{T 0/2} 8C_1044/2008 Arrêt du 13 février 2009 Ire Cour de droit social Composition MM. et Mme les Juges Ursprung, Président, Frésard et Niquille. Greffier: M. Métral. Parties Caisse Cantonale Genevoise de Chômage, rue de Montbrillant 40, 1201 Genève, recourante, contre B.________, intimé, représenté par Me P.________, Objet Assurance-chômage, recours contre le jugement du Tribunal des assurances sociales du canton de Genève du 10 novembre 2008. Faits: A. B.________ a travaillé du 2 août 1986 au 31 décembre 2007 en qualité de directeur-administrateur de la société S.________, ayant pour but des opérations commerciales, de la représentation et du courtage. Depuis le 14 juin 2005, il était inscrit au registre du commerce comme administrateur, avec signature individuelle. Il a été licencié le 26 septembre 2007 pour le 31 décembre suivant au motif que la société cessait ses activités pour raisons économiques. Il est néanmoins resté inscrit au registre du commerce, comme administrateur unique depuis le 2 janvier 2008. Selon une décision de l'assemblée générale des actionnaires de la société S.________ du 23 novembre 2007, son mandat d'administrateur avait été renouvelé pour 2008, sans honoraires, jusqu'à l'extinction de toutes les opérations en cours, tant sur le plan commercial que comptable, et jusqu'à la fin du contrôle en matière de blanchiment d'argent. B.________ a déposé une demande d'indemnités journalières de chômage dès le 1er février 2008. Par décision du 11 mars 2008, la Caisse cantonale genevoise de chômage (ci-après : la caisse) a rejeté cette demande au motif qu'il se trouvait dans une position analogue à celle d'un employeur et que sa perte de travail n'était pas contrôlable. Le 13 mars 2008, l'assuré s'est opposé à cette décision. Il a précisé qu'il ne consacrait à la société S.________ que le temps nécessaire à la clôture des comptes au 31 décembre 2007 et à la préparation d'une dernière révision en matière de blanchiment d'argent. Ces activités - non rétribuées - ne lui prenaient que quelques heures par semaine et ne l'empêchaient pas de rechercher ni d'accepter une nouvel emploi. Une fois ces opérations terminées, il démissionnerait et remettrait ses actions aux autres actionnaires. Il précisait que la société S.________ cessait son activité faute de clientèle; elle se mettait donc «en sommeil» et son avenir relèverait des associés restant. Le 25 mars suivant, l'assuré a transmis à la caisse le procès-verbal de l'assemblée générale des actionnaires de la société S.________ du 18 mars 2008. Il en ressortait que l'assemblée avait accepté sa démission du poste d'administrateur et avait désigné M.________ comme successeur. Une feuille de présence des actionnaires était jointe au courrier, dont il ressort que l'assuré possédait 80 actions et le nouvel administrateur 60, sur un total de 200. L'inscription de B.________ au registre du commerce, comme administrateur de la société S.________, a été radiée le 18 avril 2008. Les 20 mai et 2 juin 2008, l'assuré a exposé à la caisse qu'il éprouvait des difficultés pour remettre ses actions aux autres actionnaires de la société S.________, qui ne disposaient pas de liquidités suffisantes. En outre, la société n'exerçait plus d'activité et n'avait donc pas dégagé de profit pendant l'année 2008. Par décision sur opposition du 6 juin 2008, la caisse a maintenu son refus d'allouer les indemnités journalières demandées par B.________. Elle a considéré que sa participation de 40 % au capital social de la société S.________ le maintenait dans une position analogue à celle d'un employeur. B. B.________ a déféré la cause au Tribunal des assurances sociales du canton de Genève. Lors d'une audience du 29 septembre 2008, il a expliqué avoir reçu un salaire de la société S.________ pour les mois de janvier à mars 2008, sans toutefois exercer une activité particulière pour la société. Il était encore actionnaire, à raison de 40 %, aux côtés de deux autres actionnaires. La dissolution de la société prendrait encore une année environ, en raison des appels aux créanciers. Il ne remettait plus à l'assurance-chômage la liste de ses recherches d'emploi, depuis mars 2008, car il estimait ne pas avoir de comptes à rendre à l'administration, dès lors que celle-ci ne le reconnaissait pas comme demandeur d'emploi. Enfin, il n'avait pas annoncé le salaire perçu de janvier à mars 2008 car il n'était pas prévu, au moment de son inscription au chômage, qu'il soit encore indemnisé pour 2008. Par jugement du 10 novembre 2008, la juridiction cantonale a nié le droit de B.