La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/06/2023 | SUISSE | N°4A_387/2022

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral, Ire Cour de droit civil  , Arrêt du 13 juin 2023  , 4A 387/2022


 
Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
4A_387/2022  
 
 
Arrêt du 13 juin 2023  
 
Ire Cour de droit civil  
 
Composition 
Mmes les Juges fédérales 
Jametti, présidente, Hohl, Kiss. 
Greffier: M. O. Carruzzo. 
 
Participants à la procédure 
A.________ SA, 
représentée par Me Guillaume Vodoz, avocat, 
recourante, 
 
contre  
 
L'hoirie de feu B.________, soit: 
 
1. C.________, 
2. D.________, 
3. E._____

___, 
4. F.________, 
5. G.________, 
tous représentés par Me Christophe Emonet, avocat, 
partie intimée. 
intimé. 
Objet 
entraide judiciaire internationale en matière civile, 
 
recou...

 
Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
4A_387/2022  
 
 
Arrêt du 13 juin 2023  
 
Ire Cour de droit civil  
 
Composition 
Mmes les Juges fédérales 
Jametti, présidente, Hohl, Kiss. 
Greffier: M. O. Carruzzo. 
 
Participants à la procédure 
A.________ SA, 
représentée par Me Guillaume Vodoz, avocat, 
recourante, 
 
contre  
 
L'hoirie de feu B.________, soit: 
 
1. C.________, 
2. D.________, 
3. E.________, 
4. F.________, 
5. G.________, 
tous représentés par Me Christophe Emonet, avocat, 
partie intimée. 
intimé. 
Objet 
entraide judiciaire internationale en matière civile, 
 
recours en matière civile contre l'arrêt rendu le 22 juillet 2022 par la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève (CR/8/2022; ACJC/1007/2022). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. B.________ était le directeur général de H.________ de 1984 à mai 2012 puis d'octobre 2012 à janvier 2014. Cette dernière lui reproche de s'être enrichi illégitimement à son détriment durant de nombreuses années, en obtenant le versement de commissions secrètes sur des investissements effectués auprès de divers établissements financiers dont A.________ SA (ci-après: A.________). Lesdites commissions auraient été versées sur des comptes ouverts auprès de ladite banque et détenus par B.________ ou par un intermédiaire financier, à savoir I.________.  
 
A.b. En 2012, le Ministère public de la Confédération (MPC) a ouvert une procédure pénale à l'encontre de B.________ en raison notamment de soupçons de blanchiment d'argent et de gestion déloyale. H.________ s'est constituée partie plaignante.  
Dans le cadre de cette procédure, A.________ a notamment transmis au MPC toute la documentation bancaire relative aux comptes n.... et... ouverts auprès d'elle par des sociétés dont B.________ était l'ayant droit économique ainsi que celle relative au compte personnel n.... du prénommé. 
Par décision du 10 janvier 2017, le Tribunal pénal fédéral (TPF) a considéré que H.________ était une entité de nature quasi-étatique, de sorte qu'il existait un risque concret de "transmission intempestive" à l'Etat U.________ de tous documents obtenus dans le cadre de la procédure pénale. Il a dès lors limité l'accès au dossier de H.________, en ce sens que cette dernière pouvait uniquement consulter celui-ci dans les locaux du MPC, sans possibilité d'en lever des copies. 
 
A.c. En 2019, une procédure pénale a été initiée dans l'Etat U.________ à l'encontre de B.________ et de son épouse.  
Le 4 janvier 2021, les autorités de l'Etat U.________ ont adressé au MPC une requête d'entraide judiciaire internationale en matière pénale (procédure no...) en vue d'obtenir les documents bancaires recueillis dans le cadre de la procédure pénale suisse précitée. B.________ s'est opposé à cette requête. 
 
B.  
 
B.a. En 2019, H.________ a initié une action civile devant l'autorité britannique "The Senior Master of the Senior Courts of England and Wales" à l'encontre de B.________ et d'autres défendeurs dont A.________.  
 
