La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

06/07/2010 | SUISSE | N°5A_50/2010

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 06 juillet 2010, 5A 50/2010


{T 0/2}
5A_50/2010
Arrêt du 6 juillet 2010
IIe Cour de droit civil
Composition
Mme et M. les Juges Hohl, Présidente,
Marazzi et Herrmann.
Greffière: Mme Rey-Mermet.
Participants à la procédure
A.________, (époux),
représenté par Me Romain Jordan, avocat,
recourant,
contre
dame A.________, (épouse),
représentée par Me Nicolas Perret,
avocat,
intimée.
Objet
mesures provisionnelles, audition de l'enfant,
recours contre le jugement d'appel du Tribunal d'arrondissement de La Côte du 16 décem

bre 2009.
Faits:

A.
Les époux A.________ sont les parents de B.________, né le 11 décembre 1999.

B.
Le...

{T 0/2}
5A_50/2010
Arrêt du 6 juillet 2010
IIe Cour de droit civil
Composition
Mme et M. les Juges Hohl, Présidente,
Marazzi et Herrmann.
Greffière: Mme Rey-Mermet.
Participants à la procédure
A.________, (époux),
représenté par Me Romain Jordan, avocat,
recourant,
contre
dame A.________, (épouse),
représentée par Me Nicolas Perret,
avocat,
intimée.
Objet
mesures provisionnelles, audition de l'enfant,
recours contre le jugement d'appel du Tribunal d'arrondissement de La Côte du 16 décembre 2009.
Faits:

A.
Les époux A.________ sont les parents de B.________, né le 11 décembre 1999.

B.
Le 10 septembre 2007, dame A.________ a ouvert action en divorce et déposé une requête de mesures provisionnelles.
En audience du 22 janvier 2008 tenue devant le Président du Tribunal civil d'arrondissement de La Côte, les parties ont convenu de suspendre la procédure jusqu'à la requête de la partie la plus diligente; dans l'intervalle, la garde sur B.________ serait provisoirement confiée à la mère et le père bénéficierait d'un droit de visite.
Après la reprise de la procédure, le Président du Tribunal civil d'arrondissement a, par ordonnance de mesures provisionnelles du 26 août 2008, attribué la garde de l'enfant B.________ à la mère, réglé le droit de visite du père et confié au Service de protection de la jeunesse (ci-après : SPJ) un mandat de curatelle éducative au sens de l'art. 308 al. 1 CC.

C.
Dans le cadre de la procédure de divorce, la Présidente du Tribunal civil d'arrondissement a, le 14 juillet 2008, chargé le SPJ de procéder à une évaluation des conditions de vie de l'enfant et de formuler toute proposition utile quant à l'attribution de l'autorité parentale, de la garde et du droit aux relations personnelles. Ce rapport a été déposé le 2 mars 2009.

D.
Le 20 juillet 2009, le SPJ a informé le Président du Tribunal civil d'arrondissement qu'il préconisait le placement en internat spécialisé de B.________, mesure à laquelle la mère souscrivait alors que le père y était opposé. Vu le désaccord parental à ce sujet, le SPJ demandait à l'autorité judiciaire d'autoriser ce placement. A.________ a confirmé son opposition au placement et a requis du Président du Tribunal civil d'arrondissement l'attribution de la garde de l'enfant.
Par ordonnance de mesures provisionnelles rendue le 15 septembre 2009, le Président du Tribunal d'arrondissement de La Côte a prononcé le maintien de la garde de l'enfant en faveur de la mère et a fait droit à la requête du SPJ en autorisant le placement de B.________ à l'internat C.________.
A.________ a formé appel contre ce jugement. Il demandait principalement son annulation et le renvoi pour que l'enfant soit entendu; subsidiairement, il sollicitait l'audition de l'enfant par le Tribunal d'arrondissement, l'attribution de la garde et l'annulation de l'autorisation de placement en internat. A titre encore plus subsidiaire, il demandait l'élargissement du droit de visite à un week-end sur deux, la moitié des vacances scolaires et deux repas de midi par semaine. Par jugement du 16 décembre 2009, le Tribunal d'arrondissement a admis partiellement l'appel en ce sens qu'il a fixé le droit de visite à un week-end sur deux et à la moitié des vacances scolaires; il l'a rejeté pour le surplus.

