{T 0/2} 6B_926/2009 Arrêt du 15 décembre 2009 Cour de droit pénal Composition MM. les Juges Favre, Président, Schneider et Wiprächtiger. Greffière: Mme Bendani. Parties X.________, représenté par Me Roland Burkhard, avocat, recourant, contre Y.________, représenté par Me Martin Ahlström, avocat, intimé, Procureur général du canton de Genève, 1211 Genève 3, intimé. Objet Lésions corporelles graves (art. 122 CP), agression (art. 134 CP), arbitraire, recours contre l'arrêt de la Cour de justice du canton de Genève, Chambre pénale, du 21 septembre 2009. Faits: A. Dans la nuit du 20 au 21 décembre 2006, Y.________ a blessé X.________, en lui donnant un coup au visage au moyen d'une matraque télescopique ou d'une barre de fer, le lésant à l'oeil droit et à la pommette, avec pour conséquence les lésions décrites dans un certificat médical du 24 août 2007, dont la perte quasi totale de l'acuité visuelle dudit oeil. Il a également agressé B.________. B. Par jugement du 11 novembre 2008, le Tribunal de police du canton de Genève a condamné Y.________, pour lésions corporelles graves et simples, à une peine privative de liberté de douze mois, avec sursis pendant 5 ans, et à une amende de 2'000 fr. Par arrêt du 21 septembre 2009, la Chambre pénale de la Cour de justice genevoise a annulé le jugement précité et libéré Y.________ des fins de la poursuite pénale. Elle a retenu, en bref, que ce dernier avait agi dans un état de légitime défense excusable lorsqu'il avait frappé X.________, qui le menaçait d'un couteau, puis, aussitôt après, B.________, qui s'était saisi d'un vélo et s'apprêtait à le jeter sur lui. C. X.________ dépose un recours en matière pénale au Tribunal fédéral. Invoquant l'arbitraire et une violation des art. 32 al. 2 aCP, 15, 16 et 134 CP, il conclut notamment à l'annulation de l'arrêt entrepris et à la condamnation de Y.________, pour lésions corporelles et agression. Il requiert également l'assistance judiciaire. Considérant en droit: 1. Le recourant se plaint d'arbitraire dans l'établissement des faits. 1.1 De jurisprudence constante, une décision, respectivement une appréciation, n'est pas arbitraire du seul fait qu'elle apparaît discutable ou même critiquable. Elle ne peut être considérée comme telle que si elle s'avère manifestement insoutenable ou, autrement dit, absolument inadmissible, et cela non seulement dans sa motivation mais dans son résultat (ATF 135 V 2 consid. 1.3 p. 4 et 5; 134 I 140 consid. 5.4 p. 148). Sous peine d'irrecevabilité, l'arbitraire allégué doit par ailleurs être démontré conformément aux exigences de motivation de l'art. 106 al. 2 LTF (ATF 133 IV 286 consid. 1.4 p. 287). 1.2 Le recourant relève que l'intimé et son acolyte, C.________, ont fait de fausses déclarations à propos des barres de fer ou « trucs de chantier » qu'ils auraient trouvés par terre. Ce grief tombe à faux. En effet, la Chambre pénale, si elle a jugé que l'intimé était globalement plus crédible que les parties civiles, a en revanche considéré que les déclarations de Y.________ et C.________ selon lesquelles ils auraient trouvé des barres de fer, gisant providentiellement au sol, étaient moins plausibles, ce d'autant plus que leurs affirmations n'avaient pas été constantes sur ce point. 1.3 Le recourant conteste avoir été armé d'un couteau. Il soutient que les déclarations de C.________ et Y.________ relatives à cette arme sont invraisemblables et contredites par divers témoignages. La Chambre pénale a constaté que l'intimé était globalement plus crédible, dans la mesure où il avait été constant dans ses déclarations s'agissant du déroulement des faits et que ses affirmations étaient corroborées par celles de C.________. Elle a souligné, en particulier, que tous deux avaient notamment évoqué un comportement menaçant du recourant, qui était armé d'un couteau. Elle a considéré que le fait que cette arme n'ait pas été retrouvée n'était pas déterminant, qu'elle avait pu être ramassée par un tiers et que, par ailleurs, le recourant avait concédé que, même si tel n'était plus le cas actuellement, il lui était arrivé de sortir armé d'un couteau lorsqu'il était plus jeune, ce qui ne constituait donc pas une circonstance exceptionnelle pour lui. Le fait que Y.