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03/07/2023 | SUISSE | N°2C_588/2022

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral, IIe Cour de droit public  , Arrêt du 3 juillet 2023  , 2C 588/2022


 
Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
2C_588/2022  
 
 
Arrêt du 3 juillet 2023  
 
IIe Cour de droit public  
 
Composition 
Mmes et MM. les Juges fédéraux 
Aubry Girardin, Présidente, Donzallaz, 
Hänni, Hartmann et Ryter. 
Greffier : M. Jeannerat. 
 
Participants à la procédure 
A.________ SA, 
représentée par Me Minh Son Nguyen, avocat, 
recourante, 
 
contre  
 
Service de l'emploi, Contrôle du marché du trav

ail et protection des travailleurs, 
rue Caroline 11, 1014 Lausanne, 
 
Service de la population du canton de Vaud, avenue de Beaulieu 19, 1014 Lausanne Adm cant VD. 
 
Objet 
...

 
Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
2C_588/2022  
 
 
Arrêt du 3 juillet 2023  
 
IIe Cour de droit public  
 
Composition 
Mmes et MM. les Juges fédéraux 
Aubry Girardin, Présidente, Donzallaz, 
Hänni, Hartmann et Ryter. 
Greffier : M. Jeannerat. 
 
Participants à la procédure 
A.________ SA, 
représentée par Me Minh Son Nguyen, avocat, 
recourante, 
 
contre  
 
Service de l'emploi, Contrôle du marché du travail et protection des travailleurs, 
rue Caroline 11, 1014 Lausanne, 
 
Service de la population du canton de Vaud, avenue de Beaulieu 19, 1014 Lausanne Adm cant VD. 
 
Objet 
Infractions au droit des étrangers et facturation 
des frais de contrôle, 
 
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton 
de Vaud, Cour de droit administratif et public, du 20 juin 2022 (GE.2022.0035, PE.2022.0017). 
 
 
Faits :  
 
A.  
A.________ SA, dont le siège social est à U.________, est active dans le domaine de la construction. Elle exploite une entreprise générale de construction et une entreprise de plâtrerie, peinture et isolation. Son administrateur est G.B.________. Le 15 août 2021, elle a conclu un contrat de "sous-traitance" avec la société C.________ Sàrl, sise à V.________, dont la faillite a depuis été déclarée et qui est actuellement en liquidation. Ledit contrat portait sur la mise à disposition de personnel pour plusieurs chantiers. L'associé-gérant unique de C.________ Sàrl était D.________. 
Le 7 septembre 2021, les inspecteurs du Contrôle des chantiers de la construction dans le canton de Vaud (ci-après: le Contrôle des chantiers de la construction) se sont rendus à Vevey, sur un chantier dont A.________ SA était l'adjudicataire des travaux de plâtrerie-peinture. Dans leur rapport de contrôle, lesdits inspecteurs déclaraient avoir constaté à cette occasion la présence sur les lieux de E.________, ressortissant kosovar, qui effectuait divers travaux de peinture. L'intéressé, qui ne disposait d'aucune autorisation de séjour et de travail en Suisse, aurait indiqué travailler pour un dénommé "B.________", dont il a communiqué le numéro de téléphone. Ayant composé le numéro de téléphone communiqué, l'un des inspecteurs aurait alors parlé avec G.B.________, lequel aurait indiqué - toujours selon le rapport de contrôle - que E.________ était "loué à l'entreprise C.________ Sàrl". Durant le contrôle, le même inspecteur aurait également eu un entretien téléphonique avec D.________, associé-gérant de C.________ Sàrl, qui lui aurait confirmé que ledit travailleur avait été engagé une semaine auparavant et qu'il était effectivement "loué à la société A.________ SA". 
 
B.  
Par décision du 20 janvier 2022, le Service de l'emploi de l'Etat de Vaud (ci-après: le Service cantonal de l'emploi) a sommé A.________ SA de respecter les procédures applicables à l'engagement de main-d'oeuvre étrangère, ainsi que de rétablir immédiatement l'ordre légal en cessant d'occuper du personnel non autorisé à travailler en Suisse. Il a assorti cette sommation de la menace de rejeter les futures demandes d'admission de travailleurs étrangers de la société pour une durée variant d'un à douze mois. Le Service cantonal de l'emploi a par ailleurs rendu le même jour une seconde décision par laquelle elle a mis à charge de la société les frais de contrôle, fixés à 1'650 fr. 
A.________ SA a recouru contre les deux décisions précitées devant la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal de l'Etat de Vaud (ci-après: le Tribunal cantonal) en concluant à leur annulation. Ce dernier a rejeté le recours et confirmé les deux décisions attaquées par arrêt du 20 juin 2022. 
 