E.
Le 18 janvier 2010, A.________ a déposé un recours en matière civile au Tribunal fédéral. Il demande principalement l'annulation du jugement cantonal et le renvoi à l'autorité précédente pour qu'elle entende l'enfant et rende une nouvelle décision. A titre subsidiaire, il conclut à l'élargissement de son droit de visite à deux repas de midi par semaine.
L'autorité précédente a renoncé à se déterminer et l'intimée a conclu au rejet du recours.
Considérant en droit:

1.
1.1 La décision de mesures provisoires selon l'art. 137 al. 2 CC est une décision en matière civile au sens de l'art. 72 al. 1 LTF. Bien qu'elle soit prise alors qu'une procédure (principale) de divorce est pendante, elle est finale au sens de l'art. 90 LTF, car son objet est différent de celui de la procédure au fond et elle met fin à l'instance sous l'angle procédural (ATF 134 III 426 consid. 2.2 et les arrêts cités). Comme les questions soumises au Tribunal fédéral ne sont pas de nature pécuniaire, le recours est ouvert indépendamment de la valeur litigieuse (cf. arrêt 5D_41/2007 du 27 novembre 2007, consid. 2.3). Il a par ailleurs été interjeté dans le délai légal (art. 100 al. 1 LTF) par une partie qui a pris part à la procédure devant l'autorité précédente et a un intérêt juridique à la modification de la décision attaquée (art. 76 al. 1 LTF). Le recours en matière civile est donc en principe recevable.

1.2 Dès lors que la décision attaquée porte sur des mesures provisionnelles (ATF 133 III 393 consid. 5.1 in fine), seule peut être dénoncée la violation des droits constitutionnels (art. 98 LTF). Le Tribunal fédéral ne connaît de la violation de ces droits que si un tel moyen est invoqué et motivé par le recourant (art. 106 al. 2 LTF), c'est-à-dire s'il a été expressément soulevé et exposé de manière claire et détaillée (ATF 134 I 83 consid. 3.2 et les arrêts cités).

1.3 Selon l'art. 75 al. 1 LTF, le recours n'est recevable qu'à l'encontre des décisions prises en dernière instance cantonale, ce qui signifie que le recourant doit avoir épuisé toutes les voies de droit cantonales, ordinaires ou extraordinaires, pour les griefs qu'il entend soulever devant le Tribunal fédéral (ATF 134 III 524 consid. 1.3; Message du 28 février 2001 concernant la révision totale de l'organisation judiciaire fédérale, in FF 2001 p. 4000 ss, p. 4115 ch. 4.1.3.2). Dans le canton de Vaud, l'arrêt sur appel en matière de mesures provisionnelles peut faire l'objet d'un recours en nullité au Tribunal cantonal pour les motifs prévus par l'art. 444 al. 1 ch. 3 CPC/VD, à savoir pour déni de justice formel, ainsi que pour arbitraire dans l'appréciation des preuves (ATF 126 I 257 consid. 1b). En tant qu'il est interjeté, non pour ces motifs, mais pour arbitraire dans l'application du droit civil fédéral, le recours est recevable.

2.
Le recourant dénonce une application arbitraire de l'art. 144 al. 2 CC. Il se réfère en outre à l'art. 12 de la Convention de l'ONU sur les droits de l'enfant (CDE).

