La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/02/2023 | SUISSE | N°1C_119/2022

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral, Ire Cour de droit public  , Arrêt du 27 février 2023  , 1C 119/2022


 
Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
1C_119/2022  
 
 
Arrêt du 27 février 2023  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Kneubühler, Président, 
Chaix et Haag. 
Greffière : Mme Sidi-Ali. 
 
Participants à la procédure 
A.________ SA, 
B.________, 
C.________, 
D.________, 
tous les quatre représentés par Me Laurent Winkelmann, avocat, 
recourants, 
 
contre  
 
E.E.________, 


F.E.________, 
G.G.________, 
H.G.________, 
I.G.________, 
J.G.________, 
tous représentés par Maîtres Philippe Cottier et Damien Tournaire, Avocats, 
intimés, 
 
Département du terri...

 
Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
1C_119/2022  
 
 
Arrêt du 27 février 2023  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Kneubühler, Président, 
Chaix et Haag. 
Greffière : Mme Sidi-Ali. 
 
Participants à la procédure 
A.________ SA, 
B.________, 
C.________, 
D.________, 
tous les quatre représentés par Me Laurent Winkelmann, avocat, 
recourants, 
 
contre  
 
E.E.________, 
F.E.________, 
G.G.________, 
H.G.________, 
I.G.________, 
J.G.________, 
tous représentés par Maîtres Philippe Cottier et Damien Tournaire, Avocats, 
intimés, 
 
Département du territoire de la République et canton de Genève, Office des autorisations de construire, Service des affaires juridiques, case postale 22, 1211 Genève 8. 
 
Objet 
Autorisation de démolir et de construire, 
 
recours contre l'arrêt de la Chambre administrative de la Cour de justice de la République et canton de Genève, du 11 janvier 2022 (ATA/24/2022 - A/3506/2020-LCI). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. E.E.________, G.G.________, H.G.________, I.G.________, J.G.________ et F.E.________ sont copropriétaires de la parcelle n° 3'693 de la commune de Veyrier, sise en zone agricole. Sur cette parcelle sont notamment construits une grange (bâtiment n° 6) et une bergerie (bâtiment n° 1'041).  
Cette parcelle a été intégrée au périmètre du plan de site n° 29'720 "Hameau de Vessy" adopté le 19 juin 2013 par le Conseil d'Etat, jugé conforme à la loi par arrêt de la Chambre administrative de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 18 novembre 2014, et entré en force. Ce plan désigne les bâtiments pouvant être considérés comme dignes de protection. 
 
A.b. Le 15 mai 2019, les copropriétaires ont déposé une demande d'autorisation de construire afin de transformer la grange pour y aménager huit logements avec création d'un sous-sol, installation de panneaux photovoltaïques et d'un abri voitures et vélos (demande DD 112'648). Ils ont également demandé l'autorisation de démolir des dépendances, soit les bâtiments nos 9, 544, 1'059 et partie du bâtiment n° 6 (demande M 8'421).  
Le 9 mars 2020, les copropriétaires ont déposé une demande d'autorisation de construire visant à l'agrandissement et à l'aménagement de la bergerie (demande DD 113'449). 
Toutes les instances cantonales consultées lors de l'instruction du dossier se sont prononcées favorablement à la construction projetée avec ou sans réserves, dans certains cas après avoir tout d'abord demandé des modifications du projet. 
Par décision du 3 septembre 2020, le département du territoire (DT) a délivré l'autorisation de construire DD 113'449. 
 
B.  
Par décision du 1er octobre 2020, le département a délivré les autorisations de construire DD 112'648 et de démolir M 8'421. 
A.________ SA, B.________, C.________, D.________, ainsi qu'une autre voisine ont formé recours contre les autorisations DD 112'648 et M 8'421 auprès du Tribunal administratif de première instance de la République et canton de Genève (TAPI) qui a confirmé ces décisions par jugement du 24 juin 2021. 
Saisie à son tour par A.________ SA, B.________, C.________ et D.________, la Chambre administrative de la Cour de justice a rejeté leur recours par arrêt du 11 janvier 2022. 
 
C.  
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ SA, B.________, C.________ et D.________ demandent au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt de la Cour de justice, le jugement du TAPI et les autorisations délivrées par le département. 
La Cour de justice renonce à se déterminer sur le recours et se réfère aux considérants et dispositifs de son arrêt. Le département se détermine et conclut au rejet du recours. Les intimés en font de même. 
Consulté, l'Office fédéral du développement territorial (ARE) dépose des observations à teneur desquelles il considère que l'arrêt attaqué viole le droit fédéral et doit être annulé pour plusieurs motifs. 
Les parties et le département s'expriment dans de nouveaux échanges d'écritures et persistent dans leurs conclusions respectives. 
Par ordonnance du 7 mars 2022, le Président de la Ire Cour de droit public a accordé l'effet suspensif au recours. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Formé contre un arrêt final ( art. 90 LTF ) rendu en dernière instance cantonale ( art. 86 al. 1 let . d LTF) en matière de droit public des constructions ( art. 82 let. a LTF ), le présent recours est en principe recevable comme recours en matière de droit public au sens des art. 82 ss LTF , aucune des exceptions prévues à l' art. 83 LTF n'étant réalisée. Les recourants, titulaires de droits sur les parcelles voisines ou sises à proximité directe du projet litigieux, sont particulièrement touchés par l'arrêt attaqué et ont un intérêt digne de protection à en obtenir l'annulation ou la modification. Ils disposent dès lors de la qualité pour recourir au sens de l' art. 89 al. 1 LTF . 
Les autres conditions de recevabilité sont réunies, si bien qu'il y a lieu d'entrer en matière sur le recours. 
 
