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21/12/2006 | SUISSE | N°5C.145/2006

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 21 décembre 2006, 5C.145/2006


{T 0/2}
5C.145/2006 + 5C.146/2006

Arrêt du 21 décembre 2006
IIe Cour civile

MM. et Mmes les Juges Raselli, Président,
Escher, Hohl, Marazzi et Riemer, Juge suppléant.
Greffier: M. Abrecht.

1. X.________,

2. Y.________,
défendeurs et recourants, représentés par Me Alain Macaluso, avocat,

contre

C.________ SA,
demanderesse et intimée, représentée par Me Jean-Charles Sommer, avocat,

responsabilité des membres d'une association,

recours en réforme [OJ] contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de>justice du canton de Genève
du 7 avril 2006.

Faits:

A.
L'Association A.________ a été fondée le 13 juillet 1999 par X.______...

{T 0/2}
5C.145/2006 + 5C.146/2006

Arrêt du 21 décembre 2006
IIe Cour civile

MM. et Mmes les Juges Raselli, Président,
Escher, Hohl, Marazzi et Riemer, Juge suppléant.
Greffier: M. Abrecht.

1. X.________,

2. Y.________,
défendeurs et recourants, représentés par Me Alain Macaluso, avocat,

contre

C.________ SA,
demanderesse et intimée, représentée par Me Jean-Charles Sommer, avocat,

responsabilité des membres d'une association,

recours en réforme [OJ] contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de
justice du canton de Genève
du 7 avril 2006.

Faits:

A.
L'Association A.________ a été fondée le 13 juillet 1999 par X.________,
Y.________ et deux autres personnes. Elle avait pour but statutaire
d'entreprendre toutes démarches pour l'organisation à Genève ou dans toute
autre ville d'un salon d'antiquités et d'objets d'art à l'enseigne «Salon de
Mars», de gérer ledit salon et, d'une manière générale, d'entreprendre toutes
mesures pour la promotion des antiquités et objets d'art.

L'association avait pour ressources, selon ses statuts, les avances faites
par ses membres, les prestations versées par les utilisateurs de ses
services, le produit de toutes les manifestations qu'elle organiserait, les
dons de mécènes et, enfin, toute recette publicitaire de sponsoring ou de
vente de produits dérivés. Les statuts n'ont pas fixé les cotisations des
membres et cette compétence n'a pas été déléguée à l'assemblée générale. Au
départ, les fondateurs ont investi une somme d'au moins 467'980fr. dans
l'association.

B.
Le 22 janvier/12 février 2001, A.________ et C.________ SA, société anonyme
de droit français dont le siège est à Thonon, ont signé un «contrat de
construction» prévoyant la réalisation par C.________ SA des structures de
l'édition 2001 du «Salon de Mars» pour un prix forfaitaire de 9 millions de
francs français, payable à raison de 50% à la commande, de 40% au 15 avril
2001 et de 10% au 1er mai 2001. A.________ a versé comme convenu 50% du prix
à la commande. Elle a refusé de payer le solde, estimant que le contrat avait
été partiellement inexécuté, vu les nombreuses malfaçons de l'ouvrage et le
non-respect de certaines clauses contractuelles.
Le 3 mai 2001, C.________ SA a requis la notification à A.________ d'un
commandement de payer portant sur les montants de 845'280 fr. et de 211'320
fr. plus intérêts, correspondant au solde (40% + 10%) du prix à payer en
vertu du contrat. L'opposition formée par A.________ à ce commandement de
payer a été provisoirement levée par arrêt de la Cour de justice du canton de
Genève du 13 décembre 2001.
Le 25 février 2002, l'assemblée générale de l'association a décidé la
dissolution de celle-ci. Au 30 juin 2002, A.________ en liquidation ne
disposait plus de fonds propres.
Par jugement du 8 janvier 2004, le Tribunal de première instance du canton de
Genève a admis l'action en libération de dette formée par A.________ en
liquidation à concurrence de 211'320 fr. plus intérêts et a constaté que
celle-ci devait à C.________ SA les sommes de 633'960 fr. et de 211'320 fr.
plus intérêts.