2.1 L'audition des enfants découle directement de l'art. 12 CDE (sur ce point : ATF 124 III 90). Cette norme conventionnelle ne consacre toutefois pas de prérogatives plus larges que celles résultant de l'art. 144 al. 2 CC (ATF 131 III 553 consid. 1.1). En vertu de cette disposition, avant de statuer sur le sort des enfants, le juge ou un tiers nommé à cet effet entend ceux-ci personnellement de manière appropriée, pour autant que leur âge ou d'autres motifs importants ne s'y opposent pas. L'audition de l'enfant constitue à la fois un droit de participation de l'enfant à la procédure qui le concerne et un moyen pour le juge d'établir les faits (ATF 133 III 553 consid. 2 non publié).
Le choix de la personne habilitée à entendre l'enfant relève en principe de l'appréciation du juge. Il serait toutefois contraire à la ratio legis de déléguer systématiquement l'audition à une tierce personne, car il est essentiel que le tribunal puisse se former directement sa propre opinion. L'audition est donc, en principe, effectuée par la juridiction compétente elle-même; en cas de circonstances particulières, elle peut l'être par un spécialiste de l'enfance, par exemple un pédopsychiatre ou le collaborateur d'un service de protection de la jeunesse (ATF 133 III 553 consid. 4; 127 III 295 consid. 2a-2b et les citations; arrêts 5C.19/2002 du 15 octobre 2002 consid. 2.1 in FamPra.ch 2003 p. 446 ss, 5C.247/2004 du 10 février 2005 consid. 6.3.2). Ces circonstances se réfèrent à des cas particulièrement délicats dans lesquels les compétences d'un spécialiste sont requises pour éviter de porter préjudice à la santé de l'enfant, par ex. en cas de soupçon de relations familiales pathogènes, de conflit familial aigu et de dissension concernant le sort des enfants, de troubles reconnaissables chez l'enfant, de son âge, etc. (Alexandra Rumo-Jungo/Guy Bodenmann, Die Anhörung von Kindern in : FamPra.ch 2003 p. 6; Peter Breitschmid, Commentaire bâlois, n. 4 ss ad art. 144 CC).
Le Tribunal fédéral a également admis que, lorsque l'enfant a déjà été entendu par un tiers, en général dans le cadre d'une expertise, le juge peut renoncer à l'entendre une nouvelle fois si une audition répétée représente pour l'enfant une charge insupportable (par ex. en cas de conflit de loyauté aigu) et que l'on ne peut attendre aucun nouveau résultat d'une audition supplémentaire ou que l'utilité escomptée est sans rapport raisonnable avec la charge causée par la nouvelle audition. Le juge peut alors se fonder sur les résultats de l'audition effectuée par le tiers pour autant qu'il s'agisse d'un professionnel indépendant et qualifié, que l'enfant ait été interrogé sur les éléments décisifs pour l'affaire à juger et que l'audition, respectivement ses résultats, soient actuels (ATF 133 III 553 consid. 4).

2.2 En l'occurrence, le Tribunal d'arrondissement a justifié la renonciation à entendre l'enfant en relevant que celui-ci a déjà été auditionné par "de nombreux professionnels" et qu'une nouvelle audition par le juge "pourrait être déstabilisante". L'autorité précédente ne précise pas la qualité et l'identité des professionnels qui ont entendu l'enfant, ni la date à laquelle ces auditions ont eu lieu. Il ressort du dossier que le juge de première instance a renoncé à l'audition sur conseil du SPJ (cf. courrier du 20 juillet 2009) qui, pour justifier cette position, signalait que l'enfant était suivi par un pédopsychiatre ainsi que les divers intervenants des écoles fréquentées (D.________ et C.________) et qu'il avait été vu à diverses reprises dans les deux contextes familiaux en vue de l'établissement du rapport d'évaluation du 2 mars 2009. Selon ce rapport, l'enfant a été "observé" dès le mois d'octobre 2008 par E.________, assistante sociale au SPJ. Celle-ci a expliqué que l'enfant se serait exprimé assez librement en présence de chacun de ses parents. Pour justifier son refus de procéder à une nouvelle audition, le Tribunal d'arrondissement a encore relevé qu'il ne faisait aucun doute que le placement de l'enfant était dans son intérêt et que, partant, même si l'intéressé était entendu, il n'était pas sûr que sa position modifierait à elle seule l'issue du litige.

