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05/09/2006 | SUISSE | N°1E.11/2005

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 05 septembre 2006, 1E.11/2005


1E.11/2005 /svc
{T 0/2}

Arrêt du 5 septembre 2006
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président, Aemisegger, Aeschlimann, Fonjallaz et
Eusebio.
Greffier: M. Jomini.

Etat de Genève, 1204 Genève,
recourant, représenté par Me David Lachat, avocat,

contre

X.________,
représenté par Me Jean-Pierre Carera, avocat,
Commission fédérale d'estimation du 1er arrondissement, p.a. M. Jean-Marc
Strubin, Président-suppléant, Tribunal de première instance, CP 3736,
1211 Genève 3.

expropriation matérielle, pro

tection de l'environnement,

recours de droit administratif contre la décision de la Commission fédérale
d'estimation du 1er ...

1E.11/2005 /svc
{T 0/2}

Arrêt du 5 septembre 2006
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président, Aemisegger, Aeschlimann, Fonjallaz et
Eusebio.
Greffier: M. Jomini.

Etat de Genève, 1204 Genève,
recourant, représenté par Me David Lachat, avocat,

contre

X.________,
représenté par Me Jean-Pierre Carera, avocat,
Commission fédérale d'estimation du 1er arrondissement, p.a. M. Jean-Marc
Strubin, Président-suppléant, Tribunal de première instance, CP 3736,
1211 Genève 3.

expropriation matérielle, protection de l'environnement,

recours de droit administratif contre la décision de la Commission fédérale
d'estimation du 1er arrondissement du 27 mai 2005.

Faits:

A.
X. ________ est propriétaire de deux parcelles contiguës à Vernier, dont la
surface totale est de 42'671 m² (nos 2932 et 2934 du registre foncier). Dès
1952, ces deux parcelles ont été incluses dans la 5e zone résidentielle (zone
de villas). L'affectation en 5e zone a été confirmée par la loi cantonale
genevoise d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire
(LaLAT), du 4 juin 1987. Ces terrains se trouvent dans les environs de
l'aéroport international de Genève.

B.
Le 23 octobre 2002, X.________ a adressé à la Commission fédérale
d'estimation du 1er arrondissement une demande d'indemnité pour expropriation
matérielle. Il concluait au paiement, par l'Etat de Genève, de la somme de
14'934'850 fr., avec intérêts à 5 %. Il faisait valoir que les restrictions
prévues par la législation fédérale sur la protection de l'environnement
(notamment par l'art. 31 de l'ordonnance sur la protection contre le bruit
[OPB; RS 814.41]), dans cette région exposée au bruit du trafic aérien,
avaient rendu ses deux parcelles impropres à la construction de logements. Il
se référait du reste au refus, signifié le 30 juin 2000 par le Département
cantonal de l'aménagement, de l'équipement et du logement (DAEL; ci-après: le
département cantonal), d'une demande préalable qu'il avait déposée en vue
d'obtenir l'autorisation de construire sur ses terrains trente-neuf villas
mitoyennes et douze villas individuelles. Le département avait fondé son
refus sur l'argument selon lequel les deux parcelles, bien que formellement
en 5e zone, ne correspondaient pas à la définition matérielle de la zone à
bâtir, notamment parce qu'elles n'étaient pas équipées et faisaient partie
des surfaces d'assolement; au surplus, une affectation en zone agricole était
envisagée. X.________ ainsi que le promoteur du projet (A.________
Immobilière) avaient recouru contre cette décision auprès de la Commission
cantonale de recours en matière de constructions, mais le recours avait été
rejeté par un prononcé du 10 août 2001, la Commission considérant qu'en
raison des nuisances sonores du trafic aérien, les habitants des villas
projetées seraient exposés à des inconvénients graves.

Invité par la Commission fédérale d'estimation à répondre, l'Etat de Genève
(représenté par le département cantonal) a conclu le 31 janvier 2003 au rejet
de la demande d'indemnité. A titre principal, l'Etat de Genève a fait valoir
qu'il n'avait pas la légitimation passive car les prétentions auraient dû
être dirigées contre l'établissement public Aéroport international de Genève,
titulaire de la concession fédérale. Il a ensuite contesté la réalisation des
conditions auxquelles la jurisprudence soumet l'octroi d'une indemnité pour
expropriation matérielle.

