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04/10/2006 | SUISSE | N°1A.133/2006

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 04 octobre 2006, 1A.133/2006


{T 0/2}1A.133/2006 /col Arrêt du 4 octobre 2006Ire Cour de droit public MM. les Juges Féraud, Président,Aemisegger et FonjallazGreffière: Mme Truttmann. la société A.________,recourante, représentée par Me Jacques Berta etMe Maud Volper, avocats, contre la société B.________,la société C.________,intimées,toutes deux représentées par Me Olivier Jornot, avocat,Département des constructions et des technologies de l'information de laRépublique et canton de Genève, case postale 22, 1211 Genève 8,Tribunal administratif de la République et cantonde Genève, case postale 1956, 121

1 Genève 1. permis de construire; qualité pour recourir, recours de ...

{T 0/2}1A.133/2006 /col Arrêt du 4 octobre 2006Ire Cour de droit public MM. les Juges Féraud, Président,Aemisegger et FonjallazGreffière: Mme Truttmann. la société A.________,recourante, représentée par Me Jacques Berta etMe Maud Volper, avocats, contre la société B.________,la société C.________,intimées,toutes deux représentées par Me Olivier Jornot, avocat,Département des constructions et des technologies de l'information de laRépublique et canton de Genève, case postale 22, 1211 Genève 8,Tribunal administratif de la République et cantonde Genève, case postale 1956, 1211 Genève 1. permis de construire; qualité pour recourir, recours de droit administratif contre l'arrêt du Tribunal administratif de laRépublique et canton de Genève du 30 mai 2006. Faits: A.La société D.________ est propriétaire de la parcelle n° 4279 de la communede Vernier, sise au chemin J.-Ph.-De-Sauvage, en zone industrielle etartisanale. Une station de service, une station de lavage et une aire destationnement de véhicules neufs et d'occasion occupent actuellement cetteparcelle.La société anonyme A.________ est propriétaire des parcelles contiguës n°s382, 2059 et 2060. Dix-sept citernes, dans lesquelles sont stockés du dieselet des huiles de chauffage, et une station service avec un magasin s'ytrouvent.Le 2 juillet 2003, les sociétés C.________ et B.________, toutes deux liées àD.________ par des relations contractuelles, ont requis une autorisation deconstruire. Le projet prévoyait le déplacement des stations de lavage et deservice existantes.Tous les préavis requis ont été favorables, avec des réserves ou sansobservations, à l'exception de celui de la commune, laquelle a relevé que leprojet prévoyait des places de travail dans le rayon de létalité de 40mètres, fixé par une directive du Conseil d'Etat du 5 mars 2003, des dépôtsd'hydrocarbures de A.________. B.Le 26 octobre 2004, le département des constructions et des technologies del'information (ci-après: le département) a délivré l'autorisation définitivede construire sollicitée. A. ________ a recouru auprès de la commission cantonale de recours en matièrede constructions (ci-après: la commission) contre cette décision, en faisantvaloir une violation de l'ordonnance fédérale sur la protection contre lesaccidents majeurs (OPAM), au motif qu'une partie de l'installation prévue,destinée à abriter des postes de travail permanents, se trouverait dans lerayon de létalité. A.________ s'est également plainte d'une violation del'art. 14 LCI. Enfin, elle a soutenu que l'autorité administrative aurait detoute façon dû, sur la base de mesures de police, interdire la constructionde nouveaux bâtiments à proximité des dépôts d'hydrocarbures qu'elleexploite.Par arrêt du 29 juillet 2005, la commission a rejeté le recours déposé parA.________. Elle a considéré que l'art. 14 LCI ne s'appliquait pas au casd'espèce, puisque la source du danger provenait des installations deA.________ et non des constructions faisant l'objet de l'autorisationlitigieuse. S'agissant des dispositions de l'OPAM, elle a rappelé qu'ilappartenait au détenteur et exploitant d'une entreprise au sens de l'OPAM deprendre des mesures pour éviter les risques et que si des mesuressupplémentaires devaient être ordonnées, elles le seraient à la charge deA.________ et non de C.