2.3 Le recourant est d'avis qu'au regard des conditions strictes posées par la jurisprudence (ATF 133 III 553 consid. 4), la renonciation à une nouvelle audition était arbitraire car d'une part, le rapport du SPJ n'émane pas d'un tiers indépendant et qualifié et, d'autre part, l'enfant n'a pas été entendu en rapport avec l'affaire à juger.
2.3.1 En ce qui concerne la qualité du tiers qui a entendu l'enfant, il n'était pas arbitraire, au vu de la jurisprudence citée plus haut à ce sujet (cf. consid. 2.1), de se fonder sur l'audition effectuée par la collaboratrice du SPJ.
2.3.2 En revanche, le recourant observe à juste titre que les circonstances de fait se sont modifiées depuis ces entretiens avec l'assistante sociale puisqu'un placement en institution est envisagé en raison de la dégradation de la situation de l'enfant, ce qui a poussé le père à demander l'attribution de la garde. Lorsque l'assistante sociale du SPJ s'est entretenue avec l'enfant, entre la fin de l'année 2008 et le début de l'année 2009, l'enfant a parlé de sa difficulté "d'avoir deux maisons" et a indiqué que c'était "trop dur de choisir", se montrant soucieux que les visites chez son père soient organisées et claires; la question du placement en internat n'entrait alors pas en ligne de compte et le principal intéressé n'a ainsi pas pu donner son opinion par rapport à ce nouvel élément, qui implique un changement majeur de son cadre de vie. Il était ainsi arbitraire - sous réserve de l'existence d'autres motifs importants au sens de l'art. 144 al. 2 CC - de refuser de le réentendre car l'audition menée dans le cadre du rapport d'évaluation du 2 mars 2009 n'était plus d'actualité et l'enfant n'a pas pu se déterminer sur les éléments décisifs en relation avec la cause à juger (cf. arrêts 5C.19/2002 publié in FamPra.ch 2003 p. 445 consid. 2.1, 5C.247/2004 du 10 février 2005 consid. 6.3.2, 5P.290/2001 du 16 novembre 2001 consid. 3b).

2.4 Le tribunal d'arrondissement a également justifié son refus de réentendre l'enfant pour le motif que cette mesure ne modifierait pas le sort de la cause. Ce motif ne résiste toutefois pas au grief d'arbitraire. L'autorité précédente a ainsi procédé à une appréciation anticipée des preuves, ce qui ne saurait dispenser d'une audition de l'enfant, laquelle sert non seulement à établir l'état de fait mais permet aussi à l'intéressé de faire valoir son opinion (arrêts 5A_536/2007 du 24 janvier 2008 consid. 2.2 et 5A_405/2007 du 6 décembre 2007 consid. 3.2).
En conséquence, le jugement attaqué doit être annulé et la cause renvoyée à l'autorité cantonale pour qu'elle entende l'enfant, cette mesure pouvant, au vu des circonstances (important conflit de loyauté et difficultés psychologiques de l'enfant nécessitant une prise en charge en internat spécialisé), être déléguée à un spécialiste.

3.
Il résulte de ce qui précède que le recours doit être admis et la cause renvoyée à l'autorité cantonale pour instruction complémentaire et nouvelle décision. Vu le sort du recours, les frais judiciaires sont mis à la charge de l'intimée (art. 66 al. 1 LTF), qui versera en outre des dépens au recourant (art. 68 al. 1 et 2 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis, le jugement attaqué est annulé et la cause est renvoyée à l'autorité cantonale pour instruction complémentaire et nouvelle décision.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge de l'intimée.

3.
Une indemnité de 2'000 fr., à payer au recourant à titre de dépens, est mise à la charge de l'intimée.

4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et au Tribunal d'arrondissement de La Côte.

Lausanne, le 6 juillet 2010
Au nom de la IIe Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente: La Greffière:
Hohl Rey-Mermet


Synthèse
Numéro d'arrêt : 5A_50/2010
Date de la décision : 06/07/2010
2e cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2010-07-06;5a.50.2010 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award