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30/11/2006 | SUISSE | N°1P.842/2005

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 30 novembre 2006, 1P.842/2005


{T 1/2}1P.842/2005 /col Arrêt du 30 novembre 2006Ire Cour de droit public MM. les Juges Féraud, Président,Aeschlimann et Fonjallaz.Greffier: M. Jomini. Fondation des logements pour personnes âgées et isolées (FLPAI),recourante, représentée par Me Lucien Lazzarotto, avocat, contre Société d'art public, rintimée, représentée par Me Christian Pirker, avocat,Conseil d'Etat de la République et canton de Genève, Chancellerie d'Etat,case postale 3964, 1211 Genève 3,Tribunal administratif de la République et canton de Genève, case postale1956, 1211 Genève 1. protection des monuments

historiques, recours de droit public contre l'arrêt du Tribunal a...

{T 1/2}1P.842/2005 /col Arrêt du 30 novembre 2006Ire Cour de droit public MM. les Juges Féraud, Président,Aeschlimann et Fonjallaz.Greffier: M. Jomini. Fondation des logements pour personnes âgées et isolées (FLPAI),recourante, représentée par Me Lucien Lazzarotto, avocat, contre Société d'art public, rintimée, représentée par Me Christian Pirker, avocat,Conseil d'Etat de la République et canton de Genève, Chancellerie d'Etat,case postale 3964, 1211 Genève 3,Tribunal administratif de la République et canton de Genève, case postale1956, 1211 Genève 1. protection des monuments historiques, recours de droit public contre l'arrêt du Tribunal administratif de laRépublique et canton de Genèvedu 1er novembre 2005. Faits: A.La Fondation des logements pour personnes âgées et isolées (ci-après: FLPAI)est propriétaire de la parcelle n° 4435 du registre foncier de la commune deGenève, section Petit-Saconnex. Il s'y trouve un bâtiment d'habitationconstruit au début des années 1930, qui comporte 39 appartements de 1,5pièces (bâtiment G 109, à l'adresse route des Franchises 28). B.La Société d'art public (section genevoise de l'organisation Patrimoinesuisse) a adressé le 18 mars 2003 au Conseil d'Etat de la République etcanton de Genève une requête tendant au classement du bâtiment G 109, enapplication des art. 10 ss de la loi cantonale sur la protection desmonuments, de la nature et des sites (LPMNS). En substance, elle a faitvaloir que cet immeuble à coursives conçu par Frédéric Metzger, typique del'architecture du mouvement moderne à Genève, était le dernier témoin de lapremière étape d'un ensemble de logements sociaux, la "Cité Vieusseux"(oeuvre de l'architecte Maurice Braillard). Selon elle, même si la "CitéVieusseux" n'existe plus et si le bâtiment G 109 est dégradé, celui-ci seraittoutefois encore très proche de son état d'origine et les qualitésintrinsèques de ce fragment justifieraient sa sauvegarde ainsi que saréhabilitation.La FLPAI s'est opposée au classement de son bâtiment. Elle avait en effet unprojet de construction d'un nouveau bâtiment d'habitation sur sa parcelle,comportant des appartements de 4 et 5 pièces. En vue de la réalisation de ceprojet, la FLPAI a adressé le 20 mai 2003 au Département cantonal del'aménagement, de l'équipement et du logement (DAEL; actuellement:Département des constructions et des technologies de l'information -ci-après: le département cantonal) une demande d'autorisation pour ladémolition du bâtiment G 109. Parallèlement, avec la Société coopératived'habitation Genève, elle a déposé une demande de renseignements en vue d'uneprocédure d'autorisation pour la reconstruction de six immeubles, sur laparcelle n° 4435 ainsi que sur deux terrains adjacents.Le 1er octobre 2003, le conservateur cantonal des monuments a établi unrapport où, notamment, il qualifie le bâtiment litigieux de représentatif du"mouvement moderne"; il s'agirait d'un exemple unique à Genève de logementsréalisés selon le concept de l"Existenzminimum" de la période del'entre-deux-guerres. Les conclusions de ce rapport sont les suivantes:"Un classement de l'immeuble situé au n° 28 de la route des Franchises sejustifie. L'immeuble n'est plus dans un état de conservation satisfaisantmais sa rénovation dans des conditions économiques raisonnables estparfaitement