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12/01/2024 | SUISSE | N°2C_483/2022

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral, IIe Cour de droit public  , Arrêt du 12 janvier 2024  , 2C 483/2022


 
Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
2C_483/2022  
 
 
Arrêt du 12 janvier 2024  
 
IIe Cour de droit public  
 
Composition 
Mmes et M. les Juges fédéraux 
Aubry Girardin, Présidente, Donzallaz et Hänni. 
Greffière : Mme Jolidon. 
 
Participants à la procédure 
1. A.________, 
2. B.________, 
tous les deux représentés par Me Mattia Deberti, avocat, 
recourants, 
 
contre  
 
Commission foncière agricole du cant

on de Genève, c/o AgriGenève, rue des Sablières 15, 1242 Satigny, 
intimée. 
 
Objet 
Droit foncier rural, 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de 
la République et ...

 
Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
2C_483/2022  
 
 
Arrêt du 12 janvier 2024  
 
IIe Cour de droit public  
 
Composition 
Mmes et M. les Juges fédéraux 
Aubry Girardin, Présidente, Donzallaz et Hänni. 
Greffière : Mme Jolidon. 
 
Participants à la procédure 
1. A.________, 
2. B.________, 
tous les deux représentés par Me Mattia Deberti, avocat, 
recourants, 
 
contre  
 
Commission foncière agricole du canton de Genève, c/o AgriGenève, rue des Sablières 15, 1242 Satigny, 
intimée. 
 
Objet 
Droit foncier rural, 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de 
la République et canton de Genève, Chambre administrative, du 10 mai 2022 (ATA/487/2022). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. A.________ est propriétaire des parcelles nos xxx et yyyy, sises sur la commune de U.________ et colloquées en zone 4B protégée. Un bâtiment d'habitation est érigé sur chacune d'entre elles.  
C.________ était propriétaire de la parcelle n° zzzzz de la même commune, située à l'est des bien-fonds susmentionnés et d'une surface de 5'024 m2, dont 4'934 m2 se trouvent en zone agricole et 90 m2 en zone 4B protégée (cf. plan sous let. B.a; sur ce plan la parcelle n° zzzzz, qui a été par la suite morcelée, correspond aux parcelles nos aaaa et bbbb). Ce terrain ne comprend aucune construction. 
 
A.b. En date du 18 octobre 2019, C.________ a adressé à la Commission foncière agricole de la République et canton de Genève (ci-après: la Commission foncière agricole), une requête visant à soustraire une partie de la parcelle n° zzzzz du champ d'application du droit foncier rural; elle a fait savoir, par la suite, qu'elle entendait établir un plan de division de cette parcelle suivant les limites des zones d'affectation ( art. 105 al. 2 LTF ) et demander le désassujettissement de la partie qui était utilisée comme jardin d'agrément depuis 1964 et qui se situait à la fois en zone 4B protégée (90 m2) et en zone agricole (cf. plan sous let. B.a; la partie utilisée comme jardin d'agrément correspond à la parcelle n° aaaa et à la partie hachurée de la parcelle n° bbbb).  
Par ordonnance préparatoire n° 3 du 21 avril 2020, la Commission foncière agricole a souligné que la parcelle n° zzzzz avait été incluse dans un remaniement parcellaire et qu'en conséquence son morcellement devait être autorisé par l'Office cantonal de l'agriculture et de la nature de la République et canton de Genève (ci-après: l'Office de l'agriculture), ce que cet office a refusé, par décision du 14 janvier 2021, le morcellement étant interdit dans une telle situation. Compte tenu de ce refus, la Commission foncière agricole a, dans une décision du 9 mars 2021, rejeté la demande de soustraction au droit foncier rural de la parcelle n° zzzzz de la Commune de U.________, celle-ci se situant en zone agricole. 
A une date indéterminée (entre mars et septembre 2021), B.________, exploitant agricole, a acquis la parcelle en cause. 
 
B.  
 