C.
La faillite de A.________ en liquidation a été prononcée le 15 juin 2004, sur
requête de C.________ SA. Celle-ci a été le seul créancier inscrit à l'état
de collocation, avec une créance admise en troisième classe à concurrence de
940'039 fr. 35. L'Office des faillites a porté à l'inventaire de la masse en
faillite de A.________ en liquidation des prétentions litigieuses, à hauteur
du passif inscrit à l'état de collocation, à l'encontre de X.________ et de
Y.________.

Après avoir obtenu le 4 janvier 2005 la cession des droits de la masse, au
sens de l'art.260 LP, C.________ SA a ouvert action le 23 février 2005
devant le Tribunal de première instance du canton de Genève contre X.________
et Y.________. Elle a conclu principalement à ce que ceux-ci soient
solidairement condamnés à lui payer le montant de 940'039 fr. 35 plus
intérêts, pour avoir, en leur qualité de membres du comité, fautivement géré
l'association. À titre subsidiaire, elle a conclu à ce que les défendeurs
soient chacun condamnés à lui payer la somme de 470'019 fr. 70 plus intérêts,
pour répondre personnellement des dettes de l'association, à parts égales, en
leur qualité de membres de l'association (art. 71 al. 2 aCC).

Ayant perçu un dividende de 73'878 fr. 60 le 22 avril 2005, C.________ SA a
réduit le 6 mai 2005 ses prétentions de ce montant. Dans leur réponse du 15
juin 2005, les défendeurs se sont opposés à la demande.

A. ________ en liquidation a été radiée d'office du registre du commerce le
12 mai 2005, après clôture de la procédure de faillite.

Par jugement du 7 septembre 2005, le Tribunal de première instance a débouté
C.________ SA de ses conclusions et l'a condamnée aux dépens.

D.
Par arrêt du 7 avril 2006, la Chambre civile de la Cour de justice du canton
de Genève a admis l'appel formé par la demanderesse contre ce jugement,
qu'elle a réformé en ce sens qu'elle a condamné les défendeurs à payer à la
demanderesse un montant de 433'080 fr. 40 chacun, avec intérêts à 5% l'an dès
le 27 avril 2005. La motivation de cet arrêt, dans ce qu'elle a d'utile à
retenir pour l'examen du recours, est en substance la suivante:
D.aAux termes de l'art. 71 aCC, dans sa teneur en vigueur jusqu'au 31 mai
2005, les cotisations sont fixées par les statuts (al. 1); à défaut de
disposition statutaire, les membres de l'association contribuent dans une
mesure égale aux dépenses que rendent nécessaires le but social et
l'acquittement des dettes (al. 2). La créance contre les membres en paiement
des dépenses et des dettes de l'association appartient à l'association, et
non directement aux créanciers de celle-ci; toutefois, en cas de faillite de
l'association, le créancier peut se faire céder cette créance et en
poursuivre le recouvrement en lieu et place de la masse, en application de
l'art. 260 LP (Heini/Scherrer, Basler Kommentar, Zivilgesetzbuch I, 2e éd.
2002, n. 9 ad art. 71 aCC et les références citées).

D.b L'art. 71 al. 2 aCC a été remplacé au 1er juin 2005 par un nouvel art.
75a CC, qui a supprimé le lien de cause à effet entre la fixation des
cotisations à verser par les membres d'une association et l'exclusion de leur
responsabilité personnelle. L'absence de responsabilité est désormais
indépendante de l'obligation statutaire pour les membres de verser des
cotisations, l'art. 75a CC disposant que sauf disposition contraire des
statuts, l'association répond seule de ses dettes, qui sont garanties par sa
fortune sociale.

Les prescriptions nouvelles ne sont toutefois pas applicables en l'espèce. En
effet, l'association a été radiée du registre du commerce avant le 1er juin
2005 (art. 1 Tit. fin. CC) et les nouveaux art. 71 et 75a CC n'ont pas été
établis dans l'intérêt de l'ordre public ou des moeurs (art. 2 Tit. fin. CC).

