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21/11/2006 | SUISSE | N°5C.124/2006

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 21 novembre 2006, 5C.124/2006


{T 0/2}5C.124/2006 /frs Arrêt du 21 novembre 2006IIe Cour civile MM. et Mme les Juges Raselli, Président,Nordmann et Marazzi.Greffier: M. Abrecht. X. ________,demandeur et recourant, représenté par Me Blaise Galland, avocat, contre dame X.________,défenderesse et intimée, représentée par Me Chantal Kuntzer-Krebs, avocate, modification d'un jugement de divorce, compétence, recours en réforme contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton deNeuchâtel, IIe Cour civile, du 24 avril 2006. Faits: A.X. ________, citoyen suisse né en 1937, et dame X.________, ressortissantefrançaise née

en 1939, se sont mariés en 1965. Ils ont deux enfants, dont le...

{T 0/2}5C.124/2006 /frs Arrêt du 21 novembre 2006IIe Cour civile MM. et Mme les Juges Raselli, Président,Nordmann et Marazzi.Greffier: M. Abrecht. X. ________,demandeur et recourant, représenté par Me Blaise Galland, avocat, contre dame X.________,défenderesse et intimée, représentée par Me Chantal Kuntzer-Krebs, avocate, modification d'un jugement de divorce, compétence, recours en réforme contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton deNeuchâtel, IIe Cour civile, du 24 avril 2006. Faits: A.X. ________, citoyen suisse né en 1937, et dame X.________, ressortissantefrançaise née en 1939, se sont mariés en 1965. Ils ont deux enfants, dont lecadet, A.________, né en 1977. En 1978, l'épouse a ouvert action en séparation de corps devant le Tribunalmatrimonial du district de Neuchâtel, en invoquant l'adultère de son mari.Elle précisait qu'élevée dans une famille où les principes moraux jouaient unrôle essentiel, formée dans une école de Bénédictines, elle avait trèsdouloureusement ressenti cet adultère. Le mari, tout en admettant l'adultère,a soutenu que celui-ci n'avait pas joué un rôle causal dans la désunion, lelien conjugal étant irrémédiablement rompu depuis longtemps. Les époux ayant trouvé un terrain d'entente, le Tribunal, par jugement du 21juin 1982, a prononcé leur divorce et a ratifié la convention sur les effetsaccessoires du divorce qu'ils avaient signée. Le jugement retient que même siles époux connaissaient certaines difficultés avant l'adultère du mari, c'estnéanmoins cet événement qui avait ruiné le lien conjugal. Aux termes de laconvention, telle qu'approuvée par le Tribunal, le mari s'engageait enparticulier à verser à son ex-épouse une rente mensuelle de 2'300 fr. B.Le 10 mars 2005, X.________ a ouvert action en modification du jugement dedivorce du 21 juin 1982 devant le Tribunal civil du district de Neuchâtel, enconcluant à la suppression de toute rente due à son ex-épouse. À l'appui decette conclusion, il a allégué en substance ce qui suit: plus l'enfantA.________ grandissait, plus lui-même éprouvait des doutes quant à sapaternité, alors que la mère de l'enfant, offusquée, lui jurait que l'enfantétait bien issu de ses oeuvres; finalement, il a appris par un rapportd'expertise du 12 juin 1998, établi par l'Institut de médecine légale deLausanne, qu'il est exclu comme père de l'enfant; ainsi, la défenderesse, enniant tout adultère, a trompé son mari ainsi que la Justice et a obtenu desprestations pour elle-même qui n'auraient pas été consenties si elle avaitdit la vérité; son mensonge a constitué une manoeuvre frauduleuse pourobtenir des prestations, qui revêtait un caractère délictuel ouquasi-délictuel, raison pour laquelle la pension devait être supprimée.La défenderesse ayant soulevé le déclinatoire au motif qu'elle étaitdomiciliée en France, le demandeur a fait valoir que l'attitude et lesdéclarations de la défenderesse engageaient sa responsabilité délictuelle ouquasi-délictuelle, de sorte que l'art. 5 ch. 3 de la Convention de Luganooffrait un for au lieu où le fait dommageable s'était produit. Par jugement du 23 décembre 2005, le Président du Tribunal civil du districtde Neuchâtel a admis le moyen préjudiciel soulevé par la défenderesse et adéclaré la demande irrecevable. C.Statuant par arrêt du 24 avril 2006, la IIe Cour civile du Tribunal cantonaldu canton de Neuchâtel a rejeté l'appel formé par le demandeur contre cejugement. La