envisageable. Ceci à condition de prévoir une nouvelleaffectation compatible (par exemple des logements pour apprentis ouétudiants). Sa démolition, par contre, priverait notre patrimoine d'un objetintéressant pour le moins au niveau régional (à l'échelon suisse romand)voire national."La commission cantonale des monuments et des sites (CMNS) a ensuite, sur labase des explications du conservateur, émis le 28 octobre 2003 un préavisfavorable au classement. C.Par un arrêté du 25 août 2004, le Conseil d'Etat a rejeté le requête declassement du bâtiment G 109. Il a effectué une pesée des intérêts entre,d'une part, l'intérêt à la réalisation du projet de démolition-reconstructionde la FLPAI, qui permettrait d'augmenter la capacité d'accueil des habitantsdans un confort plus compatible avec le mode de vie actuel, et d'autre partles préoccupations des milieux de protection du patrimoine, qui voient dansce bâtiment l'un des rares témoins subsistant aujourd'hui de l'architecturedu "mouvement moderne" à Genève, illustrant un concept d'habitat inédit àl'époque et destiné aux besoins des plus démunis - étant rappelé qu'en 1985déjà, les milieux de protection du patrimoine s'étaient opposés à ladémolition du bâtiment G 109, et que le propriétaire avait obtenul'autorisation de démolir les bâtiments voisins à condition que le bâtiment G109 soit maintenu. Le Conseil d'Etat s'est référé à une proposition élaboréepar un "comité pour la sauvegarde du bâtiment G 109", selon laquelle ilserait possible de réaliser, tout en maintenant ce bâtiment, un nombre delogements correspondant à celui envisagé dans le projet dedémolition-reconstruction de la FLPAI; or, selon l'arrêté, dans le projet dela FLPAI, la surface moyenne par pièce habitable serait supérieure d'environ6 m2, et le nombre de logements mis sur le marché serait plus élevé. Enconclusion, le Conseil d'Etat a déclaré privilégier l'intérêt public attachéà la construction de logements, par rapport à l'intérêt lié à la protectiondu patrimoine. D.La Société d'art public a recouru au Tribunal administratif cantonal contrel'arrêté du Conseil d'Etat. Après diverses mesures d'instruction dont uneinspection locale (transport sur place), le Conseil d'Etat a été invité àdéposer des déterminations écrites sur les coûts et modalités d'unerénovation du bâtiment G 109, sur le nombre, la surface et les loyers desappartements projetés, ainsi que sur les aides étatiques envisageables. Cesdéterminations ont été déposées le 28 septembre 2005.Le Tribunal administratif a statué sur le recours par un arrêt rendu le 1ernovembre 2005. Il l'a admis et par conséquent il a annulé l'arrêté du 25août 2004, puis il a renvoyé la cause au Conseil d'Etat afin qu'il procède auclassement du bâtiment G 109. La juridiction cantonale a considéré que cebâtiment était un monument au sens de l'art. 4 LPMNS, puis elle a contrôlé lapesée des intérêts effectuée par le Conseil d'Etat dans le cadre de l'art. 10LPMNS, qui fixe les conditions du classement d'un monument. Selon l'arrêt duTribunal administratif, la réhabilitation de l'immeuble en logements pourétudiants et/ou apprentis répondait à un besoin de la population, la FLPAIétait habilitée par ses statuts à créer de tels logements, et il ressortait"des pièces estimatives versées à la procédure que les coûts de rénovation dubâtiment litigieux ne [seraient] pas exorbitants par rapport à celui afférentà l'édification d'un nouvel immeuble"; néanmoins, l'opération de remise enétat serait aujourd'hui "particulièrement lourde et coûteuse" mais celarésulte du "délabrement avancé" du bâtiment, ce dont la FLPAI serait engrande partie responsable parce qu'elle n'aurait pas entrepris de travauxd'entretien durant près de trente ans. Revoyant l'appréciation du Conseild'Etat, le Tribunal administratif a finalement retenu ce qui suit (consid.14):"S'agissant du nombre, de la surface et des loyers des appartements projetés,il ressort du dossier qu'après rénovation du bâtiment et selon lecontre-projet adopté, ce ne sont pas moins de 108 logements, dont 40 dans lebâtiment litigieux, qui seront mis à disposition d'une catégorie de lapopulation