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27/11/2006 | SUISSE | N°1A.149/2006

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 27 novembre 2006, 1A.149/2006


{T 0/2}
1A.149/2006
1A.175/2006 /fzc

Arrêt du 27 novembre 2006
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président,
Aemisegger, Reeb, Fonjallaz et Eusebio.
Greffier: M. Kurz.

X. ________ Ltd,
recourante, représentée par Jean-Jacques Martin,

contre

Ministère public de la Confédération,
Taubenstrasse 16, 3003 Berne.

entraide judiciaire internationale en matière pénale à la Grèce,

recours de droit administratif contre les décisions du Ministère public de la
Confédération du 22 juin 2006
et du 2

1 juillet 2006.

Faits:

A.
Le 10 décembre 2004, une Commission d'enquête instituée par le Parlement grec
(ci-après: la commission...

{T 0/2}
1A.149/2006
1A.175/2006 /fzc

Arrêt du 27 novembre 2006
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président,
Aemisegger, Reeb, Fonjallaz et Eusebio.
Greffier: M. Kurz.

X. ________ Ltd,
recourante, représentée par Jean-Jacques Martin,

contre

Ministère public de la Confédération,
Taubenstrasse 16, 3003 Berne.

entraide judiciaire internationale en matière pénale à la Grèce,

recours de droit administratif contre les décisions du Ministère public de la
Confédération du 22 juin 2006
et du 21 juillet 2006.

Faits:

A.
Le 10 décembre 2004, une Commission d'enquête instituée par le Parlement grec
(ci-après: la commission d'enquête) a adressé à la Suisse une demande
d'entraide judiciaire. Elle expliquait que sa désignation, le 10 octobre
précédent, faisait suite à une requête déposée par le Ministère public
d'Athènes auprès de la Cour de cassation grecque, tendant à la poursuite
d'anciens membres du Gouvernement, pour d'éventuels délits de corruption.
Dans le cadre d'un contrat d'armement passé en 1999 entre la Grèce et la
société Y.________, cette dernière s'était engagée, aux termes d'un contrat
7/99, à des prestations compensatoires. Alors que celles-ci ne devaient,
conformément à la réglementation grecque, n'être rémunérées qu'après
exécution, le contrat prévoyait le versement d'une avance de 40%. Le 8 mars
2000, la société X.________ (Grèce), détenue par X.________ Ltd (ci-après:
X.________), qui avait le rôle d'intermédiaire entre les parties, avait
demandé à l'Etat grec de verser 25 millions d'USD à Y.________; ce versement
était intervenu le 24 avril 2000. Le 20 septembre 2000, Y.________ avait
versé environ 21 millions d'USD sur un compte détenu par Z.________, chargée
de la représenter face à l'Etat grec. Ces montants étaient ensuite parvenus
sur deux comptes détenus par X.________ auprès de la banque A.________ de
Genève. Ces versements ne correspondraient à aucune prestation contractuelle.
L'autorité requérante désirait être renseignée de manière complète sur les
deux comptes précités, afin de connaître les bénéficiaires des prestations
fictives.

La demande a été complétée à plusieurs reprises, en réponse à des questions
posées par les autorités suisses. Le 13 janvier 2005, l'autorité requérante a
notamment produit les dispositions pénales grecques relatives aux délits de
corruption. Le 29 mars 2005, elle a donné des précisions sur les
renseignements en sa possession, transmis en particulier par les autorités
chypriotes. Elle exposait qu'en vertu de l'art. 86 de la Constitution
hellénique, l'instruction concernant les anciens ministres était du ressort
exclusif du Parlement. La commission d'enquête avait cessé ses activités le
14 janvier 2005, mais les renseignements recueillis en Suisse pouvaient être
transmis au Parlement à qui il incomberait de poursuivre l'instruction.

B.
Par ordonnance du 2 mai 2005, le Ministère public de la Confédération
(ci-après: le MPC), chargé d'exécuter cette demande, est entré en matière,
estimant notamment satisfaite la condition de la double incrimination. Etait
requise la production de toute la documentation relative aux comptes n° xxx
et yyy détenus auprès de la banque A.________ par X.________.

