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17/11/2006 | SUISSE | N°I.767/05

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 17 novembre 2006, I.767/05


Cause {T 7}I 767/05 Arrêt du 17 novembre 2006IIe Chambre Mme et MM. les Juges Leuzinger, Présidente, Borella et Kernen. Greffière :Mme von Zwehl Office de l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud, avenueGénéral-Guisan 8, 1800 Vevey, recourant, contre M.________, intimée, représentée par Me Romano Buob, avocat, rue de Lausanne1, 1800 Vevey Tribunal des assurances du canton de Vaud, Lausanne (Jugement du 8 juin 2005) Faits: A.M.________, née en 1960, mariée et mère de deux enfants, travaillait à pleintemps comme femme de chambre au service de la Clinique X.________ depuisjanvie

r 1991. Fin 1997, en raison de douleurs lombaires, elle a co...

Cause {T 7}I 767/05 Arrêt du 17 novembre 2006IIe Chambre Mme et MM. les Juges Leuzinger, Présidente, Borella et Kernen. Greffière :Mme von Zwehl Office de l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud, avenueGénéral-Guisan 8, 1800 Vevey, recourant, contre M.________, intimée, représentée par Me Romano Buob, avocat, rue de Lausanne1, 1800 Vevey Tribunal des assurances du canton de Vaud, Lausanne (Jugement du 8 juin 2005) Faits: A.M.________, née en 1960, mariée et mère de deux enfants, travaillait à pleintemps comme femme de chambre au service de la Clinique X.________ depuisjanvier 1991. Fin 1997, en raison de douleurs lombaires, elle a consulté ledocteur E.________ qui a constaté, sur la base d'un CT-lombaire, l'existenced'une petite hernie discale médiane en L5-S1 en contact avec la racine S1gauche. Son médecin traitant, le docteur I.________, lui a prescrit uneincapacité de travail de 100% du 22 novembre au 15 décembre 1997 et de 50%par la suite, pour une durée indéterminée. Le 25 novembre 1998, M.________s'est annoncée à l'assurance-invalidité. Dans le rapport qu'il a établi à l'intention de l'Office AI pour le canton deVaud (ci-après: l'office AI), le docteur I.________ a posé les diagnosticsde cervicalgies et lombalgies chroniques, gonalgie gauche, dé-pression etfibromyalgie. D'autres documents médicaux provenant du dossier de l'assureurperte de gain, la Winterthur Assurances, ont été versés à la procédure, dontl'avis d'un médecin spécialiste en rhumatologie (la doctoresse T.________) eten psychiatrie (le docteur P.________). Ce dernier ayant notamment niél'existence, chez l'assurée, d'une incapacité de travail pour des raisonspsychiatriques (rapport d'expertise du 13 mars 1999), l'office AI a décidéd'interpeller à nouveau la doctoresse T.________ sur l'exigibilité d'unereprise du travail. Celle-ci a précisé qu'il n'y avait pas de signes, àl'examen clinique, évoquant un syndrome cervico-lombo-vertébral ou unsyndrome radiculaire irritatif ou déficitaire, et qu'elle suspectait unprobable trouble somatoforme douloureux, l'assurée se plaignant de douleurs«très diffuses et très mal systématisées»; dans une activité adaptée, lacapacité de travail devrait être complète (rapport du 6 septembre 2000). Pardécision du 31 août 2001, l'office AI a informé l'assurée que d'aprèsl'instruction médicale, son état de santé lui permettait d'obtenir un salairesuffisant dans une activité de substitution pour exclure le droit à une rented'invalidité. B.L'assurée a recouru contre cette décision devant le Tribunal des assurancesdu canton de Vaud, en produisant un certificat médical de son médecintraitant psychiatre, le docteur L.________, qui a posé le diagnostic d'étatdépressif majeur. Elle demandait la mise en oeuvre d'une expertisepluridisciplinaire. Le tribunal a chargé le docteur V.________, spécialiste FMH en psychiatrie etpsychothérapie, d'une expertise judiciaire. Celui-ci est parvenu à laconclusion que l'assurée souffrait de troubles somatoformes invalidants. Parjugement du 8 juin 2005, notifié le 6 octobre suivant, les premiers juges ontréformé la décision attaquée en ce sens qu'ils ont reconnu le droit del'assurée à une demi-rente d'invalidité dès le 1ernovembre 1998 et renvoyéla cause à l'office AI pour qu'il détermine le montant de la rente et prenneune nouvelle décision. C.L'office AI interjette recours de droit administratif contre ce jugement, enconcluant à son annulation. Pour l'essentiel, il critique la valeur probantede l'expertise judiciaire sur laquelle les premiers juges se sont fondés pouradmettre une incapacité de travail de 50% dès le mois de novembre 1997 et de100% dès le mois d'octobre 2001. M.________ conclut au rejet du recours sous suite de dépens, tandis quel'Office fédéral des assurances sociales (OFAS) propose son admission. Considérant en droit: 1.La loi fédérale du 16 décembre 2005 modifiant la loi fédérale surl'assurance-invalidité est entrée en vigueur le 1er juillet 2006 (RO 20062003), apportant des modifications qui concernent notamment la procédureconduite devant le Tribunal fédéral des assurances (art.132 al.2 et 134OJ). Toutefois, le présent cas n'est pas soumis au nouveau droit, du momentque le recours de droit administratif a été formé avant le 1er juillet 2006(ch. II let. c des dispositions transitoires relatives à la modification du16 décembre 2005). 