D.c En vertu de l'art. 71 al. 2 aCC, en l'absence d'obligation de cotiser
fixée par les statuts - qui pouvaient prévoir le principe d'une contribution
périodique et réserver à un règlement ou déléguer à un organe la compétence
de déterminer l'importance du montant dû -, chaque membre répondait
personnellement, à parts égales et sur l'ensemble de son patrimoine, des
dettes de l'association (Perrin, Droit de l'association, 2004, p. 136 s.).
Toutefois, les sociétaires n'étaient pas solidairement responsables au sens
de l'art. 143 CO; en outre, un membre ne pouvait pas être recherché pour une
participation à des dettes contractées après son départ (Heini/Scherrer, op.
cit., n. 10 et 11 ad art. 71 aCC; Perrin, op. cit., p. 141).
En l'espèce, A.________ n'avait pas prévu de cotisations des membres dans les
statuts, si bien que ses membres répondent à parts égales de l'ensemble des
dettes de l'association. Les défendeurs étaient les seuls membres de
l'association à l'époque de la conclusion du «contrat de construction» avec
C.________ SA, qui est à l'origine des dettes sociales dont cette dernière
réclame le paiement. Les défendeurs sont donc responsables de cette dette, à
concurrence de la moitié chacun. Des prétentions de la demanderesse admises à
l'état de collocation par 940'039 fr. 35 et qui lui ont été cédées par la
masse en faillite de A.________ en liquidation, il y a lieu de déduire le
dividende de 73'878 fr. 60 perçu le 22 avril 2005 (cf. lettre C supra), si
bien que les défendeurs doivent en définitive être condamnés à payer un
montant de 433'080fr. 40 chacun ([940'039 fr. 35 - 73'878 fr. 60] : 2) à la
demanderesse.

E.
Les défendeurs exercent chacun un recours en réforme au Tribunal fédéral
contre cet arrêt, en concluant à sa réforme en ce sens que la demanderesse
soit déboutée des fins de sa demande. La demanderesse n'a pas été invitée à
répondre aux recours.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Les recours sont dirigés contre le même jugement et soulèvent les mêmes
questions de droit, de sorte qu'il se justifie de joindre les causes et de
les liquider dans un seul arrêt (art. 24 PCF, en relation avec l'art. 40 OJ;
ATF 124 III 382 consid. 1a; 113 Ia 390 consid. 1 et la jurisprudence citée
dans ces arrêts).

1.2 L'arrêt attaqué tranche une contestation civile portant sur des droits de
nature pécuniaire, et les droits contestés dans la dernière instance
cantonale atteignent manifestement la valeur d'au moins 8'000 fr. exigée par
l'art. 46 OJ. Formés en temps utile (art. 54 al. 1 OJ) contre une décision
finale prise par un tribunal suprême d'un canton et qui ne peut pas être
l'objet d'un recours ordinaire de droit cantonal (art. 48 al. 1 OJ), les
recours en réforme, dans lesquels est invoquée uniquement la violation du
droit fédéral (art. 43 al. 1 OJ), sont donc recevables.

2.
Les défendeurs reprochent à la cour cantonale d'avoir appliqué de manière
erronée les art. 1 à 4 Tit. fin. CC, en particulier les art. 2 et 3 Tit. fin.
CC, et d'avoir ainsi retenu faussement que les nouveaux art.71 et 75a CC ne
trouvaient pas application dans le cas d'espèce.

2.1 En l'absence de disposition transitoire spécifique (cf. art. 1 al. 3 in
fine et 2 al. 1 in fine Tit. fin. CC), le droit transitoire est régi par les
dispositions générales des art. 1 à 4 Tit. fin. CC (ATF 117 III 52 consid. 2a
in limine; Markus Vischer, Basler Kommentar, Zivilgesetzbuch II, 2eéd. 2003,
n. 2 ad art. 1 Tit. fin. CC; idem, Die allgemeinen Bestimmungen des
schweizerischen intertemporalen Privatrechts, thèse Zurich 1986, p. 26 s. et
les références citées; cf.ATF 127 III 16 consid. 3; 90 II 135 consid. 3; 84
II 179 consid. 2b).

