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23/11/2006 | SUISSE | N°4P.235/2006

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 23 novembre 2006, 4P.235/2006


{T 0/2}4P.235/2006 /ech Arrêt du 23 novembre 2006Ire Cour civile M. et Mmes les juges Corboz, président, Klett et Rottenberg.Greffier: M. Thélin. Banque X.________ SA,recourante, représentée par Me Dominique Warluzel, contre Y.________,intimé, représenté par Me Malika Salem Thévenoz,Cour d'appel de la juridiction des prud'hommes du canton de Genève, casepostale 3688, 1211 Genève 3. procédure civile; récusation recours de droit public contre la décision prise le18 juillet 2006 par la Cour d'appel de la juridiction des prud'hommes ducanton de Genève. Faits: A.Dès mai 1997, la Ban

que X.________ SA a engagé Y.________ en qualité degestionnaire...

{T 0/2}4P.235/2006 /ech Arrêt du 23 novembre 2006Ire Cour civile M. et Mmes les juges Corboz, président, Klett et Rottenberg.Greffier: M. Thélin. Banque X.________ SA,recourante, représentée par Me Dominique Warluzel, contre Y.________,intimé, représenté par Me Malika Salem Thévenoz,Cour d'appel de la juridiction des prud'hommes du canton de Genève, casepostale 3688, 1211 Genève 3. procédure civile; récusation recours de droit public contre la décision prise le18 juillet 2006 par la Cour d'appel de la juridiction des prud'hommes ducanton de Genève. Faits: A.Dès mai 1997, la Banque X.________ SA a engagé Y.________ en qualité degestionnaire des comptes de sa clientèle privée, avec rang de sous-directeur.Par la suite, Y.________ a été promu au titre de directeur adjoint. Il géraitles comptes de quelques deux cent trente clients dont les avoirs totalisaientprès de 130 millions de francs. Le 4 décembre 2001, il a souscrit un avenantà son contrat de travail par lequel il s'interdisait, pendant les trois ansqui suivraient la fin de sa collaboration, de contacter ou solliciter laclientèle de la banque, de manière directe ou indirecte, au profit d'unnouvel employeur, d'un tiers ou de lui-même.Le directeur adjoint a présenté sa démission le 24 mai 2004 pour le 31 aoûtde la même année; il est ensuite entré au service de N.________ SA, unesociété active dans les opérations financières et la gestion de fortunes.A l'annonce de cette démission, la banque a désigné son collaborateurZ.________ pour reprendre la gestion des comptes confiés à Y.________. Cedernier était chargé de l'introduire auprès des clients et de l'informer del'état des comptes et des dossiers. Des dissensions se sont rapidementélevées à ce sujet, la banque reprochant au directeur adjoint de ne pascoopérer loyalement à la préparation de son successeur.Dans les mois qui ont suivi le départ de Y.________, quelques-uns des clientsconcernés, qui avaient, selon la banque, des liens familiaux entre eux, ontfait clore leurs comptes, au nombre de sept, et transférer leurs avoirs àd'autres établissements bancaires. Certains ont désormais confié un mandat degestion à N.________ SA. B.Le 18 mars 2005, la Banque X.________ SA a ouvert action contre Y.________devant la juridiction des prud'hommmes du canton de Genève. Sa demandetendait au paiement de 387'024 fr. à titre de dommages-intérêts, avecintérêts au taux de 5% par an dès le 31 janvier 2005. Elle reprochait audéfendeur d'avoir capté ce groupe de clients en violation de l'engagementqu'il avait souscrit et de lui avoir ainsi causé un dommage correspondant auxfrais de gestion de comptes et de garde de titres qu'elle ne pouvait plusprélever.Contestant qu'il eût agi en violation de ses devoirs, le défendeur a concluau rejet de l'action.La demanderesse a fait citer Z.________ à titre de témoin. A l'audience du6juin 2005, elle a expliqué que celui-ci était un organe de la banque, desorte que le Tribunal de prud'hommes l'a interrogé en cette qualité. Letribunal a ensuite statué le 30 août 2005; au motif que la preuve d'undébauchage des clients n'avait pas été apportée, il a donné gain de cause audéfendeur.La demanderesse a appelé du jugement en persistant dans ses conclusionsinitiales. Elle a en outre pris des conclusions préalables qu'elle libellaitcomme suit:Admettre le témoignage apporté par ... Z.