C.  
La société A.________ SA (ci-après: la recourante) dépose un recours en matière de droit public auprès du Tribunal fédéral à l'encontre de l'arrêt du Tribunal cantonal du 20 juin 2022. Elle conclut à la réforme de celui-ci en ce sens que les deux décisions rendues à son encontre par le Service cantonal de l'emploi le 20 janvier 2022 ne soient pas confirmées. 
Le Tribunal cantonal, comme le Service de la population de l'Etat de Vaud, a renoncé à se prononcer sur le recours, se référant aux considérants de son arrêt. Le Service cantonal de l'emploi a pour sa part répondu au recours, dont il conclut au rejet. 
La recourante a déposé d'ultimes observations. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
L'arrêt attaqué est une décision finale au sens de l' art. 90 LTF en tant qu'il confirme la décision du Service cantonal de l'emploi du 20 janvier 2022 de sommer la recourante au respect des règles régissant l'engagement de main-d'oeuvre étrangère en Suisse, sous peine de voir ses futures demandes d'admission de travailleurs étrangers rejetées pour une durée variant d'un à douze mois. Il constitue également une décision finale en tant qu'il confirme la décision rendue le même jour de façon séparée par le Service cantonal de l'emploi de faire supporter à l'intéressée les frais du contrôle de chantier du 7 septembre 2021 ayant conduit à une telle sommation, lesquels se montent en l'occurrence à 1'650 fr. Cet arrêt a du reste été rendu en dernière instance cantonale par un tribunal supérieur ( art. 86 al. 1 let . d et al. 2 LTF) dans une cause de droit public ( art. 82 let. a LTF ) ne tombant sous le coup d'aucune exception figurant à l' art. 83 LTF . La voie du recours en matière de droit public est donc en principe ouverte. 
Il s'ensuit que le recours en matière de droit public de la recourante, qui a été déposé en temps utile ( art. 100 al. 1 LTF ) et dans les formes prescrites ( art. 42 LTF ), par la société destinataire de l'arrêt attaqué qui a un intérêt digne de protection à son annulation (cf. art. 89 al. 1 LTF ), est recevable. 
 
2.  
 
2.1. Le Tribunal fédéral applique en principe d'office le droit ( art. 106 al. 1 LTF ). Cela ne signifie pas qu'il examine, comme le ferait un juge de première instance, toutes les questions juridiques que pourrait poser l'arrêt attaqué. Compte tenu de l'obligation de motiver imposée par l' art. 42 al. 2 LTF , il ne traite que les questions qui sont soulevées devant lui par les parties, à moins qu'une violation du droit non invoquée par elles ne soit manifeste (cf. ATF 140 III 115 consid. 2; 140 III 86 consid. 2; 133 III 545 consid. 2.2).  
 
2.2. Le Tribunal fédéral conduit son raisonnement juridique sur la base des faits constatés par l'autorité précédente ( art. 105 al. 1 LTF ), sous réserve des cas prévus à l' art. 105 al. 2 LTF . Selon l' art. 97 al. 1 LTF , le recours ne peut critiquer les constatations de fait que si celles-ci ont été opérées de façon manifestement inexacte - notion qui correspond à celle d'arbitraire ( art. 9 Cst. ) - ou en violation du droit au sens de l' art. 95 LTF et si la correction du vice est susceptible d'influer sur le sort de la cause (ATF 142 II 355 consid. 6; 139 II 373 consid. 1.6). Conformément à l' art. 106 al. 2 LTF , la partie recourante doit expliquer de manière circonstanciée en quoi ces conditions seraient réalisées. A défaut, il n'est pas possible de tenir compte d'un état de fait qui diverge de celui qui est contenu dans l'acte attaqué (ATF 137 II 353 consid. 5.1).  
 