________ à des indemnités de chômage pour la période courant jusqu'au 1er avril 2008; elle a renvoyé la cause à la caisse pour qu'elle statue à nouveau sur le droit aux prestations pour la période courant dès cette date. Le Tribunal des assurances sociales du canton de Genève a constaté que pour cette seconde période, l'assuré ne se trouvait pas dans une position assimilable à celle d'un employeur. C. La caisse interjette un recours en matière de droit public contre ce jugement, dont elle demande l'annulation. Elle demande l'octroi de l'effet suspensif au recours. L'intimé conclut au rejet du recours; il demande également au Tribunal fédéral de constater son droit à des indemnités de chômage pour la période courant dès le 1er avril 2008. Le Secrétariat d'Etat à l'économie a renoncé à se déterminer. Considérant en droit: 1. 1.1 Le recours en matière de droit public est recevable contre les décisions qui mettent fin à la procédure (art. 90 LTF) et contre toute décision qui statue sur un objet dont le sort est indépendant de celui qui reste en cause ou qui met fin à la procédure à l'égard d'une partie des consorts (décision partielle; art. 91 LTF). Il est également recevable contre les décisions préjudicielles et incidentes qui sont notifiées séparément et qui portent sur la compétence ou sur une demande de récusation (art. 92 al. 1 LTF). Les autres décisions préjudicielles et incidentes notifiées séparément ne peuvent faire l'objet d'un recours que si elles peuvent causer un préjudice irréparable (art. 93 al. 1 let. a LTF), ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (art. 93 al. 1 let. b LTF). 1.2 Un préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF est un dommage de nature juridique qui ne peut pas être réparé ultérieurement par un jugement final ou une autre décision favorable au recourant (ATF 134 III 188 consid. 2.1 p. 190; 133 V 645 consid. 2.1 p. 647). En revanche, un dommage de pur fait, comme la prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci, n'est pas considéré comme irréparable (ATF 133 III 629 consid. 2.3.1 p. 632 ). Un jugement de renvoi pour nouvelle décision peut causer un préjudice irréparable à l'administration s'il comporte des instructions sur la manière dont cette dernière devra trancher certains aspects du rapport juridique litigieux, restreignant ainsi de manière importante sa latitude de jugement. Dans une telle situation, en effet, l'administration devrait rendre une nouvelle décision en respectant les instructions figurant dans le jugement de renvoi, sans pouvoir ensuite recourir contre sa propre décision. Elle se trouverait ainsi dépourvue de tout moyen de soumettre au Tribunal fédéral la question tranchée incidemment dans le jugement de renvoi (ATF 133 V 477 consid. 5.2 p. 483). 1.3 Le jugement entrepris ne tranche pas définitivement la question du droit aux prestations pour la période courant dès le 1er avril 2008, mais renvoie la cause à la caisse pour qu'elle statue à nouveau sur ce point. Il s'agit d'un jugement incident pouvant entraîner un préjudice irréparable pour la caisse, dès lors qu'il constate que la position de l'assuré au sein de la société S.________ n'est pas assimilable à celle d'un employeur, autrement dit, que ses relations avec cette société ne font pas obstacle au versement d'indemnités journalières. Partant, la condition de recevabilité de l'art. 93 al. 1 let. a LTF est remplie. Les autres conditions de recevabilité ne prêtant pas à discussion, le recours est recevable. 1.4 L'intimé conclut à ce que soit constaté son droit à des indemnités journalières de chômage pour la période courant dès le 1er avril 2008, ce qui va au-delà de ce que lui ont reconnu les premiers juges. Dans la mesure où il n'a pas lui même interjeté un recours contre le jugement du 10 novembre 2008 du Tribunal des assurances sociales du canton de Genève, il ne pouvait toutefois conclure qu'à l'admission, à l'irrecevabilité ou au rejet du recours interjeté par la partie adverse (cf. ATF 124 V 153 consid. 