). L'exception, qui doit être interprétée de manière restrictive (ATF 144 III 475 consid 1.2; 138 III 94 consid. 2.2; ATF 134 III 188 consid. 2.2), doit être alléguée et établie par la partie recourante (ATF 147 III 159 consid. 4.1; 144 III 475 consid 1.2), à moins qu'elle ne fasse d'emblée aucun doute ( art. 42 al. 2 LTF ; ATF 141 III 80 consid. 1.2).
2.1.2. Avec la recourante, il faut admettre que l'exécution immédiate des ch. 1 et 2 de la décision de l'APEA aura pour conséquence le déplacement de la résidence de l'enfant en France et ainsi la perte de compétence des autorités suisses (art. 5 al. 2 de la Convention concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l'exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants [ci-après: CLaH96]; RS 0.211.231.011; cf. également infra consid. 3.3). Quoi qu'en dise l'intimé, cette circonstance cause un préjudice irréparable à sa partie adverse dès lors que celle-ci ne pourra obtenir de décision au fond sur le recours qu'elle a interjeté.
2.2. Les autres conditions de recevabilité du recours en matière civile sont ici réalisées ( art. 75 al. 2 LTF [ATF 143 III 140 consid. 1.2; 137 III 475 consid. 1)]; art. 76 al. 1 let. a et b et art. 100 al. 1 avec l' art. 46 al. 2 LTF ).
2.3. La décision accordant l'effet suspensif, comme celle d'exécution provisoire ou de retrait de l'effet suspensif (ATF 137 III 475 consid. 2; arrêt 5A_423/2023 du 23 août 2023 consid. 2.1), est une décision de mesures provisionnelles au sens de l' art. 98 LTF , en sorte que seule la violation de droits constitutionnels peut être invoquée. Le Tribunal fédéral n'examine de tels griefs que s'ils ont été invoqués et motivés par le recourant ("principe d'allégation"; art. 106 al. 2 LTF ), c'est-à-dire s'ils ont été expressément soulevés et exposés de manière claire et détaillée (ATF 146 III 303 consid. 2; 142 III 364 consid. 2.4). Une décision ne peut être qualifiée d'arbitraire ( art. 9 Cst. ) que si elle est manifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté, heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité, ou s'écarte de la jurisprudence du Tribunal fédéral sans motif pertinent. En outre, il ne suffit pas qu'une autre solution paraisse concevable, voire préférable; pour que cette décision soit annulée, encore faut-il qu'elle se révèle arbitraire non seulement dans ses motifs, mais aussi dans son résultat (ATF 148 III 95 consid. 4.1; 147 I 241 consid. 6.2.1; 145 II 32 consid. 5.1).
3.
3.1. La juge instructrice de la Cour des mesures de protection de l'enfant et de l'adulte a refusé de restituer l'effet suspensif au recours en considérant que l'enfant était actuellement placée dans une institution qui n'était plus adaptée à son âge, circonstance qui impliquerait nécessairement un changement dans les prochains mois et qui permettait ainsi de relativiser le principe de stabilité qui s'appliquait généralement en matière de garde d'enfants lorsqu'était en jeu l'exécution de la décision la réglant. Il n'était ainsi pas contraire au bien de la mineure de prendre le risque de changements successifs, sachant que les préparatifs pour le transfert de garde devaient être avancés, que l'enfant y avait sans doute été intégrée et que le tribunal ne serait pas en mesure de rendre une décision avant la fin 2024. L'issue du litige au fond était expressément réservée.
3.2. La recourante invoque l'application arbitraire de l' art. 450c CC ainsi que la violation de son droit d'être entendue selon l' art. 29 al. 2 Cst. Soulignant que le déplacement de sa fille impliquerait la perte de compétence des autorités suisses (art. 5 al. 2 CLaH96) pour se prononcer sur le transfert de garde auquel elle s'oppose, elle relève que l'autorité cantonale s'était dispensée de toute motivation justifiant cette conséquence ainsi que l'urgence que représentait la levée du placement et l'attribution de la garde au père. L'intimé soulève le caractère chicanier du recours interjeté par sa partie adverse et son absence de chance de succès au fond, tout en rappelant qu'il s'opposerait à l'intérêt supérieur de l'enfant.
3.3. Lorsqu'un recours est interjeté devant l'instance judiciaire de recours compétente en matière de protection de l'enfant, l' art. 450c CC prévoit, par renvoi de l' art. 314 al. 1 CC , que celui-ci est suspensif à moins que l'autorité de protection ou l'instance judiciaire de recours n'en décide autrement.