3.  
Le présent litige trouve son origine dans le contrôle de chantier que les inspecteurs du Contrôle des chantiers de la construction ont effectué à Vevey le 7 septembre 2021, ainsi que dans le rapport, daté du 10 septembre 2021, que lesdits inspecteurs ont élaboré à propos de ce contrôle. Sur la base de ce rapport, le Service cantonal de l'emploi puis, après lui, le Tribunal cantonal ont en effet considéré comme établi le fait que la recourante avait, en toute connaissance de cause, loué les services de E.________ à la société C.________ Sàrl, afin que l'intéressé travaille sur le chantier de Vevey susmentionné, alors même que cette personne, d'origine kosovare, ne disposait pas des autorisations de travail nécessaires. Les autorités précédentes en ont déduit que la recourante avait ainsi violé son obligation légale d'employeur, ancrée à l'art. 91 al. 1 de la loi fédérale du 16 décembre 2005 sur les étrangers et l'intégration (LEI, RS 142.20), de s'assurer que les personnes étrangères qu'elle engage soient autorisées à exercer une activité lucrative en Suisse, le cas échéant en examinant leur titre de séjour ou en se renseignant auprès des autorités compétentes. Or, d'après le Tribunal cantonal, une telle violation de la LEI autorisait le Service cantonal de l'emploi à menacer la recourante du fait qu'en cas de récidive, celle-ci pourrait voir ses futures demandes d'admission de travailleurs étrangers entièrement ou partiellement rejetées pour une durée variant d'un à douze mois, ce conformément à l' art. 122 LEI . Elle permettait enfin également à l'autorité intimée de mettre les frais de contrôle à la base de cette décision à la charge de l'intéressée, ce à concurrence de 1'650 fr. 
 
4.  
Dans ses écritures, la recourante se limite à contester la manière dont le Tribunal cantonal a établi les faits dans l'arrêt attaqué. Elle affirme n'avoir jamais loué les services de E.________ pour la réalisation des travaux qui lui avaient été adjugés sur le chantier de Vevey, ni n'avoir jamais su d'ailleurs que l'intéressé se trouvait là-bas avant le contrôle du 7 septembre 2021. Elle prétend que l'autorité précédente a retenu le contraire sur la base d'une administration des preuves violant le droit au sens de l' art. 95 LTF . 
 
4.1. Pour que le Tribunal fédéral puisse revenir sur des faits prétendument établis en violation du droit par l'autorité précédente, comme le permet l'art. 105 al. 2 en combinaison avec l' art. 97 al. 1 LTF (cf. supra consid. 2.2), la partie recourante doit alléguer et démontrer la violation de règles de droit, appartenant à la liste de l' art. 95 LTF , qui gouvernent l'établissement des faits. L'argument le plus fréquemment avancé en ce sens est la violation du droit à la preuve, qui est une composante du droit d'être entendu ( art. 29 al. 2 Cst. ; Message concernant la révision totale de l'organisation judiciaire fédérale du 28 février 2001, FF 2011, p. 4000 ss, spéc. 4135; voir p. ex. ATF143 III 297 consid. 9.3.2). La partie recourante peut cependant se plaindre de la violation d'autres normes juridiques, comme celles portant sur la manière d'administrer les preuves et d'en apprécier la portée (voir p. ex. arrêt 9C_850/2008 du 6 février 2009 consid. 2.2; cf. aussi MARKUS SCHOTT, in: Basler Kommentar - Bundesgerichtsgesetz, 3e éd., 2018, n. 18 ad art. 97 LTF ; GRÉGORY BOVEY, in: Commentaire de la LTF, 3e éd., 2022, n. 31 s. ad art. 97 LTF ).  
 
 
4.2. En l'occurrence, la recourante se plaint du fait que le Tribunal cantonal aurait tenu pour établis les faits consignés dans le rapport du Contrôle des chantiers de la construction daté du 10 septembre 2021. Selon elle, le Tribunal cantonal aurait dû considérer d'entrée de cause que ce rapport était inexploitable, dès lors qu'il n'avait pas été signé par le travailleur contrôlé, c'est-à-dire par E.________, ce qui constituerait une violation crasse de l'art. 9 de la loi sur le travail au noir, du moins tel qu'il devrait être appliqué à la lumière des art. 6 CEDH et 29 al. 2 Cst.  
 
4.2.1. La loi fédérale du 17 juin 2005 concernant des mesures en matière de lutte contre le travail au noir (Loi sur le travail au noir, LTN; RS 822.41) vise, comme son titre l'indique, à lutter contre le travail au noir. Elle institue dans ce but des mécanismes de contrôle et de répression en lien avec d'éventuelles infractions aux différents devoirs d'annonce et d'autorisation relevant du droit des assurances sociales, des étrangers et de l'imposition à la source (cf. art. 1 et 6 LTN ). Les art. 7 et 8 LTN disposent ainsi que les personnes chargées des contrôles au sens de cette loi peuvent, à certaines conditions, pénétrer dans une entreprise ou dans tout autre lieu de travail et exiger les renseignements nécessaires des employeurs et des travailleurs, lesquels sont tenus de leur fournir les documents et les renseignements ainsi requis. Conformément à l'art. 9 de la loi, les personnes chargées des contrôles doivent alors consigner leurs constatations dans un procès-verbal (al. 1), qu'elles doivent faire signer séance tenante par les personnes contrôlées (al. 2). Elles le transmettent ensuite aux autorités et aux organisations qui instruisent et statuent sur les indices d'infraction constatés lors du contrôle ( art. 9 al. 3 let. a LTN ).  
 
