{T 0/2} 4D_30/2010 Arrêt du 25 mars 2010 Ire Cour de droit civil Composition Mme et MM. les Juges Klett, Présidente, Corboz et Kolly. Greffier: M. Piaget. Participants à la procédure X.________, représentée par Me Michel De Palma, recourante, contre Y.________, représenté par Me Vincent Hertig, intimé. Objet rejet de l'effet suspensif, recours constitutionnel contre la décision du Tribunal de Martigny et St-Maurice, Juge I des districts de Martigny et St-Maurice, du 22 janvier 2010. Faits: A. Depuis 25 ans, X.________ occupe, en qualité de locataire, un appartement de quatre pièces au rez-de-chaussée d'un immeuble à Collonges (Valais). Elle n'a pas payé le loyer du mois de juillet 2006, soit 800 fr., et allègue que le bailleur y a renoncé en contrepartie de désagréments qu'elle a subis, ce qui est contesté dans la procédure. En novembre 2006, le bailleur, A.________, a cédé la propriété du bien immobilier à son fils, Y.________, qui lui a succédé dans le bail. Le 18 septembre 2008, A.________ a cédé à son fils, en la forme écrite, la créance relative au loyer du mois de juillet 2006. Le 9 février 2009, Y.________ a imparti à X.________ un délai de trente jours pour s'acquitter du loyer de juillet 2006, sous menace de résiliation du bail. Cette sommation étant restée vaine, le bail a été résilié le 16 mars 2009 avec effet au 30 avril 2009. B. X.________ a ouvert action contre Y.________, concluant à l'annulation de la résiliation, subsidiairement à la prolongation du bail. Par décision du 19 novembre 2009, le juge de la commune municipale de Collonges a rejeté la demande. En date du 11 janvier 2010, X.________ a interjeté un pourvoi en nullité contre cette décision auprès du Tribunal des districts de Martigny et St-Maurice, sollicitant préalablement l'effet suspensif. Par décision du 22 janvier 2010, le juge I des districts de Martigny et St-Maurice a refusé l'effet suspensif avec suite de frais. C. X.________ exerce un recours constitutionnel subsidiaire au Tribunal fédéral contre la décision du 22 janvier 2010. Invoquant l'interdiction de l'arbitraire, elle a conclu à son annulation et à l'octroi de l'effet suspensif, sous suite de frais et dépens. Elle a également requis l'effet suspensif durant la procédure devant le Tribunal fédéral, qui lui a été accordé, à titre de mesure superprovisoire, par ordonnance du 26 février 2010. L'intimé a conclu au rejet du recours avec suite de frais et dépens, ainsi qu'au refus de l'effet suspensif durant la procédure devant le Tribunal fédéral. Considérant en droit: 1. 1.1 La décision attaquée, qui porte exclusivement sur le refus de l'effet suspensif, n'est pas une décision finale au sens de l'art. 90 LTF, puisqu'elle ne met pas fin à la procédure pendante devant le juge de district. Il ne s'agit pas davantage d'une décision partielle au sens de l'art. 91 LTF, puisqu'elle ne statue pas sur une portion indépendante de ce qui est demandé sur le fond, ni ne met une partie hors de cause. Il s'agit donc d'une décision incidente, qui ne porte pas sur la compétence ou une demande de récusation (art. 92 LTF), de sorte qu'elle ne peut faire l'objet d'un recours qu'aux conditions fixées par l'art. 93 LTF. Selon l'art. 93 al. 1 let. a LTF, une décision incidente notifiée séparément peut faire l'objet d'un recours si elle est de nature à causer un préjudice irréparable. En cas de refus de l'effet suspensif, la recourante est exposée à une évacuation forcée et, si son logement est immédiatement reloué à un tiers, il faut s'attendre à ce qu'elle ne puisse plus y retourner, même en cas d'issue favorable de la procédure. Il faut donc admettre que la décision attaquée est de nature à causer un préjudice irréparable, de sorte que le recours est ouvert. 1.2 En cas de recours contre une décision incidente, la valeur litigieuse doit être déterminée en fonction des conclusions restées litigieuses devant l'autorité compétente sur le fond (art. 51 al. 1 let. c LTF). En l'espèce, le litige porte sur la résiliation du bail et, dans une telle situation, la jurisprudence a admis qu'il faut additionner le loyer de la période pendant laquelle le contrat subsiste nécessairement, en supposant que l'on admette la contestation, période qui s'étend jusqu'à la date pour laquelle un nouveau congé aurait pu être donné ou l'a été effectivement. En cas de contestation par un locataire, il faut donc au moins compter trois ans de loyer en raison de la période de protection prévue par l'art. 271a al. 1 let. e CO (arrêt 4C.155/2000 du 30 août 2000, publié in SJ 2001 I p. 17, consid. 