La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/08/2006 | SUISSE | N°5P.131/2006

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 25 août 2006, 5P.131/2006


5P.131/2006 /frs{T 0/2} Arrêt du 25 août 2006IIe Cour civile MM. et Mme les Juges Raselli, Président,Hohl et Marazzi.Greffière: Mme Jordan. Dame Y.________,recourante, représentée par Me Jean-François Marti, avocat, contre X.________,intimé, représenté par Me Alain Berger, avocat,Chambre des tutelles du Tribunal cantonal vaudois, route du Signal 8, 1014Lausanne. art. 9 Cst. (exercice du droit de visite; mesures provisionnelles), recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre des tutelles du Tribunalcantonal vaudois du 28 février 2006. Faits: A.A. ________, né le 8 novembre 1

999, et B.________, née le 19 décembre 2003,sont les enfants...

5P.131/2006 /frs{T 0/2} Arrêt du 25 août 2006IIe Cour civile MM. et Mme les Juges Raselli, Président,Hohl et Marazzi.Greffière: Mme Jordan. Dame Y.________,recourante, représentée par Me Jean-François Marti, avocat, contre X.________,intimé, représenté par Me Alain Berger, avocat,Chambre des tutelles du Tribunal cantonal vaudois, route du Signal 8, 1014Lausanne. art. 9 Cst. (exercice du droit de visite; mesures provisionnelles), recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre des tutelles du Tribunalcantonal vaudois du 28 février 2006. Faits: A.A. ________, né le 8 novembre 1999, et B.________, née le 19 décembre 2003,sont les enfants de X.________ et dame Y.________. Le divorce de ces derniersa été prononcé par la High Court de Londres en juillet 2004, sans qu'il soitstatué, conformément au droit anglais, sur les relations personnelles et lagarde, les parents ayant convenu d'attribuer celle-ci à la mère, sous réserved'un large droit de visite en faveur du père. En juillet 2005, dame Y.________ et les enfants se sont établis en Suisse. Enoctobre de la même année, elle a épousé Y.________. X.________ habite Londreset a une nouvelle compagne. B.Le soir du 19 octobre 2005, dame Y.________ a surpris partiellement uneconversation téléphonique entre A.________ et son père; elle a questionné legarçon à ce sujet, enregistrant leur discussion (en anglais) sur sontéléphone portable. Après avoir fait transcrire et traduire cetenregistrement par une traductrice-jurée agréée, elle a contacté le Servicede protection de la jeunesse, qui a immédiatement annulé le déplacement del'enfant chez son père, prévu pour le 22 octobre suivant. Saisi en raison des faits retranscrits d'une plainte pénale de la mère, lejuge d'instruction a refusé d'y donner suite, le droit pénal suisse n'étantpas applicable. C.Sur requête de dame Y.________, le Juge de paix du district de Nyon a, parordonnance de mesures provisionnelles du 16 décembre 2005, suspendu le droitde visite du père et ordonné une expertise psychiatrique des enfants. Admettant partiellement le recours de X.________ le 28 février 2006, laChambre des tutelles du Tribunal cantonal du canton de Vaud a réformél'ordonnance entreprise en ce sens que le droit de visite du père devaits'exercer par l'intermédiaire d'un Point Rencontre, une fois par mois, pourune durée maximale de deux heures, à l'intérieur des locaux de l'institution. D.Contre cet arrêt dont elle demande l'annulation, dame Y.________ forme unrecours de droit public pour arbitraire dans l'application du droit civilfédéral. X. ________ propose l'irrecevabilité du recours, subsidiairement son rejet.L'autorité cantonale se réfère à ses considérants. E.Par ordonnance du 2 mai 2006, le Président de la cour de céans a accordé, ausens des considérants, l'effet suspensif au recours. Le Tribunal fédéral considère en droit: 1.Le Tribunal fédéral examine librement la recevabilité des moyens de droit quilui sont soumis (ATF 131 I 153 consid. 1 p. 156; 131 II 571 consid. 