La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

11/09/2006 | SUISSE | N°4P.143/2006

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 11 septembre 2006, 4P.143/2006


{T 0/2}
4P.143/2006 /ech

Arrêt du 11 septembre 2006
Ire Cour civile

MM. et Mmes les juges Corboz, président, Klett, Favre, Kiss et Mathys.
Greffier: M. Thélin.

X. ________ SA,
recourante, représentée par Me Monica Bertholet,

contre

Y.________,
intimé, représenté par Me Cédric Berger,
Cour de justice du canton de Genève, Chambre civile, case postale 3108, 1211
Genève 3.

procédure civile; assignation irrégulière

recours de droit public contre l'arrêt rendu le 7 avril 2006 par la Cour de
justice du cant

on de Genève.

Faits:

A.
Le 23 avril 2004, à la requête de la société française X.________ SA qui se
disait créancière de Y._...

{T 0/2}
4P.143/2006 /ech

Arrêt du 11 septembre 2006
Ire Cour civile

MM. et Mmes les juges Corboz, président, Klett, Favre, Kiss et Mathys.
Greffier: M. Thélin.

X. ________ SA,
recourante, représentée par Me Monica Bertholet,

contre

Y.________,
intimé, représenté par Me Cédric Berger,
Cour de justice du canton de Genève, Chambre civile, case postale 3108, 1211
Genève 3.

procédure civile; assignation irrégulière

recours de droit public contre l'arrêt rendu le 7 avril 2006 par la Cour de
justice du canton de Genève.

Faits:

A.
Le 23 avril 2004, à la requête de la société française X.________ SA qui se
disait créancière de Y.________ pour le montant de 1'758'947 fr. 50, avec
intérêts au taux de 5% par an dès le 24 janvier 2004, le juge compétent a
autorisé le séquestre des biens de toute nature qu'une banque de Genève
détenait au nom ou pour le compte du débiteur, à concurrence des valeurs
précitées. Une poursuite pour dettes fut immédiatement entreprise afin de
valider cette mesure conservatoire.
Sans succès, par la voie de l'entraide judiciaire internationale, l'office
des poursuites a tenté de notifier le commandement de payer au domicile
présumé de Y.________, d'abord en France, puis aux Etats-Unis d'Amérique. La
notification est finalement intervenue par une publication dans la Feuille
d'avis officielle du canton de Genève, le 23 février 2005.
Par lettre du 7 mars 2005, Me Cédric Berger, avocat à Genève, s'est adressé à
l'office pour faire savoir que Y.________ le chargeait de former opposition
totale dans la poursuite.

B.
Au greffe du Tribunal de première instance, le 22 avril 2005, X.________ SA a
déposé une assignation dirigée contre Y.________. Selon les conclusions
présentées, celui-ci devait être condamné au paiement des sommes garanties
par le séquestre. Le document indiquait l'adresse du défendeur aux
Etats-Unis, là où le commandement de payer n'avait pas pu être notifié, et il
indiquait aussi que le défendeur était représenté par Me Berger, «en l'étude
de qui il [avait] élu domicile».
L'assignation fut complétée par l'indication du jour et de l'heure de
l'audience d'introduction, qui était fixée au 15 septembre 2005, puis
signifiée à l'étude de Me Berger.
Celui-ci s'est présenté à l'audience d'introduction et s'est constitué pour
le défendeur. Avant toute autre exception ou défense, au nom de son mandant,
il a requis le tribunal de constater la nullité de l'assignation. Il faisait
valoir que le défendeur n'avait précédemment pas élu domicile auprès de lui
et que, sur ce point, le document contenait donc une indication fausse.
Le Tribunal de première instance a statué sur l'incident par jugement du 17
novembre 2005. Il a débouté le défendeur. Le vice de l'assignation était
incontesté. Néanmoins, cet acte était parvenu à son destinataire, lequel
avait pu prendre pleinement connaissance de la demande dirigée contre lui et
se faire représenter à l'audience d'introduction. Ses intérêts propres
étaient donc saufs. Par ailleurs, le vice ne portait atteinte à aucun intérêt
public.
Le défendeur ayant appelé à la Cour de justice, celle-ci s'est prononcée le 7
avril 2006. Elle a constaté l'absence d'élection de domicile avant l'audience
d'introduction. Elle a considéré que dans l'assignation, la société
demanderesse s'était délibérément prévalue d'une élection de domicile
inexistante pour s'affranchir des règles concernant les significations à
l'étranger. Conférer un effet guérisseur à la présence du défendeur à
l'audience d'introduction, par son avocat, avalisait une tactique du fait
accompli et éludait les règles de procédure qui s'imposaient à la
demanderesse. Le respect de ces règles pouvait d'ailleurs être exigé sans
formalisme excessif. La Cour de justice a donc accueilli l'appel et constaté
que l'assignation était nulle.

