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09/08/2006 | SUISSE | N°2A.245/2005

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 09 août 2006, 2A.245/2005


{T 0/2}
2A.245/2005 /fzc

Arrêt du 9 août 2006
IIe Cour de droit public

MM. et Mme les Juges Merkli, Président, Wurzburger, Müller, Yersin et
Camenzind, Juge suppléant.
Greffier: M. Vianin.

Administration fédérale des contributions, Division principale de la taxe sur
la valeur ajoutée (TVA),
3003 Berne,
recourante,

contre

X.________ AG,
intimée,
représentée par KPMG Fides,

Commission fédérale de recours en matière de contributions, avenue Tissot 8,
1006 Lausanne.

taxe sur la valeur ajoutée; déd

uction de l'impôt préalable, prêts et apports
dissimulés de l'actionnaire,

recours de droit administratif contre la décision de la Co...

{T 0/2}
2A.245/2005 /fzc

Arrêt du 9 août 2006
IIe Cour de droit public

MM. et Mme les Juges Merkli, Président, Wurzburger, Müller, Yersin et
Camenzind, Juge suppléant.
Greffier: M. Vianin.

Administration fédérale des contributions, Division principale de la taxe sur
la valeur ajoutée (TVA),
3003 Berne,
recourante,

contre

X.________ AG,
intimée,
représentée par KPMG Fides,

Commission fédérale de recours en matière de contributions, avenue Tissot 8,
1006 Lausanne.

taxe sur la valeur ajoutée; déduction de l'impôt préalable, prêts et apports
dissimulés de l'actionnaire,

recours de droit administratif contre la décision de la Commission fédérale
de recours en matière de contributions du 11 mars 2005.

Faits:

A.
La société X.________ AG (ou l'intimée) est immatriculée dans le registre de
l'Administration fédérale des contributions depuis le 1er janvier 1995 en
qualité d'assujettie au sens de l'art. 17 de l'ordonnance du 22 juin 1994
régissant la taxe sur la valeur ajoutée (OTVA; RO 1994 II 1464 et les
modifications ultérieures) et de l'art. 21 de la loi fédérale du 2 septembre
1999 régissant la taxe sur la valeur ajoutée (loi sur la TVA, LTVA, entrée en
vigueur le 1er janvier 2001; RS 641.20). Ses actionnaires sont la Fondation
de famille A.________ par l'intermédiaire de sa société holding, A.________
Holding SA (ci-après: A.________ Holding), à raison de 63,33%, et B.________
Holding AG, à raison de 34,58%. Elle exploite un hôtel.

Un premier hôtel (150 lits) exploité à Z.________ de 1875 à 1961 fut détruit
par un incendie en 1961. Reconstruit d'abord sous une forme modeste en 1986
(20 lits et des appartements), il a été agrandi dès 1997 (132 lits et quatre
appartements) et transformé en "hôtel de sport" 4 étoiles. Les fonds
nécessaires à cette transformation et à la création d'une maison pour le
personnel ont été mis à disposition en totalité, soit à raison de 62'904'445
fr. 05, par A.________ Holding sous forme de prêt, aux dires de l'intimée.
Celle-ci a déduit dans ses décomptes la TVA facturée par les maîtres d'état.

B.
A la suite d'un contrôle effectué en juillet et août 2001, l'Administration
fédérale des contributions (ci-après: l'Administration fédérale ou la
recourante) a établi les décomptes complémentaires suivants:
No 149491, du 27 novembre 2001, de 21'659 fr. plus intérêts pour les périodes
fiscales allant du 1er janvier 1995 au 31 décembre 2000.
No 149492, du 27 novembre 2001, de 3'906 fr. plus intérêts pour la période du
1er janvier 2001 au 31 mars 2001.
No 149502, du 15 avril 2002, de 4'288'135 fr. plus intérêts pour les périodes
fiscales allant du 1er janvier 1996 au 31 mars 2001.
Ces décomptes complémentaires ont été confirmés par décision du 26juin 2003.