1 p. 573;130 I 312 consid. 1 p. 317 et les arrêts cités). 1.1 Le recours en réforme est en principe recevable contre les décisions quirèglent le droit des parents d'entretenir des relations personnelles avecl'enfant (art. 44 let. d OJ), pour autant toutefois qu'elles soient finalesau sens de l'art. 48 al. 1 OJ. Tel n'est pas le cas d'une ordonnance demesures provisionnelles telle que celle entreprise. Seule est dès lorsouverte la voie du recours de droit public (art. 84 al. 2 OJ). Le présentrecours est aussi recevable sous l'angle des art. 86 al. 1 et 89 al. 1 OJ,dès lors qu'il a été formé en temps utile contre une décision prise endernière instance cantonale, les griefs soulevés, notamment l'applicationarbitraire du droit, ne pouvant faire l'objet du recours en nullité cantonalde l'art. 444 al. 1 CPC/VD. 1.2 En tant que mère contestant l'octroi d'un droit de visite surveillé aupère, la recourante a manifestement la qualité pour recourir selon l'art.88OJ. L'intimé doute toutefois qu'elle ait encore un intérêt au recours. Il sedemande si l'octroi de l'effet suspensif par le Tribunal fédéral a suspendula durée de validité de trois mois de l'ordonnance de mesuresprovisionnelles du 16 décembre 2005. Dans l'hypothèse où tel ne serait pas lecas, il soutient que celle-là serait devenue caduque et que, partant, leprésent recours serait sans objet. L'intimé a déjà soulevé cet argument dans sa détermination sur la requêted'effet suspensif, vainement toutefois. Se référant aux avis des spécialistesfigurant au dossier, lesquels déconseillaient tous que le père revoiel'enfant avant la fin de l'expertise, le Président de la cour de céans a jugéque cet impératif de statu quo commandait, dans l'intérêt de l'enfant et dubon déroulement de l'expertise, d'accorder l'effet suspensif au recours. Ildécoule de telles considérations que la suspension du droit de visite s'estprolongée au-delà des trois mois prévus par le droit de procédure cantonal.D'ailleurs, se conformant à cette décision, le Juge de paix a annulé laséance du 17 mai 2006 appointée pour renouveler l'ordonnance de mesuresprovisionnelles. Dans ces conditions, la recourante dispose bel et bien d'unintérêt actuel au recours. 2.D'après la jurisprudence, une décision est arbitraire lorsqu'elle estmanifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un principejuridique clair et indiscuté, ou heurte de manière choquante le sentiment dela justice et de l'équité; il ne suffit pas qu'une autre solution paraisseconcevable, voire préférable; pour que cette décision soit annulée, encorefaut-il qu'elle se révèle arbitraire non seulement dans ses motifs, maisaussi dans son résultat (ATF 132 III 209 consid. 2.1 p. 211 et les arrêtscités). Dans un recours de droit public pour arbitraire, les faits, moyens de preuveou moyens de droit nouveaux sont irrecevables. Des exceptions à ce principene sont admises que dans quatre cas: de nouveaux moyens sont recevableslorsque seule la motivation de la décision attaquée donne l'occasion de lessoulever, lorsqu'ils ont trait à un point de vue qui s'impose et quel'autorité cantonale aurait dû prendre en considération d'office, lorsqu'ilsn'acquièrent de l'importance que lors de l'établissement des faits selonl'art. 95 OJ et, enfin, pour les moyens de droit nouveaux, lorsque l'autoritécantonale de dernière instance disposait d'un plein pouvoir d'examen etdevait appliquer le droit d'office (ATF 128 I 354 consid. 6c p. 357 et lajurisprudence mentionnée). 3.Selon l'art. 273 al. 1 CC, le père ou la mère qui ne détient pas l'autoritéparentale ou la garde ainsi que l'enfant mineur ont réciproquement le droitd'entretenir les relations personnelles indiquées par les circonstances.Autrefois considéré comme un droit naturel des parents, le droit auxrelations personnelles est désormais conçu à la fois comme un droit et undevoir de ceux-ci (cf. art. 273 al.2 CC), mais aussi comme un droit de lapersonnalité de l'enfant; il doit servir en premier lieu l'intérêt decelui-ci (ATF 127 III 295 consid. 