________ et C.________ n'aient pas donné une description précise ni correcte du couteau porté par le recourant ne suffit pas pour infirmer l'appréciation précitée. Pour le reste, les témoignages de D.________, F.________ et B.________ ne permettent pas de confirmer la version du recourant, soit le fait que celui-ci n'était pas armé. En effet, l'autorité cantonale a exposé les motifs pour lesquels ces témoignages n'étaient pas particulièrement probants et le recourant ne prétend pas, ni ne démontre, conformément aux exigences posées par l'art. 106 al. 2 LTF, en quoi l'appréciation des juges cantonaux sur ce point serait arbitraire. Le grief est donc infondé. 1.4 Le recourant soutient avoir subi des lésions corporelles graves et semble contester que l'affrontement n'ait opposé que deux Serbes ou Albanais à cinq ou six noirs. Cette critique est sans pertinence. En effet, d'une part, la Chambre pénale a bel et bien considéré que les lésions subies par X.________, qui avaient entraîné la perte de la vue de l'oeil droit, devaient être qualifiées de graves (cf. consid. 2.1.2 de l'arrêt cantonal). D'autre part, elle a jugé que l'intimé n'était pas crédible s'agissant de la disparité numérique entre les deux groupes, qu'il avait manifestement exagéré en articulant le nombre d'une quinzaine de personnes en ce qui concernait ses adversaires et en affirmant que C.________ et lui n'étaient que deux. L'autorité a estimé que les deux groupes étaient au contraire d'importance comparable (cf. consid. 2.3.2 de l'arrêt cantonal). 1.5 Le recourant conteste, de manière toute générale, l'appréciation des preuves effectuée par la Cour de justice. Il soutient que les témoignages de G.________, F.________, H.________ et I.________ sont déterminants pour comprendre le déroulement des faits, ces personnes mettant en évidence que les agresseurs étaient bel et bien C.________ et Y.________ et non pas l'autre groupe. Se prévalant de divers témoignages, il conteste que B.________ ait brandi un vélo contre ses adversaires, affirme avoir été frappé par un bâton tactique, soit une matraque télescopique, et nie l'arrivée d'une voiture avant l'agression. Ces critiques sont purement appellatoires, le recourant se contentant ainsi d'avancer ses propres éléments et version des faits, sans tenter de démontrer en quoi l'appréciation des divers témoignages et autres preuves par les juges genevois exposée au consid. 2.2.2 de l'arrêt entrepris serait arbitraire. Affirmer simplement que les faits se sont déroulés autrement que de la manière retenue et proposer sa propre appréciation des preuves ne suffit pas à faire admettre l'arbitraire allégué. Les griefs, parce qu'insuffisamment motivés au regard des exigences de l'art. 106 al. 2 LTF, sont par conséquent irrecevables. 2. Invoquant une violation de l'art. 134 CP et une motivation insuffisante, le recourant reproche à l'autorité cantonale d'avoir écarté l'infraction d'agression. 2.1 S'il peut être établi que l'un des agresseurs, intentionnellement ou par négligence, cause la mort ou les lésions corporelles, l'infraction d'homicide au sens des art. 111 ss CP ou de lésions visée par les art. 122 ss CP absorbe, en ce qui le concerne, l'agression au sens de l'art. 134 CP. En effet, les infractions d'homicide et de lésions corporelles saisissent et répriment déjà la mise en danger effective de la personne tuée ou blessée lors de l'agression. Dès lors, le concours entre l'art. 134 CP et les art. 111 ss ou 122 ss CP ne peut être envisagé que si, ensuite d'une agression, une personne déterminée autre que celle qui a été tuée ou blessée a été effectivement mise en danger ou lorsque la personne, qui a été blessée lors de l'agression, n'a subi que des lésions corporelles simples, mais que la mise en danger a dépassé en intensité le résultat intervenu (ATF 135 IV 152 consid. 2.1). 2.2 La Chambre pénale a tout d'abord constaté que les lésions subies par X.