Une audience de conciliation a eu lieu le 18 juin 2003. Ensuite, dans le
cours de l'instruction, X.________ a produit une décision du département
cantonal du 21 janvier 2004, refusant de délivrer à A.________ Immobilière
l'autorisation de construire (autorisation définitive) requise en vue de la
réalisation du projet de groupe de villas pour lequel l'autorisation
préalable avait déjà été refusée le 30 juin 2000. Cette décision
administrative est fondée sur des dispositions de la législation fédérale en
matière de protection contre le bruit, en particulier sur l'art. 31 OPB, à
cause du dépassement des valeurs limites d'exposition au bruit des aérodromes
civils.

Le 30 avril 2004, l'Etat de Genève a soulevé l'exception de prescription.

C.
Par une décision rendue le 27 mai 2005, la Commission fédérale d'estimation a
dit que la demande d'indemnité pour expropriation matérielle n'était pas
prescrite (ch. 1 du dispositif) et que les conditions du droit du demandeur à
une indemnité pour expropriation matérielle étaient réunies (ch. 2 du
dispositif). Un délai d'un mois dès la notification de la décision a été fixé
à l'Etat de Genève pour se déterminer sur le montant de l'indemnité (ch. 3 du
dispositif). Le sort des frais et dépens a été réservé (ch. 4 du dispositif).

La Commission a admis sa compétence en se référant à l'art. 44 de la loi
fédérale sur l'aviation (LA; RS 748.0), qui prévoit l'application par
analogie de la procédure d'estimation dans les cas où "la restriction de la
propriété foncière par le plan de zone donne droit à une indemnité
[équivalant] dans ses effets à une expropriation". Elle a retenu que l'entrée
en vigueur, le 1er juin 2001, de l'annexe 5 de l'OPB avait eu pour
conséquence de supprimer la vocation à bâtir des deux parcelles litigieuses;
elle a assimilé cette nouvelle norme du droit fédéral à un changement
d'affectation du sol et considéré que, par rapport à l'inclusion de ces
terrains dans la 5e zone lors de l'adoption en 1987 des plans annexés à la
LaLAT, il s'agissait d'un déclassement constitutif d'expropriation matérielle
selon les critères de la jurisprudence. Enfin, comme la demande d'indemnité a
été adressée à la Commission fédérale moins de cinq ans après l'entrée en
vigueur de l'annexe 5 de l'OPB, l'exception de prescription a été écartée.

D.
Agissant par la voie du recours de droit administratif, l'Etat de Genève
demande au Tribunal fédéral d'annuler la décision de la Commission fédérale
d'estimation et de débouter X.________ de toutes ses conclusions. Il reproche
en substance à la Commission d'avoir admis en violation du droit fédéral que
l'impossibilité de construire des villas sur les deux parcelles était
constitutive d'expropriation matérielle, d'avoir considéré indûment que ces
terrains étaient classés dans une zone à bâtir conforme à la loi fédérale sur
l'aménagement du territoire, et enfin d'avoir écarté à tort l'exception de
prescription.

X. ________ conclut au rejet du recours. La Commission fédérale d'estimation
a renoncé à se déterminer.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Conformément à l'art. 77 al. 1 de la loi fédérale sur l'expropriation (LEx;
RS 711), la voie du recours de droit administratif (art. 97 ss OJ) est
ouverte contre les décisions des commissions d'estimation. La décision
attaquée, par laquelle il est statué définitivement sur le principe de
l'octroi d'une indemnité, est une décision finale partielle pouvant faire
l'objet d'un tel recours, et non pas une décision incidente (cf. ATF 129 II
286 consid. 4.2 p. 291, 384 consid. 2.3 p. 385 - en relation avec les art.
101 let. a et 106 al. 1 OJ). L'Etat de Genève, qui a agi en première instance
en tant qu'"expropriant", a qualité pour recourir (art. 78 al. 1 LEx). Il y a
lieu d'entrer en matière.