Par décision sur réclamation du 10 décembre 2003, l'Administration fédérale
constata que les montants de 21'659 fr. et 3'906 fr. n'étaient plus contestés
(ch. 1 du dispositif) et qu'ils avaient été acquittés (ch. 3 al. 1 lettres a
et b); elle rejeta la réclamation (ch. 2) et fixa le solde dû à 4'288'135 fr.
(ch. 3 al. 2). Ce montant se justifiait par la réduction d'impôts préalables
mis en compte. Selon l'Administration fédérale, les montants mis à
disposition de l'intimée par A.________ Holding ne pouvaient être considérés
comme un prêt. Il n'existait pas de contrat écrit attestant le prêt, mais
seulement un projet, sans date précise ni signature, de 2001. Par ailleurs,
il ressortait de l'analyse de différents documents remis par X.________ AG
(business plan sur huit ans, récapitulation des investissements, tableaux de
comparaison chiffrés, etc.) que le prêt en cause ne permettait pas d'obtenir
une rentabilité appropriée, ni de maintenir le capital au regard des
principes de l'économie d'entreprise, ni même d'assurer un rendement minimal
par rapport aux moyennes de la branche. Il n'était pas justifié par l'usage
commercial. Il devait être qualifié de don et comme il était en relation
directe avec des dépenses de construction et de transformation, la déduction
de l'impôt préalable devait être réduite proportionnellement.
L'Administration fédérale invoquait sa notice no 23 «Contributions des
actionnaires et des associés, contributions de tiers et contributions à des
fins d'assainissement», dans sa nouvelle version révisée au 1er juillet
2003.

Le 26 janvier 2004, X.________ AG a recouru contre cette décision à la
Commission fédérale de recours en matière de contributions (ci-après: la
Commission de recours), en faisant valoir que l'entreprise se développait
normalement s'agissant d'hôtellerie de luxe, que A.________ Holding lui avait
remis une part de sa dette, à raison de 6'764'515 fr. 05, montant
correspondant à la perte reportée au 31 octobre 2000 (5'106'515 fr.) et aux
intérêts dus sur le prêt au 31 octobre 2001 (1'658'000 fr.), de façon "à
partir de la première année d'exploitation avec un compte de pertes et
profits à zéro". Elle n'avait par ailleurs qu'un seul créancier, la banque
C.________, pour un montant de 5'000'000fr. Le montant avancé par A.________
Holding était bien un prêt, et non un don, et donnait droit à la déduction de
l'impôt préalable. Subsidiairement, elle demandait que la part justifiée par
l'usage commercial du prêt fût déterminée selon les méthodes suggérées, le
cas échéant avec l'aide d'un expert indépendant et neutre.

C.
Par décision du 11 mars 2005, la Commission de recours a admis le recours de
X.________ AG dans le sens des considérants et annulé la décision sur
réclamation. Considérant qu'un prêt est en principe exclu du champ de l'impôt
selon les art. 14 ch. 15 lettre a OTVA et 18 ch. 19 lettre a LTVA, sans droit
à la déduction de l'impôt préalable, et que les apports des actionnaires à la
société ne constituaient pas un échange de prestations, mais bien des
"opérations hors du champ de la TVA au sens technique" qui ne pouvaient avoir
d'effet sur l'impôt préalable déductible, elle a jugé que ni la partie de la
dette de X.________ AG représentant un prêt véritable, ni celle constituant
un apport dissimulé de capital n'entraînaient de réduction de l'impôt
préalable déductible. Il en allait de même des intérêts sur le prêt, auxquels
avait renoncé A.________ Holding: ils faisaient partie de l'apport en
capital. La Commission de recours ne pouvait suivre la notice no 23 (dans sa
version du 1er juillet 2003), selon laquelle les contributions non justifiées
par l'usage commercial équivalent à des dons, des subventions ou d'autres
contributions des pouvoirs publics conduisant à réduire la déduction de
l'impôt préalable.