B.a. Le 3 septembre 2021, A.________ et B.________ ont déposé, devant la Commission foncière agricole, une demande d'autorisation pour constituer une servitude d'usage de jardin sur une partie de la parcelle n° zzzzz en faveur des parcelles nos xxx et yyyy.  
Selon l'acte notarié du 29 septembre 2021 "Division et vente immobilière par Monsieur B.________ à Madame A.________ " et le plan de servitude du 16 juillet 2021 (cf. ci-dessous), y annexé, la parcelle n° zzzzz a été divisée selon les limites des zones d'affectation en deux nouvelles parcelles; la partie colloquée en zone 4B protégée, de 90 m2, devenait la parcelle n° aaaa, tandis que la surface restante, sise en zone agricole, de 4'934 m2, portait le n° bbbb; toujours selon l'acte notarié, cette opération n'avait pas besoin d'être autorisée, dès lors que la division était réalisée en limites de zone et que la nouvelle parcelle n° aaaa, située exclusivement en zone 4B protégée, ne dépendait d'aucune entreprise agricole; B.________ conservait pour son usage propre la parcelle agricole n° bbbb et vendait à A.________ le bien-fonds n° aaaa, pour la somme de 18'000 fr. 
 
 
 
Par décision du 12 octobre 2021, la Commission foncière agricole a rejeté la requête de constitution d'une servitude d'usage de jardin sur la parcelle n° bbbb, jugeant que celle-ci était matériellement équivalente à une division parcellaire. 
 
B.b. Par arrêt du 10 mai 2022, la Chambre administrative de la Cour de justice de la République et canton de Genève (ci-après: la Cour de justice) a rejeté le recours de A.________ et B.________ à l'encontre de la décision du 12 octobre 2021 de la Commission foncière agricole. Elle a en substance considéré que la création d'une telle servitude aurait pour effet de rattacher l'usage d'un terrain agricole à des habitations sans aucun lien avec l'agriculture pour une durée indéterminée et sans frais; cette opération aurait donc pour résultat et effet de contourner les refus de morcellement de l'Office de l'agriculture respectivement de soustraction au droit foncier rural de la Commission foncière agricole préalablement prononcés.  
 
C.  
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ et B.________ demandent au Tribunal fédéral, sous suite de frais et dépens, d'annuler l'arrêt du 10 mai 2022 de la Cour de justice et d'autoriser la constitution d'une servitude d'usage de jardin sur la parcelle n° bbbb de la Commune de U.________ au profit des parcelles n° 919 et yyyy de la même commune, conformément au projet d'acte notarial et au plan de servitude des 16 juillet et 31 août 2021; subsidiairement, de renvoyer la cause à la Cour de justice pour une nouvelle décision fondée sur le droit foncier rural; plus subsidiairement, de transmettre le dossier à l'Office cantonal de l'agriculture, afin qu'il statue sur la requête de constitution de servitude. Ils invoquent, notamment, une violation de l'art. 102 de la loi fédérale du 29 avril 1998 sur l'agriculture (loi sur l'agriculture, LAgr; RS 910.1), estimant qu'ils devraient bénéficier d'une dérogation de l'interdiction de morcellement, ainsi que de l'art. 61 al. 3 de la loi fédérale du 4 octobre 1991 sur le droit foncier rural (LDFR; RS 211.412.11), alléguant que la constitution de la servitude litigieuse n'est pas soumise à autorisation, dès lors qu'elle ne représente pas un acte juridique équivalant économiquement à un transfert de la propriété au sens de cette disposition. 
La Commission foncière agricole persiste dans sa décision du 12 octobre 2021. L'Office fédéral de l'agriculture, en ce qui concerne la recevabilité, propose d'attendre que la cause 2C_391/2022 soit jugée, dès lors qu'elle concerne un cas similaire quant à la voie de recours ouverte à l'encontre de l'arrêt attaqué; sur le fond, il soutient la motivation de la Cour de justice, après concertation avec l'Office fédéral de la justice. 
Le 4 août 2023, le Tribunal fédéral a statué dans la cause 2C_391/2022. 
 
Considérant en droit :  
 
 
1.  
Le Tribunal fédéral examine d'office sa compétence (cf. art. 29 al. 1 LTF ). Il contrôle donc librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 147 I 89 consid. 1). 
 