2.
La contestation porte, en l'espèce, sur des conséquences de l'exposition des
biens-fonds de l'intimé au bruit du trafic aérien. D'après la décision
attaquée, des restrictions de la propriété équivalant à une expropriation
résulteraient en l'espèce de l'entrée en vigueur de l'annexe 5 de l'OPB
(nouvelle version) le 1er juin 2001 (modification de l'OPB du 30 mai 2001, RO
2001 p. 1610). Le recourant conteste l'obligation d'indemniser le
propriétaire intimé à cause de ces restrictions.

2.1Dans la procédure de recours de droit administratif, le Tribunal fédéral
est en principe lié par les conclusions des parties, mais pas par les motifs
qu'elles invoquent (art. 114 al. 1 OJ). En l'occurrence, l'Etat de Genève
conclut à l'annulation totale de la décision attaquée. Il ne conteste pas la
compétence de la Commission fédérale d'estimation mais cette question peut
être examinée d'office, dans le cadre des conclusions prises, ce d'autant
plus que le Tribunal fédéral est également en cette matière autorité de
surveillance (art. 63 LEx; cf. ATF 112 Ib 538 consid. 1 p. 540).

2.2 Le droit de l'intimé (demandeur en première instance) à une indemnité
pour expropriation matérielle a été reconnu dans le cadre d'une procédure
d'estimation régie par la loi fédérale sur l'expropriation (art. 57 ss LEx).
Cette procédure est en principe prévue dans les cas d'expropriation formelle;
les cas d'expropriation matérielle - où il s'agit de statuer sur des
prétentions à une indemnité pour des restrictions de la propriété qui
équivalent à une expropriation (cf. notamment art. 26 al. 2 Cst.) - ne sont
pas directement visés par la réglementation légale de la procédure
d'estimation. Certaines lois fédérales prévoient toutefois expressément la
compétence de la commission fédérale d'estimation, et l'application des
règles de la procédure d'estimation, dans des cas d'expropriation matérielle.
Il en va ainsi, par exemple, pour les restrictions résultant de la création
de zones réservées ou de l'adoption de plans d'alignement en vue de la
construction de certains ouvrages (cf. art. 18 et 25 de la loi fédérale sur
les routes nationales [LRN; RS 725.11]; art. 18u de la loi fédérale sur les
chemins de fer [LCdF; RS 742.101]).

Dans le domaine de l'aviation, l'application "par analogie" de la procédure
d'estimation des art. 57 ss LEx est également prévue, par l'art. 44 LA, au
cas où un "plan de zone" - à savoir un plan des zones de sécurité ou un plan
des zones de bruit, autour d'un aérodrome public (art. 42 LA; cf. ATF 121 II
317 consid. 12 p. 343) - entraînerait des restrictions de la propriété
foncière équivalant dans leurs effets à une expropriation. La commission
fédérale d'estimation est ainsi compétente pour statuer "lorsque l'existence
ou l'étendue des prétentions sont contestées" (art. 44 al. 4 LA); en d'autres
termes, elle peut octroyer une indemnité d'expropriation matérielle.

