2C_171/2010 {T 0/2} Arrêt du 30 juin 2010 IIe Cour de droit public Composition MM. et Mme les Juges Zünd, Président, Aubry Girardin et Donzallaz. Greffier: M. Dubey. Participants à la procédure La Fondation X.________, représentée par BDO SA, recourante, contre Commission d'estimation fiscale des immeubles du district de Morges, Place Saint-Louis 4, 1110 Morges. Objet Estimation fiscale d'immeubles, recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de droit administratif et public, du 25 janvier 2010. Faits: A. La Fondation X.________ (ci-après: la Fondation) est une fondation de droit privé dont le but est de promouvoir la prévoyance professionnelle en offrant à ses membres la possibilité d'investir collectivement leurs capitaux, principalement en valeurs immobilières. Elle est propriétaire d'immeubles pour une valeur de plus de cinq cents millions de francs, selon son bilan au 31 mars 2007. Jusqu'au 1er janvier 2007, la fondation avait pour raison sociale Fondation Z.________. Par contrat de cession du 24 mai 2006, la fondation Y.________, sise à Berne, a notamment cédé à la Fondation Z.________ différents immeubles, dont la parcelle n° **** du Registre foncier de Morges. Son prix de reprise, selon le contrat de cession, a été fixé à 4'910'000 fr. Ce montant est celui fixé par une expertise établie le 18 novembre 2005 par B.________, et confirmée par C.________ AG, société appelée à évaluer l'ensemble des valeurs arrêtées dans le contrat de cession du 24 mai 2006. La totalité des transferts immobiliers porte sur une valeur arrêtée, selon cette dernière société, à 409'554'300 fr. Le transfert a été inscrit au registre foncier le 20 juillet 2006. La parcelle n° **** du Registre foncier de Morges, sise au Chemin D.________, d'une surface totale de **** m2 comporte une place-jardin (**** m2) et un bâtiment commercial de **** m2. La valeur assurée ECA de ce dernier s'élève à 9'636'311 fr. Pour la période allant d'avril à septembre 2007, le revenu locatif de ce bâtiment s'est élevé à 227'910 fr. Après le transfert de propriété, la Commission d'estimation fiscale des immeubles du district de Morges (ci-après: la Commission d'estimation) a confirmé l'estimation fiscale de la parcelle n° **** à 8'603'000 fr. Cette estimation se montait à 11'372'000 fr. en 1990 et avait été portée à 8'603'000 fr. en 1996. Le 19 novembre 2007, la Fondation a déposé une réclamation contre cette décision, en concluant à ce que l'estimation fiscale de son immeuble soit révisée à la baisse pour tenir compte de la valeur vénale estimée à 4'910'000 fr. Le 18 décembre 2007, la Commission d'estimation a rendu une nouvelle décision, arrêtant l'estimation fiscale de la parcelle à 7'846'000 fr. La Fondation a interjeté recours auprès du Tribunal cantonal du canton de Vaud, en concluant à la réforme de la décision entreprise en ce sens que l'estimation fiscale était ramenée à un montant qui n'excédait pas la valeur vénale de 4'910'000 fr. B. Par arrêt du 25 janvier 2010, le Tribunal cantonal a rejeté le recours déposé par la Fondation. La Commission d'estimation avait des raisons suffisantes pour s'écarter du prix de la transaction et procéder à sa propre estimation de l'immeuble en cause. Pour le surplus, il fallait prendre acte de la valeur nouvellement admise en procédure par la Commission d'estimation de 7'656'000 fr. C. Par mémoire intitulé "recours", la Fondation demande au Tribunal fédéral, sous suite de frais et dépens, d'annuler les décisions du Tribunal cantonal et de la Commission d'estimation et de fixer la valeur fiscale de l'immeuble à 4'910'000 fr., subsidiairement de renvoyer la cause à l'autorité cantonale pour nouvelle décision au sens des considérants. Elle se plaint de la violation de son droit d'être entendue, de l'appréciation arbitraire des preuves et de l'application arbitraire du droit cantonal. Le Tribunal cantonal et la Commission d'estimation renoncent à déposer des observations. D. Par ordonnance du 3 mars 2010, le Président de la IIe Cour de droit public a rejeté la requête d'effet suspensif déposée par la Fondation. Considérant en droit: 1. 