________.Ordonner la réouverture des enquêtes.Ordonner [au défendeur] de communiquer le ou les numéros de téléphoneportable [utilisés par lui du 1er janvier au 31 décembre 2004].Ordonner [au défendeur] de fournir la liste des appels [émis ou reçus par luidans cette période].Ordonner à tout opérateur téléphonique de fournir les relevés précités.Impartir [à la demanderesse] un délai raisonnable pour compléter la liste detémoins dès réception des relevés précités.A l'ouverture de l'audience du 7 février 2006, présidée par le juge PatrickBlaser, juge suppléant à la Cour de justice et Président de la Cour d'appelde la juridiction des prud'hommes, les parties ont déclaré n'avoir aucunmotif de récusation contre les juges présents. Elles ont ensuite, l'une etl'autre, confirmé leurs conclusions et leurs arguments. Le Président a alorslevé l'audience; selon le procès-verbal, «la Cour gard[ait] la cause à jugersur conclusions préalables et, le cas échéant, sur le fond». L'audience aduré de 18h30 à 18h45. C.Le 9 du même mois, la demanderesse a introduit une demande de récusationdirigée contre le président Blaser. Elle exposait que dans l'instanced'appel, une nouvelle audition de Z.________, cette fois en qualité de témoinplutôt que d'organe d'une partie, était absolument indispensable. Lors del'audience, le président Blaser était averti que Z.________ était présentdans la salle d'attente. Il aurait dû immédiatement délibérer, avec lesautres juges de la Cour, pour décider de la qualité de témoin ou de partie,puis procéder à l'audition. En levant abruptement l'audience, il avait refusécette audition et, par là, manifesté sa partialité. La demanderesse faisaitaussi état d'une hostilité existant depuis plusieurs années entre leprésident Blaser et son propre avocat, issue d'une autre affaire judiciaire.Elle se référait à l'art. 91 let. e et i de la loi genevoise d'organisationjudiciaire (OJ gen.), selon lequel un juge est récusable s'il a manifesté sonavis avant le temps d'émettre son opinion pour le jugement (let. e), ou s'ila, d'une quelconque manière, témoigné haine ou faveur pour l'une des parties(let. i).Invité à prendre position, le président Blaser a contesté toute partialité;il a indiqué que lors de l'audience, il ignorait la présence de Z.________dans la salle d'attente.Dès le 1er mars 2006, la composition de la Cour d'appel s'est modifiée en cesens que les fonctions des juges autres que le Président arrivaient à leurterme et que ces juges étaient désormais remplacés par d'autres personnes.Par décision du 18 juillet 2006, la Cour d'appel a rejeté la demande derécusation, dans la mesure où elle était recevable. En tant qu'elle reposaitsur des faits antérieurs à l'audience du 7 février 2006, elle était tardivecar l'instante avait procédé devant le président Blaser en connaissance deces faits; pour le surplus, les circonstances ne justifiaient pas unerécusation. La Cour a délibéré et statué dans sa nouvelle composition, sansla participation du président Blaser. D.Agissant par la voie du recours de droit public, la demanderesse requiert leTribunal fédéral d'annuler cette décision. Invoquant les art. 9 et 30 al. 1Cst., elle se plaint d'une constatation arbitraire des faits déterminants,d'une application arbitraire des dispositions cantonales précitées et d'uneviolation de la garantie constitutionnelle d'un tribunal indépendant etimpartial.Invité à répondre, le défendeur et intimé conclut au rejet du recours, dansla mesure où les griefs présentés sont recevables. La Cour d'appel a renoncéà présenter des observations et le recours n'a pas été communiqué auprésident Blaser.Par ordonnance du 23 octobre 2006, le Président de la Ire Cour civile aaccueilli une demande d'effet suspensif présentée par la recourante. Le Tribunal fédéral considère en droit: 1.Le recours de droit public au Tribunal fédéral peut être exercé contre unedécision cantonale pour violation des droits constitutionnels des citoyens(art. 84 al. 1 let. a OJ), en particulier contre une décision incidenterelative à