2.Le jugement expose correctement les dispositions légales (dans leur teneur envigueur à la date déterminante de la décision litigieuse du 31 août 2001) etles principes jurisprudentiels en matière d'invalidité et de son évaluationchez les assurés actifs, de même que ceux applicables en cas de diagnostic detroubles somatoformes douloureux. Il suffit d'y renvoyer. 3.Au plan strictement somatique, il y a lieu de retenir que l'assurée ne peutplus exercer sa profession habituelle à un taux supérieur à 50%, tandisqu'elle conserve une capacité de travail entière dans une activité adaptéepermettant l'alternance des positions assise et debout. Ce point ne soulève,à juste titre, aucune discussion entre les parties. Les conclusions de ladoctoresse T.________ sur l'aptitude à travailler et les limitationsfonctionnelles de M.________, motivées et fondées sur des examens complets,sont en effet convaincantes (voir ses rapports des 7 mai 1999 et 6 septembre2000) et il n'existe aucune raison de s'en écarter. On ne voit pas, parailleurs, que cette situation aurait changé entre-temps. Est en revanchelitigieux l'état de santé psychique de l'intimée et ses éventuellesrépercussions économiques. 4.4.1Mandaté en décembre 1998 par la Winterthur Assurances et premier expert àse prononcer sur le cas d'un point de vue psychique, le docteur P.________ arelevé une tendance à la névrose avec des phobies peu prononcées, uneréaction dépressive face au stress professionnel et familial après lanaissance d'un enfant, et des somatisations y consécutives dans le cadre dediscopathies modérées, mais aucun signe clinique pouvant justifier de retenirune incapacité de travail pour des raisons psychiatriques (en particulier pasde trouble de la conscience, de l'attention ou de la mémoire, dedépersonnalisation, de sociabilité perturbée, ou d'idées suicidaires, ni detroubles affectifs majeurs ou de l'énergie vitale, de perturbationssexuelles; en revanche, une certaine tristesse passagère et uneirritabilité). Pour ce médecin psychiatre, M.________ avait surtout desdifficultés à s'accorder des limites, à faire la distinction entre sesprétentions et ses réelles capacités, devant assumer des charges très élevées(une famille et une situation financière avec des dettes) qui l'obligeaient àexercer un emploi à plein temps sans qu'il lui fût possible de diminuer cettecharge. Il préconisait la poursuite voire l'augmentation de la médicationanti-dépressive qui semblait soulager l'assurée et, si celle-ci en faisait lademande, une psychothérapie (rapport d'expertise du 13 mars 1999). 4.2 Expert judiciaire, le docteur V.________ a posé les diagnostics detrouble somatoforme douloureux (F45.4), d'épisode dépressif moyen chronique(F32.1) et de personnalité fragile à défenses masochiques (F60.8). Selon lui,ce type de personnalité poussait M.________ à vouloir tout bien faire et àconsentir des sacrifices pour un idéal souvent inatteignable; si ses défensesvenaient à être débordées, elle pouvait être confrontée à d'intensessentiments de confusion et d'impuissance, «les douleurs [jouant] alors unrôle protecteur, sur un mode masochique, [l']empêchant et [l']excusant de neplus pouvoir faire face». Même si l'assurée décrivait une enfance plutôtheureuse, le contexte familial avait certainement favorisé ce mode defonctionnement (milieu ouvrier pauvre de Porto; décès accidentel du père,alcoolique, deux ans après sa naissance; mère surchargée par le travail etl'éducation de ses 3 frères aînés et qui l'a confiée à sa grand-mère jusqu'àl'âge de 7 ans). Toujours selon le docteur V.________, après une longuepériode sans problèmes particuliers depuis son arrivée en Suisse en 1988, lanaissance d'un deuxième enfant en 1994 avait vraisemblablement occasionné unesurcharge et l'apparition de troubles lombaires lesquels avaient décompensél'assurée sur un mode douloureux et par la suite dépressif. Le refus par l'AIavait encore aggravé cet état dépressif dès octobre 2001. Il en résultait,une incapacité de travail de 80% au moins tant sur le plan professionnel quedans son activité ménagère [...], en raison d'un double diagnostic detroubles somatoformes douloureux et d'un «état dépressif sévère» (rapportd'expertise judiciaire du 29 novembre 2003). 