2.3 A Genève, un plan des zones de bruit a été établi dans les années 1970
par le canton, alors concessionnaire et exploitant de l'aéroport. Ce plan a
été mis à l'enquête publique en janvier 1979, approuvé par le Conseil fédéral
le 8 avril 1987 puis publié le 2 septembre 1987, ce qui lui a donné force
obligatoire (cf. ATF 121 II 317, p. 320 ss). A cette époque, les
prescriptions régissant les plans de zones de bruit - prescriptions que le
législateur avait chargé le Conseil fédéral d'adopter (art. 42 al. 1 LA) -
étaient contenues dans l'ancienne ordonnance sur la navigation aérienne, du
14 novembre 1973 (ONA). Les deux parcelles de l'intimé avaient été classées
en zone de bruit B, où n'étaient pas admis les bâtiments d'habitation, même
insonorisés (de tels bâtiments pouvaient en revanche être construits en zone
C - cf. art. 62 al.1 ONA; ATF 121 II 317, p. 321).
Dans sa réponse au recours de droit administratif, l'intimé fait valoir que
la charge de bruit n'était en réalité, au moment déterminant, pas si
importante qu'un classement en zone B fût prescrit; ses deux parcelles
auraient pu être utilisées selon le régime de la zone C. Dans diverses
affaires soumises au Tribunal fédéral, il a en effet été donné acte à des
propriétaires fonciers voisins de l'aéroport que des terrains classés dans la
zone B auraient dû finalement être inclus dans la zone C, où les restrictions
imposées par l'art. 62 ONA étaient moins sévères (cf. ATF 121 II 317 consid.
12d p. 346 ss). Quoi qu'il en soit, dans la décision attaquée, la Commission
fédérale n'a pas examiné la portée du plan des zones de bruit dans le cas
concret; ce ne sont pas les restrictions découlant du régime de la zone B
(selon le plan publié en 1987) ou de la zone C (qui, selon toute
vraisemblance, auraient été applicables à partir de 1987, en fonction d'une
évaluation correcte du niveau de bruit du trafic aérien) qui ont été jugées
équivalentes à une expropriation, mais bien des restrictions découlant de
l'application de la législation fédérale sur la protection de
l'environnement, après une révision récente de l'ordonnance sur la protection
contre le bruit.
Précisément, l'art. 42 al. 5 LA réserve (depuis 1995) les prescriptions de la
législation fédérale sur la protection de l'environnement. L'adoption d'une
réglementation complète sur la protection contre le bruit, dans la loi
fédérale sur la protection de l'environnement du 7octobre 1983 (LPE; RS
814.01) puis dans l'ordonnance sur la protection contre le bruit du 15
décembre 1986 (OPB), a amené le Conseil fédéral à abroger les dispositions
qu'il avait édictées, sur la base de l'art. 42 al.1 LA, au sujet des zones
de bruit (cf. ch. III de la modification du 12avril 2000 de l'ordonnance sur
la protection contre le bruit [RO 2000 p. 1388], qui abroge les art. 40 à 47
de l'ordonnance sur l'infrastructure aéronautique [OSIA; RS 748.131.1],
articles qui correspondaient aux dispositions de l'ancienne ordonnance sur la
navigation aérienne [ONA] concernant les zones de bruit). L'exploitant d'un
aéroport n'est donc plus tenu, depuis le 1er mai 2000, d'adopter ou
d'actualiser un plan des zones de bruit (cf. à ce propos ATF 130 II 394
consid. 7.2 p. 403).

2.4 Les restrictions invoquées par l'intimé, dans la présente procédure,
résultent directement de l'application du droit fédéral. Il n'est pas exclu
que l'entrée en vigueur d'une disposition légale, quand elle a pour effet
d'empêcher la délivrance d'autorisations de construire sur un terrain classé
dans une zone à bâtir par le plan d'affectation cantonal ou communal, puisse
être considérée comme une mesure constitutive d'expropriation matérielle. A
tout le moins, il importe de donner au propriétaire foncier concerné la
possibilité d'ouvrir action et de présenter des conclusions en paiement à ce
titre, notamment quand l'inconstructibilité est concrètement démontrée par le
refus d'un permis de construire (cf. ATF 105 Ia 330, où la demande
d'indemnité avait été présentée après un refus d'autorisation fondée sur les
anciens art. 19 et 20 LPEP; cf. également arrêt P.312/1978 du 30 mai 1979,
publié in ZBl 81/1980 p. 354 consid. 6b, où le Tribunal
fédéral estime
critiquable la conception selon laquelle le refus d'un permis de construire
ne peut pas justifier l'ouverture d'une procédure d'expropriation matérielle;
cf. Enrico Riva, Hauptfragen der materiellen Enteignung, Berne 1990, p.
220/221).
En matière de protection contre le bruit, la législation fédérale impose,
pour la construction sur un terrain classé dans la zone à bâtir, des
conditions supplémentaires à celles prévues par le plan d'affectation et son
règlement (cf. art. 22 al. 3 LAT, réservant les autres conditions posées par
le droit fédéral et le droit cantonal). L'art. 22 al. 1 LPE dispose que les
permis de construire de nouveaux immeubles destinés au séjour prolongé des
personnes ne seront en principe délivrés que si les valeurs limites
d'immissions ne sont pas dépassées (des exceptions sont prévues à l'art. 22
al. 2 LPE et l'art. 31 OPB reprend cette réglementation en la précisant). Les
valeurs limites d'immissions sont fixées dans des annexes à l'OPB, en
fonction de la source de bruit. Pour le bruit des aérodromes civils, la
fixation des valeurs limites est intervenue assez tardivement (à l'occasion
d'une modification de l'OPB en 2001). Depuis lors, les conséquences de
l'application des art. 22 LPE et 31 OPB sur les terrains en zone à bâtir dans
les environs de l'aéroport de Genève sont en principe assez claires. Dans une
zone à vocation exclusivement résidentielle, cela peut rendre impossible la
construction des bâtiments prévus par le plan d'affectation.