touchée par la pénurie de logements, contre 125 dans le cadre duprojet de l'intimée. Certes, la surface et le nombre des pièces de ceux-ciseront moins importants que dans le projet de la FLPAI. Ces éléments ne sonttoutefois pas à eux seuls déterminants, dans le cadre de la pesée globale desintérêts à laquelle l'autorité doit procéder. Ainsi, compte tenu des loyersqui pourront être encaissés après travaux, la rénovation du bâtiment apparaîtéconomiquement viable. Il appartiendra pour le surplus à la FLPAI desolliciter les diverses aides étatiques envisageables. Enfin, sous l'angle durespect du principe de la proportionnalité, cette solution est la seule àpermettre un rapport raisonnable entre les intérêts publics et privéscompromis." E.Agissant par la voie du recours de droit public, la FLPAI demande au Tribunalfédéral d'annuler l'arrêt du 1er novembre 2005 du Tribunal administratif, etd'inviter ce tribunal à rendre un nouvel arrêt confirmant le rejet de lademande de classement du bâtiment sis sur la parcelle n° 4435. Invoquant lesart. 9, 26, 27 et 36 al. 3 Cst., elle se plaint de ce que son bâtiment auraitété qualifié arbitrairement de "monument", et de violations de la garantie dela propriété ainsi que de la liberté économique, la mesure litigieuse,disproportionnée, la contraignant à conserver et rénover un bâtiment dont lerendement ne lui permettrait pas de couvrir son investissement, ladestination prévue (des logements pour étudiants et apprentis) étant ausurplus contraire à ses buts statutaires (se consacrer au logement despersonnes âgées et isolées, ce dernier terme s'appliquant aux personnes âgéesmarginalisées ou risquant de l'être).La Société d'art public conclut au rejet du recours.Le Conseil d'Etat conclut à l'admission du recours et à l'annulation del'arrêt attaqué. Le Tribunal fédéral considère en droit: 1.L'arrêt attaqué, qui renvoie la cause au Conseil d'Etat pour nouvelledécision, a un caractère incident. Le renvoi est toutefois assorti d'uneinstruction précise: le Conseil d'Etat doit prendre un arrêté de classementdu bâtiment litigieux. Le gouvernement cantonal n'a ainsi plus aucune libertéde décision, s'agissant de l'application de l'art. 10 LPMNS et de la suite àdonner à la requête de la Société d'art public. Dans ces conditions, l'arrêtdu Tribunal administratif doit être assimilé à une décision finale, contrelaquelle le recours de droit public est ouvert en vertu de l'art. 87 OJ (ATF129 I 313 consid. 3.2 p. 317; cf. également ATF 128 I 3 consid. 1b p. 7; 116Ia 442 consid. 1b p. 445).Sous réserve d'exceptions non réalisées en l'espèce, le recours de droitpublic est de nature cassatoire et ne peut tendre qu'à l'annulation de ladécision attaquée (ATF 131 I 137 consid. 1.2 p. 139, 166 consid. 1.3 p. 169et les arrêts cités). Le chef de conclusions tendant à ce que le Tribunaladministratif soit invité à confirmer le rejet de la requête de classement,est donc irrecevable. Pour le reste, les conditions de recevabilité des art.84 ss OJ sont remplies et il y a lieu d'entrer en matière. 2.L'assujettissement d'un immeuble à des mesures de conservation ou deprotection du patrimoine bâti constitue une restriction du droit de propriétégaranti par l'art. 26 al. 1 Cst.; pour être compatible avec cettedisposition, l'assujettissement doit donc reposer sur une base légale, êtrejustifié par un intérêt public et respecter le principe de laproportionnalité (art. 36 al. 1 à 3 Cst.; ATF 126 I 219 consid. 2a p. 221 etles arrêts cités). La recourante soutient que cette dernière condition n'estpas remplie et elle conteste, en premier lieu, que son bâtiment ait lesqualités requises pour faire l'objet d'une mesure de classement; à ce propos,les normes du droit cantonal auraient été appliquées de manière arbitraire.Elle se plaint également d'une violation de la liberté économique (art. 27Cst.), le classement ayant pour effet de la contraindre à choisir un certaintype de locataires. 