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23/11/2006 | SUISSE | N°6S.254/2006

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 23 novembre 2006, 6S.254/2006


{T 0/2}6S.254/2006 /rod Séance du 23 novembre 2006Cour de cassation pénale MM. les Juges Schneider, Président,Wiprächtiger, Kolly, Karlen et Zünd.Greffier: M. Oulevey. X. ________,recourant, représenté par Me Jean-Marc Carnicé, avocat, contre Procureur général du canton de Genève,case postale 3565, 1211 Genève 3. Pornographie (art. 197 ch. 3bis CP), pourvoi en nullité contre l'arrêt de la Cour de cassation du canton de Genèvedu 28 avril 2006. Faits: A.Par ordonnance du 6 mai 2003, le Procureur général du canton de Genève acondamné X.________ pour pornographie (art. 197 ch. 3

bis CP) à six moisd'emprisonnement avec sursis pendant cinq ans et...

{T 0/2}6S.254/2006 /rod Séance du 23 novembre 2006Cour de cassation pénale MM. les Juges Schneider, Président,Wiprächtiger, Kolly, Karlen et Zünd.Greffier: M. Oulevey. X. ________,recourant, représenté par Me Jean-Marc Carnicé, avocat, contre Procureur général du canton de Genève,case postale 3565, 1211 Genève 3. Pornographie (art. 197 ch. 3bis CP), pourvoi en nullité contre l'arrêt de la Cour de cassation du canton de Genèvedu 28 avril 2006. Faits: A.Par ordonnance du 6 mai 2003, le Procureur général du canton de Genève acondamné X.________ pour pornographie (art. 197 ch. 3bis CP) à six moisd'emprisonnement avec sursis pendant cinq ans et à 2'000 fr. d'amende. Cetteordonnance est entrée en force. Postérieurement, les autorités américaines ont dissous une association quioffrait, dans un but commercial, l'accès à des sites internet présentant desimages de pornographie enfantine. Il ressort des données saisies en mains decette association que X.________ s'était abonné contre paiement à l'un de cessites et qu'il avait téléchargé l'image d'une enfant nue. X. ________ a été interpellé à son domicile le 6 septembre 2004. Peu avantl'arrivée des inspecteurs, il avait enclenché son ordinateur et lancé unlogiciel de nettoyage, afin d'effacer les fichiers sauvegardés - ce qui a eupour effet d'en altérer environ mille. La police a saisi l'installation. Chargée d'analyser les données stockées dans le disque dur, la Brigade derépression de la criminalité informatique a trouvé, dans les zones nonallouées et dans le cache du navigateur web, des images et des filmspornographiques à caractère principalement pédophile et zoophile. Dans sonrapport du 8 septembre 2004, elle a indiqué que, si aucune informationillicite n'avait visiblement été sauvegardée dans les répertoires personnelsde X.________, il ne faisait cependant pas de doute que celui-ci avait visitéplusieurs sites contenant des représentations illicites, dès lors qu'on avaittrouvé plusieurs dizaines d'images illicites en zones non allouées, destraces importantes de mots-clés spécifiques aux sites pédophiles et plusieursfichiers témoins (cookies) dont les noms de sites sont explicitement àcaractère pédophile ou zoophile. B.Par jugement du 13 janvier 2006, le Tribunal de police du canton de Genève aacquitté X.________ du chef de pornographie au sens de l'art. 197 ch. 3bisCP. Il a considéré qu'il n'était pas établi que l'accusé eût téléchargé desimages répréhensibles durant la période de 2003 et 2004 visée par la feuilled'envoi. Il a aussi jugé que la sauvegarde d'images pornographiques àcaractère pédophile ou zoophile sur des fichiers temporaires n'était paspunissable, dès lors qu'elle ne résultait pas de la volonté de l'utilisateuret qu'elle ne donnait pas à celui-ci une maîtrise de l'objet qualifiable depossession. Le tribunal en a conclu que le délit prévu à l'art. 197 ch. 3bisCP n'était pas réalisé. Sur pourvoi du Ministère public, la Cour de cassation du canton de Genève a,par arrêt du 28 avril 2006, annulé ce jugement, déclaré X.________ coupablede pornographie au sens de l'art. 197 ch.3bis CP et renvoyé la cause auxpremiers juges pour nouveau jugement. Se référant à l'état de fait noncontesté du jugement de première instance, la cour cantonale a considéré quele recourant, qui avait utilisé son "moteur de recherche" (recte: sonnavigateur web) de nombreuses fois sur son nouvel ordinateur après sonpremier épisode pénal, ne pouvait avoir ignoré que des représentationsmettant en scène des enfants étaient dupliquées et sauvegardées lorsqu'ildirigeait sa recherche sur des fichiers au contenu illicite. Le simple faitde consulter régulièrement de tels sites tombait, selon la cour cantonale,sous la définition de la possession au sens de la jurisprudence, cecomportement impliquant la volonté d'avoir accès à de telles images, au moinsprovisoirement. Le recourant avait donc pris sciemment le risque que sonnavigateur web enregistre, et donc recopie et fabrique, des images illicites.La cour cantonale en a conclu que le délit prévu à l'art. 197 ch. 3bis CPétait réalisé par dol éventuel. C.Contre cet arrêt, dont il demande l'annulation, X.