2.  
Les recourants font valoir une violation de l' art. 24d LAT (RS 700) à plusieurs titres. En premier lieu, ils contestent que la condition de l' art. 24d al. 2 let. a LAT , savoir que la grange ait été placée sous protection par l'autorité compétente, soit réalisée. 
 
2.1. Aucune construction ou installation ne peut être créée ou transformée sans autorisation de l'autorité compétente ( art. 22 al. 1 LAT [RS 700]). Pour qu'une autorisation hors de la zone à bâtir soit délivrée, la construction ou l'installation doit y être conforme à l'affectation de la zone ( art. 22 al. 2 let. a LAT ), ou alternativement remplir les conditions des exceptions prévues aux art. 24 ss LAT .  
L' art. 24d LAT est formulé comme suit: 
 
1 L'utilisation de bâtiments d'habitation agricoles conservés dans leur substance peut être autorisée à des fins d'habitation sans rapport avec l'agriculture. 
 
2 Le changement complet d'affectation de constructions et d'installations jugées dignes d'être protégées peut être autorisé à condition que: 
a. celles-ci aient été placées sous protection par l'autorité compétente; 
b. leur conservation à long terme ne puisse être assurée d'une autre manière. 
 
3 Les autorisations prévues par le présent article ne peuvent être délivrées que si: 
a. la construction ou l'installation n'est plus nécessaire à son usage antérieur, qu'elle se prête à l'utilisation envisagée et qu'elle n'implique pas une construction de remplacement que n'imposerait aucune nécessité; 
b. l'aspect extérieur et la structure architecturale du bâtiment demeurent pour l'essentiel inchangés; 
c. tout au plus une légère extension des équipements existants est nécessaire et que tous les coûts supplémentaires d'infrastructure occasionnés par le changement complet d'affectation de la construction ou de l'installation sont à la charge du propriétaire; 
d. l'exploitation agricole des terrains environnants n'est pas menacée; 
e. aucun intérêt prépondérant ne s'y oppose. 
 
A teneur du message accompagnant la proposition du Conseil fédéral d'introduire cette disposition, l' art. 24d LAT est applicable uniquement aux constructions et installations placées sous protection par l'autorité compétente en vertu du droit cantonal. Toutefois, il ne suffit pas que la construction bénéficie formellement d'un statut de protection. Il importe également de vérifier, au stade de la procédure d'autorisation de construire, si la protection se justifie matériellement (Message du 22 mai 1996 relatif à une révision partielle de la LAT, FF 1996 513 ch. 208.3). Cela vaut également lorsque la mise sous protection formelle est déjà en force (ATF 147 II 465 consid. 4.3.2). En effet, la mise sous protection formelle est régie par le droit cantonal. Au contraire du système instauré par l'art. 39 al. 2 de l'ordonnance fédérale du 28 juin 2000 sur l'aménagement du territoire (OAT; RS 700.1) pour les constructions dans les territoires à habitat traditionnellement dispersé et constructions protégées en tant qu'éléments caractéristiques du paysage, le droit fédéral ne prévoit pas de prescriptions procédurales pour la reconnaissance du caractère digne de protection au sens de l' art. 24d al. 2 let. a LAT . Tout au plus est-il nécessaire que la valeur de protection soit établie dans le cadre d'une procédure formelle selon des critères objectifs et techniques. Aussi, cette procédure formelle s'inscrivant dans le cadre du droit cantonal uniquement, un nouvel examen à la lumière du droit fédéral est nécessaire dans la procédure d'autorisation de construire dérogatoire, afin de déterminer si la protection de la construction se justifie matériellement au sens de l' art. 24d al. 2 let. a LAT (ATF 147 II 465 consid. 4.3.2 et les réf. citées). 
Le Tribunal fédéral examine en principe librement la nécessité d'une protection matérielle au sens de l' art. 24d al. 2 LAT , dans la mesure où il s'agit d'une condition d'application du droit fédéral dérogatoire. Il s'impose toutefois une certaine retenue dès lors qu'il y va de circonstances locales dont les autorités cantonales ont une meilleure connaissance que lui (ATF 147 II 465 consid. 4.3.2). 
 