une demande de récusation (art. 87 al. 1 OJ). Cette décision doitn'être susceptible d'aucun autre recours cantonal ou fédéral apte à redresserl'inconstitutionnalité (art. 84 al. 2, 86 al. 1 OJ), exigence qui estsatisfaite en l'espèce; en particulier, le recours en réforme au Tribunalfédéral n'est pas recevable pour violation des droits constitutionnels (art.43 al. 1 OJ). L'exigence d'un intérêt actuel, pratique et juridiquementprotégé à l'annulation de la décision attaquée (art. 88 OJ) est égalementsatisfaite; les conditions légales concernant la forme et le délai du recours(art. 30, 89 et 90 OJ) sont aussi observées.Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral n'examine que lesgriefs fondés sur les droits constitutionnels, invoqués et motivés de façonsuffisamment détaillée dans l'acte de recours (art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF130 I 258 consid. 1.3 p. 261/262; 129 I 113 consid. 2.1; 128 III 50 consid.1c p. 53). Il statue sur la base des faits constatés dans la décisionattaquée, à moins que le recourant ne démontre que la cour cantonale a retenuou, au contraire, ignoré de manière arbitraire certains faits déterminants(ATF 118 Ia 20 consid. 5a). 2.La garantie d'un tribunal indépendant et impartial, conférée par l'art. 30al. 1 Cst., permet au plaideur d'exiger la récusation d'un juge dont lasituation ou le comportement est de nature à faire naître un doute sur sonimpartialité; elle tend notamment à éviter que des circonstances extérieuresà la cause ne puissent influencer le jugement en faveur ou au détriment d'unepartie. Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une préventioneffective du juge est établie car le sentiment intime du magistrat ne peutguère être prouvé; il suffit que les circonstances donnent l'apparence de laprévention et fassent redouter une activité partiale. Toutefois, seules descirconstances constatées objectivement doivent être prises en considération;les impressions purement individuelles de l'une des parties au procès ne sontpas décisives (ATF 131 I 24 consid. 1.1 p. 25; 131 I 113 consid. 3.4 p. 116;125 I 119 consid. 3a p. 122).Par ailleurs, une décision est arbitraire, donc contraire à l'art. 9 Cst.,lorsqu'elle viole gravement une norme ou un principe juridique clair etindiscuté, ou contredit d'une manière choquante le sentiment de la justice etde l'équité. Le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution retenue parl'autorité cantonale de dernière instance que si sa décision apparaîtinsoutenable, en contradiction manifeste avec la situation effective, adoptéesans motifs objectifs ou en violation d'un droit certain (ATF 132 I 13consid. 5.1 p. 17; 131 I 467 consid. 3.1 p.473/474; 129 I 8 consid. 2.1 p.9). 3.La décision attaquée ne contient aucune constatation relative au point desavoir si, pendant l'audience du 7 février 2006, le président Blaserconnaissait ou ignorait la présence de Z.________ dans la salle d'attente.Par ailleurs, cette décision porte uniquement sur la demande de récusation;elle n'a pas pour objet de reconnaître ou de dénier la pertinence d'offres depreuve faites dans l'instance d'appel. En particulier, elle n'exclut pas queZ.________ soit éventuellement entendu dans cette instance également. Sur cespoints, la recourante n'est donc pas fondée à se plaindre d'arbitraire. 4.La Cour d'appel retient que la décision du président Blaser, consignée auprocès-verbal d'audience et relative à un jugement ultérieur de la Cour surles conclusions préalables ou sur le fond, n'exprime aucun préjugé au sujetde la nécessité d'entendre Z.________. Elle retient aussi que les jugesdevaient délibérer en commun au sujet des preuves à administrer et qu'il eûtété peu opportun de prendre une décision le jour même, sur ce sujet, alorsque quatre des cinq membres de la Cour allaient être très prochainementremplacés. De tout cela, elle conclut que les actes du président Blaser nejustifient pas la suspicion de partialité.La décision consignée au procès-verbal envisage explicitement deuxhypothèses: un jugement préparatoire ordonnant des mesures d'instruction ouun jugement final qui rejetterait l'offre de preuves de la demanderesse etstatuerait sur l'action en dommages-intérêts. A bien comprendrel'argumentation que la recourante développe devant le Tribunal fédéral, lanécessité d'entendre Z.