________ se pourvoit ennullité pour violation des art. 18 al. 2 et 197 ch. 3bis CP. Il assortit son pourvoi d'une requête d'effet suspensif. Le Procureur général du canton de Genève conclut au rejet du pourvoi. Le Tribunal fédéral considère en droit: 1.1.1 Le pourvoi en nullité est ouvert contre les arrêts de dernière instancecantonale qui ne mettent pas fin à la cause mais tranchent définitivement unequestion de droit fédéral, notamment contre ceux qui déclarent l'accusécoupable d'un délit, contrairement au jugement de première instance, etrenvoient la cause aux juges précédents pour qu'ils fixent la peine (ATF 124IV 170 consid. 1 p. 171 s. et les références). Dirigé contre un tel arrêt etformé en temps utile, par le condamné, pour violation de règles de droitfédéral, le présent pourvoi est dès lors recevable (art. 268 ch. 1, 269 al.1, 270 let. a et 272 al. 1 PPF). 2.Le pourvoi en nullité est ouvert uniquement pour se plaindre de fausseapplication du droit fédéral (art. 269 al. 1 PPF) aux faits constatés par lacour cantonale (art. 277bis al. 1 PPF). Les motifs que le recourant doitdévelopper dans son mémoire, à peine d'irrecevabilité (ATF 126 IV 6 consid.5.1 et les références), ne peuvent notamment pas consister à remettre encause les constatations de fait de l'arrêt cantonal ou reposer sur des faitsnouveaux (art. 273 al. 1 let. b PPF). Si l'un des moyens du recourant estfondé sur un état de fait différent de celui de la décision attaquée, il nepeut en être tenu compte (ATF 126 IV 65 consid. 1 p. 67; 124 IV 81 consid. 2ap. 83 et les arrêts cités). En l'espèce, à l'appui du moyen qu'il tire d'une prétendue violation del'art. 18 al. 2 CP, le recourant allègue, d'une part, qu'il ne savait pas quedes images s'enregistraient automatiquement dans le cache du navigateur webet, d'autre part, que les médias auraient constamment rappelé, ces dernierstemps, que la consommation de pornographie enfantine n'était pas punie par laloi. Il s'agit là d'allégations contraires aux constatations de fait surlesquelles la cour cantonale s'est fondée pour retenir que le recourant avaitdupliqué des images illicites par dol éventuel. Comme il repose pourl'essentiel sur ces deux allégations, le moyen que le recourant prend d'uneviolation de l'art. 18 al. 2 CP est dès lors irrecevable. 3.Le recourant conteste avoir été en possession, au sens de l'art. 197 ch. 3bisCP, des copies d'images illicites que son navigateur avait faitesautomatiquement sur le cache, ainsi que de celles qui se trouvaient dans leszones non allouées de son disque dur. Il soutient que les faits retenus à sacharge sont exclusivement constitutifs de consommation de pornographie àcaractères pédophile et zoophile - consommation que la loi ne punit pas - etque la cour cantonale a dès lors violé le droit fédéral en le déclarantcoupable de pornographie au sens de l'art. 197 ch. 3bis CP. 3.1 À teneur de l'art. 197 ch. 3bis CP, se rend notamment punissable celuiqui aura possédé (besitzt, possiede) des objets ou des représentationspornographiques qui ont comme contenu des actes d'ordre sexuel avec desenfants ou des animaux ou comprennent des actes de violence, ou celui qui lesaura obtenus (sich beschafft, si procura) par voie électronique. Lelégislateur a par contre renoncé à punir la simple consommation, au motif queles autorités de poursuite pénale auraient sinon à affronter des problèmesdisproportionnés; reste ainsi impuni celui qui se laisse montrer desreprésentations de pornographie enfantine, car dans ce cas de figure, il n'ena pas la possession (Message du Conseil fédéral du 10 mai 2000, FF 2000p.2769 ss, 2.2.4.3 p. 2804). 3.2 Lorsqu'elle porte sur une chose, la possession consiste dans la maîtriseeffective de cette chose (art.919 CC). Pouvoir de fait indépendant de toutdroit, elle suppose objectivement une maîtrise physique, directe ou à tout lemoins indirecte, et subjectivement la volonté d'exercer cette maîtrise. Ellepeut être individuelle ou collective; dans ce dernier cas de figure, unechose a plusieurs possesseurs, de sorte que chacun peut exercer une maîtrisesur la chose, soit seul sans le concours des autres, soit ensemble avec lesautres (cf. Paul-Henri Steinauer, Les droits réels, t.I, 4ème éd. Berne2007, p.82 ss). Lorsqu'elle a pour objet une représentation pornographique, la possessiondoit s'entendre de manière analogue. Mais le législateur ne s'est pas limitéà incriminer la possession d'une telle représentation. Pour des raisons liéesà la preuve, l'art. 197 ch. 3bis CP réprime aussi l'acquisition etl'obtention, par voie électronique ou de toute autre manière, dereprésentations pornographiques pédophiles, zoophiles ou violentes (messageprécité, 2.2.4.2 p. 2804). La délimitation exacte de la notion de possessionpar rapport à celle de l'obtention de telles représentations ne revêt dèslors pas une importance décisive. 