{T 0/2}
1B_220/2010
Arrêt du 9 septembre 2010
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges Féraud, Président, Reeb et Fonjallaz.
Greffier: M. Kurz.
Participants à la procédure
A.________ et B.________, représentés par Me Marc Béguin, avocat, case postale 3029, 1211 Genève 3,
recourants,
contre
Juge d'instruction du canton de Genève, case postale 3344, 1211 Genève 3,
Procureur général du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, 1204 Genève.
Objet
procédure pénale, déni de justice,
recours contre l'ordonnance de la Cour de justice du canton de Genève, Chambre d'accusation, du 26 mai 2010.
Faits:
A.
Le 30 mars 2009, les époux A.________ et B.________ ont déposé plainte pénale à Genève contre des administrateurs de la société X.________, pour des actes d'escroquerie ou d'abus de confiance portant sur un investissement de 100'000 euros. L'avocat des plaignants s'est adressé plusieurs fois au Juge d'instruction chargé de la cause afin notamment de connaître l'avancement de l'enquête. Le 1er décembre 2009, il demanda des inculpations. Par acte du 19 février 2010, les plaignants ont saisi la Chambre d'accusation genevoise d'un recours pour déni de justice, reprochant au Juge d'instruction de n'avoir effectué aucun acte d'enquête depuis le dépôt de leur plainte, et de ne pas avoir joint cette dernière à une procédure concernant d'autres investisseurs.
B.
Par ordonnance du 26 mai 2010, la Chambre d'accusation a rejeté le recours. Les requêtes tendant à ce que le Juge d'instruction mette un terme aux activités dénoncées et entreprenne des actions "rigoureuses (...) urgentes et nécessaires", ne portaient pas sur des actes d'instruction déterminés. La demande d'inculpation du 1er décembre 2009 faisait suite à l'échec d'une tentative d'indemnisation. Le Juge d'instruction cherchait à entendre l'une des personnes mises en cause, déjà entendue dans le cadre d'une procédure connexe. La plainte des recourants avait été jointe à cette procédure le 1er mars 2010. Il n'y avait dès lors ni inaction, ni refus d'instruire.
C.
Par acte du 5 juillet 2010, les époux A.________ et B.________ forment un recours en matière pénale. Ils demandent au Tribunal fédéral de constater que l'inaction du Juge d'instruction constitue un déni de justice et une violation du principe de célérité, d'annuler l'ordonnance de la Chambre d'accusation et d'ordonner au Juge d'instruction de procéder sans délai "à tout acte d'instruction utile", notamment de convoquer, pour interrogatoire ou inculpation, les personnes mises en cause.
La Chambre d'accusation se réfère aux considérants de sa décision. Dans ses observations - tardives - le Juge d'instruction conclut au rejet du recours dans la mesure où il est recevable.
Considérant en droit:
1.
L'ordonnance attaquée est une décision rendue en matière pénale, au sens de l'art. 78 al. 1 LTF, puisqu'elle se rapporte à la conduite de l'instruction. La voie ordinaire du recours en matière pénale est donc ouverte.
1.1 Aux termes de l'art. 81 al. 1 let. a LTF, a qualité pour former un tel recours en matière pénale quiconque a pris part à la procédure devant l'autorité précédente et a un intérêt juridique à l'annulation ou à la modification de la décision attaquée. L'art. 81 al. 1 let. b LTF dresse une liste des personnes ayant un tel intérêt, en particulier la victime, si la décision attaquée peut avoir des effets sur le jugement de ses prétentions civiles (ch. 5). Si les simples lésés n'ont en principe pas la qualité pour recourir sur le fond en vertu de cette règle (ATF 133 IV 228 consid. 2.3 p. 230), ils disposent en revanche d'un intérêt juridique à se plaindre d'une violation du principe de la célérité (art. 29 al. 1 Cst.), qui garantit le droit de toute partie à ce que sa cause soit traitée dans un délai raisonnable.
1.2 La décision attaquée est de nature incidente puisqu'elle ne met pas fin à la procédure pénale. Toutefois, dans la mesure où les recourants se plaignent d'une violation du principe de célérité, le recours en matière pénale est immédiatement recevable (ATF 135 III 127 consid. 1.3 p. 129; 134 IV 43 consid. 2.2-2.5), que l'on tienne pour établie l'existence d'une atteinte irréparable au principe de célérité, au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF, ou que l'on traite d'un point de vue procédural le recours comme un recours pour déni de justice formel selon l'art. 94 LTF (cf. arrêt 1B_231/2009 du 7 décembre 2009).
1.3 Les recourants se prévalent de faits nouveaux, survenus durant la procédure de recours à la Chambre d'accusation, soit des déclarations faites par le Juge d'instruction quant à la nécessité de procéder par voie de commission rogatoire en France, pays où se trouverait l'une des personnes mises en cause. Ils estiment que ces déclarations seraient la conséquence du dépôt du recours cantonal. Les recourants ne prétendent pas avoir valablement soumis ces faits à la cour cantonale, de sorte que cette dernière aurait violé leur droit d'être entendus en omettant d'en tenir compte. Les faits invoqués ne résultent pas non plus des considérants ou du dispositif de la décision cantonale, au sens de l'art. 99 al. 1 in fine LTF, de sorte qu'ils ne sont pas recevables.