C.
Le 20 mars 2006, le Procureur d'Athènes a également requis l'entraide
judiciaire de la Suisse, dans le cadre de son enquête pénale concernant les
mêmes faits. Il expliquait qu'à l'issue de l'instruction préalable, le
dossier avait été transmis au Parlement afin d'examiner la possibilité de
poursuites pénales contre les anciens ministres. Pour les autres personnes,
la procédure pénale ordinaire suivait son cours, ce qui nécessitait la
production des documents relatifs aux deux comptes précités.

Le MPC est entré en matière le 2 mai 2006. Les documents requis avaient déjà
été saisis, mais la banque a été invitée, le même jour, à fournir des pièces
complémentaires.

D.
Le 26 avril 2006, le Parlement grec a répondu à de nouvelles questions posées
par les autorités suisses. La demande d'entraide du 10 décembre 2004 était
maintenue. Conformément à l'art. 68 de la Constitution grecque, la commission
d'enquête, dont le rôle était un contrôle de nature politique, avait été
créée pour instruire sur des "questions particulières d'intérêt public". Elle
disposait des mêmes compétences qu'une autorité d'instruction pénale. Les
renseignements demandés à la Suisse demeuraient d'actualité car il
appartiendrait au Parlement de décider, sur le vu de ces renseignements, si
la responsabilité pénale d'anciens membres du gouvernement paraissait
engagée, et de mettre sur pied le cas échéant une nouvelle commission
d'enquête au sens de l'art. 86 de la Constitution. Un comité spécial avait
été désigné, le 20 mars 2006, afin d'examiner les documents remis par la
Suisse et les Etats-Unis.

E.
Par ordonnance de clôture du 22 juin 2006, le MPC a décidé de transmettre au
Procureur d'Athènes les documents d'ouverture, extraits, avis et
correspondances relatifs aux comptes n° xxx et yyy détenus par X.________
Ltd. Les versements mentionnés par l'autorité requérante avaient pu être
individualisés, ainsi que les transferts effectués ultérieurement; les deux
comptes avaient été utilisés comme comptes de passage.

Par ordonnance de clôture du 21 juillet 2006, le MPC a également ordonné la
transmission des mêmes renseignements en exécution de la demande d'entraide
formée par la commission parlementaire. En dépit des objections de
X.________, la compétence de cette commission avait été confirmée à plusieurs
reprises; une nouvelle commission était d'ailleurs spécialement chargée de
recueillir les renseignements. Le principe de la spécialité était rappelé
dans les deux décisions du MPC.

F.
X.________ Ltd a formé deux recours de droit administratif. Le premier (cause
1A.149/2006) est dirigé contre la décision du 22 juin 2006, le second (cause
1A.175/2006) contre celle du 21 juillet 2006. La recourante demande
préalablement la jonction des deux causes et, dans la cause 1A.149/2006, la
suspension de l'instruction jusqu'à détermination du Ministère grec de la
justice sur la lettre envoyée le 23 juin 2006 par le MPC afin de savoir si la
poursuite pénale était toujours en cours; principalement, elle conclut à
l'annulation des décisions de clôture et à l'irrecevabilité des demandes
d'entraide. Subsidiairement, dans la cause 1A.175/2006, elle demande le
renvoi de la cause au MPC afin qu'il instruise sur les irrégularités
dénoncées dans une lettre du 13 juillet 2006, concernant certains documents
bancaires que la recourante qualifie de faux.

Le MPC conclut au rejet des recours; il produit une détermination du
procureur grec, du 7 août 2006, traduite en anglais, selon laquelle une
instruction pénale ordinaire serait toujours pendante, à l'encontre notamment
de l'un des ayants droit de la société recourante. L'Office fédéral de la
justice se rallie au contenu des décisions attaquées. La recourante a
répliqué.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Les recours de droit administratif sont interjetés en temps utile contre deux
décisions prises par l'autorité fédérale d'exécution, relatives à la clôture
de la procédure d'entraide judiciaire (art. 80g al. 1 de la loi fédérale sur
l'entraide internationale en matière pénale - EIMP, RS 351.1). La recourante
a qualité pour recourir dans la mesure où les décisions attaquées ordonnent
la transmission de renseignements relatifs à des comptes bancaires dont elle
est titulaire (art. 9a let. a OEIMP). Compte tenu de leur connexité, les
causes peuvent être jointes afin qu'il soit statué par un même arrêt.