motivation de cet arrêt, dans ce qu'elle a d'utile à retenir,est en substance la suivante:C.aLe litige revêt un caractère international, puisque le demandeur estdomicilié en Suisse et la défenderesse en France. La compétence des autoritésjudiciaires suisses doit donc être examinée à la lumière de la Convention deLugano (ci-après: CLug; RS 0.275.11), à laquelle la France et la Suisse sontparties. L'art. 2 CLug pose le principe général que les personnes domiciliéessur le territoire d'un État contractant sont attraites, quelle que soit leurnationalité, devant les juridictions de cet État. Une exception à ce principeest prévue notamment par l'art. 5 ch. 3 CLug, qui dispose qu'en matièredélictuelle ou quasi-délictuelle, le défendeur domicilié dans un Étatcontractant peut être attrait devant le tribunal du lieu où le faitdommageable s'est produit. Ainsi, en l'espèce, si l'action est de naturedélictuelle ou quasi-délictuelle, le demandeur peut attraire la défenderessedevant le Tribunal du district de Neuchâtel, lieu où le fait dommageable, àsavoir la tromperie dont se serait rendue coupable la défenderesse au momentdu jugement de divorce, se serait produit. C.b Ce qu'on appelle communément escroquerie au procès est compris sans autredans la définition générale de l'escroquerie; se rend coupable d'escroqueriecelui qui, par une tromperie astucieuse, amène le tribunal à trancher endéfaveur de la partie adverse (ATF 122 IV 197 consid. 2). Une simpleindication fausse, dont la partie adverse peut contrôler l'exactitude sansgrande peine, n'est pas à elle seule astucieuse; le procédé auquel l'auteur arecours doit apparaître comme une machination (ATF 122 IV 197 consid. 3d).Taire un fait revient, bien souvent, à faire croire qu'il n'existe pas. Laquestion est délicate de savoir s'il suffit, pour qu'il y ait tromperie, quel'auteur, sans faire aucune déclaration en relation avec le sujet, ne révèlepas spontanément la vérité. Que l'on admette que la tromperie peut résulterd'une omission ou que l'on veuille y voir une forme de commission, un devoirde parler découlant de la loi, du contrat ou de la bonne foi - ce dernier casse rapprochant de la notion de position de garant - est en tous casnécessaire. C.c Quand bien même les époux se doivent l'un à l'autre fidélité etassistance (art. 159 al. 3 CC), on ne saurait déduire de cette obligationlégale une obligation de parler et d'avouer à son conjoint toute incartade,qui placerait l'un des conjoints dans une position de garant face à l'autredans une procédure de divorce et ferait de tout époux qui se tairait dans cescirconstances un escroc au procès, si le jugement se révélait plus favorableque celui qui aurait été rendu s'il avait parlé. Certes, il sera souventdifficile pour un conjoint de vérifier si l'autre a tenu sa promesse et lui aété fidèle en toutes circonstances. Toutefois, cette difficulté, inhérente àla vie de couple dans une société, ne justifie pas la création d'uneobligation générale de parler à charge des conjoints opposés dans uneprocédure de divorce, où, comme dans toute procédure judiciaire, l'intérêtd'une partie à défendre au mieux sa position, dans le respect des règles deprocédure, est parfaitement légitime. Le droit de se taire - à distinguer del'obligation de ne pas mentir si l'on parle - doit ainsi être reconnu à unplaideur. C.d Par ailleurs, selon le droit en vigueur au moment du jugement de divorce,l'allocation d'une rente, au sens de l'art. 151 al. 1 aCC, supposait unefaute du conjoint débiteur et l'innocence de l'ayant droit. Restait conjointinnocent l'époux qui n'avait pas commis de faute causale, à moins quecelle-ci ne fût d'une gravité particulière (ATF 98 II 161 consid. 5 et lesarrêts cités), ou dont la faute, bien que causale, apparaissait légère auregard de l'ensemble des circonstances et de la faute de l'autre conjoint(ATF 119 II 12 consid. 2a/aa; 109 II 286 consid. 5a; 108 II 364 consid. 