2.1 La loi cantonale sur la protection des monuments, de la nature et dessites a notamment pour but la conservation des monuments de l'histoire, del'art ou de l'architecture (art. 1 let. a LPMNS). Son chapitre II de la loiest consacré aux monuments et antiquités (art. 4 à 25 LPMNS). Il énonce enpremier lieu le principe de la "protection générale" des monuments etantiquités (art. 4 à 6 LPMNS). Conformément à l'art. 4 let. a LPMNS, cetteprotection s'applique aux "monuments de l'histoire, de l'art ou del'architecture [...] qui présentent un intérêt archéologique, historique,artistique, scientifique ou éducatif". La loi prévoit ensuite des instrumentspour la protection concrète de certains objets, à savoir l'inscription à uninventaire cantonal (art. 7 ss LPMNS) et le classement (art. 10 ss LPMNS).L'art. 10 al. 1 LPMNS dispose que "pour assurer la protection d'un monumentou d'une antiquité au sens de l'art. 4, le Conseil d'Etat peut procéder à sonclassement par voie d'arrêté assorti, au besoin, d'un plan approprié". Leclassement empêche la démolition de l'immeuble, les transformationsimportantes ou le changement de destination, à moins d'une autorisation duConseil d'Etat (art. 15 al. 1 LPMNS), et le propriétaire est tenu d'enassurer l'entretien (art. 19 LPMNS). L'art. 22 al. 1 LPMNS prévoit que l'Etatpeut participer financièrement aux frais de conservation, d'entretien et derestauration des immeubles classés.Pour reprendre la formule utilisée par le Tribunal administratif, laqualification de monument, au sens de l'art. 4 let. a LPMNS, est unecondition nécessaire mais non suffisante pour procéder au classement, car ildécoule de l'art. 10 LPMNS que le Conseil d'Etat doit effectuer une pesée detous les intérêts publics et privés en cause. 2.2 Le Tribunal administratif a considéré que le bâtiment litigieux était unmonument au sens de l'art. 4 LPMNS. Si tel est le cas, l'intérêt public desrestrictions de la propriété ordonnées pour en assurer la conservation peuten principe être reconnu (cf. ATF 126 I 219 consid. 2c p. 221; 119 Ia 305consid. 4b p. 309 et les arrêts cités). L'art. 4 let. a LPMNS, en tant qu'ilprévoit la protection de monuments de l'architecture présentant un intérêthistorique, scientifique ou éducatif, contient des concepts juridiquesindéterminés qui laissent par essence à l'autorité comme au juge une latituded'appréciation considérable. Il apparaît en outre que, depuis quelquesdécennies en Suisse, les mesures de protection ne s'appliquent plusuniquement à des monuments exceptionnels ou à des oeuvres d'art mais qu'ellesvisent des objets très divers du patrimoine architectural du pays, parcequ'ils sont des témoins caractéristiques d'une époque ou d'un style (cf.notamment: Philip Vogel, La protection des monuments historiques, thèseLausanne 1982 p. 25); la jurisprudence a déjà pris acte de cette évolution(ATF 126 I 219 consid. 2e p. 223). Néanmoins, comme tout objet construit nemérite pas une protection, il faut procéder à une appréciation d'ensemble, enfonction de critères objectifs ou scientifiques. Pour le classement d'unbâtiment, la jurisprudence prescrit de prendre en considération les aspectsculturels, historiques, artistiques et urbanistiques. La mesure ne doit pasêtre destinée à satisfaire uniquement un cercle restreint de spécialistes;elle doit au contraire apparaître légitime aux yeux du public ou d'une grandepartie de la population, pour avoir en quelque sorte une valeur générale (ATF120 Ia 270 consid. 4a p. 275; 118 Ia 384 consid. 5a p. 389). 2.3 La recourante estime qu'il est arbitraire de qualifier son bâtiment de"monument",
pour différents motifs. La volonté de le conserver serait celled'un cercle privilégié de spécialistes car, dans des pétitions adressées auxautorités cantonales et communales, de très nombreuses personnes se seraientprononcées en faveur de l'élimination d'un objet défigurant le quartier.L'intérêt de cet immeuble résiderait exclusivement dans une conceptiond'ensemble et dans son fonctionnalisme; or il se trouve aujourd'hui isolé,sans rapport de cohérence avec son environnement bâti, et il a perdu lafaculté d'assurer les fonctions pour lesquelles il a été créé, ayant étéconçu dans la perspective de besoins en matière de logement qui onttotalement changé.Selon la jurisprudence relative à l'art. 9 Cst., l'arbitraire