2.
La recourante se plaint en premier lieu d'une violation de son droit d'être
entendue (art. 29 al. 2 Cst. et 80b EIMP). Elle reproche au MPC de ne pas lui
avoir permis de consulter diverses communications de l'OFJ ou du MPC,
relatives notamment aux compléments demandés à l'autorité requérante. Ces
refus ne seraient pas motivés. Dans sa réponse, le MPC prétend avoir remis,
au terme d'un long échange de lettres, les pièces dont la recourante
demandait la consultation. La recourante reproche aussi au MPC de ne pas
avoir motivé sa décision de clôture du 22 juin 2006. La recourante faisait
valoir que le Procureur d'Athènes aurait transmis le dossier au Parlement et
fait savoir qu'aucune responsabilité pénale n'était retenue à l'encontre des
"non-politiciens"; la décision attaquée ne répondrait rien à cet argument.

2.1 Selon le principe général de l'art. 29 al. 2 Cst., les parties ont le
droit d'être entendues. Cela inclut le droit de s'expliquer, de fournir des
preuves quant aux faits de nature à influer sur la décision, d'avoir accès au
dossier, de participer à l'administration des preuves, d'en prendre
connaissance et de se déterminer à leur propos (ATF 127 I 54 consid. 2b p.
56; 126 V 130 consid. 2 p. 130-132). Le droit de consulter le dossier s'étend
à toutes les pièces décisives pour l'issue de la cause; a contrario, la
consultation des pièces non pertinentes peut être refusée (cf. ATF 121 I 225
consid. 2a p. 227).

En matière d'entraide judiciaire, le droit d'être entendu est mis en oeuvre
par l'art. 80b EIMP et par les art. 26 et 27 PA (par renvoi de l'art. 12 al.
1 EIMP). Ces dispositions permettent à l'ayant droit, à moins que certains
intérêts ne s'y opposent (art. 80b al. 2 EIMP), de consulter le dossier de la
procédure, la demande d'entraide et les pièces annexées. La consultation ne
s'étend en tout cas qu'aux pièces pertinentes (art. 26 al. 1 let. a, b et c
PA; ATF 119 Ia 139 consid. 2d, 118 Ib 438 consid. 3).

Sur le vu de ces principes, la recourante ne saurait prétendre, comme elle le
fait, à un accès intégral et inconditionnel au dossier. Il y a lieu de
s'interroger sur la pertinence des pièces dont elle prétend n'avoir pas eu
connaissance.

2.2 Il s'agit, pour l'essentiel, des interpellations adressées à l'autorité
requérante afin d'obtenir des informations complémentaires. Il ne s'agit pas
là de pièces essentielles de la procédure. En effet, l'admissibilité et
l'étendue de l'entraide judiciaire doivent être examinées sur le seul vu des
informations fournies, spontanément ou non, par l'autorité requérante.

La recourante prétend aussi à une consultation du dossier pour y vérifier la
présence d'une lettre écrite par un parlementaire grec en réponse aux
questions posées par l'OFJ le 8 décembre 2005. La recourante était en
possession de ce document, et a pu le produire devant l'autorité intimée au
cas où celui-ci ne figurait pas déjà au dossier. Il n'y a pas non plus de
violation de son droit d'être entendue sur ce point.

2.3 Il est vrai qu'après avoir rappelé les arguments soulevés par la
recourante, la décision du 22 juin 2006 ne répond nullement à l'argument
concernant le dessaisissement du Procureur d'Athènes. Le MPC a demandé des
explications à ce sujet à l'autorité requérante, et sa réponse ne lui est
parvenue qu'après le prononcé de la décision de clôture. Quoi qu'il en soit,
une éventuelle violation de l'obligation de motiver peut être réparée dans le
cadre de la procédure de recours lorsque, comme en l'espèce, la recourante a
eu l'occasion de se déterminer sur les nouvelles pièces produites (ATF 118 Ib
111 consid. 4 p.120).

3.
Sur le fond, la recourante invoque l'art. 1 al. 1 let. b et al. 3 EIMP, en
soutenant qu'aucune autorité judiciaire ne serait plus en charge du dossier
en Grèce. Le Procureur d'Athènes ne serait plus saisi (art. 5 al. 1 let. a
EIMP) et ni la commission parlementaire, ni le comité spécial institué le 20
mars 2006 n'auraient d'attributions judiciaires.