1.1. Selon l' art. 86 al. 1 let . d LTF, le recours en matière de droit public est ouvert contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance, pour autant que le recours devant le Tribunal administratif fédéral ne le soit pas.  
La Cour de justice a indiqué, dans son arrêt du 10 mai 2022, que celui-ci pouvait être attaqué devant le Tribunal administratif fédéral, en vertu de l' art. 166 al. 2 LAgr . D'après cette disposition, les décisions des offices, des départements et les décisions cantonales de dernière instance relatives à l'application de ladite loi et de ses dispositions d'exécution peuvent faire l'objet d'un recours devant le Tribunal administratif fédéral, à l'exception des décisions cantonales portant sur des améliorations structurelles. 
Sur le fond, l'autorité précédente a jugé qu'avec la demande de constitution d'une servitude d'usage de jardin sur la parcelle en cause, les recourants cherchaient à contourner l'interdiction de morcellement de l' art. 102 al. 1 LAgr (selon lequel, "les terrains ayant été compris dans le périmètre d'un remaniement parcellaire ne doivent pas être morcelés"), ce qui représentait une fraude à la loi. Dans l'arrêt 2C_391/2022 du 4 août 2023, le Tribunal fédéral a procédé à l'interprétation de l' art. 166 al. 2 LAgr , la lettre de cette disposition n'étant pas claire. Il est résulté des interprétations systématique, historique et téléologique que les décisions traitant de l'interdiction de morceler et les dérogations possibles à cet égard pour des motifs importants (cf. art. 102 al. 3 LAgr ) constituaient des décisions "portant sur des améliorations structurelles" au sens de l' art. 166 al. 2 LAgr (cf. arrêt 2C_391/2022 susmentionné consid. 4). Dès lors que, selon cette disposition, de telles décisions ne peuvent pas faire l'objet d'un recours devant le Tribunal administratif fédéral, l'arrêt du 10 mai 2022 de la Cour de justice relatif à l'interdiction de morcellement ne pouvait pas être attaqué devant cette autorité. C'est donc à bon droit que le présent recours a été déposé devant le Tribunal fédéral. 
 
1.2. Au surplus, le recours, déposé en temps utile ( art. 100 al. 1 LTF ) et en la forme prévue ( art. 42 LTF ) à l'encontre d'un arrêt final ( art. 90 LTF ) rendu, dans une cause de droit public ( art. 82 let. a LTF ), par les intéressés qui ont la qualité pour recourir ( art. 89 al. 1 LTF ), est recevable.  
 
2.  
Le litige porte sur le refus d'autoriser la constitution d'une servitude d'usage de jardin sur une partie d'un immeuble agricole au motif qu'une telle constitution revient à contourner les refus de morcellement respectivement de soustraction au droit foncier rural de la parcelle litigieuse prononcés antérieurement par les autorités compétentes. 
 
3.  
Les recourants soutiennent que la constitution de la servitude d'usage de jardin envisagée ne représente pas un acte juridique équivalant économiquement à un transfert de la propriété au sens de l' art. 61 al. 3 LDFR et, par conséquent, n'est pas soumise à autorisation; ils trouvent "incompréhensible" que la Cour de justice ait jugé que le grief relatif à l'application de cette disposition, qu'ils avaient présenté devant cette celle-ci, sortait du cadre de la procédure et qu'elle ne l'ait pas traité. 
 
3.1. Selon l' art. 61 LDFR , celui qui entend acquérir une entreprise ou un immeuble agricole doit obtenir une autorisation (al. 1); l'autorisation est accordée lorsqu'il n'existe aucun motif de refus (al. 2); sont des acquisitions, le transfert de la propriété, ainsi que tout autre acte juridique équivalant économiquement à un transfert de la propriété (al. 3).  
La constitution d'une servitude peut représenter un tel acte juridique (arrêts 2C_157/2017 du 12 septembre 2017 consid. 4.1; 2C_562/2009 du 23 avril 2019 consid. 2.2.4.2). A titre d'exemple, un droit de superficie limité dans le temps, qui n'est pas conçu comme un droit distinct et permanent, peut conférer à l'ayant droit une position similaire à celle d'un propriétaire et ainsi être considéré comme un acte juridique équivalant économiquement à un transfert de la propriété au sens de l' art. 61 al. 3 LDFR nécessitant l'obtention d'une autorisation d'acquérir (arrêt 2C_157/2017 susmentionné consid. 4.1). 
 