________ était si manifestement et si évidemmentindiscutable que le simple fait d'envisager un éventuel jugement final, sansmesures probatoires et donc sans audition de cette personne, dénote lavolonté de nuire à la partie qui requérait l'audition.Cette approche est purement subjective. Elle méconnaît le pouvoir des jugesde procéder, s'il y a lieu, à une appréciation anticipée des preuves offerteset de rejeter l'offre sur la base de cette appréciation (cf. arrêt 4P.72/2005du 27 juillet 2005, consid. 3.2). Elle repose sur un préjugé négatifconcernant le résultat de cette éventuelle appréciation anticipée. Larecourante perd de vue qu'un rejet de l'offre de preuves n'entraînerait pasnécessairement celui de l'action en dommages-intérêts et que celle-cipourrait être accueillie sur la base des éléments de preuve déjà disponibles,tels que les déclarations faites par Z.________ devant les premiers juges, sila Cour d'appel, elle, trouvait ces éléments concluants. Pour infirmer, sipossible, le jugement de première instance, cette partie tente légitimementd'apporter des éléments de preuve supplémentaires et on comprend bien qu'ellesoit absolument convaincue de la pertinence des mesures d'instruction qu'ellerequiert elle-même; néanmoins, elle ne peut pas sérieusement reprocher auprésident Blaser d'avoir aussi mentionné, dans le libellé du procès-verbal,l'éventualité d'un jugement final sans complément d'enquête. Z. ________ étant présent dans la salle d'attente, il était possible del'entendre immédiatement. Il était cependant aussi possible de procéderautrement, et cela sans inconvénient, hormis que Z.________, si son auditionétait jugée utile, devrait se déranger une fois encore. Le choix étaitquestion d'opportunité; il appartenait au Président de la Cour d'appel et larecourante ne peut pas exiger la récusation de ce magistrat au seul motifqu'il ne dirige pas la procédure comme elle le ferait elle-même. Audemeurant, même si l'on trouvait des raisons de critiquer la décision duprésident Blaser, cela n'entraînerait pas encore sa récusation. En effet, leserreurs de procédure ou d'appréciation d'un juge ne suffisent pas à fonderobjectivement la suspicion de partialité; seules des erreurs particulièrementlourdes ou répétées, qui doivent être considérées comme des violations gravesdes devoirs du magistrat, peuvent avoir cette conséquence (ATF 116 Ia 135consid. 3a p. 138; 114 Ia 153 consid. 3b/bb p. 158).Dans ces conditions, la décision de la Cour d'appel ne présente rien decontraire à la garantie conférée par l'art. 30 al. 1 Cst. Cette autorité jugeégalement sans arbitraire que les actes du président Blaser ne comportent niexpression prématurée d'une opinion, au regard de l'art. 91 let. e OJ gen.,ni manifestation de haine ou de faveur envers l'une des parties, selon lalet. i de la même disposition. Enfin, il n'y a évidemment pas lieu devérifier si l'attitude du magistrat «s'explique», selon la thèse de larecourante, par une inimitié antérieure à la cause. 5.Le recours de droit public se révèle privé de fondement, ce qui entraîne sonrejet. A titre de partie qui succombe, la recourante doit acquitterl'émolument judiciaire et les dépens auxquels l'autre partie peut prétendre. Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 1.Le recours est rejeté. 2.La recourante acquittera un émolument
judiciaire de 2'000 fr. 3.La recourante acquittera une indemnité de 2'500 fr. due à l'intimé à titre dedépens. 4.Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à laCour d'appel de la juridiction des prud'hommes du canton de Genève. Lausanne, le 23 novembre 2006 Au nom de la Ire Cour civiledu Tribunal fédéral suisse Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4P.235/2006
Date de la décision : 23/11/2006
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2006-11-23;4p.235.2006 ?
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