1.4 Les observations du Juge d'instruction, tardives, sont également irrecevables, de sorte que la cour de céans n'en tiendra pas compte.
2.
Les recourants considèrent que depuis le dépôt de la plainte pénale, le 30 mars 2009, le Juge d'instruction serait resté inactif, sans entendre les plaignants ou les personnes mises en cause, ni ordonner d'enquête de police. L'intention de réentendre deux mis en cause, et l'audition de l'un d'entre eux - sans que l'on sache si cette audition se rapporte aux faits dénoncés par les recourants - ne permettraient pas d'affirmer que le magistrat aurait fait avancer la procédure, en dépit des nombreuses interventions des recourants. Contrairement à ce que retient la Chambre d'accusation, les recourants avaient clairement conclu au prononcé d'une inculpation, et l'on ne saurait exiger d'eux davantage qu'une invitation à accélérer la procédure.
2.1 L'art. 29 al. 1 Cst. garantit notamment à toute personne, dans une procédure judiciaire ou administrative, le droit à ce que sa cause soit traitée dans un délai raisonnable. Cette disposition consacre le principe de la célérité, ou, en d'autres termes, prohibe le retard injustifié à statuer. Viole la garantie ainsi accordée l'autorité qui ne rend pas une décision qu'il lui incombe de prendre dans le délai prescrit par la loi ou dans le délai que la nature de l'affaire et les circonstances font apparaître comme raisonnable (ATF 130 I 312 consid. 5.1 p. 331 s.; 119 Ib 311 consid. 5 p. 323 ss et les références). Pour déterminer la durée du délai raisonnable, il y a lieu de se fonder sur des éléments objectifs. Doivent notamment être pris en compte le degré de complexité de l'affaire, l'enjeu que revêt le litige pour l'intéressé ainsi que le comportement de ce dernier et des autorités compétentes. L'attitude de l'intéressé s'apprécie avec moins de rigueur en procédure pénale et administrative qu'en procédure civile; celui-ci doit néanmoins entreprendre ce qui est en son pouvoir pour que l'autorité fasse diligence. Par ailleurs, on ne saurait reprocher à l'autorité quelques temps morts, qui sont inévitables dans une procédure. Cependant, une organisation judiciaire déficiente ou une surcharge structurelle ne peuvent justifier la lenteur excessive d'une procédure, l'Etat ayant à organiser ses juridictions de manière à garantir aux citoyens une administration de la justice conforme au droit constitutionnel (ATF 130 I 312 consid. 5.2 p. 332 et les références citées).
2.2 A réception de la plainte des recourants, à fin mars 2009, le Juge d'instruction était déjà en charge de plaintes déposées par d'autres investisseurs. Divers échanges ont eu lieu entre le magistrat instructeur et l'avocat des recourants, afin d'examiner la possibilité d'une indemnisation de ces derniers. Le magistrat était par ailleurs invité à "mettre un terme" aux activités des prévenus ou à entreprendre des "actions rigoureuses" contre ceux-ci; comme le relève la Chambre d'accusation, il ne s'agit pas de requêtes portant sur des actes d'instruction déterminés. On ne saurait en tout cas reprocher au Juge d'instruction d'avoir d'abord envisagé la possibilité d'une indemnisation avant d'instruire à proprement parler sur la plainte des recourants. L'inaction du Juge d'instruction, dans un premier temps, s'expliquerait donc aisément. Par ailleurs, dans la mesure où la plainte des recourants a finalement été jointe à la procédure ouverte précédemment, elle bénéficiera des actes d'instruction déjà effectués dans ce cadre, et notamment des auditions des personnes mises en cause. Enfin, l'opinion du Juge d'instruction selon laquelle les recourants devraient procéder en France à l'encontre d'un ressortissant français résidant dans ce pays, n'est pas assimilable à un refus d'instruire, le magistrat ayant d'ailleurs clairement fait savoir qu'il cherchait tout de même à entendre la personne concernée.
2.3 On ne saurait par conséquent reprocher au Juge d'instruction des retards inadmissibles dans la conduite de son enquête. Par ailleurs, dans la mesure où les recourants contestent sur le fond un refus d'inculper, leur recours n'est pas recevable.
3.
Sur le vu de ce qui précède, le recours doit être rejeté, dans la mesure où il est recevable. Les frais judiciaires sont mis à la charge des recourants qui succombent, conformément à l'art. 66 al. 1 LTF.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 2000 fr., sont mis à la charge des recourants.
3.
Le présent arrêt est communiqué au mandataire des recourants, au Juge d'instruction, au Procureur général et à la Cour de justice du canton de Genève, Chambre d'accusation.
Lausanne, le 9 septembre 2010
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Le Greffier:
Féraud Kurz