B.b. Le 7 février 2022, le Tribunal de première instance genevois a reçu une demande d'entraide judiciaire internationale en matière civile formée le 17 janvier 2022 par l'autorité britannique précitée. Cette commission rogatoire, fondée sur la Convention de La Haye du 18 mars 1970 sur l'obtention des preuves à l'étranger en matière civile ou commerciale (CLaH70; RS 0.274.132), tendait notamment à la fourniture par A.________ des documents relatifs aux comptes bancaires n....,... et.... L'annexe n. 2 à la commission rogatoire mentionnait la liste des documents requis. La transmission desdits documents avait pour but de permettre à A.________ de se défendre face aux accusations de H.________ formulées à son encontre, sans violer le secret bancaire suisse.  
Par ordonnance du 22 mars 2022, le Tribunal de première instance genevois a ordonné à A.________ de produire, dans un délai de deux mois, les documents listés dans l'annexe n. 2 à la commission rogatoire. En bref, il a considéré que A.________ avait renoncé à faire valoir le secret bancaire, puisqu'elle avait elle-même sollicité la commission rogatoire. De plus, les ayants droit économiques des comptes bancaires visés étaient parties à la procédure au fond, de sorte qu'ils avaient vraisemblablement été entendus au sujet de la mesure d'entraide judiciaire requise. 
 
B.c. Le 4 avril 2022, B.________ a recouru contre ladite ordonnance.  
Statuant par arrêt du 22 juillet 2022, la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève a admis le recours, annulé l'ordonnance attaquée et rejeté la demande d'entraide judiciaire internationale en matière civile présentée. En bref, elle a considéré que l'art. 12 § 1 let. b CLaH70 justifiait en l'occurrence de ne pas faire droit à ladite demande. 
 
C.  
Le 14 septembre 2022, A.________ (ci-après: la recourante) a formé un recours en matière civile à l'encontre de cet arrêt. Elle conclut, en substance, à la réforme de la décision querellée en ce sens que la demande d'entraide judiciaire internationale est admise. Subsidiairement, elle requiert l'annulation de l'arrêt déféré et le renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision dans le sens des considérants. 
Par ordonnance du 16 septembre 2022, le Tribunal fédéral a ordonné la suspension de la présente procédure jusqu'à droit connu sur l'acceptation de la succession de feu B.________, décédé le 6 septembre 2022, et a invité le conseil du précité à fournir un document officiel précisant l'identité des héritiers du défunt et à produire une procuration signée par tous les héritiers relativement à la poursuite de la procédure fédérale. 
Le 2 décembre 2022, le conseil de feu B.________ a indiqué qu'à sa connaissance les héritiers légaux et institués du prénommé étaient sa veuve E.________ et leurs quatre enfants, à savoir C.________, D.________, F.________ et G.________. Il a simultanément produit cinq procurations l'autorisant à représenter les personnes précitées dans le cadre de la présente procédure. 
Par lettre du 27 avril 2023, la recourante a requis la reprise de la procédure. Pour étayer sa requête, elle a fait valoir que les faits et la question juridique à résoudre dans la présente affaire étaient identiques à ceux de l'affaire connexe jugée le 14 mars 2023 par le Tribunal fédéral dans la cause 4A_389/2022. 
Par ordonnance du 12 mai 2023, le Tribunal fédéral a levé la suspension de la procédure fédérale. 
Par courrier daté du même jour, le conseil de feu B.________ a produit un document établi le 11 mai 2023 par la justice de paix du canton de Genève, intitulé "homologation du certificat d'héritier", indiquant que les seuls héritiers légaux réservataires et institués de feu B.________ étaient E.________, C.________, D.________, F.________ et G.________ (ci-après: la partie intimée). 
Invitée à répondre au recours, la partie intimée a requis, dans sa réponse, la suspension de la présente procédure jusqu'à ce qu'une décision définitive et exécutoire soit rendue dans la procédure d'entraide pénale internationale no.... Sur le fond, elle a conclu principalement au rejet du recours. Elle a en outre présenté toute une série de conclusions subsidiaires. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.1. La décision par laquelle un tribunal suisse ordonne ou refuse l'exécution d'une commission rogatoire requise par une autorité judiciaire étrangère sur la base de la CLaH70 est une décision relative à l'entraide internationale en matière civile, qui est susceptible de faire l'objet d'un recours en matière civile en vertu de l'art. 72 al. 2 let. b ch. 1 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110; arrêts 5A_362/2018 du 2 juillet 2019 consid. 1 non publié aux ATF 45 III 422 ; 4A_340/2015 du 21 décembre 2015 consid. 1.1 non publié aux ATF 142 III 116 et les références citées). La décision, prise sur recours par le tribunal supérieur du canton ( art. 75 LTF ), qu'elle rejette ou admette la demande d'entraide, est une décision finale puisqu'elle met fin à la procédure suisse d'entraide judiciaire ( art. 90 LTF ; arrêt 4A_340/2015, précité, consid. 1.1 non publié aux ATF 142 III 116 et les références citées). En l'occurrence, les documents bancaires sont requis dans le cadre d'un litige de nature pécuniaire et, au vu des montants en jeu dans le procès britannique, la valeur litigieuse atteint le seuil de 30'000 fr. ( art. 74 al. 1 let. b LTF ).  
 