ne résulte pasdu seul fait qu'une autre solution pourrait entrer en considération ou mêmequ'elle serait préférable; le Tribunal fédéral n'annulera la décisionattaquée que lorsque celle-ci est manifestement insoutenable, qu'elle setrouve en contradiction claire avec la situation de fait, qu'elle violegravement une norme ou un principe juridique indiscuté, ou encore lorsqu'elleheurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité. Pourqu'une décision soit annulée pour cause d'arbitraire, il ne suffit pas que lamotivation formulée soit insoutenable; il faut encore que la décisionapparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 132 I 175 consid. 1.2 p. 177;131 I 217 consid. 2.1 p.219 et les arrêts cités).Il est rappelé dans l'arrêt attaqué que le Conseil d'Etat ne s'était pasprononcé sur la qualification de "monument" pour l'immeuble litigieux, maisqu'il lui avait toutefois reconnu un intérêt architectural, historique,culturel et éducatif. Le Tribunal administratif a considéré que cet immeubleméritait cette qualification en raison de sa rareté et de son rôle de témoind'une époque, nonobstant le fait qu'il ne soit plus représentatif de la "CitéVieusseux". Il s'est fondé sur les avis des organismes spécialisés del'administration cantonale qui se sont prononcés dans ce sens, soit leconservateur cantonal des monuments et la commission cantonale des monumentset des sites. Un représentant de cette commission avait notamment exposédurant l'instruction que les particularités architecturales et la valeur del'immeuble étaient reconnues dans la littérature spécialisée ou les ouvragesde référence en Suisse et qu'il s'agissait du meilleur exemple del'architecture ouvrière des années 1930 en Suisse romande. En fonction de cescritères, il n'est pas manifestement insoutenable de considérer que lebâtiment litigieux présente, à divers titres, un intérêt tel qu'il puisseêtre qualifié de monument au sens de l'art. 4 let. a LPMNS. Le griefd'arbitraire est donc, de ce point de vue, mal fondé. Cet aspect n'esttoutefois pas décisif car il ne découle pas de cette qualification uneobligation de classer. 2.4 La recourante critique le résultat de la pesée des intérêts effectuée parle Tribunal administratif en dénonçant une restriction disproportionnée deson droit de propriété. Le principe de la proportionnalité, consacré à l'art.36 al. 3 Cst., veut qu'une mesure restrictive soit apte à produire lesrésultats escomptés (règle de l'aptitude) et que ceux-ci ne puissent êtreatteints par une mesure moins incisive (règle de la nécessité); en outre, ilinterdit toute limitation allant au-delà du but visé et il exige un rapportraisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis(principe de la proportionnalité au sens étroit, impliquant une pesée desintérêts). L'examen par le Tribunal fédéral de la proportionnalité d'unemesure de protection d'un bâtiment ou d'un site est en principe libre mais ils'exerce avec une certaine retenue (cf. notamment ATF 126 I 219 consid. 2c p.222). Sous cet angle, la jurisprudence du Tribunal fédéral, rappelée dansl'arrêt attaqué, précise que l'autorité ordonnant le classement d'un monumentdoit prendre des "précautions particulières" lorsque cette mesure a pourconséquence le maintien de l'affectation du bâtiment et l'obligation pour sonpropriétaire de poursuivre, même contre son gré, une activité économiquedéterminée; il faut donc établir les faits de telle manière qu'apparaissentclairement toutes les conséquences du classement, des points de vue del'utilisation future du bâtiment et des possibilités de rendement pour sonpropriétaire (ATF 126 I 219 consid. 