D.
Agissant par la voie du recours de droit administratif, l'Administration
fédérale demande au Tribunal fédéral d'annuler la décision de la Commission
de recours du 11 mars 2005 et de confirmer la décision sur réclamation du 10
décembre 2003, avec suite de frais et dépens. Selon elle, les montants versés
sans lien économique avec une prestation imposable ne sont pas soumis à la
TVA et les opérations réalisées grâce à ces montants ne font pas partie des
affectations ouvrant le droit à la déduction de l'impôt préalable. Seules les
opérations consenties en dehors d'un échange de prestations par un
actionnaire direct et justifiées par l'usage commercial n'induisent pas de
réduction de la déduction de l'impôt préalable; à défaut, elles sont
qualifiées de dons et entraînent une telle réduction. En l'espèce, l'intimée
se maintiendrait en activité non pas grâce à une rentabilité appropriée de
ses fonds propres et étrangers, mais par l'apport de contributions de tiers
qui ne peuvent être justifiées par l'usage commercial. Les versements en
cause permettraient à l'intimée de réaliser son activité en abaissant ses
prix et de fournir des prestations gratuites, ce qui pourrait constituer une
distorsion de concurrence par rapport aux autres entreprises contraintes par
les lois du marché à rentabiliser leurs capitaux sans aide externe. Les
montants versés par A.________ Holding ayant financé entièrement les
investissements, la réduction de l'impôt préalable déductible devrait être
totale.
La Commission de recours a renoncé à déposer des observations, tout en se
reportant à sa décision. L'intimée conclut, sous suite de frais et dépens, au
rejet du recours, à la confirmation de la décision du 11 mars 2005 de la
Commission de recours et à l'autorisation de mettre en compte le montant de
4'288'133 fr. (recte: 4'288'135 fr.) au titre d'impôt préalable.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1
Dirigé contre une décision finale qui a été prise par une commission fédérale
de recours (art. 98 lettre e OJ) et qui est fondée sur le droit public
fédéral, le présent recours, qui a été déposé en temps utile et dans les
formes prescrites par la loi, est recevable en vertu des art. 97 ss OJ ainsi
que des art. 54 al. 1 OTVA et 66 al. 1 LTVA.

En vertu des art. 54 al. 2 OTVA et 66 al. 2 LTVA, l'Administration fédérale a
qualité pour recourir (art. 103 lettre b OJ).

1.2 L'intimée demande le retrait de la pièce 12 - qu'elle ne connaissait pas
- du dossier de la recourante. Elle consent à son maintien si la pièce est
interprétée en sa faveur. Il s'agit d'une lettre de la recourante au
conseiller aux Etats D.________ à propos des documents à produire par
l'intimée.

Comme cette pièce ne joue aucun rôle pour l'issue de la cause, il est inutile
de décider de son sort.

1.3 Dans la mesure où l'intimée demande autre chose que le rejet du recours,
à savoir la mise en compte d'un montant de TVA au titre d'impôt préalable,
ses conclusions sont irrecevables, car le recours de droit administratif ne
connaît pas l'institution du recours joint (cf. 2A.253/2000, Archives 71 p.
251, consid. 1c).

2.
L'ordonnance régissant la taxe sur la valeur ajoutée, entrée en vigueur le
1er janvier 1995, a été remplacée par la loi fédérale du même nom, entrée en
vigueur le 1er janvier 2001. Selon l'art. 93 al. 1 LTVA, les dispositions
abrogées et leurs dispositions d'exécution restent applicables, sous réserve
d'exceptions non réalisées en l'espèce, à tous les faits et rapports
juridiques ayant pris naissance au cours de leur durée de validité.
L'ordonnance régissant la taxe sur la valeur ajoutée s'applique dès lors au
présent litige, dans la mesure où il porte sur les périodes fiscales allant
du 1er trimestre 1996 au 4ème trimestre 2000 et la loi régissant la taxe sur
la valeur ajoutée en tant qu'il s'agit du 1er trimestre 2001. Il faut
admettre toutefois, avec les parties, que le droit applicable en l'espèce n'a
pas été modifié par le changement de législation. Tout au plus la loi
a-t-elle complété et clarifié certaines pratiques administratives développées
sous le régime de l'ordonnance, de sorte que l'ensemble du litige est soumis
à la même réglementation matérielle, quelle que soit la période fiscale
considérée.