2.5 L'intimé demande, dans la présente procédure, une indemnité pour
expropriation matérielle. Il ne prétend pas à une indemnité pour
expropriation formelle des droits de voisinage, qui peut être allouée à
certaines conditions prévues par la jurisprudence, qu'il n'y a pas lieu de
rappeler ici (cf. en particulier, pour le bruit du trafic aérien autour d'un
aéroport, ATF 121 II 317). Il faut néanmoins examiner si la possibilité d'une
procédure pour expropriation formelle de droits de voisinage - parce que le
bruit provient d'un aéroport national construit et exploité par une
collectivité disposant du droit d'expropriation en vertu de la législation
fédérale - exclut par principe une expropriation matérielle, en raison de
restrictions ayant également pour origine le bruit de l'aéroport.

Lorsque la législation fédérale sur l'aviation prévoyait encore
l'établissement de plans des zones de bruit (cf. supra, consid. 2.3), la
jurisprudence retenait que, pour les propriétaires d'immeubles exposés au
bruit du trafic aérien - les nuisances entraînant soit une moins-value du
bien-fonds, soit des restrictions d'utilisation -, le droit de demander une
indemnité pour expropriation (formelle) des droits de voisinage n'excluait
pas le droit de faire valoir des prétentions pour expropriation matérielle,
sur la base de l'art. 44 LA. Le droit fédéral admettait la coexistence des
deux procédures, ce régime juridique excluant toutefois un cumul d'indemnités
pour un même préjudice économique (cf. ATF 110 Ib 368 consid. 2d et e p.
378). Ultérieurement, le Tribunal fédéral a encore examiné dans quelques
arrêts la question de l'expropriation matérielle à la suite du classement
d'un bien-fonds dans une zone de bruit; dans les cas qui lui ont été soumis,
aucune indemnité n'a été allouée à ce titre (cf. ATF 121 II 317 consid. 11 ss
p.343 ss; 122 II 17 consid. 7b p. 20; 123 II 481 consid. 6 p. 487). Il n'y a
cependant pas lieu de revenir dans le présent arrêt sur cette question, dès
lors que la restriction litigieuse ne découle pas d'un plan des zones de
bruit établi selon les art. 42 ss LA.

D'une façon plus générale, la possibilité de demander une indemnité pour
expropriation formelle des droits de voisinage, selon la procédure des art.
57 ss LEx, ne doit pas empêcher le propriétaire concerné d'ouvrir action en
paiement d'une indemnité d'expropriation matérielle, quand bien même,
concrètement, l'origine de la moins-value ou des restrictions est le
caractère excessif des nuisances provenant d'un ouvrage public (aéroport,
route nationale, voie de chemin de fer, etc.). Cela étant, sur le fond, il
faut dans tous les cas éviter un cumul d'indemnités.

2.6 La loi fédérale sur la protection de l'environnement (LPE) contient, en
matière de protection contre le bruit, des normes qui doivent être appliquées
par les autorités chargées de l'aménagement du territoire, soit dans le cadre
de l'établissement ou de la révision des plans d'affectation soit au stade de
l'autorisation de construire. Ces normes entraînent, le cas échéant, des
restrictions pour les propriétaires des biens-fonds exposés au bruit.