1.2. Conformément à l' art. 76 al. 1 LTF , a qualité pour former un recours en matière civile quiconque a pris part à la procédure devant l'autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire (let. a) et est particulièrement touché par la décision attaquée et a un intérêt digne de protection à son annulation ou sa modification (let. b).  
En l'occurrence, la recourante, qui revêt la qualité de défenderesse dans le cadre de l'action civile introduite par H.________ au Royaume-Uni, est à l'origine de la commission rogatoire litigieuse. Dans la mesure où l'intéressée a conclu au rejet du recours cantonal formé à l'encontre de l'ordonnance du 22 mars 2022 au terme de laquelle l'autorité de première instance a fait droit à la demande d'entraide internationale en matière civile et qu'elle a succombé devant l'instance précédente, elle possède un intérêt digne de protection à l'annulation ou à la modification de l'arrêt entrepris ( art. 76 al. 1 LTF ). 
 
1.3. Pour le reste, qu'il s'agisse du délai de recours, des conclusions prises par la recourante ou des griefs invoqués par elle, aucune de ces conditions de recevabilité ne fait problème en l'espèce.  
 
2.  
Dans son mémoire de recours, l'intéressée reproche à la cour cantonale d'avoir enfreint l'art. 12 CLaH70 et, partant, d'avoir rejeté, à tort, la demande d'entraide judiciaire litigieuse. 
 
2.1. Dans un arrêt de principe destiné à la publication (arrêt 4A_389/2022 du 14 mars 2023) rendu dans une affaire connexe, la Cour de céans a précisé que les concepts d'atteintes à la souveraineté ou à la sécurité visés par l'art. 12 CLaH70 doivent être appréciés restrictivement et qu'ils ont une portée plus étroite que celle d'incompatibilité avec l'ordre public interne de l'Etat requis. Elle a jugé que la juridiction cantonale ne pouvait pas refuser d'exécuter la commission rogatoire litigieuse sous prétexte que l'admission de la requête d'entraide judiciaire en matière civile présentée par l'autorité britannique aurait pour effet de contourner la procédure d'entraide pénale internationale initiée en Suisse sur requête de l'Etat U.________ et de vider celle-ci de sa substance. A cet égard, le Tribunal fédéral a notamment souligné que les deux procédures en question étaient de natures différentes, que celles-ci ne concernaient pas nécessairement les mêmes parties et que les Etats requérant l'entraide internationale de la part de la Suisse étaient distincts. L'objectif poursuivi par les deux Etats concernés divergeait également puisque l'un cherchait à permettre à une partie de pouvoir produire ses moyens de preuve afin de défendre ses droits dans un procès civil tandis que l'autre entendait récolter des éléments dans le cadre des investigations pénales qu'il mène sur son territoire. Il a en outre estimé qu'on ne saurait priver la banque recourante du droit de se défendre par tous les moyens jugés utiles à ses yeux dans le cadre du procès civil pendant à l'étranger, sous prétexte que le droit de l'une des parties au litige de lever des copies de certains des documents bancaires a été limité dans une autre procédure pendante en Suisse, puisque cela reviendrait à porter une atteinte inadmissible aux droits de la défense de la banque recourante (consid. 4.6).  
 