C.
Agissant par la voie du recours de droit public, X.________ SA requiert le
Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt de la Cour de justice. Invoquant l'art. 9
Cst., elle soutient que cette autorité a arbitrairement méconnu les limites
de son pouvoir d'examen définies par le droit cantonal. Elle soutient en
outre que l'exception de nullité de l'assignation, soulevée par le défendeur,
procédait d'un abus de droit, et que, au regard de cette situation, la Cour
de justice l'a accueillie arbitrairement.
Invité à répondre, le défendeur a conclu au rejet du recours; la Cour de
justice n'a pas présenté d'observations.

Par ordonnance du 27 juin 2006, le Président de la Ire Cour civile a conféré
l'effet suspensif au recours.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le recours de droit public au Tribunal fédéral peut être exercé contre une
décision cantonale pour violation des droits constitutionnels des citoyens
(art. 84 al. 1 let. a OJ), à condition qu'elle ne soit susceptible d'aucun
autre recours cantonal ou fédéral apte à redresser l'inconstitutionnalité
(art. 84 al. 2, 86 al. 1 OJ). Cette condition est satisfaite en l'espèce.
Aux termes de l'art. 87 al. 2 OJ, le recours de droit public n'est recevable
contre des décisions préjudicielles ou incidentes, prises séparément de la
décision finale, que s'il peut en résulter un préjudice irréparable; dans les
autres cas, en règle générale, les décisions incidentes ne peuvent être
attaquées qu'avec la décision finale (art. 87 al. 3 OJ).
Selon la jurisprudence, la décision finale est celle qui met un terme au
procès, qu'il s'agisse d'un prononcé sur le fond ou d'une décision appliquant
le droit de procédure. En revanche, une décision est incidente lorsqu'elle
intervient en cours de procès et constitue une simple étape vers la décision
finale; elle peut avoir pour objet une question de procédure ou une question
de fond jugée préalablement à la décision finale (ATF 129 I 313 consid. 3.2
p. 316; 128 I 215 consid. 2, 123 I 325 consid. 3b p. 327). En particulier, le
prononcé par lequel une autorité cantonale supérieure renvoie une affaire,
pour nouvelle décision, à une autorité qui a statué en première instance est
une décision incidente; ce prononcé peut toutefois être contesté par un
recours séparé si l'autorité inférieure ne conserve aucune latitude de
jugement et doit, au contraire, se borner à une simple décision d'exécution
(ATF 129 I 313 consid. 3.2 p. 316; 120 Ia 369 consid. 1b p. 372; voir aussi
ATF 122 I 39 consid. 1 p. 41).
En l'occurrence, l'arrêt attaqué ne met pas fin à la cause et il ne la
renvoie pas non plus au Tribunal de première instance; celui-ci n'en a
d'ailleurs pas été dessaisi. La Cour de justice a seulement statué en appel
sur l'incident consécutif à l'exception de nullité de l'assignation.
Néanmoins, à supposer que son arrêt subsiste et devienne exécutoire, le
tribunal sera lié par ce prononcé et, en raison de la nullité de
l'assignation, il ne pourra que déclarer l'irrecevabilité de la demande
formée avec ladite assignation (consid. 4 ci-dessous). Le sort de cette
demande est donc scellé et le Tribunal de première instance ne prendra qu'une
décision d'exécution de l'arrêt de la Cour de justice. De cette situation, il
résulte que l'arrêt est susceptible du recours séparé.
Pour le surplus, l'exigence d'un intérêt actuel, pratique et juridiquement
protégé à l'annulation de la décision attaquée (art. 88 OJ) est également
satisfaite; les conditions légales concernant la forme et le délai du recours
(art. 30, 89 et 90 OJ) sont aussi observées.

2.
Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral n'examine que les
griefs fondés sur les droits constitutionnels, invoqués et motivés de façon
suffisamment détaillée dans l'acte de recours (art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF
130 I 258 consid. 1.3 p. 261/262; 129 I 113 consid. 2.1; 128 III 50 consid.
1c p. 53). Il statue sur la base des faits constatés dans la décision
attaquée, à moins que le recourant ne démontre que la cour cantonale a retenu
ou, au contraire, ignoré de manière arbitraire certains faits déterminants
(ATF 118 Ia 20 consid. 5a).