4a p. 298; 123 III 445 consid. 3b p. 451).Le rapport de l'enfant avec ses deux parents est essentiel et peut jouer unrôle décisif dans le processus de sa recherche d'identité (ATF 127 III 295consid. 4a p.298; 123 III 445 consid. 3c p. 452; 122 III 404 consid. 3a p.407 et les références). Aux termes de l'art. 274 al. 2 CC, si les relations personnellescompromettent le développement de l'enfant, si les père et mère qui lesentretiennent violent leurs obligations, s'ils ne se sont pas souciéssérieusement de l'enfant ou s'il existe d'autres justes motifs, le droitd'entretenir ces relations peut leur être refusé ou retiré. D'après lajurisprudence, il existe un danger pour le bien de l'enfant si sondéveloppement physique, moral ou psychique est menacé par la présence, mêmelimitée, du parent qui n'a pas l'autorité parentale. Entrent en considérationen tant que justes motifs la négligence, les mauvais traitements physiques etpsychiques, en particulier les abus sexuels. Conformément au principe de laproportionnalité, il importe en outre que ce danger ne puisse être écarté pard'autres mesures appropriées (ATF 122 III 404 consid. 3b p. 407 et lajurisprudence citée). Le retrait de tout droit à des relations personnellesconstitue l'ultima ratio et ne peut être ordonné dans l'intérêt de l'enfantque si les effets négatifs des relations personnelles ne peuvent êtremaintenus dans des limites supportables pour l'enfant (ATF 122 III 404consid. 3b p. 407; 120 II 229 consid. 3b/aa p. 233 et les référencesindiquées). En revanche, si le risque engendré pour l'enfant par lesrelations personnelles peut être limité grâce à la présence d'un tiers, ledroit de la personnalité du parent non détenteur de l'autorité parentale, leprincipe de la proportionnalité et le sens des relations personnellesinterdisent la suppression complète de ce droit. L'établissement d'un droitde visite surveillé, comme le refus ou le retrait du droit aux relationspersonnelles selon l'art. 274 al. 2 CC, nécessite des indices concrets demise en danger du bien de l'enfant. Il ne suffit pas que ce dernier risqueabstraitement de subir une mauvaise influence pour qu'un droit de visitesurveillé soit instauré (ATF 122 III 404 consid. 3c p. 408). Pour fixer le droit aux relations personnelles, le juge fait usage de sonpouvoir d'appréciation (art. 4 CC). Le Tribunal fédéral s'impose dès lors unecertaine retenue en la matière; il n'intervient que si la décision a étéprise sur la base de circonstances qui ne jouent aucun rôle selon l'esprit dela loi, ou si des aspects essentiels ont été ignorés (ATF 120 II 229 consid.4a p. 235 et l'arrêt cité; Hegnauer, Commentaire bernois, n. 61 ad art. 273CC). L'établissement des faits est soumis à la maxime d'office (ATF 122 III404 consid. 3d p. 408; 120 II 229 consid. 1c p. 231). 4.La recourante prétend que la Chambre des tutelles a arbitrairement violé ledroit fédéral en accordant au père un droit de visite surveillé. 4.1 A l'instar du Juge de paix, la Chambre des tutelles a considéré que lesabus sexuels avaient été rendus suffisamment vraisemblables au stade desmesures provisionnelles. Faute d'un recours sur ce point, il n'y a pas lieude tenir compte des objections soulevées par l'intimé dans sa réponse. Celaétant, il faut admettre que des indices concrets de mise en danger du bien del'enfant (supra, consid. 3) existent en l'espèce. 