2.1.1 L'art. 1 Tit. fin. CC pose le principe général de la non-rétroactivité
des lois: les effets juridiques de faits antérieurs à l'entrée en vigueur du
nouveau droit continuent à être régis par les dispositions du droit sous
l'empire duquel ces faits se sont produits (al.1) - principe que l'al. 2
répète en ce qui concerne les effets juridiques des actes accomplis avant
l'entrée en vigueur du nouveau droit (Vischer, Basler Kommentar, n. 9 ad art.
1 Tit. fin. CC) -, tandis que les faits postérieurs à l'entrée en vigueur du
nouveau droit sont régis par celui-ci (al. 3). Le rattachement d'un rapport
d'obligation au droit en vigueur au moment de sa constitution, tel que le
prévoit l'art. 1 al. 1 Tit. fin. CC, vise à protéger la confiance subjective
des parties, qui ont soumis leurs relations à un droit matériel qui leur
était connu, et tend aussi à empêcher que des droits valablement acquis par
un acte juridique soient enlevés à leur titulaire par le seul effet de la loi
(ATF 126 III 421 consid. 3c/cc in limine).

2.1.2 En dérogation au principe général de non-rétroactivité posé par l'art.
1 Tit. fin. CC (ATF 126 III 421 consid. 3c/cc; 100 II 105 consid. 1c in
limine; Vischer, Basler Kommentar, n. 3 in fine ad art. 2 Tit. fin. CC),
l'art. 2 Tit. fin. CC prévoit que les règles établies dans l'intérêt de
l'ordre public et des moeurs sont applicables, dès leur entrée en vigueur, à
tous les faits pour lesquels la loi n'a pas prévu d'exception (al. 1); en
conséquence - ou pour exprimer la même chose sous une forme négative
(Vischer, Basler Kommentar, n.2 ad art. 2 Tit. fin. CC; Gerardo Broggini,
Intertemporales Privatrecht, in Schweizerisches Privatrecht I/1, 1969, p.
449) -, les dispositions de l'ancien droit qui, d'après le droit nouveau,
sont contraires à l'ordre public ou aux moeurs ne peuvent plus recevoir
d'application (al. 2).

2.1.3 Pour admettre qu'une disposition légale a un caractère d'ordre public
au sens de l'art. 2 Tit. fin. CC, il ne suffit pas qu'elle soit impérative
(ATF 100 II 105 consid. 2 in limine; 84 II 179 consid. 3c p.183 s.; cf. ATF
117 II 452 consid. 3a). Au contraire, l'ordre public et les moeurs ne
justifient l'application rétroactive d'une norme que lorsque celle-ci
appartient aux principes fondamentaux de l'ordre juridique actuel, en
d'autres termes lorsqu'elle incarne des conceptions socio-politiques ou
éthiques fondamentales (ATF 119 II 46 consid. 1a; 100 II 105 consid. 2;
Broggini, op. cit., p. 451). La jurisprudence a reconnu que tel était le cas
notamment de l'interdiction de créer des liens durables à l'excès par des
actes juridiques obligatoires (art. 2 et 27 CC) ou du principe selon lequel
une charge foncière doit pouvoir être rachetée trente ans après son
établissement (art. 788 al. 1 ch. 2 CC; ATF 100 II 105 consid. 2 et les
arrêts cités).

2.1.4 Pour décider s'il y a lieu d'appliquer le nouveau droit sur la base de
l'art.2 Tit. fin. CC, le juge doit donc examiner si, dans le cas d'espèce
considéré, les effets juridiques découlant de l'ancien droit - lequel serait
en soi applicable en vertu du principe général de non-rétroactivité -
seraient contraires à l'ordre public et aux moeurs selon les conceptions du
nouveau droit (ATF 100 II 105 consid. 2; 43 II 7; Paul Mutzner, Berner
Kommentar, Bd. V/Schlusstitel I, 2e éd. 1926, n. 17 ad art. 2 Tit. fin. CC),
autrement dit si l'application de l'ancien droit est devenue inconciliable
avec l'ordre public et les moeurs (ATF 119 II 46 consid. 1b p. 50; 116 III
120 consid. 3; 84 II 179 consid. 3c p. 184; cf. ATF 128 III 305 consid. 2b;
90 II 135 consid. 4). Le juge doit aussi comparer les intérêts en jeu et
examiner si le droit nouveau répond à un intérêt public prépondérant
par
rapport aux intérêts privés opposés, notamment celui à être protégé dans la
confiance mise en l'application du droit antérieur, de telle sorte qu'il
doive l'emporter sur ce dernier (ATF 127 III 16 consid. 3; 119 II 46 consid.
1a; Vischer, thèse, p. 96 et 98; cf. ATF 117 II 452 consid. 3a).