1 p. 155). Ses conclusions en constatation de droit sont donc irrecevables. 2. 2.1 Les travailleurs dont la durée normale du travail est réduite ou l'activité suspendue ont droit à l'indemnité en cas de réduction de l'horaire de travail lorsqu'ils remplissent les conditions décrites aux lettres a à d de l'art. 31 al. 1 LACI. Une réduction de l'horaire de travail peut consister non seulement en une réduction de la durée quotidienne, hebdomadaire ou mensuelle du travail, mais aussi en une cessation d'activité pour une certaine période, sans résiliation des rapports de travail (ATF 123 V 234 consid. 7b/bb p. 237). N'ont pas droit à l'indemnité en question les travailleurs dont la réduction de l'horaire de travail ne peut pas être déterminée ou dont l'horaire n'est pas suffisamment contrôlable (art. 31 al. 3 let. a LACI), de même que les personnes qui fixent les décisions que prend l'employeur - ou peuvent les influencer considérablement -, en qualité d'associé, de membre d'un organe dirigeant de l'entreprise ou encore de détenteur d'une participation financière de l'entreprise; il en va de même des conjoints de ces personnes qui sont occupés dans l'entreprise (art. 31 al. 3 let. b et c LACI). 2.2 La jurisprudence considère, par ailleurs, qu'un travailleur qui jouit d'une situation comparable à celle d'un employeur - ou son conjoint -, n'a pas droit à l'indemnité de chômage (art. 8 ss LACI) lorsque, bien que licencié formellement par une entreprise, il continue à fixer les décisions de l'employeur ou à influencer celles-ci de manière déterminante. Dans le cas contraire, en effet, on détournerait par le biais des dispositions sur l'indemnité de chômage la réglementation en matière d'indemnités en cas de réduction de l'horaire de travail, en particulier l'art. 31 al. 3 let. c LACI. Dans ce sens, il existe un étroit parallélisme entre le droit à l'indemnité en cas de réduction de l'horaire de travail et le droit à l'indemnité journalière de chômage (ATF 123 V 234 cité). 3. 3.1 Les premiers juges ont considéré qu'en sa qualité d'administrateur unique de la société S.________, l'intimé s'était trouvé dans une position assimilable à celle d'un employeur jusqu'au 18 mars 2008. Dans la mesure où il avait, en outre, perçu un salaire pour les mois de janvier à mars 2008, il convenait de nier le droit aux prestations jusqu'à la fin de cette période. Il n'y a pas lieu de revenir sur cet aspect du jugement entrepris, qui n'est pas contesté par les parties. En ce qui concerne la période courant dès le 1er avril 2008, la juridiction cantonale a considéré que l'intimé n'exerçait plus, à cette date, de fonction au sein du conseil d'administration ni dans la direction de la société S.________, et que son seul lien avec cette société était désormais sa participation de 40 % au capital social. Il possédait ainsi 80 actions sur 200, deux autres actionnaires possédant chacun 60 actions. D'après les premiers juges, l'intimé n'avait plus la capacité d'influencer de manière prépondérante les décisions de la société et sa participation principale, mais non majoritaire, dans la société ne suffisait pas à assimiler sa situation à celle d'un employeur. 3.2 3.2.1 Selon la jurisprudence relative à l'art. 31 al. 3 let. c LACI, qu'il convient d'appliquer par analogie dans le cas d'espèce, il n'est pas admissible de refuser, de façon générale, le droit aux prestations aux employés au seul motif qu'ils peuvent engager l'entreprise par leur signature et qu'ils sont inscrits au registre du commerce. On ne saurait se fonder de façon stricte sur la position formelle de l'organe à considérer, mais il faut bien plutôt établir l'étendue du pouvoir de décision en fonction des circonstances concrètes. C'est donc la notion matérielle de l'organe dirigeant qui est déterminante, car c'est la seule façon de garantir que l'art. 31 al. 3 let. c LACI, qui vise à combattre les abus, remplisse son objectif (arrêt C 102/96 du 26 mars 1997 consid. 5d [SVR 1997 ALV no 101 p. 309]). En particulier, lorsqu'il s'agit de déterminer quelle est la possibilité effective d'un dirigeant d'influencer le processus de décision de l'entreprise, il convient de prendre en compte les rapports internes existant dans l'entreprise. On établira l'étendue du pouvoir de décision en fonction des circonstances concrètes (arrêts C 42/97 du 21 mai 1997 consid. 