4.2.2. En l'occurrence, dans son arrêt, le Tribunal cantonal a constaté que E.________, soit le travailleur en situation illégale oeuvrant sur le chantier de Vevey le 7 septembre 2021, n'avait pas signé le rapport de contrôle contenant ses déclarations et valant procès-verbal au sens de l' art. 9 LTN , ce qui contrevenait à l' art. 9 al. 2 LTN . L'autorité précédente a néanmoins considéré que cette absence de signature ne privait pas ledit rapport de toute force probante, dès lors que l'exigence de signature des procès-verbaux ancrée à l' art. 9 al. 2 LTN ne représentait qu'une prescription d'ordre et qu'il n'existait aucun doute sur le fait que E.________ était bien le travailleur contrôlé et entendu par les inspecteurs sur le chantier de Vevey en date du 7 septembre 2021. Selon le Tribunal cantonal, le rapport de contrôle, daté du 10 septembre 2021, était ainsi valable non seulement en tant qu'il constatait la présence dudit travailleur sur le chantier précité et qu'il relatait les propos tenus par celui-ci à cette occasion, mais aussi en tant qu'il reproduisait les autres déclarations obtenues par téléphone lors du contrôle, comme celles de G.B.________ et de D.________, soit, respectivement, celles de l'administrateur de la recourante et celles de l'associé-gérant de la société sous-traitante, C.________ Sàrl, aujourd'hui en liquidation.  
 
4.2.3. La recourante soutient pour sa part que l'absence totale de signature des personnes contrôlées et, en particulier, de E.________ rend le rapport de contrôle du 10 septembre 2021 totalement inexploitable. L'intéressée affirme que l'on ne sait pas si ce dernier était ou non d'accord avec ce qui a été retenu dans le rapport d'inspection, lequel a du reste été établi quelques jours après le contrôle. Elle soutient que le droit d'être entendu, comme le droit à un procès équitable, suppose pourtant que toute personne puisse se défendre en se basant sur des procès-verbaux "dignes de ce nom", ce qui ne serait pas le cas en l'espèce.  
 
4.2.4. Il ressort en l'occurrence de l'arrêt attaqué qu'à l'instar du Service cantonal de l'emploi avant lui, le Tribunal cantonal a établi les faits nécessaires à la résolution du présent litige en se fondant essentiellement sur le rapport de contrôle des inspecteurs daté du 10 septembre 2021, rapport qui vaut procès-verbal au sens de l' art. 9 LTN . Or, comme l'a constaté l'autorité précédente, ce rapport n'a été signé par aucune des personnes contrôlées sur le chantier de Vevey, dont la recourante était, pour rappel, adjudicataire d'une partie des travaux. Comme le souligne cette dernière, il n'a en particulier pas été paraphé par le travailleur se trouvant en situation illégale sur ledit chantier, soit E.________. Relevons qu'il n'a pas été signé non plus par l'administrateur de la recourante, ni par l'associé-gérant de sa société sous-traitante, quand bien même il fait état des entretiens téléphoniques que les inspecteurs ont pu avoir avec ces deux personnes durant le contrôle de chantier du 7 septembre 2021. Si cette absence de signature contrevient de manière évidente à l' art. 9 al. 2 LTN , qui prévoit la signature séance tenante du procès-verbal de contrôle par les personnes contrôlées, ses conséquences concrètes s'avèrent en revanche moins claires dans la mesure où la loi sur le travail au noir ne répond pas expressément à cette question. Il s'agit dès lors d'examiner si l'exigence de signature posée à l' art. 9 al. 2 LTN constitue une simple prescription d'ordre dont la violation n'influerait nullement sur la validité du rapport de contrôle, comme l'a retenu le Tribunal cantonal dans son arrêt, ou si elle constitue une véritable condition de validité et, partant, d'exploitabilité des procès-verbaux de contrôle relevant de la lutte contre le travail au noir, comme le soutient la recourante dans ses écritures.  
 