2.2 Il sied à ce stade de rappeler l'évolution législative qui a conduit à la
modification de l'art. 71 aCC et à l'introduction d'un nouvel art. 75a CC.

2.2.1 Sous l'empire de l'art. 71 aCC, dans sa teneur en vigueur jusqu'au 31
mai 2005, si les statuts de l'association ne disposaient pas d'obligation de
cotiser (cf. art. 71 al. 1 aCC), les membres répondaient personnellement, à
parts égales et sur l'ensemble de leur patrimoine, des dettes de
l'association (art. 71 al. 2 aCC), et cela même si les statuts excluaient la
responsabilité personnelle des membres (Rapport de la Commission des affaires
juridiques du Conseil des États, in FF 2004 p. 4529 ss, 4530). La
responsabilité des membres était limitée dès que les statuts fixaient le
principe de l'obligation de cotiser et réservaient la détermination du
montant de la cotisation à un règlement ou à une décision de l'association,
pour autant que l'association arrête effectivement le montant des cotisations
(Rapport précité, p. 4531 et les références citées, notamment l'arrêt du
Tribunal fédéral du 8 octobre 2002 dans la cause 5P.292/2002, consid. 3).

2.2.2 Le nouveau droit entré en vigueur le 1er juin 2005 (loi fédérale du 17
décembre 2004 [Fixation des cotisations des membres d'associations], RO 2005
p. 2117) a supprimé la responsabilité personnelle à parts égales des membres
de l'association (art. 71 al. 2 aCC): en vertu du nouvel art. 75a CC, c'est
désormais la fortune sociale et elle seule - sous réserve de disposition
contraire des statuts - qui répond des dettes de l'association (Rapport
précité, p.4533). La Commission des affaires juridiques du Conseil des
États, qui a élaboré le projet de loi en donnant suite à une initiative
parlementaire, a expliqué que la réglementation de l'art. 71 al. 2 aCC était
insatisfaisante, car les membres des quelque 100'000 associations actives en
Suisse principalement dans les domaines sportif, culturel et social
méconnaissaient souvent les prescriptions légales et les conséquences de leur
non-respect. Or il convenait d'empêcher que les membres d'associations
s'endettent pour avoir par exemple organisé une manifestation sportive ou
culturelle qui se soldait par un déficit financier suite à de mauvaises
conditions météorologiques. Au surplus, il paraissait peu approprié que les
membres d'une société coopérative, à but économique (cf. art. 828 al.1 CO),
n'engagent en principe pas leur responsabilité individuelle, à moins que les
statuts n'en disposent autrement (art. 868 CO), alors que les membres d'une
association, qui n'a normalement pas un but économique (cf. art. 60 al. 1
CC), engagent en principe leur responsabilité (Rapport précité, p.4531 s.).
2.2.3 Le nouvel art. 75a CC prévoit que, sauf disposition contraire des
statuts, l'association répond seule de ses dettes, qui sont garanties par sa
fortune sociale. Il s'agit d'une formulation légèrement différente de celle
de l'art. 868 CO, dont la Commission des affaires juridiques du Conseil des
États s'était directement inspirée lors de la rédaction de son projet de loi
(cf. FF 2004 p. 4535). Comme pour la société coopérative - pour laquelle on
était passé, entre le Code fédéral des obligations du 14 juin 1881, entré en
vigueur le 1er janvier 1883, et les dispositions correspondantes de l'actuel
Code des obligations entrées en vigueur le 1er juillet 1937, d'un régime où
les statuts pouvaient exclure la responsabilité personnelle des associés à un
régime où la fortune sociale répond seule des engagements de la société, sauf
disposition contraire des statuts (cf. Max Gutzwiller, Zürcher Kommentar,
vol. V/6, 1972, n. 4 s. ad art. 868 CO) -, l'exclusion de la responsabilité
personnelle des membres de l'association est de droit dispositif.
L'association peut ainsi prévoir dans ses statuts que les membres de
l'association contribuent dans une mesure égale aux dépenses que rendent
nécessaires le but social et l'acquittement des dettes (comme selon l'art. 71
al. 2 aCC), ou instituer une responsabilité personnelle des membres qui soit
limitée à un cercle déterminé de personnes ou à un certain montant (Hans
Michael Riemer, Neuerungen im Vereinsrecht: Mitgliederbeiträge und Haftung
von Vereinsmitgliedern, in causa sport 2005 p. 52; cf. la disposition -
inchangée - de l'art. 99 ORC).