3.2. L'arrêt attaqué ne traite effectivement pas du point de savoir si la constitution de la servitude en cause tombe sous le coup de l' art. 61 al. 3 LDFR . Il ne mentionne même pas cette disposition. Il en va d'ailleurs de même de la décision du 12 octobre 2021 de la Commission foncière agricole qui n'a pas examiné ce point, alors que les recourants avaient déposé une demande d'autorisation de constitution de servitude. Or, avant de décider si la constitution de la servitude en cause pouvait ou non être autorisée, il s'agissait d'analyser si cette constitution était soumise à autorisation, c'est-à-dire si elle représentait un acte juridique équivalant économiquement à un transfert de la propriété au sens de l' art. 61 al. 3 LDFR . Ce n'était qu'en cas de réponse positive que cette opération nécessitait l'obtention d'une autorisation en application de l' art. 61 al. 1 LDFR . Si une autorisation n'était pas requise, la servitude pouvait sans autre être inscrite au registre foncier. La subsomption développée dans l'arrêt attaqué, affirmant que la constitution d'une servitude représentait une fraude à la loi dans la mesure où elle équivalait à une division de la parcelle n° bbbb, qui avait déjà été refusée par décision du 14 janvier 2021 de l'Office de l'agriculture, nécessitait donc une première analyse qui a été omise, la Cour de justice (de même que la Commission foncière agricole) n'ayant pas examiné la cause à l'aune de l' art. 61 al. 3 LDFR , comme requis par les recourants. Les faits de l'arrêt entrepris ne contiennent aucune précision concernant la servitude faisant l'objet du litige et du contrat y relatif. Il n'est donc pas possible de juger dans quelle mesure celle-ci restreint le propriétaire foncier dans ses droits et si elle a les mêmes effets économiques qu'une aliénation.  
En outre, on peut se demander si la constitution d'une servitude telle que celle ici en cause est compatible avec l'autorisation que le recourant n° 2 a dû obtenir comme préalable à l'achat du bien-fonds agricole en 2021 (cf. art. 60 al. 1 LDFR ). En effet, pour se voir octroyer une telle autorisation, le recourant, qui est agriculteur (cf. supra let. A.b), devait, sous réserve des exceptions mentionnées à l' art. 64 LDFR , démontrer sa qualité d'exploitant à titre personnel ( art. 63 al. 1 let. a LDFR ) et s'engager à s'occuper personnellement des terres (cf. art. 9 al. 1 LDFR ; arrêts 2C_334/2021 du 16 mars 2022 consid. 4.2; 2C_747/2008 du 5 mars 2009 consid. 3.1, non publié in ATF 135 II 123). La Cour de justice examinera donc également si une telle exception avait été retenue au moment de l'octroi de l'autorisation d'acquérir et donc, le cas échéant, si l'obligation de s'occuper soi-même du bien-fonds acquis est conciliable avec la constitution d'une servitude qui, d'après le plan de servitude du 16 juillet 2021, s'étend sur environ 1/5 e de la parcelle (cf. supra "Faits", let. B.a).  
Au regard de ces éléments, l'arrêt attaqué ne permet pas au Tribunal fédéral d'appliquer l' art. 61 al. 3 LDFR . Il doit donc être annulé et la cause renvoyée à la Cour de justice (cf. art. 107 al. 2 LTF ), afin qu'elle complète les faits s'agissant de la portée de la servitude d'usage du jardin et rende une nouvelle décision quant à la soumission de la constitution de cette servitude à autorisation. 
 
4.  
Le recours est admis et l'arrêt du 10 mai 2022 de la Cour de justice est annulé. La cause est renvoyée à l'autorité précédente, afin qu'elle rende une nouvelle décision dans le sens des considérants. 
Il est statué sans frais judiciaires, la République et canton de Genève en étant exempté ( art. 66 al. 4 LTF ). Les recourants, qui obtiennent partiellement gain de cause avec l'aide d'un avocat, ont droit à une indemnité de dépens réduite mise à la charge de la République et canton de Genève ( art. 68 al. 1, 2 et 4 LTF ). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est admis. L'arrêt du 10 mai 2022 de la Cour de justice de la République et canton de Genève est annulé et la cause lui est renvoyée, afin qu'elle rende une nouvelle décision dans le sens des considérants. 
 
2.  
Il est statué sans frais judiciaires. 
 
3.  
Une indemnité de 1'500 fr., à payer aux recourants à titre de dépens, est mise à la charge de la République et canton de Genève. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué au mandataire des recourants, à la Commission foncière agricole et à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre administrative, ainsi qu'à l'Office fédéral de l'agriculture et à l'Office fédéral de la justice. 
 
 
Lausanne, le 12 janvier 2024 
 
Au nom de la IIe Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Présidente : F. Aubry Girardin 
 
La Greffière : E. Jolidon 


Synthèse
Formation : Iie cour de droit public  
Numéro d'arrêt : 2C_483/2022
Date de la décision : 12/01/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 26/01/2024
Fonds documentaire ?: www.bger.ch
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2024-01-12;2c.483.2022 ?

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