4.2.5. La Cour de céans relève d'emblée que la jurisprudence a tiré du droit d'être entendu garanti à l' art. 29 al. 2 Cst. un devoir général de tenue des dossiers, lequel confère aux parties, spécialement en procédure judiciaire administrative, le droit d'obtenir des autorités que leurs déclarations, ainsi que celles de témoins ou d'experts, ou d'autres actes d'instruction importants pour l'issue du litige soient consignés dans un procès-verbal, tout au moins dans leur teneur essentielle (ATF 142 I 86 consid. 2.2 et 2.3; 130 II 473 consid. 4.1; 124 V 389 consid. 3a). En revanche, la jurisprudence, tout comme la doctrine, partent généralement de la prémisse que, sauf réglementation contraire, un tel procès-verbal est valable comme moyen de preuve même lorsqu'il n'est pas signé par les personnes dont les déclarations ont été retranscrites, le défaut de signature influant le cas échéant uniquement sur sa valeur probante (cf. ATF 117 V 284 consid. 4b; arrêts 2C_50/2010 du 17 juin 2010 consid. 2.3.2; U 61/06 du 19 septembre 2006 consid. 1.3.4 et 1.4; U 131/02 du 6 novembre 2002 consid. 3.2 et 3.3; WIEDERKEHR/MEYER/BÖHME, VwVG Kommentar, 2022, n. 9 ad art. 14 PA ; WEISSENBERGER/HIRZEL, in: Praxiskommentar Verwaltungsverfahrensgesetz, 2e éd., 2016, n. 87 ad art. 14 PA ).  
La Cour de céans relève que la pratique qui vient d'être décrite respecte le droit à un procès équitable consacré à l' art. 6 CEDH qui s'applique, pour rappel, à toute procédure relative à une contestation sur des droits et obligations de caractère civil ou s'assimilant à une accusation en matière pénale. Ce droit ne réglemente en effet pas le régime des preuves en tant que tel et, partant, n'interdit pas en soi d'exploiter des procès-verbaux non signés. La Cour européenne des droits de l'homme (ci-après: la CourEDH) estime qu'il appartient en principe au droit national et aux juridictions nationales de fixer les règles d'admissibilité des preuves (cf. arrêts de la CourEDH, Moreira Ferreira c. Portugal du 11 juillet 2017, no 19867/12, § 83; García Ruiz c. Espagne du 21 janvier 1999, no 30544/96, CEDH 1999-I, § 28; Mantovanelli c. France du 18 mars 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-II, § 34) et que, dans ce cadre, le respect des exigences du procès équitable - que ce soit sous son volet civil ou pénal - s'apprécie au cas par cas, à l'aune de la conduite de la procédure dans son ensemble, et non en se fondant sur l'examen isolé de tel ou tel point ou incident, comme l'existence ou non d'une signature sur un procès-verbal utilisé comme moyen de preuve (cf. arrêts de la CourEDH Simeonovi c. Bulgarie du 12 mai 2017, no 21980/04, § 113; aussi Rusen Bayar c. Turquie du 19 février 2019, no 25253/08, § 121).  
 
4.2.6. Il découle de ce qui précède que la question de savoir si le rapport de contrôle du 10 septembre 2021 constitue un moyen de preuve exploitable ou non dépend exclusivement de la portée qu'il convient de prêter à l'exigence de signature des procès-verbaux de contrôle posée à l' art. 9 al. 2 LTN , étant précisé que la recourante ne prétend pas que le Tribunal cantonal aurait appliqué arbitrairement les règles de procédure administrative cantonale en admettant un tel document au dossier (cf. art. 106 al. 2 LTF ). Or, à cet égard, il convient de relever que, lors de l'élaboration du projet de loi sur le travail au noir, le Conseil fédéral a expressément déclaré dans son message que le procès-verbal de contrôle prévu par la loi devait " si possible " être rédigé sur place et signé par l'employeur ou par la personne contrôlée (cf. Message concernant la loi fédérale contre le travail au noir du 16 janvier 2002, FF 2002 p. 3371 ss, spéc. 3417). Il semble ainsi être parti du présupposé, largement admis en procédure administrative, selon lequel un procès-verbal reste en principe exploitable même s'il n'était pas signé par la personne dont il rapporte les propos (cf. supra consid. 4.2.5). Autrement dit, d'un point de vue tant historique que systématique, le législateur ne semble pas avoir eu à l'esprit d'imposer une obligation invariable de signature à l' art. 9 LTN , ni, a fortiori , de prévoir une inexploitabilité absolue des procès-verbaux de contrôle non signés par les personnes contrôlées. Il faut dire que de tels documents ne visent pas uniquement à retranscrire les propos potentiellement recueillis auprès des personnes contrôlées, mais aussi à faire état de tous les autres constats et informations opérés et récoltées lors de l'inspection (cf. art. 9 al. 1 LTN ). Ainsi, sur le plan téléologique, il semblerait peu cohérent qu'un défaut de signature des personnes contrôlées conduise à l'inexploitabilité du procès-verbal de contrôle établi en application de l' art. 9 LTN , un tel document remplissant - comme on vient de le dire - une fonction plus large que celle d'établir les déclarations des personnes contrôlées. Notons enfin qu'une inexploitabilité du procès-verbal de contrôle, même limitée aux seules déclarations des personnes contrôlées, paraîtrait peu conforme à l'intention du législateur, qui entendait adopter une loi sur le travail au noir pragmatique, permettant de lutter efficacement contre ce phénomène, en en simplifiant les processus de contrôle (cf. Message précité, FF 2002 3372 s.).  
 