2.3 Le présent litige soulève la question d'une éventuelle application
rétroactive de la nouvelle réglementation relative à la responsabilité pour
les dettes de l'association. En l'absence de disposition transitoire
spécifique, cette question doit être résolue au regard des dispositions
générales des art. 1 à 4 Tit. fin. CC (cf. consid. 2.1 supra; Riemer,
op.cit., p. 52).

2.3.1 Selon Riemer, les nouvelles dispositions relatives à la responsabilité
pour les dettes de l'association s'appliquent dès leur entrée en vigueur aux
associations fondées sous l'ancien droit (Riemer, op. cit., p. 52), en ce
sens que, s'agissant des associations existantes qui n'avaient pas fixé les
cotisations de leurs membres conformément à l'ancien droit, la fortune
sociale répond seule - sauf disposition contraire des statuts (art. 75a CC) -
des engagements de l'association (Riemer, Aktuelle Gesetzgebung und
Rechtsprechung, in Aktuelle Fragen aus dem Vereinsrecht, 2005, p.43 ss, 46;
voir dans le même sens le Rapport de la Commission des affaires juridiques du
Conseil des États, p.4533 s.).

Les membres d'une association fondée sous l'ancien droit ne répondent ainsi
pas personnellement des dettes de l'association nées après l'entrée en
vigueur du nouveau droit, qui trouve application en vertu du principe général
de l'art. 1 al. 3 Tit. fin. CC (cf.consid. 2.1.1 supra). Il en va en
revanche différemment pour les rapports d'obligation qui ont pris naissance
avant l'entrée en vigueur du nouveau droit. En pareille hypothèse, il y a
lieu d'appliquer l'ancien droit, sous l'empire duquel les faits déterminants
se sont produits, étant rappelé que la responsabilité personnelle des membres
pour une dette de l'association selon l'art. 71 al. 2 aCC existait dès la
naissance de cette dette, qui était aussitôt répartie - virtuellement - entre
les membres (Riemer, Berner Kommentar, vol. I/3/2, 1990, n.22 ad art.71
aCC).

2.3.2 En l'espèce, il est constant que les engagements litigieux de
A.________ envers la demanderesse datent du début de l'année 2001, que la
demanderesse a obtenu le 8 janvier 2004 un jugement admettant définitivement
ses prétentions à concurrence de 976'550 fr. plus intérêts, que la faillite
de A.________ en liquidation a été prononcée par jugement du 15 juin 2004,
que la production de la demanderesse dans cette faillite a été admise le 26
octobre 2004 en troisième classe à concurrence de 940'039 fr. 35, et enfin
que A.________ en liquidation a été radiée d'office du registre du commerce
le 12 mai 2005, après clôture de la procédure de faillite. Ainsi, non
seulement la dette litigieuse est-elle née antérieurement à l'entrée en
vigueur du nouveau droit le 1erjuin 2005, mais encore l'association
avait-elle cessé d'exister à cette dernière date. Cela étant, on peut se
demander si une éventuelle application rétroactive du nouveau droit, en
dérogation au principe général posé par l'art. 1 Tit. fin. CC, n'apparaît pas
d'emblée exclue du fait que l'application de ce droit ne se conçoit que pour
les associations existantes lors de son entrée en vigueur.