1a; ATF 119 II 147 consid. 1 p. 149; 111 II 384 consid. 1 p. 385 s.). Ainsi, le seuil de 15'000 fr. fixé, en matière de droit du bail à loyer, par l'art. 74 al. 1 let. a LTF est atteint. La recourante s'est donc trompée en interjetant un recours constitutionnel subsidiaire (art. 113 LTF). Cette erreur de désignation reste toutefois sans conséquence, puisque son recours peut être accueilli comme un recours en matière civile (cf. ATF 133 II 396 consid. 3.1 p. 399), étant rappelé que des griefs d'ordre constitutionnel peuvent également être invoqués par cette voie de droit (ATF 134 III 379 consid. 1.2 p. 382). 1.3 La décision qui octroie ou refuse l'effet suspensif est une décision sur mesures provisionnelles au sens de l'art. 98 LTF (ATF 134 II 192 consid. 1.5 p. 196 s.). En conséquence, seule peut être invoquée la violation des droits constitutionnels. 1.4 Les conditions d'octroi de l'effet suspensif en cas de pourvoi en nullité valaisan sont régies exclusivement par le droit cantonal. Or, le recours au Tribunal fédéral n'est pas ouvert pour se plaindre d'une violation du droit cantonal (art. 95 et 96 LTF). Une partie recourante peut toutefois invoquer l'interdiction de l'arbitraire, garantie par l'art. 9 Cst., et se plaindre devant le Tribunal fédéral d'une violation arbitraire du droit cantonal (ATF 134 III 379 consid. 1.2 p. 382 s.; 133 I 201 consid. 1 p. 203; 133 III 462 consid. 2.3 p. 466). 1.5 Le Tribunal fédéral ne peut examiner une question de droit constitutionnel que si le grief a été invoqué par la partie recourante et motivé de manière précise dans l'acte de recours (art. 106 al. 2 LTF). 1.6 S'il admet un recours, le Tribunal fédéral peut soit renvoyer l'affaire à l'autorité précédente pour qu'elle prenne une nouvelle décision, soit statuer lui-même comme l'autorité précédente aurait pu le faire (art. 107 al. 2 LTF; cf. ATF 4A_353/2009 du 3 novembre 2009 consid. 1.2). 2. 2.1 En l'espèce, la recourante invoque l'interdiction de l'arbitraire. Selon la jurisprudence, l'arbitraire, prohibé par l'art. 9 Cst., ne résulte pas du seul fait qu'une autre solution pourrait entrer en considération ou même qu'elle serait préférable; le Tribunal fédéral n'annulera la décision attaquée que lorsque celle-ci est manifestement insoutenable, qu'elle se trouve en contradiction claire avec la situation de fait, qu'elle viole gravement une norme ou un principe juridique indiscuté, ou encore, lorsqu'elle heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité; pour qu'une décision soit annulée pour cause d'arbitraire, il ne suffit pas que la motivation formulée soit insoutenable, il faut encore que la décision apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 135 V 2 consid. 1.3 p. 4; 134 I 263 consid. 3.1 p. 265 s.). 2.2 Selon l'art. 231 al. 1 du Code de procédure civile valaisan du 24 mars 1998 (CPC/VS; RSV 270.1), le pourvoi en nullité a un effet suspensif de plein droit lorsque la partie recourante attaque un jugement constitutif. L'autorité précédente est parvenue à la conclusion que la décision attaquée en l'espèce n'était pas un jugement constitutif, ce que la recourante ne critique pas. En l'absence de tout grief sur ce point, la question ne doit pas être réexaminée (art. 98 et 106 al. 2 LTF). 2.3 L'art. 231 al. 2 CPC/VS permet au juge, dans les autres cas, d'accorder l'effet suspensif, mais sans fixer aucune condition. Il faut en déduire que le juge dispose en cette matière d'un large pouvoir d'appréciation. Il ne saurait toutefois faire un usage arbitraire du pouvoir que la loi lui confère (art. 9 Cst.). Selon les principes généraux, il procédera à une pesée des intérêts en présence; il se demandera en particulier si sa décision est de nature à provoquer une situation irréversible; il prendra également en considération les chances de succès du recours (cf. ATF 115 Ib 157 consid. 