 
4.2.7. En somme, les différentes méthodes d'interprétation des lois tendent toutes à confirmer l'avis soutenu par le Tribunal cantonal selon lequel le devoir des inspecteurs de faire "signer le procès-verbal séance tenante par les personnes contrôlées", tel que prévu à l' art. 9 al. 2 LTN , ne constitue qu'une prescription d'ordre visant à améliorer la valeur probante des rapports de contrôle prévus par cette disposition. Les arguments développés par la recourante dans son recours n'ébranlent nullement cette conclusion. Dans son mémoire, l'intéressée souligne surtout que, selon elle, la décision litigieuse consistant à la menacer de rejeter ses futures demandes d'admission de travailleurs étrangers s'assimilerait à une accusation en matière pénale au sens de l' art. 6 CEDH . Elle ne prétend toutefois pas que cette disposition - dont l'applicabilité en la cause peut rester indécise - interdirait d'exploiter des procès-verbaux non signés à des fins de preuve, ce qui n'est d'ailleurs pas le cas, comme on l'a vu (cf. supra consid. 4.2.5). Elle fait pour le reste grand cas d'une jurisprudence 6B_1409/2019 du 4 mars 2021 de la Cour de droit pénal du Tribunal fédéral, d'après laquelle l'absence de signature d'un procès-verbal d'audition tenue dans le cadre d'une procédure pénale rend celui-ci inexploitable. Elle perd néanmoins de vue qu'une telle conséquence est en l'occurrence expressément prévue par l'art. 141 al. 2 du code de procédure pénale suisse (CPP; RS 312.0), lequel n'est nullement applicable aux procédures menant, comme en l'espèce, au prononcé de sanctions administratives (cf. d'ailleurs ATF 142 I 86 consid. 2.2 et 2.3). Sa comparaison avec les règles de procédure pénale confirme en fin de compte que, si le législateur fédéral avait voulu prévoir l'inexploitabilité des procès-verbaux de contrôle non signés, il l'aurait clairement signifié dans la loi sur le travail au noir, comme il l'a fait à l' art. 141 al. 2 CPP .  
 
4.2.8. Sur le vu de ce qui précède, il y a lieu de constater que le Tribunal cantonal n'a pas violé l' art. 9 al. 2 LTN , ni d'ailleurs les art. 29 al. 2 Cst. et 6 CEDH, en n'écartant pas d'emblée le rapport des inspecteurs du Contrôle des chantiers de la construction du 10 septembre 2021 avant d'établir les faits de la cause, quand bien même ledit rapport n'a pas été signé par les personnes contrôlées à cette occasion. La question de savoir s'il pouvait prêter une réelle force probante à ce document et considérer les faits qui y sont constatés comme avérés constitue une autre question, qui sera traitée ci-après.  
 
4.3. La recourante affirme que le Tribunal cantonal aurait également violé son droit d'être entendue et, plus particulièrement, son droit à la preuve consacré par les art. 29 al. 2 Cst. et 6 CEDH en retenant qu'elle savait que C.________ Sàrl lui avait loué les services de E.________ pour son chantier de Vevey. Elle reproche à l'autorité précédente d'avoir abouti à un tel constat sans avoir auditionné elle-même le travailleur intéressé, ni l'associé-gérant de la société précitée, aujourd'hui en liquidation, ce en dépit du fait qu'elle avait expressément requis l'administration de tels moyens de preuve dans son recours.  
 