Toutefois, dans la mesure où la responsabilité personnelle des membres de
l'association pour la dette litigieuse existait dès la naissance de cette
dette (cf.consid. 2.3.1 in fine supra) et où cette dette subsiste malgré la
liquidation et la radiation de l'association - puisque la demanderesse a
obtenu la cession, dans la faillite de l'association, de la créance de cette
dernière contre les défendeurs -, il reste nécessaire d'examiner si, comme le
soutiennent les défendeurs, les dispositions de l'ancien droit ne pourraient
plus recevoir d'application parce que leurs effets juridiques seraient
devenus inconciliables avec l'ordre public et les moeurs selon les
conceptions du nouveau droit (art. 2 Tit. fin. CC; cf.consid. 2.1.2 à 2.1.4
supra).

2.3.3 Cette question doit toutefois être résolue par la négative, dès lors
que la nouvelle réglementation n'incarne à l'évidence pas des valeurs à tel
point fondamentales, ni ne répond à un intérêt public si prépondérant par
rapport à l'intérêt des créanciers de l'association à être protégés dans la
confiance mise en l'application du droit antérieur, qu'elle doive être
appliquée rétroactivement en lieu et place de ce dernier.
En effet, l'exclusion de la responsabilité personnelle des membres de
l'association n'est que de droit dispositif, les statuts pouvant prévoir une
telle responsabilité conformément à l'art. 75a CC (cf.consid. 2.2.3 supra).
La responsabilité personnelle des membres de l'association selon l'art. 71
al. 2 aCC n'était d'ailleurs pas non plus une règle impérative, puisqu'elle
pouvait être exclue par la due fixation de cotisations à verser par les
membres (cf.consid. 2.2.1 supra). Le nouveau droit se distingue en
définitive de l'ancien en ce sens que l'absence de responsabilité personnelle
des membres de l'association pour les dettes sociales est désormais la règle
même dans le cas où les statuts ne disposent pas d'obligation de cotiser,
mais cette règle est de droit dispositif et ne saurait être considérée comme
ayant été établie dans l'intérêt de l'ordre public et des moeurs, au sens de
l'art.2 Tit. fin. CC.

Au demeurant, celui qui était déjà créancier de l'association avant l'entrée
en vigueur des nouvelles dispositions excluant désormais - sauf disposition
contraire des statuts - la responsabilité personnelle des membres de
l'association doit être protégé dans ses droits, comme l'ont été, lors de la
modification analogue des règles sur la responsabilité des membres d'une
société coopérative (cf. consid. 2.2.3 supra), ceux qui étaient déjà
créanciers d'une telle société (cf.l'art. 7 des dispositions finales et
transitoires des titres vingt-quatrième à trente-troisième du Code des
obligations, aux termes duquel "[l]es modifications que subit, de par la
présente loi, la responsabilité des membres de sociétés coopératives ne
peuvent porter atteinte aux droits des créanciers existant lors de l'entrée
en vigueur de la législation nouvelle").

2.3.4 C'est par ailleurs à tort que les défendeurs soutiennent à titre
subsidiaire que le nouveau droit serait applicable en vertu de l'art. 3 Tit.
fin. CC. En effet, le champ d'application de cette disposition, qui prévoit
que les cas réglés par la loi indépendamment de la volonté des parties sont
soumis à la loi nouvelle même s'ils remontent à une époque antérieure, est
restreint aux cas dans lesquels le contenu d'un rapport juridique est fixé
par la loi, sans égard à la volonté des parties; en revanche, lorsque le
contenu du rapport juridique découle de la volonté autonome des parties, la
protection de la confiance éveillée chez celles-ci commande de ne pas porter
atteinte à une position contractuelle valablement acquise par acte juridique
sous l'empire de la loi ancienne (ATF 126 III 421 consid. 3c/cc et les
références citées).