________ devaient être qualifiées de graves et celles de B.________ de simples. Elle a ensuite retenu que l'art. 134 CP n'était pas applicable en l'absence d'autres personnes agressées que les prénommés. Cette motivation est suffisante et conforme au droit fédéral, les lésions corporelles constatées absorbant l'infraction d'agression. Le grief est donc rejeté. 3. Se plaignant d'une violation des art. 15, 16 CP et 32 al. 2 aCP, le recourant reproche à la Chambre pénale d'avoir retenu que l'intimé avait agi en état de légitime défense excusable. 3.1 Les faits remontent au mois de décembre 2006 et sont donc antérieurs à l'entrée en vigueur, le 1er janvier 2007, des nouvelles dispositions de la partie générale du code pénal. Comme l'autorité cantonale, qui a statué après cette date, disposait d'un libre pouvoir d'examen en fait et en droit, se pose la question de la lex mitior (art. 2 al. 2 CP). La règle de l'art. 33 al. 1 aCP a été reprise à l'art. 15 CP et celle de l'art. 33 al. 2 aCP à l'art. 16 CP (cf. Message du 21 septembre 1998 relatif à la modification des dispositions générales du code pénal; FF 1999, 1785 ss, 1811). S'agissant de la légitime défense, respectivement de la défense excusable, il n'y a donc pas de réelle différence entre l'ancien et le nouveau droit, de sorte que, conformément à l'art. 2 al. 2 CP, l'ancien droit demeure applicable. 3.2 La légitime défense suppose une attaque, c'est-à-dire un comportement visant à porter atteinte à un bien juridiquement protégé, ou la menace d'une attaque, soit le risque que l'atteinte se réalise. Il doit s'agir d'une attaque actuelle ou à tout le moins imminente, ce qui implique que l'atteinte soit effective ou qu'elle menace de se produire incessamment (ATF 106 IV 12 consid. 2a p. 14; 104 IV 232 consid. c p. 236 s.). Cette condition n'est pas réalisée lorsque l'attaque a cessé ou qu'il n'y a pas encore lieu de s'y attendre (ATF 93 IV 83). Une attaque n'est cependant pas achevée aussi longtemps que le risque d'une nouvelle atteinte ou d'une aggravation de celle-ci par l'assaillant reste imminent (ATF 102 IV 1 consid. 2b p. 4 s.). S'agissant en particulier de la menace d'une attaque imminente contre la vie ou l'intégrité corporelle, celui qui est visé n'a évidemment pas à attendre jusqu'à ce qu'il soit trop tard pour se défendre; il faut toutefois que des signes concrets annonçant un danger incitent à la défense. Tel est notamment le cas lorsque l'agresseur adopte un comportement menaçant, se prépare au combat ou effectue des gestes qui donnent à le penser (ATF 93 IV 83 s.). Par ailleurs, l'acte de celui qui est attaqué ou menacé de l'être doit tendre à la défense; un comportement visant à se venger ou à punir ne relève pas de la légitime défense; il en va de même du comportement qui tend à prévenir une attaque certes possible mais encore incertaine, c'est-à-dire à neutraliser l'adversaire selon le principe que la meilleure défense est l'attaque (ATF 93 IV 83). La défense doit apparaître proportionnée au regard de l'ensemble des circonstances. A cet égard, on doit notamment examiner la gravité de l'attaque, les biens juridiques menacés par celle-ci et par les moyens de défense, la nature de ces derniers ainsi que l'usage concret qui en a été fait. La proportionnalité des moyens de défense se détermine d'après la situation de celui qui voulait repousser l'attaque au moment où il a agi. Les autorités judiciaires ne doivent pas se livrer à des raisonnements a posteriori trop subtils pour déterminer si l'auteur des mesures de défense n'aurait pas pu ou dû se contenter d'avoir recours à des moyens différents, moins dommageables. Il est aussi indispensable de mettre en balance les biens juridiquement protégés qui sont menacés de part et d'autre. Encore faut-il que le résultat de cette pesée des dangers en présence soit reconnaissable sans peine par celui qui veut repousser l'attaque, l'expérience enseignant qu'il doit réagir rapidement (ATF 107 IV 12 consid. 3 p. 15; 102 IV 65 consid. 