3.
Une décision est arbitraire, donc contraire à l'art. 9 Cst., lorsqu'elle
viole gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté, ou
contredit d'une manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité.
Le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution retenue par l'autorité
cantonale de dernière instance que si sa décision apparaît insoutenable, en
contradiction manifeste avec la situation effective, adoptée sans motifs
objectifs ou en violation d'un droit certain. En outre, il ne suffit pas que
les motifs de la décision soient insoutenables; encore faut-il que celle-ci
soit arbitraire dans son résultat. Il ne suffit d'ailleurs pas non plus
qu'une solution différente de celle retenue par l'autorité cantonale puisse
être tenue pour également concevable, ou apparaisse même préférable (ATF 131
I 467 consid. 3.1 p.473/474; 129 I 8 consid. 2.1 p. 9; 128 II 259 consid. 5
p. 280/281).

4.
Aux termes de l'art. 72 al. 1 LPC gen., une cause est introduite en justice
par le dépôt de l'assignation au greffe du tribunal saisi. Parmi d'autres
indications, l'assignation doit contenir «à peine de nullité» les noms,
prénoms et domicile ou résidence des parties (art. 7 al. 1 let. b LPC gen.).
De plus, selon la jurisprudence cantonale, si l'une des parties a élu
domicile auprès d'un tiers, notamment auprès d'un avocat, il est aussi
obligatoire de l'indiquer dans le document, toujours «à peine de nullité»
(Bernard Bertossa/Louis Gaillard et al., Commentaire de la loi de procédure
civile du canton de Genève du 10 avril 1987, ch. 4 ad art. 7). En
l'occurrence, l'arrêt attaqué fait grief à la recourante d'avoir au contraire
indiqué une élection de domicile qui n'existait pas.
L'assignation est ensuite l'objet de démarches qui comprennent, en
particulier, sa signification à chacune des parties autres que celle qui l'a
déposée. Si l'une d'elles a un domicile élu, la signification est faite à ce
domicile (art. 17 al. 1 LPC gen.). S'il n'y a pas de domicile élu et que la
partie est une personne physique dont le domicile effectif et le lieu
d'activité professionnelle se trouvent à l'étranger, la signification est
faite au Procureur général; ce magistrat procède ensuite selon les règles du
droit international pour obtenir la signification de l'acte par les autorités
du lieu de domicile (art. 15 et 18 LPC gen.).
Outre cette réglementation, la loi prescrit diverses modalités pour les
significations et elle délimite les possibilités de remettre l'acte à
certains tiers plutôt qu'à la partie elle-même, lorsque celle-ci ne peut pas
être atteinte (art. 14, 16, 17 al. 2, 19 à 23 LPC gen.). Si une assignation a
été signifiée d'une manière contraire aux dispositions légales, la
signification doit être refaite mais l'instance reste liée (art. 24 et 28 LPC
gen.); si cependant l'assignation même se révèle nulle en raison d'un défaut
de son contenu, selon l'art. 7 LPC gen., l'instance n'a pas été liée et la
demande est jugée irrecevable (art. 80 let. a, 81 let. a LPC gen.;
Bertossa/Gaillard, op. cit., ch. 2 ad art. 28). L'arrêt présentement attaqué
constate la nullité de l'assignation; il en résultera donc l'échec de
l'introduction de la cause en justice et la caducité du séquestre obtenu par
la recourante (art. 280 LP).