1b et 2 [DTA 1996/1997 no 41 p. 224], C 102/96 du 26 mars 1997 consid. 5c). La seule exception à ce principe que reconnaît le Tribunal fédéral concerne les membres des conseils d'administration car ils disposent ex lege (art. 716 à 716b CO), d'un pouvoir déterminant au sens de l'art. 31 al. 3 let. c LACI (arrêt C 42/97 du 21 mai 1997 consid. 1b et les références). Pour les membres du conseil d'administration, le droit aux prestations peut être exclu sans qu'il soit nécessaire de déterminer plus concrètement les responsabilités qu'ils exercent au sein de la société (ATF 122 V 270 consid. 3 p. 272 sv.; arrêt C 113/03 du 24 mars 2004 consid. 3.2 [DTA 2004 p. 196]). Dans ce contexte, le seul fait que l'assuré dispose d'une participation au capital social de l'entreprise qui l'employait ne suffit pas, à lui seul, à considérer qu'il se trouve dans une position assimilable à celle d'un employeur (cf. arrêt C 45/04 du 27 janvier 2005); d'autre part, la seule démission formelle du conseil d'administration n'exclut pas forcément que l'assuré conserve un statut assimilable à celui d'un employeur au sein de cette société, par exemple en conservant une participation importante au capital social (cf. arrêt C 61/05 du 10 avril 2006). Le critère déterminant est celui de la capacité de l'assuré à influencer concrètement et de manière importante les décisions de la société. 3.2.2 En l'occurrence, l'intimé n'est, certes, plus membre du conseil d'administration de la société S.________ depuis le 18 mars 2008; il en reste toutefois le principal actionnaire, avec 80 actions, soit 40 % du capital social. Les deux autres associés détiennent chacun 60 actions, soit 30 % du capital-actions. L'intimé demeure par conséquent l'actionnaire le plus influent, d'autant qu'il a été, quasiment depuis la fondation de la société, directeur-administrateur, puis administrateur avec
signature individuelle. Comme le souligne la recourante - il convient sur ce point de compléter les constatations de fait incomplètes auxquelles la juridiction cantonale a procédé -, l'assemblée générale de la société peut valablement délibérer en tout cas si le 70 % de l'actionnariat est présent ou représenté, chaque action conférant une voix. Cela permet à l'intimé de s'accorder avec l'un des deux autres actionnaires pour que l'assemblée générale délibère valablement. Cela s'est d'ailleurs produit lors des assemblées générales des 23 novembre 2007 et 18 mars 2008, lors desquelles les actionnaires présents ou représentés possédaient ensemble 70 % du capital-actions. L'intimé conserve ainsi une influence déterminante sur les décisions de la société S.________, qui justifie de considérer qu'il demeure dans une position assimilable à celle d'un employeur malgré sa démission de son poste d'administrateur en mars 2008. Comme il l'a exposé lui-même, la société a été «mise en sommeil» à défaut de clients, mais pourrait reprendre ses activités. Le risque que l'art. 31 al. 3 let. c LACI soit détourné existe donc bel et bien. Enfin, on observera que la perte de travail effective de l'intimé est en l'occurrence d'autant moins vérifiable qu'il ne fournit plus de renseignements sur ses recherches d'emplois depuis le mois d'avril 2008. 4. Compte tenu de ce qui précède, l'intimé occupait encore une position assimilable à celle d'un employeur pour la période postérieure au 31 mars 2008, ce qui exclut le droit aux indemnités journalières de l'assurance-chômage. Le jugement entrepris sera donc annulé. Le présent arrêt rend sans objet la demande d'octroi de l'effet suspensif au recours. L'intimé supportera ses propres dépens ainsi que les frais de justice (art. 66 al. 1 et 68 al. 1 LTF). Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 1. Le recours est admis et la décision du Tribunal des assurances sociales du canton de Genève du 10 novembre 2008 est annulée. 2. Les frais judiciaires, arrêtés à 500 fr., sont mis à la charge de l'intimé. 3. Le présent arrêt est communiqué aux parties, au Tribunal des assurances sociales du canton de Genève et au Secrétariat d'Etat à l'économie. Lucerne, le 13 février 2009 Au nom de la Ire Cour de droit social du Tribunal fédéral suisse Le Président: Le Greffier: Ursprung Métral