2a p. 68). Si celui qui repousse une attaque a excédé les bornes de la légitime défense, le juge atténuera librement la peine, conformément à l'art. 66 CP. Il n'encourra toutefois aucune peine si cet excès provient d'un état excusable d'excitation ou de saisissement causé par l'attaque (art. 33 al. 2 CP). Selon la jurisprudence, ce n'est que si l'attaque est la seule cause ou la cause prépondérante de l'excitation ou du saisissement que celui qui se défend n'encourt aucune peine et pour autant que la nature et les circonstances de l'attaque rendent excusable cette excitation ou ce saisissement. La loi ne précise pas plus avant le degré d'émotion nécessaire, lequel doit toutefois revêtir une certaine importance. Il appartient au juge d'apprécier de cas en cas si ce degré d'émotion était suffisamment marquant et de déterminer si la nature et les circonstances de l'attaque le rendaient excusable. Plus la réaction de celui qui se défend aura atteint ou menacé l'agresseur, plus le juge se montrera exigeant quant au degré d'excitation ou de saisissement nécessaire (ATF 102 IV 1 consid. 3b p. 7). 3.3 La critique du recourant est irrecevable, dans la mesure où elle repose sur une autre version des faits que celle retenue par les juges cantonaux, l'intéressé n'ayant démontré aucun arbitraire dans l'appréciation des preuves et l'établissement des faits. 3.4 Selon les constatations cantonales, le groupe du recourant s'en est pris à l'intimé et à ses amis. Le recourant a ainsi menacé Y.________ d'un couteau et B.________ a tenté de jeter un vélo sur lui. L'intimé les a alors frappés d'une barre de fer. Au regard de ces éléments, il n'est pas douteux que l'attaque à l'encontre de l'intimé était actuelle ou à tout le moins imminente et causée sans droit, le recourant menaçant son adversaire d'un couteau, instrument qui constitue une arme dangereuse, susceptible de causer des blessures graves, voire mortelles. Pour se protéger, Y.________ a réagi en frappant son adversaire au moyen d'une barre de fer. Ce faisant, il a agi en état de légitime défense. Reste que l'intimé a frappé le recourant à la tête, soit à un endroit particulièrement vulnérable. De plus, le coup porté était d'une violence notable, vu la gravité des lésions provoquées et du fait que le recourant s'est immédiatement effondré. Par ailleurs, l'intimé aurait pu et dû viser une autre partie du corps de son adversaire au vu de l'instrument utilisé et/ou maîtriser davantage sa force. Enfin, la violence de la réaction ne se justifiait pas vu les circonstances, les deux groupes opposés étant d'importance comparable, soit environ cinq personnes pour le groupe des parties civiles et quatre personnes pour le groupe de l'intimé. Au regard de ces éléments, ce dernier
a dépassé les bornes de la légitime défense. Toutefois, Y.________ n'a pas provoqué l'agression. Il a toujours expliqué sa réaction par le fait qu'il avait eu peur. En outre, il n'est pas bagarreur et considérait que le recourant était dangereux. Par ailleurs, le fait d'être menacé et/ou agressé à la sortie d'une manifestation par une bande de jeunes gens, dont certains armés de couteau, spray et autre objet, est de nature à susciter une grande peur ou un état de saisissement, qui peut expliquer une réaction excessive. Au regard de ces éléments, les juges cantonaux n'ont pas violé le droit fédéral en admettant que l'intimé avait agi dans un état de légitime défense excusable. 4. Le recours doit être rejeté dans la mesure où il est recevable. Comme ses conclusions étaient vouées à l'échec, l'assistance judiciaire ne peut être accordée (art. 64 al. 1 LTF). Le recourant doit donc supporter les frais (art. 66 al. 1 LTF), fixés en fonction de sa situation financière. Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 1. Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 2. La requête d'assistance judiciaire est rejetée. 3. Les frais judiciaires, arrêtés à 1'600 fr., sont mis à la charge du recourant. 4. Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de justice du canton de Genève, Chambre pénale. Lausanne, le 15 décembre 2009 Au nom de la Cour de droit pénal du Tribunal fédéral suisse Le Président: La Greffière: Favre Bendani