2.2. La présente affaire porte sur un complexe de faits similaire et soulève la même question juridique. La cour cantonale a fondé son refus de faire droit à la commission rogatoire sur la base de la même motivation que celle examinée dans la cause 4A_389/2022.  
Dans son mémoire de réponse, la partie intimée s'emploie à démontrer, de manière guère convaincante, que la solution retenue dans l'arrêt fédéral précité ne pourrait pas être transposée au cas d'espèce, sous prétexte que l'épouse de feu B.________, contrairement à ce qui était le cas des parties intimées dans la cause 4A_389/2022, fait l'objet de poursuites pénales dans l'Etat U.________ et allègue avoir été déjà été victime, à l'instar du défunt, de diverses violations de ses droits fondamentaux dans l'Etat précité. Ce faisant, elle ne démontre toutefois pas que l'exécution de la commission rogatoire litigieuse serait susceptible en elle-même de porter atteinte à la souveraineté ou à la sécurité de la Suisse. En raisonnant comme elle le fait, elle perd en outre de vue que la possibilité que les moyens de preuve sollicités puissent éventuellement être utilisés à d'autres fins n'est pas décisive (arrêt 4A_389/2022, précité, consid. 4.6 destiné à la publication). Au demeurant, on ne saurait priver la recourante du droit de se défendre par tous les moyens jugés utiles à ses yeux sans qu'elle doive, pour ce faire, enfreindre la législation suisse relative au secret bancaire. Il s'ensuit que, par identité de motifs avec les considérants de l'arrêt rendu le 12 mars 2023 dans la cause 4A_389/2022, le moyen pris de la violation de l'art. 12 § 1 let. b CLaH70 s'avère fondé. 
Il n'y a pas lieu de donner suite à la requête présentée par la partie intimée tendant à ce que le Tribunal fédéral invite les autorités britanniques à prendre des mesures similaires à celles adoptées par le TPF aux fins d'éviter que H.________ ne puisse effectuer des copies de certains documents bancaires. Il sera en effet loisible aux héritiers de feu B.________ de solliciter eux-mêmes du tribunal britannique le prononcé de telles mesures, s'ils les jugent nécessaires à la sauvegarde de leurs intérêts. 
Au vu de ce qui précède, le recours doit être admis, la requête tendant à la suspension de la procédure étant ainsi sans objet. Partant, l'arrêt attaqué est réformé en ce sens que la demande d'entraide judiciaire internationale en matière civile présentée le 17 janvier 2022 par The Senior Master of the Senior Courts of England and Wales est admise, ordre étant donné à la recourante de produire les documents listés dans l'annexe 2 de ladite commission rogatoire dès réception du présent arrêt motivé. Au surplus, la cause est renvoyée à l'autorité précédente pour qu'elle statue à nouveau sur les frais et dépens de la procédure cantonale. 
 
3.  
Les frais judiciaires de la présente procédure sont mis solidairement à la charge des cinq héritiers de feu B.________ ( art. 66 al. 1 et 5 LTF ). Ceux-ci verseront en outre, solidairement entre eux, une indemnité à titre de dépens à la recourante ( art. 68 al. 1 et 4 LTF ). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est admis. 
 
2.  
L'arrêt attaqué est réformé en ce sens que la demande d'entraide judiciaire internationale en matière civile présentée le 17 janvier 2022 par The Senior Master of the Senior Courts of England and Wales est admise, ordre étant donné à la recourante de produire les documents listés dans l'annexe 2 de ladite commission rogatoire dès réception du présent arrêt motivé. 
 
3.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 15'000 fr., sont mis solidairement à la charge des cinq héritiers de feu B.________. 
 
4.  
Les cinq héritiers de feu B.________ verseront à la recourante, solidairement entre eux, une indemnité de 17'000 fr. à titre de dépens. 
 
5.  
La cause est renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision sur les frais et dépens de la procédure cantonale. 
 
6.  
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève. 
 
 
Lausanne, le 13 juin 2023 
 
Au nom de la Ire Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Présidente : Jametti 
 
Le Greffier : O. Carruzzo 


Synthèse
Formation : Ire cour de droit civil  
Numéro d'arrêt : 4A_387/2022
Date de la décision : 13/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/06/2023
Fonds documentaire ?: www.bger.ch
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2023-06-13;4a.387.2022 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award