3.1 Selon les art. 1 et 3 CEEJ, l'entraide judiciaire est accordée pour les
besoins d'une procédure de la compétence d'une autorité judiciaire
lorsqu'elle est requise par une telle autorité (cf. également l'art. 15
par.1 à 4 CEEJ). Selon l'art. 24 CEEJ, les parties contractantes peuvent, au
moyen d'une déclaration, indiquer quelles autorités elles considèrent comme
autorités judiciaires aux fins de la convention. La Grèce n'a pas procédé à
cette désignation.

3.2 La coopération judiciaire internationale en matière pénale ne peut être
accordée, par définition, que pour la poursuite d'infractions pénales dont la
répression relève de la compétence des autorités judiciaires de l'Etat
requérant (art. 1 al. 3 EIMP; Zimmermann, La coopération judiciaire
internationale en matière pénale, Berne 2004 p. 373). Il faut, en d'autres
termes, qu'une action pénale soit ouverte dans l'Etat requérant (arrêt
1A.32/2000 du 19 juin 2000, consid. 7 non publié à l'ATF 126 II 258). Cela
n'implique pas nécessairement une inculpation ou une mise en accusation
formelle; une enquête préliminaire suffit, pour autant qu'elle puisse aboutir
au renvoi d'accusés devant un tribunal compétent pour réprimer les
infractions à raison desquelles l'entraide est demandée (ATF 123 II 161
consid. 3a p. 165; 118 Ib 457 consid. 4b p. 460; 116 Ib 452 consid. 3a p.
460/461, et les arrêts cités).

La collaboration judiciaire de la Suisse a ainsi pu être accordée pour des
enquêtes menées par des autorités administratives, dans la mesure où
celles-ci constituaient le préalable à la saisine des autorités judiciaires
compétentes pour procéder à une mise en accusation (ATF 109 Ib 50 consid. 3
concernant la Securities and Exchange Commission) et pouvaient aboutir au
renvoi devant un juge pénal (ATF 121 II 153). L'entraide est aussi accordée
pour des procédures préliminaires, lorsque l'Etat requérant déclare d'emblée
et clairement qu'il a la volonté d'ouvrir une procédure pénale (ATF 132 II
178 consid. 2.2 p.181; 113 Ib 257 consid. 5 p. 271).

3.3 En l'occurrence, il ne fait guère de doute que le Procureur d'Athènes a
bien ouvert une enquête préliminaire de nature pénale à raison des faits pour
lesquels l'entraide est requise. S'étant aperçu que la responsabilité pénale
d'anciens membres du gouvernement pouvait être engagée, il s'est adressé au
Parlement, compétent en cette matière. S'agissant des autres suspects,
l'instruction pénale s'est poursuivie.

La recourante ne conteste pas l'existence d'une enquête pénale, ni la
compétence du Procureur d'Athènes; elle prétend que celui-ci aurait mis fin à
son instruction en mai 2006, en déposant un rapport final.
Il en ressortirait
que l'intégralité du dossier aurait été transmise au Parlement, dans la
mesure où toutes les personnes concernées auraient agi avec l'aval du
Ministre de la défense et n'encourraient pas de responsabilité pénale propre.
Contrairement à ce que soutient la recourante, on ne saurait en déduire que
l'action pénale en Grèce serait définitivement éteinte, au sens de l'art. 5
EIMP. Apparemment, le Procureur d'Athènes a considéré que la poursuite pénale
ne pouvait pas être menée indépendamment du sort de la procédure dirigée
contre les principaux suspects, soit les anciens membres du gouvernement.
Rien ne permet toutefois d'affirmer que l'action pénale serait définitivement
éteinte, comme cela serait le cas après le prononcé formel d'un non-lieu ou
d'un acquittement. Lorsqu'il est affirmé que les participants accessoires
n'ont pas agi indépendamment des anciens ministres, cela ne signifie pas
forcément qu'ils doivent être mis hors de cause, mais plutôt que leur sort
dépend de l'issue de la procédure dirigée contre les ministres, auteurs
principaux. Interpellé à ce sujet, le Procureur d'Athènes a confirmé, le 7
août 2006, la transmission du dossier au Parlement, tout en précisant que la
même affaire a donné lieu à l'ouverture, devant la Cour de première instance
d'Athènes, d'une procédure pour blanchiment d'argent, toujours pendante. Cela
suffit pour admettre l'existence d'une procédure pénale.