________ et de B.________. Elle a cependant jugé quetous les préavis techniques et sécuritaires avaient de toute façon étéfavorables. Il ressortait en particulier du dossier du département que si lastation de lavage se trouvait certes dans le rayon de létalité, aucune placepermanente de travail n'y était prévue. Le shop, destiné à abriter desemployés, n'était quant à lui que partiellement situé dans le rayon delétalité et sa façade, en raison de son orientation, répondait aux exigencesdu service de sécurité. Vu l'issue du litige sur le fond, elle n'a pastranché la question de la qualité pour recourir de A.________. A. ________ a recouru au Tribunal administratif contre la décision de lacommission. Par arrêt du 30 mai 2006, le Tribunal administratif a déclaré sonrecours irrecevable en raison du défaut de qualité pour recourir. C.Agissant par la voie du recours de droit administratif, A.________ demande auTribunal fédéral d'annuler l'arrêt du Tribunal administratif du 30 mai 2006,de déclarer recevable le recours qu'elle a interjeté le 6 septembre 2005contre la décision de la commission du 29 juillet 2005 et de renvoyer lacause au Tribunal administratif pour nouvelle décision. Elle se plaint d'unemauvaise application de l'art. 103 let. a OJ.Le Tribunal administratif se rapporte à justice quant à la recevabilité durecours et persiste dans les considérants et le dispositif de son arrêt. Ledépartement se rapporte à justice quant à la recevabilité du recours etconclut au rejet de ce dernier. B.________ et C.________ ont conclu au rejetdu recours. Le Tribunal fédéral considère en droit: 1.Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité et laqualification juridique des recours qui lui sont soumis (ATF 131 I 57 consid.1 p. 59). 1.1 L'auteur du recours cantonal qui s'est vu dénier la qualité pour recourirpeut agir par la voie du recours de droit administratif, si la contestationest susceptible d'être portée, sur le fond, devant le Tribunal administratifpar cette voie (ATF 124 II 499 consid. 1b p.502). 1.2 L'acte à l'origine de la procédure est une autorisation de construiredans la zone à bâtir. Or il résulte de l'art. 34 al. 3 LAT que seule la voiedu recours de droit public est en principe ouverte, devant le Tribunalfédéral, contre une décision prise en dernière instance cantonale à ce sujet.La jurisprudence admet cependant qu'une décision relative à une telleautorisation de construire fasse l'objet d'un recours de droit administratiflorsque l'application de certaines prescriptions du droit fédéral - enmatière de protection de l'environnement, notamment - est en jeu (ATF 129 I337 consid. 1.1 p. 339; 125 II 10 consid. 2a p. 13; 123 II 88 consid. 1a p.91, 231 consid. 2 p. 234; 121 II 72 consid. 1b p. 75 et les arrêts cités). Enpareil cas, on est en présence d'une décision fondée non seulement sur lalégislation cantonale en matière d'aménagement du territoire ou de police desconstructions, mais également sur le droit public fédéral au sens de l'art. 5al. 1 PA. Par conséquent, dans cette mesure, les règles de la procédure derecours de droit administratif s'appliquent (art. 97 ss OJ). Dans la mesureen revanche où la contestation porterait sur d'autres éléments del'autorisation de construire, sans qu'il y ait un rapport de connexitésuffisamment étroit entre l'application du droit administratif fédéral etcelle des normes cantonales d'aménagement du territoire ou de police desconstructions, la voie du recours de droit public serait alors ouverte (ATF128 I 46 consid. 1b/aa p. 49; 123 II 359 consid. 1a/aa p.361 et les arrêtscités). 