4.3.1. Le droit d'être entendu découlant de l' art. 29 al. 2 Cst. comprend pour le justiciable le droit d'obtenir l'administration des preuves pertinentes et valablement offertes (cf. ATF 142 II 218 consid. 2.3; 140 I 285 consid. 6.3.1). Cette garantie constitutionnelle n'empêche toutefois pas l'autorité de renoncer à procéder à des mesures d'instruction, lorsque les preuves administrées lui ont permis de forger sa conviction et que, procédant d'une manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude que ces dernières ne pourraient l'amener à modifier son opinion (cf. ATF 140 I 285 consid. 6.3.1). Il s'ensuit que le droit d'être entendu n'emporte avec lui aucun droit absolu d'obtenir l'audition de témoins; l'autorité peut renoncer à les faire citer si, dans le cadre d'une appréciation anticipée non arbitraire des preuves, elle peut d'emblée dénier à ces témoignages une valeur probante décisive pour le jugement (ATF 130 II 425 consid. 2.1; 2C_850/2014 du 10 juin 2016 consid. 6.1, non publié in ATF 142 II 388). Il n'en va du reste pas autrement sous l'angle du droit à un procès équitable et à l'égalité des armes garanti par l' art. 6 CEDH . Cette disposition - à supposer qu'elle s'applique en l'affaire, ce qui peut rester ouvert - ne reconnaît aucun droit absolu à la convocation de témoins en justice lors de procédures s'assimilant à des accusations en matière pénale ou portant sur des contestations sur des droits ou obligations à caractère civil. Elle laisse au juge le soin d'apprécier l'opportunité de faire comparaître des témoins, respectivement d'en refuser l'audition sur la base d'une motivation adéquate, tant que l'ensemble de la procédure respecte l'égalité des armes et reste équitable (cf., sous le volet pénal, arrêts de la CourEDH Murtazaliyeva c. Russie du 18 décembre 2018, no 36658/05, § 150 ss; aussi, sous le volet civil, Dombo Beheer B.V. c. Pays-Bas du 27 octobre 1993, série A no 274, 1993, § 31 et Wierzbicki c. Pologne du 18 juin 2002, no 24541/94, § 45).  
 
4.3.2. En l'occurrence, le Tribunal cantonal a expliqué dans l'arrêt attaqué qu'il ressortait du rapport du 10 septembre 2021 que, lors du contrôle de chantier du 7 septembre 2021, E.________ aurait transmis le numéro de téléphone d'un certain "B.________" à l'un des inspecteurs, qui l'aurait alors composé séance tenante sur son portable. A suivre le rapport, ledit inspecteur aurait alors entamé une conversation téléphonique avec une personne prénommée "G.B.________". Cette personne, qui n'était autre que l'administrateur de la recourante, lui aurait alors expliqué que la personne contrôlée, à savoir E.________, était bel et bien un employé de C.________ Sàrl dont les services avaient été loués pour les besoins de chantier de Vevey. Les juges cantonaux ont enfin constaté que, selon le rapport, cette information avait été confirmée par l'associé-gérant de la société C.________ Sàrl, avec qui l'inspecteur aurait également téléphoné durant le contrôle. Or, le Tribunal cantonal a considéré qu'il convenait de s'en tenir à ces premières déclarations qui, d'expérience, étaient non seulement plus proches de la vérité que celles qui pouvaient être faites après l'ouverture d'une procédure administrative officielle pouvant conduire au prononcé de sanctions administratives, mais qui indiquaient en plus toutes, de manière concordante, que la société C.________ Sàrl avait effectivement loué les services de E.________ à la recourante. Ce faisant, l'autorité précédente a estimé qu'il n'était pas nécessaire de procéder aux mesures d'instruction supplémentaires requises par la recourante, comme l'audition de E.________ ou celle de D.________, lesquels tendaient en effet uniquement à contredire ce constat clairement établi par le rapport de contrôle du 10 septembre 2021.  
 
4.3.3. Sur le vu de ce qui précède, on ne voit pas en quoi le Tribunal cantonal aurait procédé à une appréciation anticipée des preuves insoutenable, contrevenant au droit à la preuve ou à un procès équitable, en refusant d'auditionner à la fois E.________ et D.________. En effet, comme on vient de l'exposer, il ressort du rapport de contrôle du 10 septembre 2021 qu'aussi bien l'associé-gérant de la société C.________ Sàrl que l'administrateur de la recourante ont déclaré le jour du contrôle aux inspecteurs que la première société avait loué les services de E.________ à la seconde. Or, il n'est pas insoutenable d'accorder une plus forte valeur à de telles déclarations, faites sur le vif, qu'à d'éventuels témoignages opérées ultérieurement pour les besoins de la présente procédure. Une telle conclusion s'impose d'autant plus en l'espèce qu'il ressort de l'arrêt attaqué que la recourante n'a jamais contesté le fait qu'un inspecteur ait téléphoné à son administrateur le jour du contrôle du chantier de Vevey, ainsi qu'à l'associé-gérant de son ancienne société sous-traitante, et que l'intéressée n'a jamais prétendu non plus que l'inspecteur aurait mal retranscrit le contenu des discussions qui en ont résulté. Elle ne le fait d'ailleurs pas davantage dans son recours au Tribunal fédéral. Elle se contente en réalité d'affirmer qu'un complément d'instruction aurait été nécessaire en raison de l'absence de signature de E.________ au procès-verbal de contrôle, défaut qui conduirait, selon elle, à l'inexploitabilité de ce document, ce qui est toutefois incorrect, comme on l'a vu (cf. supra consid. 4.2.8). Elle se plaint enfin à tort d'une prétendue contradiction entre les différentes déclarations retranscrites au rapport, en relevant que, d'après celui-ci, son administrateur aurait déclaré dans un premier temps que E.________ était "loué à l'entreprise C.________ Sàrl", avant que l'associé-gérant de cette dernière n'affirme, de son point de vue, l'inverse, en indiquant dans un second temps que l'intéressé était "loué" à la recourante. Quoi qu'en dise la recourante, on peut évidemment considérer que de tels propos sont parfaitement concordants, dans la mesure où le verbe "louer" peut signifier, selon le contexte, tant "prendre en location" que "donner en location" (cf. Le Petit Robert de la langue française, nouvelle éd. 2023, p. 1483).  
 