2h p. 225/226).La présente affaire est particulière parce que le Conseil d'Etat, autoritécompétente pour décider du classement des monuments historiques, a refusé deprendre un arrêté dans ce sens. Il n'a pas ignoré les intérêts liés à laprotection du patrimoine architectural, puisqu'il a pris l'avis desorganismes spécialisés et qu'il n'en a pas contesté les éléments factuels.Toutefois, dans ces conditions, le Conseil d'Etat n'a pas examiné lerendement que la recourante pourrait retirer de son immeuble en cas declassement, et le montant des aides financières étatiques n'a jamais étéévalué; cela n'était pas critiquable vu sa décision à ce stade. Le Tribunaladministratif a complété l'instruction mais il n'a pas déterminé de manièreclaire toutes les conséquences du classement, notamment ses conséquencesfinancières pour la recourante. Il a considéré que les coûts de rénovation neseraient pas "exorbitants" par rapport à ceux d'une nouvelle construction,tout en admettant que cette opération "particulièrement lourde et coûteuse".S'agissant du rendement prévisible, il a effectué une appréciation sommaireglobale, tenant compte non seulement d''un projet de la recourante pour lamise en valeur de sa parcelle mais également d'un projet d'un autrepromoteur, la Société coopérative d'habitation Genève, qui pourrait êtreréalisé simultanément; cette appréciation globale tient compte du nombre delogements qui pourraient être mis à disposition sur plusieurs parcelles. Oraucune évaluation, même approximative, n'a été faite du rendement desappartements de l'immeuble litigieux, compte tenu de la catégorie delocataires visés, soit des étudiants et des apprentis; sous l'angle de laproportionnalité, c'est bien le rendement de l'immeuble dont le classementest ordonné qui est déterminant (notamment en comparaison avec celui escomptépar le propriétaire sans le classement), et non pas le rendement d'uneopération immobilière plus vaste, où la perte sur l'exploitation d'unimmeuble serait en quelque sorte compensée par des perspectives de profitdans la location d'autres bâtiments. Les conséquences du classement nedoivent en effet être appréciées que du point de vue du monument en cause.Par ailleurs, le Tribunal administratif enjoint la recourante de "solliciterles diverses aides étatiques envisageables", sans toutefois estimer lemontant de ces subventions. Aucun renseignement n'est en outre donné sur lesmodalités pratiques de collaboration entre le propriétaire etl'administration cantonale, laquelle n'avait du reste, avant l'annulation del'arrêté du Conseil d'Etat du 25 août 2004, pas de motif d'examiner d'officeces questions (à propos de la nécessité de cette collaboration, découlant del'application du principe de la proportionnalité: ATF 126 I 219 consid. 2h p.226). Dans ces conditions, les indications figurant dans l'arrêt attaqué sontnettement insuffisantes pour que l'on puisse qualifier la restriction deconforme au principe de la proportionnalité. Il s'ensuit que le grief deviolation de la garantie de la propriété est fondé. 2.5 Le recours de droit public doit donc être admis pour ce motif. Vu lanature cassatoire de ce moyen de droit (cf. supra, consid. 1), l'arrêtattaqué doit être annulé et il n'y a pas lieu de se prononcer sur le contenude la nouvelle décision que le Tribunal administratif sera amené à rendredans la présente contestation. Il est en conséquence superflu d'examiner lesautres griefs de la recourante, notamment le grief de violation de la libertééconomique. 3.Il se justifie de renoncer à percevoir un émolument judiciaire. L'intimée,qui succombe, devra payer à la recourante une indemnité à titre de dépens(art. 159 al. 1 et 2 OJ). Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 1.Le recours de droit public est admis, dans la mesure où il est recevable, etl'arrêt rendu le 1er novembre 2005 par le Tribunal administratif de laRépublique et canton de Genève est annulé. 2.Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire. 3.Une indemnité de 3'000 fr., à payer à la recourante Fondation des logementspour personnes âgées et isolées à titre de dépens, est mise à la charge del'intimée Société d'art public. 4.Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties, auConseil d'Etat et au Tribunal administratif de la République et canton deGenève. Lausanne, le 30 novembre 2006 Au nom de la Ire Cour de droit publicdu Tribunal fédéral suisse Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.842/2005
Date de la décision : 30/11/2006
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2006-11-30;1p.842.2005 ?
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