1.1 L'acte déposé n'indique pas la voie de recours utilisée ce qui ne permet pas de préjuger de sa recevabilité, une telle omission ne nuisant pas à la partie recourante, pour autant que les conditions de forme de l'une des voies de droit prévues par la loi sur le Tribunal fédéral soient respectées (ATF 134 III 379 consid. 1.2 p. 382; 131 I 291 consid. 1.3 p. 296). Le recours est dirigé contre une décision en matière fiscale rendue en dernière instance cantonale sur la base du droit public cantonal; à ce titre, il est en principe recevable comme recours en matière de droit public au sens des art. 82 ss LTF (cf. en particulier les art. 82 let. a et 86 al. 1 let. d LTF), aucune des exceptions prévues à l'art. 83 LTF n'étant réalisée. 1.2 Sous réserve des décisions partielles au sens de l'art. 91 LTF et des décisions incidentes dans les cas visés aux art. 92 et 93 LTF (sur la portée de ces dispositions, cf. ATF 133 V 645 consid. 2.1 p. 647; 477 consid. 4.1.2 et 4.1.3 p. 481 s.), le recours en matière de droit public n'est recevable que contre les décisions finales au sens de l'art. 90 LTF, soit celles qui mettent fin à la procédure, que ce soit pour un motif tiré du droit matériel ou de la procédure (cf. ATF 134 III 426 consid. 1.1 p. 428; 133 III 629 consid. 2.2 p. 631; 133 V 477 consid. 4.1.1 p. 480). Dans le canton de Vaud, la procédure d'estimation fiscale des immeubles, fondée sur la loi vaudoise du 18 décembre 1935 sur l'estimation fiscale des immeubles (LEFI; RS/VD 642.21), relève d'une autorité distincte de l'autorité de taxation, suit ses propres règles de procédure et se clôt par une décision (susceptible de recours) qui lie l'autorité de taxation. Compte tenu de son caractère autonome et parfaitement dissociable de la décision de taxation, la décision d'estimation revêt dès lors un caractère final au sens de l'art. 90 LTF (arrêt 2C_83/2009 du 8 mai 2009 in RF 64/2009 p. 760, consid. 1.2). 1.3 La conclusion de la recourante tendant à l'annulation de la décision de la Commission d'estimation fiscale est irrecevable, étant donné l'effet dévolutif du recours déposé auprès du Tribunal cantonal (ATF 126 II 300 consid. 2a p. 302/303), dont la décision - de dernière instance cantonale - peut seule être attaquée devant le Tribunal fédéral (art. 86 al. 1 lettre d LTF). 1.4 Au surplus, interjeté par une partie directement touchée par la décision attaquée et qui a un intérêt digne de protection à son annulation ou sa modification (art. 89 al. 1 LTF) et déposé dans le délai (art. 100 al. 1 LTF) et la forme (art. 42 LTF) prévus par la loi, le recours en matière de droit public est en principe recevable. 2. 2.1 D'après l'art. 97 al. 1 LTF, le recours ne peut critiquer les constatations de fait que si les faits ont été établis de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95, et si la correction du vice est susceptible d'influer sur le sort de la cause. 2.2 D'après l'art. 99 al. 1 LTF, aucun fait nouveau ni preuve nouvelle ne peut être présenté à moins de résulter de la décision de l'autorité précédente. La recourante produit pour la première fois devant le Tribunal fédéral un bordereau de droits de mutation prélevés sur la vente du 24 mai 2006. Ce nouveau moyen de preuve est irrecevable. 3. Invoquant l'art. 9 Cst., la recourante se plaint de l'application arbitraire du droit cantonal. 3.1 La loi cantonale sur l'estimation fiscale des immeubles prévoit les règles d'évaluation suivantes (chapitre 2 de la loi): "Art. 2 1 L'estimation fiscale est faite par biens-fonds en prenant la moyenne entre sa valeur de rendement et sa valeur vénale. 2 Toutefois, la valeur fiscale ne pourra être supérieure à la valeur vénale. 3 La valeur de rendement d'un immeuble correspond au rendement brut ou net capitalisé à un taux tenant compte du loyer de l'argent et des charges annuelles et périodiques. 4 La valeur vénale d'un immeuble représente la valeur marchand de celui-ci. 5 [immeubles agricoles] Art. 3 1 L'estimation fiscale comprend l'estimation du sol, des bâtiments et des accessoires. 2 [accessoires] 3 Il est tenu compte, dans l'estimation, des servitudes actives et passives et des charges foncières. 