4.4. Sur le vu de ce qui précède, le Tribunal cantonal n'a pas établi les faits de manière contraire au droit au sens de l' art. 95 LTF .  
 
5.  
Sur la base des faits constatés, on ne voit manifestement pas en quoi l'arrêt attaqué serait contraire au droit fédéral. Se limitant à remettre en question les constations de faits du Tribunal cantonal, la recourante ne le conteste du reste pas elle-même. Rappelons que l' art. 122 al. 1 et 2 LEI prévoit clairement que, si un employeur enfreint la présente loi de manière répétée, l'autorité compétente peut la menacer de rejeter entièrement ou partiellement ses demandes d'admission de travailleurs étrangers, à moins que ceux-ci aient un droit à l'autorisation. Or, d'après l' art. 91 al. 1 LEI , tout employeur doit s'assurer que l'étranger qu'il engage est autorisé à exercer une activité lucrative en Suisse en examinant son titre de séjour ou en se renseignant auprès des autorités compétentes, ce qui n'a précisément pas été le cas en l'espèce d'après les faits retenus dans l'arrêt attaqué, lesquels lient la Cour de céans (cf. art. 105 al. 1 LTF ), étant entendu qu'une telle obligation de contrôle s'impose également aux entreprises qui, comme la recourante, s'adressent à d'autres pour leur louer les services de travailleurs (cf. arrêt 2C_357/2009 du 16 novembre 2009 consid. 4; aussi, sous l'empire de l'ancien droit ATF 128 IV 170 consid. 4.1; 99 IV 110 consid. 1 et 4). Quant aux frais résultant des contrôles relevant de la lutte contre le travail au noir, l' art. 16 al. 1 LTN prévoit qu'ils sont financés par des émoluments perçus auprès des personnes contrôlées lorsque des atteintes aux obligations en matière d'annonce et d'autorisation relevant du droit des étrangers ont été constatées, ce qui est le cas en l'espèce. 
Il s'ensuit que l'arrêt attaqué respecte le droit fédéral non seulement en tant qu'il somme la recourante au respect des règles régissant l'engagement de main-d'oeuvre étrangère en Suisse, sous peine de voir ses futures demandes d'admission de travailleurs étrangers rejetées pour une durée variant d'un à douze mois, mais également en tant qu'il condamne la recourante à payer les frais du contrôle de chantier ayant conduit au prononcé d'une telle sommation, ce à hauteur de 1'650 fr. 
 
6.  
Il découle de ce qui précède que le recours, mal fondé, doit être rejeté. Succombant, la recourante doit supporter les frais judiciaires (cf. art. 66 al. 1 LTF ). Il n'est pas alloué de dépens (cf. art. 68 al. 3 LTF ). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge de la recourante. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué au mandataire de la recourante, au Service cantonal de l'emploi, Contrôle du marché du travail et protection des travailleurs, au Service de la population du canton de Vaud, au Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de droit administratif et public, et à la Confédération suisse, représentée par le Secrétariat d'Etat à l'économie. 
 
 
Lausanne, le 3 juillet 2023 
Au nom de la IIe Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Présidente : F. Aubry Girardin 
 
Le Greffier : E. Jeannerat 


Synthèse
Formation : Iie cour de droit public  
Numéro d'arrêt : 2C_588/2022
Date de la décision : 03/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 15/07/2023
Fonds documentaire ?: www.bger.ch
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2023-07-03;2c.588.2022 ?

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