2a).Dès lors, on ne saurait conclure, comme le fait implicitement le demandeur,que le seul fait pour la défenderesse d'avoir elle-même commis un adultère,qui est resté ignoré et même insoupçonné de son mari et n'a donc joué aucunrôle dans la désunion, l'aurait privée du droit à une rente si ce manquementavait été connu du juge. Le même raisonnement vaudrait, mutatis mutandis,s'il fallait retenir que le montant mensuel dû par le demandeur en vertu dujugement de divorce n'avait pas pour fondement l'art. 151 aCC, mais l'art.152 aCC. C.e Il s'ensuit que l'action du demandeur ne peut avoir pour fondement uneresponsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle de la défenderesse dans laprocédure qui a abouti au jugement de divorce. Il sied de relever que le for du Tribunal civil pourrait être donné en cas deprocédure en révision du jugement de divorce (art. 431 al. 1 CPC/NE).Toutefois, selon l'art. 430 al. 1 CPC/NE, la demande de révision doit êtreformée dans les trois mois qui suivent la découverte du motif de révision.Or, comme le rapport d'expertise de l'Institut de médecine légale de Lausannedate du mois de juin 1998, ce délai de trois mois était largement échu aujour du dépôt de la demande. D.Agissant par la voie du recours en réforme au Tribunal fédéral, le demandeurconclut à la réforme de cet arrêt en ce sens que l'exception d'incompétencesoit rejetée et que la cause soit renvoyée à l'autorité cantonale pournouvelle décision au sens des considérants. Une réponse au recours n'a pasété demandée. E. Le Tribunal fédéral considère en droit: 1.Dirigé en temps utile (art. 54 al. 1 OJ) contre une décision finale (cf.surcette notion ATF 131 III 667 consid. 1.1 et les arrêts cités) prise endernière instance cantonale par le tribunal suprême du canton de Neuchâtel(art. 48 al. 1 OJ) dans une contestation civile portant sur des droits denature pécuniaire dont la valeur dépasse manifestement 8'000 fr. (art. 46OJ), le recours est en principe recevable. 2.2.1Le demandeur invoque la violation du droit fédéral - plus particulièrementde l'art. 146 CP - et de la Convention de Lugano. Il expose que la demanderesse avait allégué à l'appui de sa demande enséparation de corps qu'élevée dans une famille où les principes morauxjouaient un rôle essentiel, formée dans une école de Bénédictines, elle avaittrès douloureusement ressenti l'adultère de son mari, affirmant ainsiqu'elle-même eût été bien incapable d'un tel débordement. Cet allégué seraitsuffisamment astucieux pour remplir les conditions d'application de l'art.146 CP, dès lors que le demandeur n'était pas en mesure d'en contrôlerl'exactitude.Le demandeur expose en outre que, dans un arrêt du 17 septembre 2002 (aff.C-334/00, Rec. 2002 I 7357), la Cour de justice des communautés européennes arelevé que les notions de "matière contractuelle" et de "matière délictuelle"au sens de l'art. 5, points 1 et 3, de la Convention de Bruxelles - dont laformulation est identique à celle de l'art. 5, ch. 1 et 3, CLug - devaientêtre interprétées de manière autonome et ne sauraient être comprises comme desimples renvois au droit interne de l'un ou l'autre des États contractants.De plus, dans ce même arrêt, la Cour s'est référée expressément au principede la bonne foi. Le demandeur en déduit que la simple violation du principede la bonne foi suffirait pour appliquer l'art. 5 ch.3 CLug. 2.2 Selon la jurisprudence constante de la Cour de justice des communautéseuropéennes relative à la Convention de Bruxelles, dont il y a lieu de tenircompte pour l'interprétation et l'application de la Convention de Lugano (ATF131 III 227 consid. 3.1 et les références citées), la notion de "matièredélictuelle ou quasi délictuelle", au sens de l'art. 5 point 3 doit êtreinterprétée de manière autonome et ne saurait être comprise comme un simplerenvoi au droit interne de l'un ou l'autre des États contractants concernés(Jan Kropholler, Europäisches Zivilrecht, 8e éd. 2005, n. 72 ad art. 5 et lesarrêts cités; Yves Donzallaz, La Convention de Lugano, vol III, 1998, n. 5063et les références citées; cf., pour l'interprétation autonome de la notion de"matière contractuelle" au sens de l'art. 5 ch. 1 CLug, ATF 122 III 43consid. 3b, 298 consid. 3a). Il est admis que la notion doit être comprise demanière large (pour une énumération de ce qu'elle inclut, voir Kropholler,op. cit., n. 74 ad art. 5; Donzallaz, op. cit., n. 5073 ss). 