{T 0/2} 1C_233/2009 Arrêt du 30 septembre 2009 Ire Cour de droit public Composition MM. les Juges Féraud, Président, Raselli et Fonjallaz. Greffière: Mme Tornay Schaller. Parties Commune de Prangins, 1197 Prangins, représentée par Me Alain Thévenaz, avocat, recourante, contre A.________ et B.________, représentés par Me Henri Baudraz, intimés. PPE C.________, D.________, toutes deux représentées par Me Benoît Bovay, avocat, parties intéressées. Objet permis de construire, recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de droit administratif et public, du 29 avril 2009. Faits: A. A.________ et B.________ sont propriétaires des parcelles n° 264, 267 et 266 du registre foncier de la commune de Prangins. Le bien-fonds n° 267, sis en "aire de construction A" au sens du plan partiel d'affectation du centre approuvé par le Conseil d'Etat du canton de Vaud le 16 juin 1989 (ci-après: le PPA), est directement contiguë à la rue des Alpes. Il supporte un bâtiment comprenant notamment une confiserie-chocolaterie, érigé en bordure du domaine public et sur la quasi-totalité de la largeur de la parcelle. Une construction annexe a également été édifiée sur cette parcelle, derrière le bâtiment principal. Sur la parcelle n° 266, contiguë au bien-fonds n° 267 et sise partiellement en "aire de construction A" et pour le reste en "aire de dégagement", un hangar servant de laboratoire a été construit. Le 15 juin 2007, A.________ et B.________ ont requis la démolition du bâtiment annexe et du hangar situés sur les parcelles n° 266 et 267, ainsi que la construction d'un immeuble de trois appartements sur lesdites parcelles à réunir. Le dossier d'enquête comprenait une demande de dérogation telle que prévue par l'art. 9.3 bis du règlement communal sur les constructions et l'aménagement du territoire approuvé par le Conseil d'Etat du canton de Vaud le 2 décembre 1983 (RCAT). Soumis à l'enquête publique du 20 novembre au 20 décembre 2007, le projet a notamment suscité l'opposition de D.________, propriétaire d'un bien-fond contigu sis à la rue des Alpes 10, et de la propriété par étages "PPE C.________". Par décision du 16 janvier 2008, la Municipalité de Prangins (ci-après: la municipalité) a refusé le permis de construire requis, au motif que la dérogation à l'obligation d'aménager des places de stationnement ne pouvait être accordée en l'état, la topographie des lieux n'empêchant pas la réalisation de telles places sur les parcelles appartenant aux constructeurs. De plus, la terrasse projetée sur la parcelle n° 266 ne respectait pas la distance à la limite de 3 mètres au moins, par rapport à la parcelle n° 263. B. Le 11 février 2008, A.________ et B.________ ont recouru contre cette décision auprès de la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal (ci-après: le Tribunal cantonal). Le 25 septembre 2008, le Tribunal cantonal a tenu une audience et a procédé à une inspection locale en présence des parties. Par arrêt du 29 avril 2009, il a admis partiellement le recours et annulé la décision de la municipalité du 16 janvier 2008. Il a considéré d'une part, que le projet n'était pas conforme à l'art. 5.3 RCAT relatif à la distance à la limite, d'autre part qu'il ne lui appartenait pas "de décider s'il y avait lieu d'accorder d'emblée une dérogation aux constructeurs ou s'il convenait au préalable d'examiner les mesures foncières qui permettraient d'éviter une telle dérogation dans le cadre d'un projet modifié comprenant des places de parc". Il a donc renvoyé le dossier à la municipalité "pour la suite utile et nouvelle décision". Par arrêt du 25 mai 2009, le Tribunal cantonal a rectifié les frais et les dépens figurant dans le dispositif de l'arrêt du 29 avril 2009. C. Agissant par la voie du recours en matière de droit public, la commune de Prangins demande principalement au Tribunal fédéral de réformer le dispositif de l'arrêt attaqué, en ce sens que le recours déposé par A.________ et B.