Au demeurant, même si l'entier de l'affaire était désormais du ressort
exclusif du Parlement, cela ne constituerait pas une entrave à l'entraide
judiciaire. En effet, dès lors que le Procureur d'Athènes était bien
compétent au moment où il a requis l'entraide judiciaire (ce qui n'est pas
contesté), les documents d'exécution devraient être transmis à l'autorité
devenue compétente dans l'intervalle et qui a, comme en l'espèce, déclaré son
intérêt pour les renseignements recueillis en Suisse. Une telle déclaration
peut avoir un effet réparateur, et la validité des actes d'entraide exécutés
jusque-là n'en serait pas affectée (cf. art. 28 al. 6 EIMP). Cela aurait pour
seul inconvénient le fait que les pièces seront envoyées à double au
Parlement, dans la mesure où il est aussi donné suite à sa propre demande
d'entraide.

4.
La recourante conteste également la recevabilité de la demande d'entraide
présentée par le Parlement grec. La commission d'enquête formée le 14 octobre
2004 ne serait pas fondée sur l'art. 86 de la Constitution grecque (qui
confère des pouvoirs judiciaires et peut aboutir à la levée de l'immunité et
au renvoi des intéressés devant un tribunal spécial), mais sur l'art. 68 de
cette Constitution: il s'agirait d'une commission investie d'une mission de
surveillance politique du Parlement sur le Gouvernement, sans attributions
juridictionnelles ni fonction pénale. La recourante produit de nombreux
documents à l'appui de sa thèse (avis de droit, procès-verbaux de séances du
Parlement, règlement du Parlement), et reproche à l'autorité requérante
d'avoir induit les autorités suisses en erreur sur ce point. La mission de la
commission se serait achevée par le dépôt de son rapport le 14 janvier 2005.
Le Parlement n'aurait décidé ni de prolonger la mission, ni de nommer une
commission fondée sur l'art. 86 de la Constitution, ni de poursuivre lui-même
l'enquête. Le comité désigné le 20 mars 2006 par la Présidente du Parlement
serait une simple commission d'experts, sans pouvoir d'investigation.

4.1 Contrairement à ce que soutient la recourante, l'entraide judiciaire peut
être accordée par la Suisse pour une enquête menée par une commission
parlementaire (ATF 132 II 178 consid. 2.2 p. 182; 126 II 316 consid. 4 p.
322). Il suffit que celle-ci puisse aboutir au renvoi des intéressés devant
un tribunal compétent pour réprimer les actes délictueux qui leur sont
reprochés (ATF 113 Ib 257 consid. 5a p. 270; arrêt 1A.207/1989 du 8 février
1990 concernant également l'entraide judiciaire requise par une commission
d'enquête du Parlement grec). La jurisprudence citée par la recourante (ATF
126 II 316) rappelle que l'entraide requise par une commission d'enquête
parlementaire ne peut être accordée lorsqu'elle est destinée à des fins
exclusivement politiques, de manière totalement indépendante d'une poursuite
de caractère pénal (consid. 3b p. 321). Tel n'est pas le cas en l'occurrence.

4.2 La demande d'entraide initiale expose clairement que le but de l'enquête
est de déterminer si la responsabilité pénale d'anciens ministres paraît
engagée. Dans l'affirmative, l'affaire pourrait être soumise à un tribunal
spécial, prévu par la Constitution et la législation grecques. Le complément
du 13 janvier 2005 fait apparaître que les infractions poursuivies ont un
caractère strictement pénal, puisqu'il s'agit de délits de corruption
réprimés aux art. 235 et 236 du code pénal grec. Cela ressort également du
fait que la procédure a son origine dans l'instruction pénale menée par le
Procureur d'Athènes, et n'en constitue que le prolongement, en raison de la
mise en cause d'anciens ministres.