2 p. 158), en ce sens qu'il peut toujours refuser l'effet suspensif lorsqu'il se trouve en présence d'un procédé dilatoire (sur l'ensemble de cette question, cf. Bernard Corboz, Commentaire de la LTF 2009, n°s 28 s. ad art. 103 LTF; Ulrich Meyer, Basler Kommentar, BGG, 2008, nos 33 ss ad art. 103 LTF). 2.4 En l'espèce, il n'est pas prétendu que la recourante aurait cessé de payer mensuellement son loyer durant la procédure; on doit donc déduire des prises de position des parties qu'elle s'en acquitte régulièrement. On voit donc mal quel intérêt le bailleur pourrait avoir à l'évacuer immédiatement sans attendre l'issue du litige. Il est d'ailleurs symptomatique d'observer que l'intimé, dans la procédure cantonale, s'en était rapporté à justice sur la question de l'octroi de l'effet suspensif. De son côté, la locataire est exposée, en cas de refus de l'effet suspensif, à devoir quitter immédiatement le logement qu'elle occupe depuis 25 ans et à devoir se reloger, alors même que le sort du bail n'est pas définitivement tranché. La pesée des intérêts en présence milite fortement en faveur d'un octroi de l'effet suspensif et le juge cantonal, pour n'avoir même pas procédé à cet examen, a déjà gravement violé les principes généralement reconnus qui régissent l'octroi ou le refus de l'effet suspensif. Le refus pourrait néanmoins se justifier s'il apparaissait d'emblée que le recours est dépourvu de chances de succès et revêt un caractère dilatoire. En premier lieu, on comprend mal pourquoi, sauf à suivre les explications de la recourante, celle-ci n'aurait pas payé le loyer de ce seul mois de juillet 2006, alors qu'elle s'acquitte régulièrement de son dû. Surtout, il est frappant d'observer que le bailleur ne prétend pas avoir réagi dans les mois qui ont suivi. Il s'agit là d'un fort indice que cette absence de paiement correspondait à sa volonté. Savoir si le bailleur a accordé une remise de dette sans y être tenu et s'il s'est montré particulièrement généreux n'est pas une question pertinente; il faut seulement se demander si les parties sont convenues d'une remise de dette (art. 115 CO). Selon les constatations cantonales, l'omission de payer en juillet 2006 n'a entraîné un avis comminatoire que le 9 février 2009; cette démarche est totalement insolite, peu importe à cet égard que le bien immobilier ait changé de main entre ces deux dates. Il faut encore relever que la recourante prétend avoir un témoin de la remise de dette intervenue (recours p. 11) et que la procédure de pourvoi en nullité valaisanne n'exclut pas d'ordonner l'administration de nouveaux moyens de preuve à l'appui d'un fait déjà allégué (à savoir la remise de dette) (art. 233 CPC/VS). Au vu de l'ensemble de ces éléments, le juge cantonal a apprécié les circonstances de manière arbitraire en concluant que le pourvoi était d'emblée dépourvu de chances de succès au point que l'effet suspensif ne puisse être accordé, malgré la pesée des intérêts et l'absence d'opposition de la partie adverse. Le recours doit donc être admis et l'effet suspensif accordé. La question étant ainsi tranchée, il n'y a plus de raison de se prononcer sur la requête d'effet suspensif durant la procédure devant le Tribunal fédéral, qui a donné lieu à une décision préprovisoire. 3. Les frais judiciaires et les dépens sont mis à la charge de la partie qui succombe (art. 66 al. 1 et 68 al. 1 et 2 LTF). Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 1. Le recours est admis et la décision attaquée est annulée. 2. L'effet suspensif est accordé au recours de X.________ enregistré sous référence C2 10 2 auprès du Tribunal des districts de Martigny et St-Maurice en la cause X.________ contre décision du 19 novembre 2009 du Juge de commune de Collonges. 3. Les frais judiciaires, arrêtés à 1'000 fr., sont mis à la charge de Y.________. 4. Y.________ versera à X.________ une indemnité de 2'000 fr. à titre de dépens. 5. La cause est retournée à l'autorité précédente pour statuer sur les frais et dépens de la procédure cantonale et pour poursuivre l'examen de la cause. 6. Le présent arrêt est communiqué aux parties et au Tribunal de Martigny et St-Maurice, Juge I des districts de Martigny et St-Maurice. Lausanne, le 25 mars 2010 Au nom de la Ire Cour de droit civil du Tribunal fédéral suisse La Présidente: Le Greffier: Klett Piaget