1.3 En l'espèce, l'autorisation de construire a été délivrée sur la base depréavis, et en particulier sur celui de la commission interdépartementale surles risques majeurs (CIRMA). Ce dernier se fonde sur l'ordonnance fédéralesur la protection contre les accidents majeurs du 27 février 1991 (OPAM; RS814.012), sur le règlement genevois d'application des dispositions fédéralesrelatives à la protection contre les accidents majeurs et les organismesdangereux pour l'environnement du 21 août 2001, ainsi que sur l'extrait duprocès-verbal de la séance du Conseil d'Etat du 5 mars 2003. Lors de cetteséance, le Conseil d'Etat, se basant notamment sur l'OPAM, a décidé deretenir au titre de directives s'appliquant tant aux projets en cours qu'auxconstructions existantes sur le site des dépôts d'hydrocarbures à Vernier,les recommandations contenues dans le rapport "Etude du site des dépôtsd'hydrocarbures à Vernier" d'octobre 2002, établi par un groupe de travailqu'il avait lui-même mandaté, pour l'application des distances de sécuritésuivantes:- 40 mètres autour des bassins: interdiction de places de travail permanentes[rayon dit de létalité].- 100 mètres autour des bassins: interdiction de toute nouvelle constructiondestinée à des habitations, des emplois en grande quantité, des activitésattirant une importante population; exigence de protections constructives,techniques et organisationnelles des constructions existantes [rayon dit desécurité].- 200 mètres autour des bassins: obligation d'établir un plan d'évacuation etd'intervention; évaluation des mesures organisationnelles et constructivesparticulières (p. ex. choix des matériaux, conception des voies d'accès,etc.) [rayon dit d'évacuation].Ces dispositions réglementaires, fédérales et cantonales, appliquées par lacommission, sont des dispositions d'application du principe général deprotection contre les catastrophes inscrit dans le droit fédéral, soit àl'art. 10 de la loi fédérale sur la protection de l'environnement du 7octobre 1983 (LPE; RS 814.01).Il apparaît donc que la décision litigieuse est fondée sur le droit publicfédéral ouvrant la voie du recours de droit administratif (arrêt non publiédu Tribunal fédéral du 8 août 2006 1A.14/2005; ATF 120 Ib 379 consid. 1c p.382; Robert Zimmermann, Les exigences formelles à respecter dansl'élaboration des mesures de prévention prévues par l'OPAM in DEP 1992 p. 391ss, p. 393).Toutes les autres conditions de recevabilité du recours de droitadministratif étant remplies, il s'agit par conséquent d'entrer en matière. 2.La seule question à trancher en l'espèce est de déterminer si le Tribunaladministratif a correctement interprété et appliqué le droit fédéral endéniant à la recourante la qualité pour agir. 2.1 Aux termes de l'art. 103 let. a OJ, dont l'application s'impose égalementà la juridiction cantonale en vertu de l'art. 98a al. 3 OJ, a qualité pourrecourir quiconque est atteint par la décision attaquée et a un intérêt dignede protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée. Selon la jurisprudence,le recourant doit être touché dans une mesure et avec une intensité plusgrandes que la généralité des administrés, et l'intérêt invoqué - qui n'estpas nécessairement un intérêt juridiquement protégé, qui peut être un intérêtde fait - doit se trouver, avec l'objet de la contestation, dans un rapportétroit, spécial et digne d'être pris en considération. Il faut donc quel'admission du recours procure au recourant un avantage, de natureéconomique, matérielle ou idéale. Par ailleurs, le droit de recours supposel'existence d'un intérêt actuel à obtenir l'annulation ou la modification dela décision attaquée. Le recours d'un particulier formé dans l'intérêt de laloi ou d'un tiers est en revanche irrecevable. Ces exigences ont été poséesde manière à empêcher l'"action populaire" dans le domaine de la juridictionadministrative fédérale, quand un particulier conteste une autorisationdonnée à un autre administré (ATF 131 II 587 consid. 2.1 p. 588 s.; 361consid. 1.2 p. 365). 2.2 En l'espèce, la recourante soutient qu'elle a un intérêt digne deprotection, car le projet a pour effet direct d'augmenter l'indice d'accidentmajeur du dépôt, lequel est déterminant pour imposer des mesuressupplémentaires, voire des restrictions d'exploitation, au détenteur del'exploitation soumise à l'OPAM. L'appréciation du risque ne dépendrait dèslors pas de ses seules installations.Le Tribunal administratif a quant à lui estimé que si la mise en oeuvred'éventuelles mesures de sécurité supplémentaires représentait un coûtfinancier pour la recourante, il s'agissait d'un intérêt purement économiquedont l'autorité compétente n'avait pas à se préoccuper dans l'application desdispositions citées par la recourante, à savoir les art. 22 al. 3 LAT, 10 LPEet 3 OPAM. Le maintien des mesures de sécurité existantes pour un tel motifn'entrerait pas dans le champ des intérêts protégés par les lois précitées. 