Le retrait de l'effet suspensif constitue l'exception (arrêts 5A_423/2023 du 23 août 2023 consid. 5.1; 5A_166/2023 du 9 mai 2023 consid. 2), ce d'autant plus lorsqu'il a pour conséquence de permettre le déplacement d'un enfant à l'étranger et ce, indépendamment de la situation de garde prévalant jusqu'alors (ATF 144 III 469 consid. 4.2.2; 143 III 193 consid. 4). Dans l'hypothèse où ce déplacement s'effectue dans un État partie - comme ici la France - à la CLaH96, les autorités de l'État de la nouvelle résidence habituelle de l'enfant sont alors compétentes pour prendre les mesures de protection de sa personne ou de ses biens, sous réserve d'un déplacement ou non-retour illicite de l'enfant au sens de l'art. 7 CLaH96 (art. 5 al. 2 CLaH96). Ce même effet se produit lorsque le transfert de la résidence habituelle dans un autre État contractant s'effectue postérieurement au commencement de la procédure, même si l'instance est pendante en appel, c'est-à-dire devant une autorité pouvant revoir la cause tant en fait qu'en droit. Cette autorité perd alors la compétence pour statuer sur les mesures de protection (ATF 149 III 81 consid. 2.4; 143 III 193 consid. 2; arrêts 5A_917/2023 du 20 novembre 2024 consid. 2.1.1 et les références; 5A_739/2023 du 26 mars 2024 consid. 2.2.1), ce qui explique la retenue particulière dont il convient de faire preuve en décidant de retirer l'effet suspensif (ATF 144 III 469 consid. 4.2.2; 143 III 193 consid. 4). Il n'est en effet pas acceptable que le retrait de l'effet suspensif par l'APEA ou le rejet de la demande de restitution de l'effet suspensif par l'instance de recours crée un fait accompli et empêche ainsi un jugement effectif par le tribunal suisse initialement compétent (cf. arrêt 5A_520/2017 du 22 janvier 2018 consid. 3.2). L'urgence caractérisée est néanmoins réservée (ATF 144 III 469 consid. 4.2.2).
3.4. La magistrate cantonale a ici manifestement perdu de vue qu'en refusant de restituer l'effet suspensif au recours déposé par la recourante devant la cour cantonale, sa décision entraînait une perte de compétence des autorités suisses. Sa remarque selon laquelle un éventuel changement restait possible à l'issue de l'arrêt à rendre le démontre implicitement. C'est par ailleurs en vain que l'on cherche dans l'ordonnance attaquée la description d'une situation d'urgence suscitant la justification exceptionnelle du retrait de l'effet suspensif au regard des conséquences que celui-ci implique, étant en effet précisé que l'enfant est placée depuis plusieurs années et que la nécessité d'un changement d'institution n'est envisagée que dans "les prochains mois". Dans cette mesure, il convient de faire droit aux conclusions principales de la recourante et de restituer l'effet suspensif à son recours devant la cour cantonale afin qu'elle puisse obtenir une décision au fond.
4.
Le recours est ainsi admis, le ch. 1 du dispositif de l'ordonnance cantonale est annulé et réformé en ce sens que l'effet suspensif est restitué au recours pour les chiffres 1 et 2 du dispositif la décision rendue par l'APEA le 1er octobre 2024. La requête d'effet suspensif déposée pour la procédure fédérale devient ainsi sans objet. La requête d'assistance judiciaire de la recourante est admise dans la mesure où elle n'est pas sans objet ( art. 64 al. 1 LTF ) et son avocate lui est désignée comme conseil d'office. L'intimé sollicite également le bénéfice de l'assistance judiciaire. Si la condition des chances de succès du recours au sens de l' art. 64 al. 1 LTF est en principe considérée comme réalisée sans autre examen s'agissant d'une requête formée par une partie intimée invitée à répondre au recours, sous réserve des cas où la décision attaquée contient un vice manifeste (ATF 139 III 475 consid. 2.3), l'intimé ne démontre pas son indigence, se contentant d'indiquer avoir bénéficié de l'assistance judiciaire devant les instances cantonales, ce qui n'est pas décisif (ATF 122 III 392 consid. 3a; arrêt 5A_11/2024 du 2 juillet 2024 consid. 5 et les références). Les frais judiciaires seront ainsi mis à sa charge ( art. 66 al. 1 LTF ) et il versera des dépens à la recourante ( art. 68 al. 1 et 2 LTF ). Pour le cas où les dépens ne pourraient pas être recouvrés, la Caisse du Tribunal fédéral versera au conseil de la recourante une indemnité à titre d'honoraires d'avocat d'office.
par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est admis, le ch. 1 du dispositif de l'ordonnance du 16 décembre 2024 est annulé et réformé en ce sens que l'effet suspensif est restitué au recours pour les chiffres 1 et 2 du dispositif de la décision rendue par l'APEA le 1er octobre 2024.
2.
La requête d'effet suspensif est sans objet.
3.
La requête d'assistance judiciaire de la recourante est admise dans la mesure où elle n'est pas sans objet, et Me Cloé Dutoit, avocate à Neuchâtel, lui est désignée comme conseil d'office.
4.
La requête d'assistance judiciaire de l'intimé est rejetée.
5.
Les frais judiciaires, arrêtés à 1'000 fr., sont mis à la charge de l'intimé.
6.
Une indemnité de dépens de 1'500 fr., à verser à la recourante à titre de dépens, est mise à la charge de l'intimé; au cas où les dépens ne pourraient pas être recouvrés, la Caisse du Tribunal fédéral versera au conseil de la recourante une indemnité de 1'200 fr. à titre d'honoraires d'avocat d'office.
7.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à l'Autorité de protection de l'enfant et de l'adulte des Montagnes et du Val-de-Ruz, à D.________ et à la Cour des mesures de protection de l'enfant et de l'adulte du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel.
Lausanne, le 21 janvier 2025
Au nom de la IIe Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Bovey
La Greffière : de Poret Bortolaso