3.
La recourante reproche à la Commission de recours d'avoir annulé le chiffre 1
du dispositif de la décision sur réclamation du 10 décembre 2003 qui
constatait que les montants de 21'659 fr. et 3'906 fr. n'étaient plus
contestés. Faute de motivation, la décision entreprise serait nulle sur ce
point.

Il est exact que l'intimée n'a contesté ces deux montants ni dans la
procédure de réclamation, ni dans celle de recours administratif et qu'elle
les a même payés (ch. 3 al. 1 de la décision sur réclamation). Par
conséquent, l'autorité intimée n'avait pas de raison d'annuler la décision
sur réclamation sur ce point qui n'était pas litigieux. Le grief est donc
bien fondé. Cette erreur résulte manifestement d'une inadvertance qu'il
convient de corriger en annulant la décision attaquée sur ce point (et non en
la déclarant nulle, comme le demande à tort la recourante).

4.
4.1Selon l'art. 38 al. 1 LTVA, si l'assujetti utilise des biens et des
services pour l'une des affectations justifiées par l'usage commercial
indiquées à l'alinéa 2, il peut déduire dans son décompte les montants de
l'impôt préalable que d'autres assujettis lui ont facturés pour des
livraisons de biens et prestations de services, ceux qu'il a déclarés, payés
ou versés lors de l'acquisition de prestations de services à l'étranger ainsi
que l'impôt sur l'importation de biens (al. 1). Donnent droit à la déduction
de l'impôt préalable en particulier les livraisons de biens imposables et les
prestations de services imposables (al. 2 lettres a et b; pour d'autres
affectations donnant droit à la déduction, cf. al. 2 lettres c et d et al. 3
de l'art. 38 LTVA).

Sont notamment soumises à l'impôt les livraisons de biens faites à titre
onéreux sur le territoire suisse, les prestations de services fournies à
titre onéreux sur le territoire suisse et les prestations à soi-même, pour
autant qu'elles soient effectuées par des assujettis (art. 5 lettres a à c
LTVA). Une transaction est effectuée à titre onéreux, soit contre
rémunération, s'il y a échange d'une prestation suffisamment concrétisée et
d'une contre-prestation entre un ou plusieurs prestataires, dont l'un au
moins est assujetti à la TVA, et un ou plusieurs bénéficiaires. Il faut aussi
un rapport économique étroit entre la prestation et la contre-prestation, ce
qui est notamment le cas si l'échange repose sur un contrat. Une livraison de
biens ou une prestation de services n'est dès lors imposable que si elle est
effectuée en échange d'une contre-prestation.

La TVA se calcule en principe sur la contre-prestation. Est réputé
contre-prestation tout ce que le destinataire, ou un tiers à sa place,
dépense en contrepartie de la livraison de biens ou de la prestation de
services (art. 33 al. 1 LTVA).

Les art. 29, 4 et 26 OTVA consacrent une réglementation analogue.

4.2 Sont exclues du champ de l'impôt, à moins que l'assujetti n'ait opté pour
leur imposition conformément à l'art. 26 LTVA, et ne donnent par conséquent
pas droit à la déduction de l'impôt préalable, les opérations mentionnées à
l'art. 18 LTVA, notamment l'octroi et la négociation de crédits, ainsi que la
gestion de crédits par celui qui les a octroyés (art. 17 et 18 ch. 19 lettre
a LTVA, cf. art. 13 et 14 ch. 15 lettre a OTVA). Bien que reposant en
principe sur un échange de prestations, ces opérations échappent à l'impôt
par choix du législateur pour des motifs de politique sociale, culturelle ou
de
systématique fiscale (par exemple l'opération ne correspond pas à une
consommation ou provoquerait une double imposition)
(Camenzind/Honauer/Vallender, Handbuch zum Mehrwertsteuergesetz, 2ème éd.,
Berne/Stuttgart/Vienne 2003, n. 650 ss).

