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22/12/2006 | SUISSE | N°6P.160/2006

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 22 décembre 2006, 6P.160/2006


{T 0/2}6P.160/2006/rod Arrêt du 22 décembre 2006Cour de cassation pénale MM. les Juges Schneider, Président,Kolly et Karlen.Greffier: M. Oulevey. B. ________,recourant, représenté par Me Philippe Bauer, avocat, contre Ministère public du canton de Neuchâtel, rue du Pommier 3, case postale 2672,2001 Neuchâtel 1. Art. 9 Cst. (procédure pénale; arbitraire) recours de droit public contre l'arrêt de la Cour de cassation pénale duTribunal cantonal du canton de Neuchâtel du 17 juillet 2006. Faits : A.Le 14 mai 2004, X.________ s'est rendu dans les locaux du Ministère public ducanton de

Neuchâtel pour se faire remettre copie d'une pièce. Il a ensu...

{T 0/2}6P.160/2006/rod Arrêt du 22 décembre 2006Cour de cassation pénale MM. les Juges Schneider, Président,Kolly et Karlen.Greffier: M. Oulevey. B. ________,recourant, représenté par Me Philippe Bauer, avocat, contre Ministère public du canton de Neuchâtel, rue du Pommier 3, case postale 2672,2001 Neuchâtel 1. Art. 9 Cst. (procédure pénale; arbitraire) recours de droit public contre l'arrêt de la Cour de cassation pénale duTribunal cantonal du canton de Neuchâtel du 17 juillet 2006. Faits : A.Le 14 mai 2004, X.________ s'est rendu dans les locaux du Ministère public ducanton de Neuchâtel pour se faire remettre copie d'une pièce. Il a ensuiteréclamé le remboursement de ses frais de transport. Comme il refusait dequitter les lieux avant d'avoir obtenu satisfaction sur ce dernier point, lesecrétaire du Ministère public a appelé la police locale, qui a dépêché surplace une patrouille composée des fonctionnaires D.________, C.________ etB.________, commandés par le caporal A.________. Après trente minutes dediscussion, le caporal A.________ a pris la décision de faire sortirX.________ de force des locaux du Ministère public. Craignant que l'intéresséne s'y réintroduise dès que la patrouille aurait le dos tourné, le caporalA.________ a en outre décidé d'emmener X.________ au poste. La manière dontcette décision a été exécutée a attiré l'attention d'un témoin, qui l'a jugéetrop brutale, et donné lieu à une plainte pénale de X.________. B.Par ordonnance du 2 juin 2004, le Procureur général du canton de Neuchâtel aclassé la plainte aux motifs que la police locale, intervenue à cause durefus du plaignant de quitter les lieux, n'avait pas fait un usagedisproportionné de la force. Sur recours du plaignant, la Chambred'accusation du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel a annulé ceclassement. Le 28 janvier 2005, le Procureur général a dès lors renvoyé C.________ etB.________ devant le Tribunal de police du district de Neuchâtel, sous lesaccusations de lésions corporelles simples (art.123 CP), subsidiairementvoies de fait (art.126 CP), et d'abus d'autorité (art. 312 CP), en requéranttoutefois leur acquittement. Statuant le 31 mars 2005, le tribunal saisi aacquitté les deux prévenus. Sur pourvoi du plaignant, la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal ducanton de Neuchâtel a, par arrêt du 28 septembre 2005, annulé ce jugement etrenvoyé la cause au Tribunal de police du district du Val-de-Ruz. Elle anotamment considéré que la décision d'emmener X.________ au poste et, à ceteffet, de le menotter était disproportionnée. Elle en a déduit que les actesd'exécution de cette décision constituaient un abus d'autorité au sens del'art. 312 CP. Elle a chargé le tribunal de renvoi d'examiner si, en raisondu rapport hiérarchique de subordination existant entre les membres de lapatrouille et le caporal A.________, les actes des deux prévenus étaientjustifiés par leurs devoirs de fonction au sens de l'art.32 CP. Elle a aussiinvité le Ministère public à examiner la question du renvoi en justice ducaporal A.________, responsable des agissements de sa patrouille. C.Par ordonnance du 7 novembre 2005, le Procureur général du canton deNeuchâtel a renvoyé A.________ devant le Tribunal de police du district duVal-de-Ruz, sous l'accusation d'abus d'autorité (art. 312 CP), en requérantégalement son acquittement. Cette nouvelle cause a été jointe sans décisionformelle à celles de C.________ et de B.________. Passant au jugement le 23 janvier 2006, le Tribunal de police du district duVal-de-Ruz a acquitté C.________, reconnu A.________ et B.________ coupablesd'abus d'autorité, les condamnant tous deux à trois jours d'emprisonnementavec sursis pendant deux ans, et déclaré irrecevables les conclusions civilesprises par X.________. S'estimant lié par les motifs de l'arrêt de la cour decassation cantonale du 28 septembre 2005, le Tribunal de police a refusé derevoir les faits et les qualifications juridiques retenus par la cour suprêmecantonale. Il a dès lors considéré, sans autre discussion, que A.