Si l'indemnité d'expropriation matérielle est demandée à cause d'une
inconstructibilité résultant de l'application de l'art. 22 LPE - restriction
qui se concrétise par un refus de permis de construire -, la situation
présente une certaine analogie avec un déclassement d'un terrain à bâtir
fondé sur l'art. 24 al. 2 LPE, disposition selon laquelle les zones à bâtir
existantes mais non encore équipées, qui sont destinées à la construction de
logements et dans lesquelles les valeurs de planification sont dépassées,
doivent en principe être affectées à une utilisation moins sensible au bruit.
En règle générale, lorsque des restrictions du droit de propriété résultent
de la modification d'un plan d'affectation (cantonal ou communal), pour
mettre en oeuvre la législation sur la protection de l'environnement ou pour
d'autres motifs d'aménagement du territoire, il incombe à une juridiction
cantonale de statuer sur les demandes d'indemnité pour expropriation
matérielle, sur la base de l'art. 5 al. 2 LAT et des règles formelles du
droit cantonal. Il doit en aller de même lorsque la "mesure d'aménagement" -
soit une interdiction de construire certains bâtiments à usage sensible au
bruit - est une conséquence directe de l'application de l'art. 22 LPE; en
pareil cas en effet, on aurait également pu concevoir une modification
préalable du plan d'affectation pour adapter la réglementation à la situation
concrète, en matière de nuisances.

2.7 Ainsi, d'un côté, il faut admettre en principe la compétence des
juridictions cantonales pour statuer sur les prétentions des propriétaires
qui soutiennent que l'application de l'art. 22 LPE provoque des restrictions
équivalant à une expropriation. D'un autre côté, il y a lieu de constater que
dans cette situation - qu'il faut distinguer d'un cas d'expropriation
matérielle à cause des restrictions imposées par les anciens plans des zones
de bruit -, aucune disposition de la loi fédérale sur l'aviation (LA), de la
loi fédérale sur l'expropriation (LEx) ni d'une autre loi fédérale ne prévoit
la compétence de la commission fédérale d'estimation. Or on ne saurait
étendre la compétence des commissions fédérales d'estimation au-delà des
limites fixées par la loi fédérale sur l'expropriation ou par les lois
spéciales qui prévoient expressément l'application de la procédure
d'estimation, soit directement soit par analogie (cf. supra, consid. 2.2).
Les règles sur la compétence matérielle des commissions fédérales
d'estimation sont des règles impératives. Hors des cas prévus par la loi,
lorsque la contestation ne porte pas sur un cas d'expropriation formelle
(dans le cadre fixé par l'art. 64 al. 1 LEx) mais sur une indemnisation pour
expropriation matérielle, la commission saisie par un propriétaire doit
décliner sa compétence, nonobstant un éventuel accord des parties pour
procéder devant elle (cf. ATF 121 II 436 consid. 3b p. 440; 115 Ib 411
consid. 2b p. 413).

Dans la présente affaire, seule la question de la compétence est litigieuse
et il n'y a pas lieu d'examiner plus avant à quelles conditions
l'application des art. 22 LPE et 31 OPB pourrait éventuellement justifier
l'octroi d'une indemnité d'expropriation matérielle (cette question a
également été laissée indécise dans d'autres arrêts: cf. ATF 126 II 522
consid. 49 p. 596; arrêt 1A.135/2000 du 1er mai 2001, publié in DEP 2001
p.454, consid. 5; cf. néanmoins, avant l'entrée en vigueur de la LAT et de
la LPE, l'arrêt du 30 mai 1979 publié in ZBl 81/1980 p. 354, où le Tribunal
fédéral avait refusé de reconnaître un cas d'expropriation matérielle mais
réservé l'éventualité d'une expropriation formelle des droits de voisinage, à
propos d'un bien-fonds voisin d'une route nationale). Il convient encore de
relever que la question de l'expropriation matérielle à cause de
l'impossibilité de construire sur un bien-fonds exposé au bruit doit être
distinguée de la question de la prise en charge des coûts de murs antibruit
ou d'autres ouvrages de protection contre les nuisances, érigés dans le but
d'épargner à certains propriétaires fonciers les restrictions découlant des
art. 22 LPE et 31 OPB (question se posant du reste plutôt aux abords des
routes et des voies de chemin de fer qu'aux environs des aéroports). Cette
dernière question a été évoquée dans deux arrêts du Tribunal fédéral (ATF 120
Ib 76 consid. 5b p. 88; 132 II 371). Les considérations à ce sujet, notamment
quant à la procédure à suivre (expropriation formelle, expropriation
matérielle) ou à la portée du principe de causalité (art. 2 LPE), ne sont pas
directement pertinentes là où il n'est pas question de réaliser des ouvrages
de protection contre le bruit.