________ à l'encontre de la décision du 16 janvier 2008 est rejeté, avec suite de frais et dépens, et de confirmer ladite décision. Elle conclut subsidiairement à l'annulation de l'arrêt attaqué et au renvoi de la cause à l'autorité cantonale pour complément d'instruction et nouvelle décision dans le sens des considérants, et très subsidiairement à la réforme de l'arrêt attaqué en ce sens que les frais et dépens de la procédure cantonale doivent être répartis selon une proportion décidée par l'autorité cantonale entre les opposants et les constructeurs, à l'exclusion de la commune de Prangins. Elle reproche au Tribunal cantonal d'avoir statué ultra petita et se plaint notamment d'une application arbitraire des art. 90 et 99 de la loi cantonale de procédure administrative du 28 octobre 2008 (LPA; RSV 173.36). Elle prétend également que les juges cantonaux ont mal appliqué les art. 19 et 20 de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 22 juin 1979 (LAT; RS 700). Le Tribunal cantonal conclut au rejet du recours. La "PPE C.________" et D.________ concluent à l'admission du recours. Bien qu'ils y aient été invités, A.________ et B.________ ne se sont pas déterminés. D. Par ordonnance du 25 juin 2009, le Président de la Ire Cour de droit public a admis la requête d'effet suspensif présentée par la recourante. Considérant en droit: 1. Le Tribunal fédéral examine d'office la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 135 III 329 consid. 1 p. 331). 1.1 Dirigé contre une décision prise en dernière instance cantonale (art. 86 al. 1 let. d LTF) dans le domaine du droit public de l'aménagement du territoire et des constructions (art. 82 let. a LTF), le recours est en principe recevable comme recours en matière de droit public selon les art. 82 ss LTF, aucune des exceptions prévues à l'art. 83 LTF n'étant réalisée. 1.2 En vertu de l'art. 90 LTF, le recours en matière de droit public au Tribunal fédéral est recevable contre les décisions qui mettent fin à la procédure. Il est également recevable contre certaines décisions préjudicielles et incidentes. Il en va ainsi de celles qui concernent la compétence et les demandes de récusation (art. 92 LTF). Quant aux autres décisions préjudicielles et incidentes notifiées séparément, elles peuvent faire l'objet d'un recours si elles peuvent causer un préjudice irréparable (art. 93 al. 1 let. a LTF) ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (art. 93 al. 1 let. b LTF). 1.3 En l'espèce, le recours est dirigé contre un arrêt du Tribunal cantonal qui a annulé la décision municipale et renvoyé le dossier à la Municipalité de Prangins "pour la suite utile puis nouvelle décision". L'arrêt attaqué ne met par conséquent pas fin à la procédure administrative et revêt un caractère incident. Dans un tel cas, le recours n'est ouvert que si l'une des deux hypothèses de l'art. 93 LTF est réalisée. Or, l'admission du recours permettrait de confirmer définitivement le refus du permis de construire, en évitant à la municipalité de devoir prendre une nouvelle décision, voire d'entamer une procédure longue et coûteuse, liée à l'étude des mesures d'améliorations foncières qui permettraient d'éviter une dérogation à l'obligation de prévoir des places de stationnement. L'exigence de l'art. 93 al. 1 let. b LTF est donc satisfaite. Par ailleurs, la jurisprudence admet qu'il peut résulter un préjudice irréparable, au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF, pour une commune qui doit se soumettre aux injonctions du Tribunal cantonal : on ne peut pas exiger d'une commune, qui peut invoquer son autonomie au sens de l'art. 50 Cst., de donner suite à une injonction qu'elle considère comme fausse, pour plus tard contester sa propre décision (ATF 133 II 409 consid. 1.2 p. 412; 128 I 3 consid. 1b p. 7 et les références citées). 1.4 Selon l'art. 89 al. 2 let. c LTF, les communes et autres collectivités publiques ont qualité pour recourir en invoquant la violation de garanties qui leur sont reconnues par les Constitutions cantonale ou fédérale. La commune de Prangins, qui invoque l'autonomie dont elle bénéficie en matière d'aménagement local du territoire, a ainsi qualité pour agir. La question de savoir si elle est réellement autonome dans ce domaine relève du fond (ATF 129 I 313 consid. 4.2 p. 319, 410 consid. 