3.3Toute personne qui a la maîtrise effective d'une image informatique et lavolonté d'exercer cette maîtrise doit être considérée comme possesseur. Telest d'abord le cas de celui qui a procédé à la sauvegarde d'images sur sonpropre support de données - disque dur de son ordinateur ou disque compact -car il peut alors consulter à nouveau ces images à loisir (message précité,2.2.4.3 p.2804; cf. ATF 131 IV 16 consid. 1.4). Lorsque des images proposées par un tiers sur internet sont contemplées surl'écran de l'ordinateur, le navigateur web crée et sauvegarde provisoirementdans des fichiers temporaires du disque dur (cache) des copies qui serontautomatiquement supprimées lorsque de nouvelles copies prendront leur placeensuite d'une consultation ultérieure de données par internet. De ce stockageautomatique et provisoire, indépendant de la volonté de l'utilisateur, il nedécoule, en règle générale, pas de possession (message précité, 2.2.4.3 p.2804); le fait que l'utilisateur de l'ordinateur soit conscient de cet aspecttechnique du fonctionnement de l'ordinateur n'est pas déterminant. Enrevanche, il en va différemment lorsque l'utilisateur fait en sorte que cesdonnées ne soient, pour une certaine période du moins, pas supprimées etqu'il lui soit possible de les consulter hors connexion; dans ce cas, l'accèsà ces données est comparable à celui qu'il aurait s'il les avait sauvegardéeset il y a dès lors lieu d'admettre la possession. 3.4 La possession n'est pas limitée aux cas où les données se trouvent surson propre support. Il est aussi possible de posséder des donnéesenregistrées sur le support d'un tiers. Il est incontestable que celui qui a l'usage exclusif du support ou d'unepartie du support d'un tiers - par exemple le titulaire d'un compte demessagerie électronique - est possesseur des images qui s'y trouventstockées, lors même qu'il n'est pas possesseur du support sur lequel ellessont enregistrées. Mais ce n'est pas le seul cas de figure. Il y a aussipossession dérivée d'images électroniques lorsqu'une personne a un droitd'accès au site d'un tiers avec une garantie quant au contenu de ce site, parexemple grace à un mot de passe obtenu par la conclusion d'un abonnement (cf.ATF 131 IV 16 consid. 1.4). Tel est d'abord le cas lorsque le contenu du siteest convenu entre l'ayant droit du site et l'abonné, de sorte que l'ayantdroit ne peut pas le modifier sans l'accord de l'abonné. Tel est ensuite lecas lorsque l'ayant droit peut, de son propre chef, charger des imagessupplémentaires; l'amplification continue de l'offre ne justifie pas detraiter ce cas différemment. Dans ces deux situations, l'auteur peut seservir des sites exactement comme de ses propres archives. Enfin, il en vaégalement ainsi dans le cas où les images sont supprimées au bout d'uncertain temps pour être remplacées par d'autres. La suppression des imagesn'empêche pas que l'abonné en ait eu la possession pendant le temps où elleslui étaient présentées, puisqu'il pouvait alors les rappeler à loisir. 3.5 En l'espèce, l'autorité cantonale n'a pas retenu, comme le confirmed'ailleurs le Ministère public, que le recourant avait procédé à unesauvegarde des fichiers litigieux dans la période visée par la feuilled'envoi; elle n'a pas non plus examiné les caractéristiques du cache de sonnavigateur. Enfin, elle n'a pas constaté la portée de l'abonnement conclu parle recourant au site "red lagoon" ni le contenu de ce site. Dans cescirconstances, il n'est pas possible d'examiner dans quelle mesure lerecourant a possédé ou obtenu des images au sens de l'art. 197 ch. 3bis CP.Il s'ensuit l'admission du pourvoi et le renvoi de la cause à l'autoritécantonale pour nouvelle décision. 4.Comme le recourant obtient gain de cause, il y a lieu de renoncer à percevoirdes frais de justice et d'allouer une indemnité au recourant à titre dedépens (art. 278 al. 3 PPF). 5.La cause étant ainsi jugée, la requête d'effet suspensif n'a plus d'objet. Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 1.Le pourvoi est admis en application de l'art. 277 PPF. 2.L'arrêt attaqué est annulé et la cause renvoyée à la cour cantonale pournouveau jugement dans le sens des considérants. 3.La requête d'effet suspensif n'a plus d'objet. 4.Il n'est pas perçu de frais de justice. 5.La Caisse du Tribunal fédéral versera au recourant une indemnité de 2'000 fr.à titre de dépens. 6.Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, ainsiqu'au Procureur général et à la Cour de cassation du canton de Genève. Lausanne, le 23 novembre 2006 Au nom de la Cour de cassation pénaledu Tribunal fédéral suisse Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 6S.254/2006
Date de la décision : 23/11/2006
Cour de cassation pénale

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2006-11-23;6s.254.2006 ?
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