5.
Aux termes de l'art. 2 CC, chacun est tenu d'exercer ses droits selon les
règles de la bonne foi (al. 1) et l'abus manifeste d'un droit n'est pas
protégé par la loi (al. 2). Ces principes régissent non seulement le droit
civil fédéral mais aussi le droit de procédure civile; cependant, en tant que
celui-ci est édicté par les législateurs des cantons, l'interdiction de
l'abus de droit appartient aux règles du droit cantonal (ATF 83 II 345
consid. 2 p. 348; voir aussi ATF 126 I 165 consid. 3b p. 166).
Un abus de droit peut être réalisé lorsqu'une institution juridique est
utilisée dans un but étranger à celui qui est le sien (ATF 126 I 165 consid.
3b p. 167; 125 V 307 consid. 2d p. 310). Par exemple, dans le domaine de la
procédure civile, le Tribunal fédéral a jugé qu'il était abusif d'invoquer, à
l'appui d'une exception d'incompétence, une clause contractuelle d'élection
de for désignant un lieu où aucune des parties n'avait plus de domicile, de
résidence ni d'établissement. A supposer que le défendeur eût de meilleures
chances d'obtenir gain de cause à ce for plutôt que devant le juge
effectivement saisi, cette espérance n'était pas digne de considération (ATF
56 I 443 p. 448/449; voir aussi, concernant l'exception d'incompétence, ATF
79 II 7 consid. 3 p. 16). Le Tribunal fédéral a aussi jugé que les procédés
purement dilatoires ne sont pas protégés par la loi; c'est pourquoi, selon
les circonstances, la proposition de concordat présentée par le failli ne
suspend pas la réalisation des biens (ATF 120 III 94 consid. 2c p. 97). En
droit civil, il y a abus de droit lorsque, notamment, le vice de forme d'un
contrat est invoqué dans un but étranger aux intérêts que la forme méconnue
tend à protéger (ATF 104 II 99 consid. 4c p. 107; 112 II 330 consid. 3 p.
335; voir aussi ATF 129 III 493 consid. 5.1 p. 497); ce cas est transposable
à la procédure civile car il peut survenir que l'une des parties invoque
abusivement un vice de forme commis par l'autre partie.
Dans le domaine de la procédure, l'interdiction de l'abus de droit peut être
rapprochée de l'interdiction du formalisme excessif. Celle-ci appartient au
droit constitutionnel fédéral et elle vise l'autorité saisie plutôt que les
parties au procès. Le formalisme excessif, que la jurisprudence assimile à un
déni de justice contraire à l'art. 29 al. 1 Cst., est réalisé lorsque des
règles de procédure sont appliquées avec une rigueur que ne justifie aucun
intérêt digne de protection, au point que la procédure devient une fin en soi
et empêche ou complique de manière insoutenable l'application du droit (ATF
130 V 177 consid. 5.4.1 p. 183; 128 II 139 consid. 2a p. 142). L'excès de
formalisme peut résider dans la règle de comportement qui est imposée au
plaideur ou dans la sanction qui est attachée à cette règle (ATF 125 I 166 p.
170 consid. 3a; 121 I 177 p. 179 consid. 2b/aa).

6.
Le Tribunal fédéral s'est prononcé sur la portée de notifications
irrégulières au regard de l'art. 64 LP. Selon la jurisprudence, faute
d'intérêt juridiquement pertinent, le destinataire d'un acte de
poursuite
n'est pas autorisé à porter plainte au seul motif que l'acte a été remis à
une personne qui n'avait pas qualité pour le recevoir, s'il lui est néanmoins
parvenu et qu'il s'est trouvé en mesure d'exercer ses droits (ATF 61 III 157
consid. 1 p. 158/159; 88 III 12 consid. 1 p. 15 in medio; 112 III 81 consid.
2b p. 84; voir aussi ATF 120 III 114 consid. 3b p. 116 et 128 III 465 consid.
1 p. 466). En droit administratif fédéral, il est aussi admis qu'une
notification défectueuse produit ses effets si elle a atteint son but en
dépit de l'irrégularité; on rattache ce principe aux règles de la bonne foi
(ATF 111 V 149 consid. 4c p. 150; voir aussi ATF 122 I 97 consid. 3a/aa p. 99
in medio). Ce même principe est parfois admis en doctrine (Rio Kamber, Das
Zustellungswesen im schweizerischen Zivilprozess, thèse Zurich 1957, p. 106)
et consacré par la législation ou la jurisprudence de divers cantons (Yves
Donzallaz, La notification en droit interne suisse, Berne 2002, ch. 1200 p.
566), mais il est aussi contesté: reconnaître un effet guérisseur au succès
factuel d'une notification viciée peut avoir pour conséquence que le respect
des exigences légales soit peu à peu abandonné, ces dernières étant réduites
à de simples règles d'ordre et les justiciables étant déchus du droit
d'obtenir des communications transmises par la voie et selon les modalités
légales (Donzallaz, loc. cit., ch. 1201; Bertossa/Gaillard, op.cit., ch. 4
ad art. 7 LPC gen., approuvant la jurisprudence de la Cour de justice qui
rejette ledit principe).