1.1 p. 412 et les références). Pour le surplus, les conditions de recevabilité sont remplies, si bien qu'il y a lieu d'entrer en matière sur le fond. 2. La recourante reproche au Tribunal cantonal d'avoir statué ultra petita et d'avoir appliqué de manière arbitraire les art. 90 et 99 LPA. 2.1 Selon l'art. 50 al. 1 Cst., l'autonomie communale est garantie dans les limites fixées par le droit cantonal. Une commune bénéficie de la protection de son autonomie dans les domaines que le droit cantonal ne règle pas de façon exhaustive, mais qu'il laisse en tout ou partie dans la sphère communale, conférant par là aux autorités municipales une liberté de décision relativement importante. L'existence et l'étendue de l'autonomie communale dans une matière concrète sont déterminées essentiellement par la constitution et la législation cantonales (ATF 133 I 128 consid. 3.1 p. 131; 129 I 410 consid. 2.1 p. 413; 128 I 3 consid. 2a p. 8; 126 I 133 consid. 2 p. 136 et les arrêts cités). Il n'est pas nécessaire que la commune soit autonome pour l'ensemble de la tâche communale en cause; il suffit qu'elle soit autonome dans le domaine litigieux (ATF 133 I 128 consid. 3.1; 122 I 279 consid. 8b p. 290; 110 Ia 197 consid. 2a p. 199 s. et les arrêts cités). En droit cantonal vaudois, les communes jouissent d'une autonomie maintes fois reconnue lorsqu'elles définissent, par des plans, l'affectation de leur territoire, et lorsqu'elles appliquent le droit des constructions (art. 139 al. 1 let. d Cst./VD; cf. notamment ATF 115 Ia 114 consid. 3d p. 118 s., 363 consid. 3b p. 367; 108 Ia 74 consid. 2b p. 76 s.; arrêts 1P.402/2006 du 6 mars 2007, consid. 3, 1P.167/2003 consid. 3 publié in RDAF 2004 p. 114). 2.2 Lorsqu'elle est reconnue autonome dans un domaine spécifique, une commune peut dénoncer tant les excès de compétence d'une autorité cantonale de contrôle ou de recours que la violation par celle-ci des règles du droit fédéral, cantonal ou communal qui régissent la matière (ATF 128 I 3 consid. 2b p. 9; 126 I 133 consid. 2 p. 136). Le Tribunal fédéral examine librement l'interprétation du droit constitutionnel; en revanche, il vérifie l'application de règles de rang inférieur à la constitution cantonale sous l'angle restreint de l'arbitraire (art. 9 Cst.; ATF 128 I 3 consid. 2b p. 9; 122 I 279 consid. 8b p. 290 et la jurisprudence citée). Dans ce cas, il ne s'écarte de la solution retenue que si celle-ci se révèle insoutenable, en contradiction manifeste avec la situation effective, ou si elle a été adoptée sans motifs objectifs et en violation d'un droit certain. En revanche, si l'application de la loi défendue par l'autorité cantonale ne s'avère pas déraisonnable ou manifestement contraire au sens et au but de la disposition ou de la législation en cause, cette interprétation sera confirmée, même si une autre solution - éventuellement plus judicieuse - paraît possible (ATF 134 II 124 consid. 4.1 p. 133; 133 II 257 consid. 5.1 p. 260 s. et les arrêts cités). 2.3 A teneur de l'art. 90 LPA, applicable au recours de droit administratif par le renvoi de l'art. 99 LPA, "si le recours est recevable, l'autorité peut réformer la décision attaquée ou l'annuler. Dans ce dernier cas, elle peut renvoyer la cause à l'autorité intimée pour nouvelle décision". L'étendue du pouvoir de décision du juge est limitée par le dispositif de la décision attaquée tel qu'il a été fixé ou tel qu'il aurait dû être fixé. Le juge ne peut pas non plus sortir du cadre de l'objet du litige tel qu'il est délimité par les conclusions et par la nature et l'objet de celles-ci (cf. Pierre Moor, Droit administratif, tome 2, 2002, p. 688 et 689; Benoît Bovay, Procédure administrative, 2000, p. 390; Blaise Knapp, Précis de droit administratif, 1991, p. 423). 