5.En principe, le juge ne s'écarte pas sans motifs impératifs des conclusionsd'une expertise médicale judiciaire, la tâche de l'expert étant précisémentde mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la justice afin del'éclairer sur les aspects médicaux d'un état de fait donné. Peut constituerune raison de s'écarter d'une expertise judiciaire le fait que celle-cicontient des contradictions, ou qu'une surexpertise ordonnée par le tribunalen infirme les conclusions de manière convaincante. En outre, lorsqued'autres spécialistes émettent des opinions contraires aptes à mettresérieusement en doute la pertinence des déductions de l'expert, on ne peutexclure, selon les cas, une interprétation divergente des conclusions de cedernier par le juge ou, au besoin, une instruction complémentaire sous laforme d'une nouvelle expertise médicale (ATF 125 V 352 consid. 3b/aa et lesréférences). 6.En l'espèce, les docteurs P.________ et V.________ ont cerné la personnalitéet le mécanisme psychique de l'assurée de manière assez concordante, mais lesconclusions qu'ils en ont tiré au sujet de sa capacité de travail sontdiamétralement opposées. Bien que l'on ne puisse exclure que la situationmédicale de l'intimée se soit aggravée dans le laps de temps qui sépare cesdeux évaluations, on doit convenir avec l'office recourant que lesconsidérations de l'expert judiciaire ne permettent pas de se convaincre del'ampleur de l'incapacité de travail à laquelle celui-ci a abouti. Toutd'abord, on ne peut pas juger en pleine connaissance de cause de l'existenceou de l'absence d'une comorbidité psychiatrique. Alors qu'au chapitre«Diagnostic» le docteur V.________ ne retient qu'un «épisode dépressifmoyen chronique», il fait mention à divers autres endroits de son rapportd'expertise d'un «état dépressif sévère» (voir les pages 6, 7 et 10). Orcette question est d'importance puisque les états dépressifs constituent,selon la jurisprudence, des manifestations d'accompagnement des troublessomatoformes douloureux, de sorte qu'ils ne sauraient faire l'objet d'undiagnostic séparé sauf à présenter les caractères de sévérité susceptibles deles distinguer sans conteste d'un tel trouble (cf. ATF 130 V 356 consid.3.3.1 in fine; voir aussi arrêt D. du 20 avril 2006, I 805/04, consid.5.2.1). Il faut également rappeler que c'est avant tout en raison dudiagnostic d'état dépressif majeur posé par le médecin traitant, le docteurL.________, que la juridiction cantonale a pris la décision de mettre enoeuvre une expertise judiciaire et que celle-ci n'a donc pas permis declarifier la situation à cet égard. A l'instar de l'office AI, on doitensuite constater l'absence de description du vécu quotidien de l'assurée,renseignement permettant d'apprécier notamment la vraisemblance etl'intensité de l'état douloureux. Dans le même ordre d'idées et bien qu'onpuisse en douter d'après la réponse donnée par l'expert judiciaire, on nesait pas s'il y a une perte d'intégration sociale dans toutes lesmanifestations de la vie (voir la page 4 du complément d'expertise du docteurV.________ où celui-ci admet ne pas avoir spécifiquement traité de ceproblème lors de son examen). Et puisque l'intimée est encore relativementjeune, qu'elle ne souffre pas d'affections corporelles chroniques et qu'ellen'a jamais véritablement été confrontée, même seulement théoriquement, à lapossibilité d'un changement professionnel vers une activité moinscontraignante physiquement (on ne peut pas parler d'échec de mesures deréhabilitation en dépit de la motivation et des efforts de la personneassurée pour surmonter les effets des troubles somatoformes douloureux), ilapparaît ici essentiel d'éclaircir ces divers points. Comme on ne saurait pas non plus, sur le vu de l'examen psychiatrique dudocteur V.________, conclure que M.________ jouit d'une pleine capacité detravail excluant tout droit à des prestations de l'assurance-invalidité commele soutient l'office recourant, il convient de renvoyer la cause aux premiersjuges afin qu'ils ordonnent une surexpertise psychiatrique. Il appartiendraen particulier à l'expert psychiatre de se prononcer sur une éventuellecomorbidité psychiatrique et de déterminer aussi objectivement que possiblela capacité de travail de l'assurée à la lumière de la jurisprudence topiquede la Cour de céans en matière de troubles somatoformes douloureux (enparticulier ATF 130 V 354 et 131 V 150). Dans cette mesure, le recours est bien fondé. Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce: 1.Le recours est admis en ce sens que le jugement du Tribunal des assurances ducanton de Vaud du 8 juin 2005 est annulé, la cause étant renvoyée à cetteautorité afin qu'elle procède conformément aux considérants. 2.Il n'est pas perçu de frais de justice. 3.Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal des assurances ducanton de Vaud et à l'Office fédéral des assurances sociales. Lucerne, le 17 novembre 2006 Au nom du Tribunal fédéral des assurances La Présidente de la IIe Chambre: La Greffière:


Synthèse
Numéro d'arrêt : I.767/05
Date de la décision : 17/11/2006
Cour des assurances sociales

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2006-11-17;i.767.05 ?
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