La recourante fait grand cas de la distinction faite, dans la Constitution
grecque, suivant que la commission d'enquête est désignée en application de
l'art. 68 ou 86. Il est vrai que l'autorité ne s'est pas montrée des plus
explicite à ce sujet, tout en mentionnant dans ses dernières écritures
qu'elle avait été désignée en application de l'art. 68 de la Constitution.
Point n'est toutefois besoin d'approfondir la question. En effet, selon la
jurisprudence constante, l'autorité suisse requise doit certes s'assurer de
la compétence répressive de l'Etat requérant (cf. notamment l'art. 5 EIMP);
elle s'interdit en revanche d'examiner la compétence de l'autorité requérante
au regard des normes d'organisation ou de procédure de l'Etat étranger. Ce
n'est qu'en cas d'incompétence manifeste, faisant apparaître la demande comme
un abus caractérisé - voire comme un défaut grave de la procédure étrangère
au sens de l'art. 2 EIMP -, que l'entraide peut être refusée (ATF 116 Ib 89
consid. 2c/aa p. 92 et la jurisprudence citée).
Il n'y a pas en l'occurrence d'incompétence manifeste de l'autorité
requérante. En effet, la demande d'entraide a pour cadre une procédure dont
le Parlement grec a été valablement saisi, par le Ministère public, en raison
de l'implication possible d'anciens membres du gouvernement. Une commission
d'enquête a été désignée le 14 octobre 2004, présidée par le "troisième
vice-président du Parlement". La commission d'enquête a clos ses travaux par
le dépôt devant le Parlement, le 14 janvier 2005, d'un rapport final. Une
nouvelle commission a été expressément désignée par la Présidente du
Parlement afin de recueillir les renseignements remis en exécution de la
demande d'entraide.

L'entraide est en définitive requise pour les besoins d'une procédure
actuellement entre les mains du Parlement, et rien ne permet d'exclure
qu'après examen de ces renseignements, cette autorité pourra prendre une
décision quant à la poursuite pénale des anciens ministres. La désignation
d'une commission fondée sur l'art. 86 de la Constitution grecque est
d'ailleurs toujours possible. Cela suffit pour admettre que l'entraide
requise conserve son objet, sans qu'il y ait à s'interroger sur les pouvoirs
dont disposent les commissions successivement chargées de la cause. Cela
conduit également à rejeter l'argument de la recourante selon laquelle les
anciens ministres bénéficieraient toujours de leur immunité, puisque l'objet
de l'entraide est précisément de décider s'il convient ou non de poursuivre
les intéressés, ce qui implique une levée de l'immunité.

5.
La recourante soutient ensuite qu'il n'existerait aucun indice de
comportement pénalement répréhensible dans le contexte du contrat d'armement
entre la Grèce et la Russie. Les défaillances du groupe Y.________ seraient
un simple problème contractuel. Le droit grec n'interdirait pas le versement
d'avances dans le cadre d'un contrat de compensation; le terme de "crédits"
aurait été mal interprété; il n'y aurait jamais eu de versement de 25
millions d'USD de la part de l'Etat grec. La clôture de l'instruction
préliminaire par le Procureur d'Athènes confirmerait cette absence de
soupçons.

5.1 Selon l'art. 14 CEEJ, la demande d'entraide doit notamment indiquer son
objet et son but (ch. 1 let. b), ainsi que l'inculpation et un exposé
sommaire des faits (ch. 2). Ces indications doivent permettre à l'autorité
requise de s'assurer que l'acte pour lequel l'entraide est demandée est
punissable selon le droit des Parties requérante et requise (art. 5 ch. 1
let. a CEEJ), qu'il ne constitue pas un délit politique ou fiscal (art. 2 al.
1 let. a CEEJ), que l'exécution de la demande n'est pas de nature à porter
atteinte à la souveraineté, à la sécurité, à l'ordre public ou à d'autres
intérêts essentiels du pays (art. 2 let. b CEEJ), et que le principe de la
proportionnalité est respecté (ATF 118 Ib 111 consid. 4b et les arrêts
cités). Le droit interne (art. 28 EIMP) pose des exigences équivalentes, que
l'OEIMP précise en exigeant l'indication du lieu, de la date et du mode de
commission des infractions (art. 10 OEIMP).