2.8 Il résulte des considérants précédents que, dans le cas particulier,
c'est en violation du droit fédéral que la Commission fédérale d'estimation a
admis sa compétence pour statuer sur les prétentions de l'intimé. Il se
justifie donc, conformément aux conclusions du recourant, d'annuler la
décision attaquée.

Dès lors qu'elle est incompétente, la Commission n'a pas à statuer à nouveau
sur les prétentions de l'intimé, ni à transmettre d'office les actes de la
procédure à une autre autorité. Il appartient à l'intimé de décider s'il
entend ouvrir action devant la juridiction cantonale compétente, en observant
les règles formelles du droit cantonal.

3.
Le présent arrêt met un terme à la procédure ouverte devant la Commission
fédérale d'estimation, sur la base des art. 57 ss LEx, par le dépôt de la
demande du 23 octobre 2002.

L'affaire doit être renvoyée à l'autorité inférieure uniquement pour qu'elle
statue sur les frais de la procédure de première instance (indemnités
journalières des membres de la Commission, émoluments et débours)
conformément aux dispositions de l'ordonnance sur les émoluments et
indemnités à percevoir dans la procédure d'expropriation (RS 711.3).

Il y a lieu de statuer, dans le présent arrêt, sur les dépens dus pour la
procédure devant la Commission fédérale d'estimation ainsi que sur les frais
et dépens pour la procédure devant le Tribunal fédéral. Les dispositions
spéciales de la loi fédérale sur l'expropriation sont applicables et,
conformément aux art. 115 al. 1 et 116 al. 1 LEx, les frais et dépens doivent
être mis à la charge de l'Etat de Genève, qui n'avait du reste pas contesté
la compétence de la Commission fédérale d'estimation.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours de droit administratif est admis et la décision rendue le 27 mai
2005 par la Commission fédérale d'estimation du 1er arrondissement est
annulée.

2.
L'affaire est renvoyée à la Commission fédérale d'estimation du
1erarrondissement pour décision sur les frais de la procédure de première
instance.

3.
Un émolument judiciaire de 2'000 fr., pour la procédure de recours de droit
administratif, est mis à la charge de l'Etat de Genève.

4.
Une indemnité globale de 4'000 fr., à payer à X.________ à titre de dépens
pour la procédure devant la Commission fédérale d'estimation et la procédure
de recours de droit administratif, est mise à la charge de l'Etat de Genève.

5.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la
Commission fédérale d'estimation du 1er arrondissement.

Lausanne, le 5 septembre 2006

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1E.11/2005
Date de la décision : 05/09/2006
1re cour de droit public

Analyses

Expropriation matérielle, restrictions découlant de l'application desnormes du droit fédéral sur la protection contre le bruit (art. 22 LPE, art.5 al. 2 LAT, art. 44 LA). Lorsqu'un propriétaire foncier fait valoir que l'application de la loifédérale sur la protection de l'environnement empêche, à cause du bruitexistant, la délivrance d'une autorisation de construire sur son terrainclassé en zone à bâtir, et qu'il subit par conséquent des restrictionsconstitutives d'expropriation matérielle, il doit soumettre ses prétentionsà la juridiction cantonale compétente pour les cas d'expropriationmatérielle, et non pas - quand le bruit provient de l'exploitation d'unaéroport - à la Commission fédérale d'estimation (consid. 2).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2006-09-05;1e.11.2005 ?
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