3.
3.1Les défendeurs reprochent ensuite à la cour cantonale d'avoir considéré à
tort que les statuts de l'association ne prévoyaient pas de cotisations,
ainsi que de n'avoir pas retenu que les prestations fournies à l'association
par les défendeurs constituaient bien des «cotisations» conformes aux
réquisits de l'art. 71 aCC. Ils font valoir que selon la doctrine, les
«cotisations» visées par l'art. 71 aCC ne doivent pas nécessairement avoir un
caractère périodique et peuvent même consister en des contributions en
nature. Or en l'espèce, les statuts d'Ares prévoyaient que les ressources de
l'association consistaient notamment dans «les avances faites par les
membres», et il a été retenu qu'au départ, les fondateurs ont investi une
somme d'au moins 467'980fr. dans l'association.

3.2 Comme on l'a vu (cf. consid. 2.2.1 supra), sous l'empire de l'art.71
aCC, l'exclusion de la responsabilité des membres présupposait que les
statuts fixent le principe de l'obligation de cotiser et réservent la
détermination du montant de la cotisation à un règlement ou à une décision de
l'association, pour autant que l'association arrête effectivement le montant
des cotisations. Si, selon la doctrine, la notion de cotisations (Beiträge;
contribuzioni), au sens de l'art. 71 al. 1 aCC, n'inclut pas seulement les
cotisations périodiques, mais aussi les contributions non périodiques en
nature ou en travail (Heini/Scherrer, op. cit., n. 1 ad art. 71 aCC), il n'en
demeure pas moins que, pour exclure l'application de l'art. 71 al. 2 aCC, les
statuts doivent prévoir une obligation de cotiser (Heini/Scherrer, op. cit.,
n. 3 et 4 ad art. 71 aCC). Or en l'espèce, il n'apparaît pas que les statuts
d'Ares prévoyaient une quelconque obligation de cotiser des membres de
l'association: s'il est fait mention dans les statuts, au chapitre des
ressources de l'association, des «avances faites par les membres», il n'en
ressort pas que les membres pouvaient être tenus de verser de telles
«avances». Il s'ensuit que la cour cantonale n'a pas violé le droit fédéral
en retenant qu'Ares n'avait pas prévu dans ses statuts de cotisations des
membres au sens de l'art. 71 al. 1 aCC et que ses membres répondaient dès
lors à parts égales de l'ensemble des dettes de l'association, conformément à
l'art. 71 al. 2 aCC.

4.
En définitive, les recours, mal fondés, doivent être rejetés. Les défendeurs,
qui succombent, supporteront les frais judiciaires, chacun pour moitié (art.
156 al.1 OJ). Il n'y a en revanche pas lieu d'allouer de dépens, dès lors
que la demanderesse n'a pas été invitée à procéder et n'a en conséquence pas
assumé de frais en relation avec la procédure devant le Tribunal fédéral
(art. 159 al. 1 et 2 OJ; Poudret/Sandoz-Monod, Commentaire de la loi fédérale
d'organisation judiciaire, vol. V, 1992, n. 2 ad art. 159 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Les
recours sont joints.

2.
Les recours sont rejetés.

3.
Un émolument judiciaire de 10'000 fr. est mis pour moitié à la charge de
X.________ et pour moitié à la charge de Y.________.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 21 décembre 2006

Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 5C.145/2006
Date de la décision : 21/12/2006
2e cour civile

Analyses

Art. 71 aCC, art. 75a CC, art. 1-4 Tit. fin. CC; responsabilitépersonnelle des membres d'une association pour les dettes de celle-ci; droittransitoire. Rappel des principes généraux de droit transitoire posés par les art. 1 et2 Tit. fin. CC (consid. 2.1) et de l'évolution législative qui a conduit àl'introduction du nouvel art. 75a CC (consid. 2.2). La responsabilitépersonnelle des membres d'une association fondée sous l'ancien droit pourles dettes de l'association nées avant l'entrée en vigueur du nouveau droitest régie par l'art. 71 aCC, l'art. 75a CC ne constituant pas une règleétablie dans l'intérêt de l'ordre public et des moeurs au sens de l'art. 2Tit. fin. CC (consid. 2.3).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2006-12-21;5c.145.2006 ?
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