5.2 La demande d'entraide et ses différents compléments satisfont pleinement
à ces exigences. Sont notamment exposés les détails du contrat d'armement
principal passé en 1999 entre la Grèce et la société Y.________, et du
contrat accessoire par lequel cette dernière s'engageait à des prestations
compensatoires. Contrairement à ce que soutient la recourante, l'obligation,
imposée par la réglementation de l'Etat requérant, de ne rémunérer ces
prestations qu'après exécution, ressort clairement de la demande. Le
versement anticipé, prévu par le contrat accessoire, constitue l'un des
motifs qui ont conduit les autorités requérantes à soupçonner l'existence
d'actes de corruption. La recourante conteste également en vain la mention
d'un versement effectué à la demande de X.________. Son grief se résume en
définitive à une simple argumentation à décharge, irrecevable dans ce
contexte. Quant à la clôture de l'instruction préalable du Procureur
d'Athènes, elle est motivée par la nécessité d'éclaircir au préalable les
agissements reprochés aux anciens ministres, et ne signifie pas, comme cela
est relevé ci-dessus, un abandon définitif des charges.

6.
La recourante estime que les demandes d'entraide violeraient le principe de
la spécialité, car les informations transmises par la Suisse seront portées à
connaissance du Parlement grec, et risqueront d'être largement diffusées.

6.1 Selon l'art. 67 EIMP, les renseignements et documents obtenus par voie
d'entraide ne peuvent, dans l'Etat requérant, ni être utilisés aux fins
d'investigation ni être produits comme moyens de preuve dans une procédure
pénale visant une infraction pour laquelle l'entraide est exclue. Ces
infractions sont celles qui figurent à l'art. 3 EIMP (ATF 124 II 184 consid.
4b p. 187).

6.2 Dans la mesure où l'entraide est requise pour les besoins d'une procédure
actuellement pendante devant le Parlement grec, la transmission des documents
à la commission spécialement désignée dans ce but ne viole en rien le
principe de la spécialité. Celui-ci ne tend d'ailleurs pas à garantir une
confidentialité absolue: compte tenu de la garantie générale d'un procès
public (cf. notamment l'art. 6 CEDH), il est fréquent que les informations
données par voie d'entraide soient largement diffusées dans l'Etat requérant.
L'essentiel est que cet Etat n'utilise pas les renseignements à des fins
prohibées, et notamment fiscales. Rien ne permet de redouter en l'occurrence
une telle utilisation, les décisions attaquées comportant un rappel exhaustif
du principe de la spécialité. La recourante, qui a son siège aux Iles Vierges
Britanniques, ne prétend d'ailleurs pas courir le risque d'une utilisation à
des fins fiscales en Grèce.

7.
Invoquant l'art. 2 EIMP, la recourante estime que la procédure menée à
l'étranger comporterait des défauts graves. La Présidente du Parlement
cumulerait les pouvoirs parlementaires, exécutifs et judiciaires. L'autorité
requérante aurait plusieurs fois travesti les faits, notamment en prétendant
que la commission d'enquête avait été instituée sur la base de l'art. 86 de
la Constitution grecque.

7.1 Selon l'art. 2 EIMP, la demande d'entraide est irrecevable s'il y a lieu
d'admettre que la procédure à l'étranger [a] n'est pas conforme aux principes
de procédure fixés par la CEDH ou par le Pacte ONU II, ou [d] présente
d'autres défauts graves. Cette disposition a pour but d'éviter que la Suisse
ne prête son concours à des procédures qui ne garantiraient pas à la personne
poursuivie un standard de protection minimal correspondant à celui offert par
le droit des Etats démocratiques, défini en particulier par les deux
instruments précités, ou qui se heurteraient à des normes reconnues comme
appartenant à l'ordre public international (ATF 122 II 140 consid. 5a et les
arrêts cités).

7.2 La recourante, personne morale ayant son siège hors de l'Etat requérant,
n'est pas touchée par les défauts qu'elle entend dénoncer, et n'a donc pas
qualité pour agir sur ce point (ATF 125 II 356 consid.8b p. 365). Les
objections soulevées à ce propos ne sauraient d'ailleurs faire obstacle à
l'entraide. En effet, quelle que soit la portée de l'intervention de la
Présidente du Parlement grec, il n'est pas prétendu que celle-ci puisse avoir
une influence sur l'autorité qui pourra être chargée de l'instruction
proprement dite, puis, le cas échéant, du jugement. Pour le surplus, ni les
imprécisions de l'autorité requérante quant à ses fondements
constitutionnels, ni les incertitudes quant à la suite de la procédure ne
constituent des défauts de la procédure menée à l'étranger.