2.3 Il n'en reste pas moins que l'action par laquelle le demandeur met encause la responsabilité du défendeur doit avoir un fondement dans le droitmatériel qui lui est applicable. C'est dans ce sens que la Cour de justice,dans son arrêt du 17 septembre 2002 concernant un cas de responsabilitésupposée pour culpa in contrahendo, s'est référée à "l'éventuelle violationde règles de droit, notamment celle qui impose aux parties d'agir de bonnefoi dans le cadre des négociations visant à la formation d'un contrat". Ilest donc erroné de déduire de cet arrêt, comme cherche à le faire ledemandeur, que la simple violation du principe de la bonne foi suffirait pourappliquer l'art. 5 ch.3 CLug. 2.4 Si la seule contestation par la partie défenderesse de l'existence d'unacte illicite n'est pas de nature à faire disparaître l'option de compétencede l'art. 5 ch. 3 de la Convention, il est admis que le juge peut décliner sacompétence lorsque, sur la base d'un examen sous l'angle de la vraisemblancedes faits constituant à la fois la condition de cette compétence et lefondement nécessaire des prétentions soumises à son examen (cf. ATF 131 III153 consid. 5.1 et les références citées), la réalisation de l'acte illiciteinvoqué apparaît d'emblée exclue (cf.Kropholler, op. cit., n. 94 ad art. 5;Donzallaz, op. cit., n. 5094). 2.5 En l'espèce, la cour cantonale a procédé en conformité avec ce quiprécède en examinant si les faits allégués par le demandeur étaientsusceptibles de mettre en cause la responsabilité de la défenderesse pourescroquerie au procès et ainsi de fonder la compétence du Tribunal dudistrict de Neuchâtel selon l'art. 5 ch. 3 CLug. 2.6 Cela étant, les juges cantonaux ont considéré qu'une telle responsabilitédélictuelle ou quasi-délictuelle de la défenderesse - et partant lacompétence du Tribunal du district de Neuchâtel - apparaissait d'embléeexclue, et cela pour deux raisons: d'une part, parce qu'il n'existe pasd'obligation de parler et d'avouer à son conjoint toute incartade, quiplacerait l'un des conjoints dans une position de garant face à l'autre dansune procédure de divorce et ferait de tout époux qui se tairait dans cescirconstances un escroc au procès, si le jugement se révélait plus favorableque celui qui aurait été rendu s'il avait parlé (cf. lettre C.c supra);d'autre part, parce que, même si la défenderesse avait admis dans laprocédure de divorce avoir elle-même commis adultère, elle n'en aurait pasmoins pu se voir allouer une rente, puisque cet adultère, resté ignoré dudemandeur, n'a joué aucun rôle dans la désunion (cf.lettre C.d supra). 2.7 Le demandeur ne s'en prend qu'à la première de ces deux motivationsindépendantes, contrairement à la jurisprudence qui veut que si le jugementcantonal se fonde sur plusieurs motivations indépendantes, la recevabilité durecours en réforme suppose que le recourant indique en quoi le droit fédéralest violé par chacune des motivations (art. 55 al. 1 let. c OJ; ATF 111 II397; cf. ATF 111 II 398; 115 II 300 consid. 2a; 121 III 46 consid. 2). Quoiqu'il en soit, cette seconde motivation, qui permet à elle seule de justifierla décision entreprise, ne prête pas le flanc à la critique, si bien que lerecours, supposé recevable, devrait de toute manière être rejeté. Dans cescirconstances,
il est superflu d'examiner les griefs soulevés contre lapremière motivation. 3.En définitive, le recours doit être rejeté dans la mesure où il estrecevable. Le demandeur, qui succombe, supportera les frais judiciaires (art.156 al.1 OJ). Il n'y a en revanche pas lieu d'allouer de dépens, dès lorsque la défenderesse n'a pas été invitée à procéder et n'a en conséquence pasassumé de frais en relation avec la procédure devant le Tribunal fédéral(art. 159 al. 1 et 2 OJ; Poudret/Sandoz-Monod, Commentaire de la loi fédéraled'organisation judiciaire, vol. V, 1992, n. 2 ad art. 159 OJ). Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 1.Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 2.Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis à la charge du demandeur. 3.Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et auTribunal cantonal du canton de Neuchâtel, IIe Cour civile. Lausanne, le 21 novembre 2006 Au nom de la IIe Cour civiledu Tribunal fédéral suisse Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 5C.124/2006
Date de la décision : 21/11/2006
2e cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2006-11-21;5c.124.2006 ?
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