4 [droit d'habitation et d'usufruit] Art. 4 Les méthodes d'estimation et taux de capitalisation à prévoir pour les différents objets mentionnés à l'article premier sont fixés par le règlement prévu à l'article 26 ci-après." Se fondant sur les art. 4 et 26 LEFI, le Conseil d'État a édicté le règlement du 22 décembre 1936 sur l'estimation fiscale des immeubles (RLEFI; RS/VD 641.21.1). Selon l'art. 8 al. 1 RLEFI, la valeur vénale d'un immeuble représente la valeur marchande de celui-ci, en tenant compte de l'offre et de la demande. Cette valeur marchande est établie en prenant notamment pour bases la situation, la destination, l'état et le rendement de l'immeuble. L'art. 8 al. 2 RLEFI précise qu'à défaut d'indications (prix d'achat, éléments de comparaison, etc.), la valeur vénale est obtenue en capitalisant le rendement brut à un taux qui varie selon le genre d'immeuble, la nécessité d'amortissement et les risques de placement sur ces immeubles. Enfin, d'après l'art. 9 RLEFI, les ventes qui ont eu lieu dans des circonstances extraordinaires et lors desquelles les prix ont été fixés sous l'influence des conditions particulières (vente entre parents, vente juridique dont l'acquéreur a qualité de créancier, expropriation, achats extraordinaires dans des buts de spéculation, etc.) ne sont dans la règle, pas prises en considération. 3.2 Une décision est arbitraire lorsqu'elle contredit clairement la situation de fait, lorsqu'elle viole gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté, ou lorsqu'elle heurte d'une manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité (ATF 132 III 209 consid. 2.1 p. 211). A cet égard, le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution retenue par l'autorité cantonale de dernière instance que si elle apparaît insoutenable, en contradiction manifeste avec la situation effective, adoptée sans motifs objectifs ou en violation d'un droit certain. De plus, il ne suffit pas que les motifs de l'arrêt attaqué soient insoutenables, encore faut-il que ce dernier soit arbitraire dans son résultat. Il n'y a en outre pas arbitraire du seul fait qu'une autre solution que celle de l'autorité intimée paraît concevable, voire préférable (ATF 134 I 263 consid. 1 p. 265). Lorsque la partie recourante s'en prend à l'appréciation des preuves, la décision n'est arbitraire que si le juge n'a manifestement pas compris le sens et la portée d'un moyen de preuve, s'il a omis, sans raison sérieuse, de tenir compte d'un moyen important propre à modifier la décision attaquée ou encore si, sur la base des éléments recueillis, il a procédé à des déductions insoutenables (ATF 129 I 8 consid. 2.1 p. 9). 4. 4.1 Se fondant sur l'art. 9 RLEFI, le Tribunal cantonal a jugé que l'immeuble en cause ne constituait qu'un bien parmi de nombreux autres dans la transaction et ne pesait que d'un poids relatif dans cette transaction du moment que sa valeur, arrêtée entre parties, ne représentait que moins d'un pour-cent de l'ensemble des biens cédés par contrat du 24 mai 2006. Le prix de vente ne pouvait avoir la même valeur probante que dans le cas d'une vente unique de gré à gré, d'autant moins que la transaction avait eu lieu entre institutions de prévoyance. 4.2 La recourante soutient qu'il est arbitraire d'assimiler une vente portant sur une pluralité d'immeubles à une circonstance extraordinaire telle que celle visée par l'art. 9 RLEFI. La question ne manque pas d'intérêt eu égard à la valeur contractuelle de l'immeuble en cause, qui avoisine tout de même 5 millions de francs. Elle peut toutefois demeurer ouverte, du moment qu'un autre grief de la recourante est fondé et conduit à l'admission du recours. 5. 5.1 Dans l'arrêt attaqué, le Tribunal cantonal a constaté que "la transaction était intervenue dans le cadre d'un transfert de patrimoine entre institutions de prévoyance". Il a jugé qu'une telle circonstance relativisait la portée des valeurs retenues dans les expertises (produites en procédure cantonale). 5.2 Dans son mémoire, la recourante soutient que le Tribunal cantonal a apprécié de manière arbitraire la valeur probante des expertises produites en procédure cantonale. A cet effet, elle dénonce le caractère manifestement incomplet des faits retenus dans l'arrêt attaqué (art. 97 LTF) et demande à bon droit à ce qu'ils soient complétés par les éléments suivants: L'expertise B.________ a été commandée par la venderesse - et non pas par elle-même. Par comparaison avec le caractère pour le moins sommaire de l'estimation effectuée par la Commission d'estimation, l'expertise B.