________avait dépassé les limites des pouvoirs de sa charge en décidant d'emmener leplaignant au poste et, à cet effet, de le faire menotter. A.________ devaitdès lors être condamné pour abus d'autorité (art. 312 CP). En leur qualité desubordonnés du caporal A.________, C.________ et B.________ n'avaient pascommis d'infraction en prêtant leur concours à l'opération litigieuse. Mais,en s'asseyant sur le plaignant au moment où celui-ci avait été couché deforce sur la banquette arrière du véhicule de service, B.________ avaitdépassé les limites de ce qui était nécessaire pour exécuter les ordres ducaporal A.________. Ce faisant, il s'était donc également rendu coupabled'abus d'autorité (art.312 CP). S'agissant des conclusions civiles duplaignant, le Tribunal de police a considéré qu'elles entraient encontradiction avec le régime de responsabilité défini par la loineuchâteloise du 26 juin 1989 sur la responsabilité des collectivitéspubliques et de leurs agents (RS/NE 150.10), qui prive le lésé de touteaction contre l'agent. Par arrêt du 17 juillet 2006, la Cour de cassation pénale du Tribunalcantonal du canton de Neuchâtel a rejeté les pourvois exercés contre cejugement par B.________ et A.________. Elle a rejeté le pourvoi de X.________sur le plan pénal et l'a déclaré irrecevable en tant qu'il critiquait lerefus du Tribunal de police d'entrer en matière sur les conclusions civiles. D.Contre ce dernier arrêt, B.________ interjette un recours de droit public auTribunal fédéral, pour violation arbitraire (art. 9 Cst.) d'une règle deprocédure cantonale. Invité à se déterminer, le Procureur général du canton de Neuchâtel a renoncéà déposer une réponse. E.Par arrêt de ce jour, la cour de céans a rejeté, dans la mesure où il étaitrecevable, le pourvoi de X.________ tendant à faire annuler, entre autresdécisions, les dispositions du jugement de première instance et de l'arrêtattaqué qui déclarent respectivement irrecevables les conclusions civiles,prises notamment contre B.________, et le pourvoi cantonal exercé contrecette décision d'irrecevabilité. Le Tribunal fédéral considère en droit: 1.Aux termes de la première phrase de l'art. 251 al. 2 du code de procédurepénale neuchâtelois (RS/NE 322.0; ci-après CPP/NE), qui régit le pouvoird'examen de la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal, la cour estliée par les constatations de fait du premier juge, mais elle peut rectifiercelles qui sont manifestement erronées. Le recourant fait valoir que la cour de cassation cantonale a violéarbitrairement cette disposition légale en retenant, dans son arrêt du 28septembre 2005, qu'il s'était assis intentionnellement sur le plaignant,alors que le Tribunal de police du district de Neuchâtel avait jugé possiblequ'il se soit retrouvé assis sur le plaignant sans l'avoir voulu. 1.1 Lorsque la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal neuchâteloisannule un jugement, le tribunal auquel la cause est renvoyée est tenu de seconformer aux motifs de l'arrêt de cassation (cf. art. 253 CPP/NE). Enl'espèce, il s'ensuit que les motifs de l'arrêtdu 28 septembre 2005,notamment la constatation de fait litigieuse, ont lié le tribunal auquel lacause a été renvoyée, puis lacour de cassation cantonale elle-mêmelorsqu'elle a rendu l'arrêt attaqué. Par rapport à ce dernier, l'arrêt du 28septembre 2005constitue dès lorsune décision préjudicielle, au sens del'art. 87 al. 2 OJ (surcettenotion, cf. ATF 106 Ia 229 consid. 3a p. 233 etles références). L'arrêt du 28 septembre 2005 constatait que les faits retenus contre lerecourant présentaient la typicité d'un abus d'autorité au sens de l'art.312CP, mais il chargeait le tribunal auquel il renvoyait la cause d'examiner sices faits étaient justifiés par un devoir de fonction au sens de l'art. 32CP. L'arrêt du 28 septembre 2005 ne déterminait donc pas définitivement siles actes du recourant étaient constitutifs d'une infraction pénale et nepouvait dès lors pas faire l'objet d'un pourvoi en nullité séparé (cf. ATF124 IV 170 consid. 1, a contrario). Faute de pouvoir être déféré séparémentau Tribunal fédéral par un pourvoi en nullité, et faute de causer aurecourant un préjudice irréparable au sens de l'art. 87 al. 2 OJ, il nepouvait en conséquence pas davantage être attaqué au moyen d'un recours dedroit public immédiat (cf. ATF 128 I 177 consid.1, a contrario). Aussi,conformément à l'art. 87 al. 3 OJ, qui permet d'attaquer la décisionpréjudicielle ou incidente avec la décision finale, les motifs de l'arrêt du28septembre 2005 peuvent-ils être critiqués à l'appui du recours de droitpublic dirigé contre l'arrêt du 17 juillet 2006. Partant, le moyen estrecevable. 