2.2. La cour cantonale a expressément considéré avoir déjà tranché la question du caractère digne de protection de la grange dans l'arrêt définitif et exécutoire du 18 novembre 2014. Ce faisant, la cour cantonale s'est précisément refusée à un examen concret de la situation dans le cadre de l'autorisation de construire, au contraire de la démarche qu'a souhaité introduire le législateur. L'arrêt attaqué se réfère à cette décision en rappelant que le bâtiment "mérite selon la CMNS [Commission cantonale des monuments, de la nature et des sites] une valeur de 4+ (bien intégré, en volume et en substance), ce qui est, en soi, suffisant pour le considérer comme étant digne d'être protégé au sens de l' art. 24d al. 2 let. a LAT ". Ici également, l'appréciation de la cour cantonale est critiquable au vu des intentions du législateur qui a clairement exposé que le classement formel d'un bâtiment n'était pas suffisant pour lui appliquer l' art. 24d LAT . Indiquant pour le reste que la CMNS n'a pas modifié sa position en se référant uniquement à la très générale appréciation de la commission quant aux "qualités historico-architecturales spécifiques de ce bâtiment", il appert sans doute possible que les juges cantonaux n'ont pas procédé à leur propre appréciation de la situation et de l'éligibilité du bâtiment à une application de l' art. 24d al. 2 LAT . En dépit de la retenue que s'impose un tribunal face à l'avis de spécialistes, il n'est pas exclu que malgré une décision de classement d'une construction et son appartenance à un objet classé à un inventaire fédéral, le juge doive constater que la valeur propre du bâtiment est insuffisante pour justifier le régime dérogatoire du droit fédéral (ATF 147 II 465 consid. 4.3.3).  
Sur le fond, la seule véritable - mais très brève - évaluation qui est donnée de ce bâtiment dans l'arrêt attaqué, savoir la note 4+ correspondant à un bâtiment "bien intégré", n'en fait pas manifestement un bâtiment aux valeurs intrinsèques telles que sa protection justifierait un changement d'affectation au sens de l' art. 24d LAT . Or, ainsi qu'on l'a déjà souligné, cette disposition consacre un régime dérogatoire, de sorte qu'il est nécessaire d'être particulièrement vigilant quant au niveau de protection exigé. Au contraire de ce que font valoir les intimés, il ne s'agit pas, pour les juges, de substituer leur appréciation de la valeur patrimoniale du bâtiment à celles de spécialistes, mais bien de mettre en perspective les observations et appréciations de ces spécialistes avec la disposition légale et ses conditions d'application, ce qui n'a pas été fait en l'occurrence. On en veut pour preuve les déterminations du département, qui se réfère au dossier - et non aux constatations de l'arrêt attaqué - pour faire valoir que la valeur patrimoniale du bâtiment équivaudrait en réalité à une note 3 selon l'échelle pratiquée dans le canton. 
En définitive, comme le relève l'ARE, compte tenu des effets considérables sur la séparation entre le territoire constructible et non constructible, les exigences matérielles du caractère digne de protection sont relativement restrictives, l'objet devant présenter une qualité exceptionnelle. Dans ce contexte, un simple renvoi au plan de protection du site ne vaut pas contrôle de l'applicabilité de l' art. 24d LAT au bâtiment en cause. 
Il n'appartient toutefois pas au Tribunal fédéral d'examiner cette question pour la première fois, de sorte qu'il y a lieu de renvoyer la cause à l'instance précédente pour qu'elle détermine si la valeur de protection exprimée par le classement du bâtiment est telle qu'un changement d'affectation peut exceptionnellement être admis pour ce bâtiment. 
 
3.  
Compte tenu de ce qui précède, le recours doit être admis sans qu'il soit nécessaire en l'état d'examiner les griefs relatifs à la violation des al. 2 let. b et 3 de l' art. 24d LAT . 
Les intimés, qui succombent, supporteront les frais de justice ( art. 66 al. 1 LTF ) et verseront des dépens aux recourants, qui obtiennent gain de cause à l'aide d'un mandataire professionnel ( art. 68 al. 3 LTF ). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est admis. L'arrêt attaqué est annulé. La cause est renvoyée à la Chambre administrative de la Cour de justice de la République et canton de Genève pour nouvelle décision dans le sens des considérants. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 4'000 francs, sont mis à la charge des intimés, solidairement entre eux. 
 
3.  
Une indemnité de dépens de 4'000 francs est accordée aux recourants, à la charge des intimés, solidairement entre eux. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties, au Département du territoire de la République et canton de Genève, à la Chambre administrative de la Cour de justice de la République et canton de Genève, et à l'Office fédéral du développement territorial. 
 
 
Lausanne, le 27 février 2023 
 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Kneubühler 
 
La Greffière : Sidi-Ali 



Références :

Origine de la décision
Formation : Ire cour de droit public  
Date de la décision : 27/02/2023
Date de l'import : 30/05/2023

Fonds documentaire ?: www.bger.ch


Numérotation
Numéro d'arrêt : 1C_119/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2023-02-27;1c.119.2022 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award