________ est détaillée. Elle a fait l'objet d'une "seconde opinion" indépendante par C.________ AG. Et enfin, les deux rapports d'expertise ont été établis par des tiers neutres et impartiaux. La recourante rappelle au surplus qu'en vertu de l'art. 61 de la loi fédérale du 25 juin 1982 sur la prévoyance professionnelle (LPP; RS 831.40), les institutions de prévoyance sont soumises au contrôle d'une autorité de surveillance. De l'avis de la recourante, en prenant en considération ces éléments, qui n'apparaissent pas dans l'arrêt attaqué, le Tribunal cantonal aurait pu et dû se rendre compte de la valeur probante des expertises produites et ne pouvait pas les écarter sans tomber dans l'arbitraire. 5.3 En relevant la qualité d'institution de prévoyance des parties à la transaction pour disqualifier la portée probante des expertises de B.________ et de C.________, le Tribunal cantonal semble jeter le discrédit sur ce genre d'institutions ou encore soupçonner l'existence d'un lien particulier entre les parties elle-mêmes ainsi qu'entre les parties et les experts, ce qui aurait pour effet de supprimer ou du moins d'amenuiser la valeur probante des expertises. Une telle affirmation ne repose sur aucun motif sérieux. Le Tribunal cantonal au demeurant n'en donne pas et le Tribunal fédéral n'en voit aucun qui s'imposerait de manière manifeste. On ne discerne au surplus pas le lien qu'il y aurait entre la qualité d'institution de prévoyance et la valeur probante des expertises produites. Au surplus, la stagnation du marché immobilier entre 1996 et 2006 ainsi que la grande ampleur du marché évoquées par le Tribunal cantonal ne sont pas des éléments qui permettent d'écarter la valeur vénale ressortant de l'acte de cession confirmée par deux expertises. Par conséquent, en jugeant que la simple qualité d'institutions de prévoyance des parties à la transaction du 24 mai 2006 "relativise la portée des valeurs retenues dans les expertises" et en affirmant que la recourante n'aurait pas
mis en cause les autres éléments de calcul (arrêt attaqué, consid. 3c, p. 6), alors que les données chiffrées, détaillées et explicitées figurant dans les expertises constituent une contestation suffisante du calcul, pour le moins sommaire, de la Commission d'estimation, qui n'a au demeurant pas eu connaissance des rapports d'expertise précités durant la procédure cantonale, le Tribunal cantonal a apprécié de manière arbitraire la valeur des preuves produites par la recourante en procédure cantonale. Le grief est bien fondé. Il s'ensuit que le Tribunal cantonal ne pouvait pas, sans tomber dans l'arbitraire, s'écarter des la règle figurant à l'art. 2 LEFI, selon laquelle la valeur fiscale ne peut être supérieure à la valeur vénale. 6. Les considérants qui précèdent conduisent à l'admission du recours, dans la mesure où il est recevable. L'arrêt rendu le 25 janvier 2010 par le Tribunal cantonal du canton de Vaud est annulé. L'estimation fiscale de l'immeuble n° **** du registre foncier de Morges est arrêtée à 4'910'000 fr. Les frais de justice sont mis à charge du canton de Vaud, qui succombe et dont l'intérêt patrimonial est en cause (art. 66 al. 4 LTF). Il versera en outre une indemnité de dépens à la recourante qui a obtenu gain de cause avec l'aide d'un mandataire professionnel (art. 68 al. 1 LTF). Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 1. Le recours est admis, dans la mesure où il est recevable. 2. L'arrêt rendu le 25 janvier 2010 par le Tribunal cantonal du canton de Vaud est annulé. L'estimation fiscale de l'immeuble n° **** du registre foncier de Morges est arrêtée à 4'910'000 fr. 3. Les frais de justice, arrêtés à 5'000 fr., sont mis à la charge du canton de Vaud. 4. Le canton de Vaud versera une indemnité de dépens de 5'000 fr à la Fondation X.________. 5. Le présent arrêt est communiqué à la représentante de la recourante, à la Commission d'estimation fiscale des immeubles du district de Morges et au Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de droit administratif et public. Lausanne, le 30 juin 2010 Au nom de la IIe Cour de droit public du Tribunal fédéral suisse Le Président: Le Greffier: Zünd Dubey