4.2 Selon la recourante, le droit de visite n'est surveillé en l'espèce quedans la mesure où il doit s'exercer conformément au règlement interne et auxprincipes de fonctionnement du Point Rencontre. La limitation consisteraitainsi uniquement en ce que le lieu de rencontre est imposé et que desprofessionnels se trouvent dans les locaux; le parent et l'enfant seraientseuls dans une pièce, aucun tiers n'assistant à leur entrevue. Le pèredisposerait dès lors d'une totale liberté de parole, de sorte qu'il pourraitavoir de nouveau avec l'enfant des conversations du genre de cellesenregistrées. De plus, la reprise du droit de visite avant les premièresconstatations de l'expert psychiatre pourrait réduire l'enfant au silence,rendant impossible l'établissement d'éventuels abus sexuels. 4.2.1 Contrairement à l'avis de l'intimé, cette argumentation n'est pasnouvelle. Elle n'est que la conséquence directe de l'arrêt de la Chambre destutelles, laquelle a rétabli un droit de visite suspendu par le Juge de paix(supra, consid. 2). 4.2.2 La limitation du droit de visite doit permettre d'écarter les dangersqu'encourt l'enfant (supra, consid. 3). En l'espèce, le problème réside dansl'absence - non contestée par l'intimé - d'un tiers dans le local où ont lieules rencontres. N'est cependant nullement en cause le risque pour l'enfant desubir de nouvelles atteintes telles que celles décrites dans lesenregistrements. L'exercice du droit de visite au Point Rencontre pare eneffet à cette éventualité. C'est d'ailleurs la solution qui a généralementcours lorsqu'il y a suspicion d'abus sexuels. L'intimé pourrait tout au plustenir avec son fils des conversations inadaptées à son âge et à sondéveloppement. Toutefois, ce n'est pas ce danger qui préoccupe le plus, maisle fait - indiscuté - qu'en l'absence d'une tierce personne, l'intimé puisseinfluencer l'enfant de manière à empêcher le bon déroulement de l'expertise,rendant impossible l'établissement d'éventuels abus sexuels. Or, il importe que les experts s'entretiennent avec l'enfant avant touterencontre avec son père et que l'exercice du droit de visite ne mette pas enpéril l'exécution de l'expertise. Il est en effet manifestement dansl'intérêt tant de l'enfant que des parents que l'accusation d'abus sexuelssoit éclaircie dans les meilleures conditions possibles. S'il devaitsubsister des doutes à ce propos, en raison d'incidents entamant lacrédibilité de l'expertise, les rapports filiaux pourraient en pâtir trèslongtemps, voire même la vie durant. Il est donc primordial d'assurer un bondéroulement de l'expertise, ce que n'est pas en mesure de garantir le droitde visite surveillé tel qu'ordonné par l'autorité cantonale. Cesconsidérations s'imposent indépendamment des pièces produites par larecourante à l'appui de son recours. La cour de céans peut ainsi se passer derépondre aux objections de l'intimé quant à leur contenu et à leurrecevabilité. Enfin, du point de vue de la proportionnalité, une suppression temporaire dudroit de visite paraît moins grave qu'un trouble de bien plus longue duréedes relations filiales. Vu ce qui précède, la Chambre des tutelles est tombée dans l'arbitraire enoctroyant un droit de visite surveillé avant même les premières constatationsde l'expert psychiatre. 5.Cela étant, le recours doit être admis. L'intimé, qui succombe, supporterales frais de justice (art. 156 al. 1 OJ) et versera des dépens à larecourante (art. 159 al. 1 et 2 OJ). Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 1.Le recours est admis. 2.Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis à la charge de l'intimé. 3.L'intimé versera à la recourante une indemnité de 2'000 fr. à titre dedépens. 4.Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à laChambre des tutelles du Tribunal cantonal du canton de Vaud. Lausanne, le 25 août 2006 Au nom de la IIe Cour civiledu Tribunal fédéral suisse Le Président: La Greffière:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 5P.131/2006
Date de la décision : 25/08/2006
2e cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2006-08-25;5p.131.2006 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award