1.2 D'après la jurisprudence neuchâteloise, la cour de cassation cantonale nesaurait substituer sa propre appréciation des preuves à celle du premier juge(RJN 5 II 113). Est manifestement erronée, au sens de l'art. 251 al. 2CPP/NE, une constatation de fait contraire à une pièce probante du dossier ouà la notoriété publique (RJN 4 II 159, 5 II 111, 7 II 3). Pour que la cour decassation cantonale puisse intervenir, l'erreur doit être évidente (ACCP IIIp.279, cité par Alain Bauer/Pierre Cornu, Code de procédure pénaleneuchâtelois annoté, Neuchâtel 2003, n. 10 ad art.251 p. 524). Dans le cas présent, le Tribunal de police du district de Neuchâtel, saisi enpremier lieu, a considéré que les déclarations du témoin qui avait assistéaux opérations à l'extérieur des locaux du Ministère public n'étaient, demanière générale, pas probantes. Même si la sincérité de ce témoin ne pouvaitêtre mise en doute, la psychologie du témoignage montre qu'il faut resterprudent face à l'appréciation qu'un témoin peut donner d'un événementinattendu. Il convenait de ne pas perdre de vue qu'une intervention policièredu genre de celle qui fait l'objet de la présente cause, même conduite demanière parfaitement réglementaire, est assez impressionnante pour induiredes interprétations exagérées. Le témoin avait affirmé que le recourant avait"sauté sur le dos" du plaignant, lorsque celui-ci était couché sur labanquette arrière du véhicule de service. Mais le plaignant lui-même avaitdémenti cette version des faits. Il était en revanche établi que le plaignants'était opposé à la décision de l'emmener au poste et qu'il avait résolu d'enempêcher l'exécution, ce qui avait contraint les policiers à faire usage dela force. Compte tenu des difficultés pratiques que présente l'introductionde force d'un individu qui s'y oppose dans l'habitacle d'une voiture, iln'était dès lors pas impossible que le recourant, dont la position était malaisée, ait perdu l'équilibre à un moment des opérations et qu'il se soitretrouvé assis sur le plaignant sans l'avoir cherché. Pour le Tribunal depolice, ni les déclarations du témoin, ni celles du plaignant n'établissaientdonc que le recourant s'était volontairement "installé" sur le plaignant pourl'humilier - comme le prétendait le plaignant. Dans son arrêt du 28 septembre 2005, se référant aux déclarations du témoinqui avait assisté aux opérations à l'extérieur des locaux du Ministèrepublic, la cour de cassation cantonale a considéré ce qui suit: "Sur la basede ce témoignage, qui concorde partiellement avec les dires du plaignant, ondoit retenir que l'agent B.________ s'est assis sur le plaignant dansl'enchaînement de cette intervention policière illégitime et trop brutale".Cette phrase ne contient aucune précision expresse sur le caractèreintentionnel ou, au contraire, involontaire du comportement du recourantmais, dans la suite de la procédure, elle a été comprise par le Tribunal depolice du district du Val-de-Ruz et par la cour de cassation cantonaleelle-même comme impliquant le constat d'une intention. Elle s'écarte donc desconstatations de fait du Tribunal de police du district de Neuchâtel. La cour de cassation cantonale n'a motivé cette modification de l'état defait que dans la phrase précitée. Il apparaît dès lors qu'elle n'a pasremédié à un vice qu'elle aurait décelé dans le raisonnement du premier jugemais, au contraire, substitué sa propre appréciation des preuves à celle dece magistrat. Elle a ainsi manifestement dépassé, sur une question de faitdécisive, les limites qu'une règle claire de la procédure cantonale pose àson pouvoir d'examen. Partant, sa décision est entachée d'arbitraire (surcette notion, cf. ATF 129 I 8 consid.2.1 p. 9 et les références).Le recours doit dès lors être admis et l'arrêt entrepris être annulé dans lamesure où il confirme la condamnation du recourant, au pénal et sur lesfrais. 2.Lorsque le Ministère public succombe, il n'y a pas lieu de percevoir desfrais de justice (art. 156 al. 2 OJ). Obtenant gain de cause, le recourant a droit à des dépens, qui serontsupportés par le canton de Neuchâtel (art. 159 al. 1 OJ). Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 1.Le recours est admis et l'arrêt entrepris annulé en tant qu'il concerne lerecourant. 2.Il n'est pas perçu de frais de justice. 3.Le canton de Neuchâtel versera une indemnité de 2'000 fr. au recourant àtitre de dépens. 4.Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, auMinistère public du canton de Neuchâtel et à la Cour de cassation pénale duTribunal cantonal du canton de Neuchâtel. Lausanne, le 22 décembre 2006 Au nom de la Cour de cassation pénaledu Tribunal fédéral suisse Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 6P.160/2006
Date de la décision : 22/12/2006
Cour de cassation pénale

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2006-12-22;6p.160.2006 ?
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