2.4 En l'espèce, selon la décision du 16 janvier 2008 de la municipalité, le permis de construire requis a été refusé pour deux motifs principaux. Un des motifs est que la terrasse projetée ne respecte pas la distance à la limite réglementaire. L'autre raison est que, faute de prévoir des places de stationnement en rapport avec les trois nouveaux logements, le projet litigieux n'est pas conforme à l'art. 9.3 RCAT auquel renvoie l'art. 7.3 du règlement relatif au PPA et qui dispose que "pour les bâtiments d'habitation, le nombre minimum de places pour voitures est fixé à 1,5 place par logement". A cet égard, les propriétaires avaient formulé une demande de dérogation fondée sur l'art. 9.3 bis RCAT qui prévoit que "lorsque le propriétaire établit qu'il est dans l'impossibilité de construire sur son propre fonds ou sur un fonds voisin les places de stationnement imposées, la Municipalité peut l'exonérer totalement ou partiellement de cette obligation moyennant le versement d'une contribution compensatoire de 4'000 francs par place de stationnement manquante". La municipalité a estimé que la dérogation requise ne pouvait être accordée en l'état, la topographie du terrain n'empêchant pas la réalisation de places de stationnement sur les parcelles des constructeurs. Elle a également mentionné que les intimés n'étaient pas au bénéfice d'une servitude de passage pour véhicules leur permettant de passer sur la parcelle du voisin: l'obtention d'un tel droit de passage au sens de l'art. 694 CC ne paraissait toutefois pas impossible. Dans l'arrêt attaqué, le Tribunal cantonal n'a pas examiné si la municipalité avait correctement appliqué les art. 9.3 et 9.3 bis RCAT, mais a annulé la décision municipale et renvoyé le dossier de la cause à l'autorité communale, afin qu'elle examine s'il y avait lieu de procéder à un remembrement ou à une rectification de limites. Ce faisant, les juges cantonaux n'ont pas pris en compte le projet de construction tel qu'il a été soumis à l'enquête publique, c'est-à-dire sans places de stationnement. Le Tribunal cantonal a donc statué ultra petita en posant l'hypothèse d'un projet de construction modifié avec des places de stationnement et en imposant l'examen de mesures foncières qui permettraient d'éviter l'octroi d'une dérogation au sens de l'art. 9.3 bis RCAT, alors que ni les constructeurs dans leur demande de permis de construire, ni les intimés, ni la commune n'avaient envisagé de procéder à un remembrement ou à une rectification de limites. Sur le vu de ce qui précède, le Tribunal cantonal, qui a statué ultra petita, a contrevenu de façon arbitraire à l'art. 90 LPA 2.5 Au surplus, le Tribunal cantonal, sans être contesté par les requérants à l'autorisation de construire, a confirmé que le projet de construction litigieux
ne respectait pas le RCAT, soit la distance à la limite prévue à l'art. 5.3 RCAT. En outre, ceux-ci n'ont pas recouru à l'encontre de la décision attaquée pour qu'il soit procédé à l'examen de leur demande de dérogation au sens des art 9.3 et 9.3 bis RCAT. Ainsi, le recours doit être admis et, dans ces circonstances particulières, l'arrêt cantonal réformé en ce sens que la décision de la Municipalité de Prangins du 16 janvier 2008 est confirmée sans qu'il y ait lieu de renvoyer la cause au Tribunal cantonal pour qu'il procède à l'examen de la demande de dérogation évoquée ci-dessus. 3. Les intimés, qui n'ont certes pas procédé devant le Tribunal fédéral, n'ont cependant pas retiré leur demande d'autorisation de construire. Ils succombent dès lors dans la présente procédure. Ils supporteront les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF) et verseront des dépens aux parties intimées qui obtiennent gain de cause avec l'assistance d'un avocat (art. 68 al. 1 LTF). Il n'y a toutefois pas lieu d'allouer des dépens à la commune de Prangins (cf. art. 68 al. 1 à 3 LTF). La cause sera renvoyée à l'autorité cantonale pour qu'elle statue à nouveau sur les frais et dépens de la procédure cantonale. Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 1. Le recours est admis; l'arrêt attaqué est réformé en ce sens que la décision de la Municipalité de Prangins du 16 janvier 2008 est confirmée. La cause est renvoyée à l'autorité cantonale pour nouvelle décision sur les frais et dépens de la procédure cantonale. 2. Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 francs sont mis à la charge des intimés, A.________ et B.________. 3. Une indemnité de 1'000 francs est allouée à la PPE C.________ et à D.________, solidairement entre elles, à charge des intimés. 4. Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal du canton de Vaud. Lausanne, le 30 septembre 2009 Au nom de la Ire Cour de droit public du Tribunal fédéral suisse Le Président: La Greffière: Féraud Tornay Schaller