7.
Il est établi que l'assignation déposée le 22 avril 2005 contenait une
indication inexacte, relative à une élection de domicile qui n'existait pas,
et que ce défaut a provoqué une signification incorrecte au regard des art.
17 al. 1, 15 et 18 LPC gen. Pour apprécier si ce défaut de l'assignation peut
légitimement entraîner l'invalidation de l'instance et, avec elle, la
caducité du séquestre, il faut prendre en considération les intérêts que ces
dispositions ont pour objet de préserver et qui ont été, le cas échéant,
lésés par la signification irrégulière.
D'une manière générale, les règles sur la signification tendent
principalement à ce que l'acte concerné parvienne sûrement à son véritable
destinataire, même si l'officier public ne le rencontre pas directement, et à
ce que les opérations accomplies dans ce but soient constatées avec certitude
(cf. Pierre-François Bellot, Loi sur la procédure civile du canton de Genève
avec l'exposé des motifs, 4e éd., Genève 1877, p.23; Donzallaz, op. cit.,
ch. 21 p. 66). En cas de signification à une personne qui ne peut pas
recevoir l'acte faute d'y être habilitée par la loi ou par une élection de
domicile du destinataire, l'opération ne présente pas de garanties
suffisantes d'efficacité; c'est pourquoi elle est frappée de nullité aux
termes de l'art. 24 LPC gen.
Par suite de la signification effectuée à l'étude de Me Berger, l'assignation
est parvenue à l'intimé; ce fait est incontesté et il n'existe aucun doute à
ce sujet. Une nouvelle signification du même acte n'aurait donc aucune
utilité; il n'en résulterait que des frais et un retard supplémentaires.
Quant à l'invalidation de l'instance, elle n'a non plus aucune justification.
Elle répond sans doute à un intérêt très important de l'intimé car celui-ci
recouvrerait la libre disposition des biens placés sous séquestre; cet
intérêt n'a cependant aucun rapport avec l'objet des dispositions
transgressées. Auparavant, l'intimé avait aussi intérêt à ce que
l'assignation fût signifiée par l'intermédiaire du Procureur général et des
autorités de son domicile aux Etats-Unis, de sorte que la recourante se
serait heurtée aux délais et aux difficultés déjà rencontrés lors de la
notification du commandement de payer, mais cet intérêt n'était pas non plus
digne de considération. Dans ces circonstances, conformément à l'opinion de
la recourante, l'exception de nullité de l'assignation procédait d'un abus de
droit.
Pour le surplus, l'intérêt général au respect des lois de procédure ne permet
pas d'imposer des sanctions ayant pour effet de compliquer ou d'entraver
l'action en justice. Il est vrai que les dispositions relatives aux
significations ne tendent pas seulement à leur propre sûreté et efficacité;
le cas échéant, d'autres intérêts sont aussi en jeu. Par exemple, la faculté
d'élire domicile auprès d'un tiers, notamment à l'adresse professionnelle
d'un avocat, permet au plaideur de s'assurer un conseil plus rapide, de parer
au risque que des actes judiciaires ne lui parviennent pas alors qu'il serait
censé les avoir reçus, et de protéger sa vie privée en s'évitant de recevoir
des significations à son domicile personnel. Si des sanctions doivent être
prévues pour préserver des intérêts de ce genre, qui sont d'ailleurs hors de
cause dans la présente affaire, elles ne peuvent pas consister dans des
formalités inutiles et dilatoires, imposées à la partie en faute, ni dans la
perte des mesures conservatoires que cette partie a éventuellement obtenues.
En l'occurrence, c'est précisément cette dernière sanction qui est imposée à
la recourante. Compte tenu que la signification par l'intermédiaire de Me
Berger n'avait lésé aucun intérêt public ni aucun intérêt légitime de
l'intimé, elle est caractéristique du formalisme excessif. En accueillant
l'exception de nullité soulevée par cette dernière partie, la Cour de justice
a entériné un abus de droit, ce qui choque le sentiment de la justice et de
l'équité. Son arrêt doit donc être annulé pour violation de l'art. 9 Cst. Il
n'est pas nécessaire d'examiner si de plus, selon l'argumentation de la
recourante, cette autorité a arbitrairement méconnu les limites de son
pouvoir d'examen en cas d'appel d'un jugement rendu en dernier ressort (cf.
ATF 132 I 13 consid. 5.2 p. 18).

8.
A titre de partie qui succombe, l'intimé acquittera l'émolument judiciaire et
les dépens à allouer à la recourante qui obtient gain de cause.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis et l'arrêt attaqué est annulé.

2.
L'intimé acquittera un émolument judiciaire de 13'000 fr.

3.
L'intimé acquittera une indemnité de 15'000 fr. à verser à la recourante à
titre de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des par-ties et à la
Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 11 septembre 2006

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4P.143/2006
Date de la décision : 11/09/2006
1re cour civile

Analyses

Art. 9 Cst. Procédure civile. Exception de nullité de l'assignation; abusde droit. La demanderesse a fait signifier l'assignation à l'étude de l'avocat dudéfendeur alors que celui-ci n'y avait pas élu domicile. L'assignation estparvenue au défendeur mais celui-ci a néanmoins excipé de la nullité del'acte selon le droit cantonal. La décision attaquée accueille l'exception;il en résulte l'irrecevabilité de la demande en justice et la caducité duséquestre que celle-ci valide. Cette décision est arbitraire car l'exceptionprocède d'un abus de droit.


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2006-09-11;4p.143.2006 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award