2.3 Selon l'art. 5 al. 3 OPAM, en cas de modification sensible des conditionsd'exploitation ou si des faits nouveaux importants sont portés à saconnaissance, le détenteur doit compléter son rapport succinct. De nouvellesmesures de sécurité générales au sens de l'art. 3 OPAM peuvent le cas échéantêtre exigées. Si l'autorité estime, sur la base d'une étude de risque, que lerisque n'est pas acceptable, elle peut exiger des mesures de sécuritésupplémentaires ou même restreindre, voire interdire l'exploitation (art. 8al. 1 OPAM; Hansjörg Seiler, Kommentar zum Umweltschutzgesetz, ad art. 10LPE, n. 83; Robert Zimmermann, Les exigences formelles à respecter dansl'élaboration des mesures de prévention prévues par l'OPAM in DEP 1992 p.391ss, p. 401; Pierre Moor, Problèmes d'organisation et de procédure in DEP 1992p. 309 ss, p. 312).Lors de sa comparution devant le Tribunal administratif, le représentant del'office cantonal de l'inspection et relations du travail et de la CIRMA a dureste précisé que lorsque le voisinage se modifie, l'indice d'accident majeurdoit être calculé à nouveau. Il a expliqué que l'indice serait actualisé unefois la construction effectuée. 2.4 Il découle de ce qui précède qu'il n'est pas exclu que la recourantedoive effectivement prendre des mesures supplémentaires. Contrairement à cequ'affirme le Tribunal administratif, pour que le recourant puisse agir, iln'est pas nécessaire qu'il soit affecté dans des intérêts que la normeprétendument violée a pour but de protéger; point n'est même besoin quel'ordre juridique reconnaisse implicitement l'existence des intérêts lésés(ATF 121 II 171 consid. 2b p. 174; André Grisel, Traité de droitadministratif, Neuchâtel 1984, p. 899). Un intérêt de fait est doncsuffisant. Or l'intérêt économique de la recourante, mis en évidence par leTribunal administratif, représente précisément un tel intérêt. Il apparaît audemeurant que la recourante dispose également d'un intérêt juridiquerésultant de l'obligation que lui impose l'OPAM de compléter, à certainesconditions, le rapport succinct ou de mettre en oeuvre une étude de risque.Enfin, l'intérêt de la recourante se trouve bien dans un rapport étroit,spécial et digne d'être pris en considération, puisque les distances desécurité liées à son entreprise empiètent sur le terrain où la constructionprojetée devra être édifiée.Dans ces conditions, il apparaît que c'est à tort que le Tribunaladministratif a dénié à la recourante la qualité pour recourir. Le grief tiréd'une violation de l'art. 103 let. a OJ doit donc être admis. 3.Il s'ensuit que le recours de droit administratif doit être admis et l'arrêtdu Tribunal administratif du 30 mai 2006 être annulé. Les intimées, quisuccombent, doivent supporter solidairement l'émolument judiciaire (art. 153,153a et 156 OJ). La recourante a droit à des dépens, à la charge solidairedes intimées (art. 159 al. 1 OJ). Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 1.Le recours de droit administratif est admis, l'arrêt du Tribunaladministratif du 30 mai 2006 annulé et la cause renvoyée au Tribunaladministratif. 2.Un émolument judiciaire de 3'000 fr. est mis à la charge solidaire deB.________
et de C.________. 3.Une indemnité de 2'000 fr., à payer à A.________ à titre de dépens, est miseà la charge solidaire de B.________ et de C.________. 4.Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties, auDépartement des constructions et des technologies de l'information et auTribunal administratif de la République et canton de Genève. Lausanne, le 4 octobre 2006 Au nom de la Ire Cour de droit publicdu Tribunal fédéral suisse Le président: La greffière:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1A.133/2006
Date de la décision : 04/10/2006
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2006-10-04;1a.133.2006 ?
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