7.3 La recourante n'a pas non plus qualité pour dénoncer le contexte
politique de l'affaire. La mise en cause d'anciens ministres, par le biais
notamment d'une commission parlementaire qui pourrait aboutir à une décision
de levée d'immunité, comporte inévitablement un aspect politique. Cela ne
suffit toutefois pas pour faire application des art. 3 al. 1 EIMP et 2 let. a
CEEJ (délit politique absolu ou relatif, ou faits connexes à un tel délit).
Cela ne permet pas non plus de suspecter, dans un Etat démocratique comme
l'Etat requérant, basé sur le principe
de la séparation des pouvoirs, un
manque d'impartialité des magistrats qui pourraient un jour être appelés à
statuer sur le caractère délictueux des faits décrits. Il n'existe aucun
indice sérieux d'une dépendance du pouvoir judiciaire envers le monde
politique, ou envers l'opinion publique (cf. ATF 115 Ib 68 consid. 6 p. 86).
En réplique, la recourante évoque les circonstances ayant entouré le dépôt de
la dénonciation à l'origine de la procédure, les soupçons de falsifications
de documents, la demande de démission du Ministre de la Justice et les
pressions dont les autorités suisses seraient l'objet de la part du Ministère
grec de la justice. Dans la mesure où les conditions posées à l'octroi de
l'entraide sont réunies, il n'appartient pas à l'autorité ou au juge de
l'entraide de s'immiscer dans ces questions, qui devront le cas échéant être
résolues dans l'Etat requérant.

7.4 Les circonstances évoquées par la recourante dans sa réplique ne
constituent pas non plus un motif de déroger à la pratique selon laquelle la
question de la prescription n'a pas à être examinée lorsque la demande
d'entraide émane, comme en l'espèce, d'un Etat partie à la CEEJ (ATF 117 Ib
53).

8.
La recourante relève enfin que l'un des deux comptes concernés aurait été
ouvert et utilisé par l'un de ses actionnaires, à l'insu et au détriment des
deux autres. Les documents en question n'en attestent pas moins d'un fait
réel, soit l'ouverture et l'utilisation d'un compte par l'un des ayants droit
de la recourante. Même si les circonstances de l'ouverture de ce compte sont
suspectes, cela n'enlève rien ni à la recevabilité de principe de la demande
d'entraide, ni à l'intérêt des documents en question pour l'autorité
étrangère. Les faits invoqués par la recourante viennent au contraire
confirmer les soupçons de l'autorité requérante. Qu'il soit présenté comme
objection à l'entraide judiciaire (cause 1A.149/2006) ou comme motif de
surseoir à son octroi (cause 1A.175/2006), le grief doit être écarté.

9.
Sur le vu de ce qui précède, les recours doivent être rejetés, dans la mesure
où ils sont recevables. Conformément à l'art. 156 al. 1 OJ, un émolument
judiciaire global est mis à la charge de la recourante, qui succombe.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Les causes 1A.149/2006 et 1A.175/2006 sont jointes.

2.
Les recours sont rejetés dans la mesure où ils sont recevables.

3.
Un émolument judiciaire de 8'000 fr. est mis à la charge de la recourante.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire de la recourante et au
Ministère public de la Confédération ainsi qu'à l'Office fédéral de la
justice (B 154 516).

Lausanne, le 27 novembre 2006

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1A.149/2006
Date de la décision : 27/11/2006
1re cour de droit public

Analyses

Art. 1 et 3 CEEJ; art. 1 al. 3, art. 2 et 67 EIMP; demandes d'entraidejudiciaire formées par un procureur et par une commission d'enquêteparlementaire grecs. L'entraide peut être accordée tant pour les besoins de la procédure pénaleordinaire (consid. 3) que pour l'enquête de la commission parlementaire,susceptible d'aboutir à la poursuite pénale d'anciens ministres (consid. 4).Le principe de la spécialité ne peut empêcher toute diffusion, dans l'Etatrequérant, des informations recueillies en Suisse (consid. 6). La procédureétrangère ne présente ni défauts graves (consid. 7.2), ni caractèrepolitique (consid. 7.3).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2006-11-27;1a.149.2006 ?
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