4.3 N'entrent pas dans le domaine de la TVA les opérations qui ne
correspondent pas à un échange de prestations (Nichtumsätze, non-opérations,
non-transactions, activités qui ne sont pas considérées comme des
opérations), parce qu'elles n'en remplissent pas les conditions. A titre
d'exemples, la doctrine cite les donations et successions, les
dommages-intérêts, les peines conventionnelles, les garanties, les
subventions et autres contributions des pouvoirs publics, les dons et
contributions privées, les dividendes, etc. (Camenzind/Honauer/Vallender, op.
cit., n. 153 ss et 307 ss; Dieter Metzger, Kurz-Kommentar zum MWSTG,
Muri/Berne 2000, n. 9 ad art. 38).
L'ordonnance régissant la taxe sur la valeur ajoutée ne réglait -
partiellement - que le traitement fiscal des subventions et autres
contributions des pouvoirs publics, en précisant qu'elles ne faisaient pas
partie de la contre-prestation (art. 26 al. 6 lettre b OTVA) et que la
déduction de l'impôt préalable devait être réduite proportionnellement tant
que l'assujetti recevait de tels montants (art. 30 al. 6 OTVA). La
jurisprudence a réservé le même traitement aux dons et attributions bénévoles
privés (ATF 126 II 443 consid. 8).

Les subventions et contributions des pouvoirs publics sont soumises au même
régime selon les art. 33 al. 6 lettre b et 38 al. 8 LTVA. S'agissant des
dons, l'art. 33 al. 2 LTVA précise que la contre-prestation comprend aussi
les dons qui peuvent être considérés comme des contre-prestations directes,
fournies au bénéficiaire. Cela signifie implicitement que les dons qui ne
constituent pas des contre-prestations directes ne sont pas soumis à la TVA.
Si l'assujetti reçoit des dons qui ne peuvent être considérés comme la
contre-prestation d'une opération déterminée, il doit réduire
proportionnellement l'impôt préalable (art. 38 al. 8 LTVA). Le régime des
dons n'a donc pas été modifié non plus.

Une disposition nouvelle et plus générale énumère en revanche les opérations
qui ne donnent pas droit à la déduction de l'impôt préalable. Ainsi sont
mentionnées à titre exemplatif à l'art. 38 al. 4 LTVA les opérations exclues
du champ de l'impôt, les activités qui ne sont pas considérées comme des
opérations, les activités privées et les opérations exercées dans le cadre de
la puissance publique. S'agissant des activités qui ne sont pas considérées
comme des opérations (Nichtumsätze), il ressort des travaux préparatoires que
le législateur a renoncé à les énumérer dans la loi, car "une telle décision
serait notamment liée au risque de créer des vides juridiques" (rapport de la
Commission de l'économie et des redevances du Conseil national [ci-après:
rapport CER], FF 1996 V 701 ss, 719). Ainsi, on ne trouve aucune mention des
apports d'un actionnaire à une société (libération du capital-actions,
apports en nature, prestations à fonds perdu, abandon de créances, etc.), ni
du traitement fiscal qui devrait leur être réservé. S'agissant des
dividendes, le législateur a précisé que les dépenses en relation avec
ceux-ci ne peuvent en tous les cas pas être exonérées d'impôt par
l'intermédiaire de la déduction de l'impôt préalable, lorsque le but
commercial de l'assujetti consiste principalement à détenir des
participations. La diminution de l'impôt préalable déductible doit être
fondée sur des critères objectifs, pour autant qu'une réduction ait lieu,
car, souvent, celle-ci n'a pas lieu, de telles opérations ne reposant pas sur
des prestations acquises avec la charge de la TVA. Au surplus, plusieurs
méthodes sont possibles, le lien économique entre les différentes
transactions devant être mis au premier plan dans la mesure du possible
(rapport CER, FF 1996 V 701 ss, 719 et 769).

Sous une forme ou sous une autre, le droit à la déduction de l'impôt
préalable se trouve ainsi réduit, qu'il s'agisse d'opérations exclues du
champ de l'impôt ou d'activités qui ne sont pas considérées comme des
opérations (Camenzind/Honauer/Vallender, op. cit., n. 153 ss). Contrairement
à ce qu'affirme la décision attaquée (consid. 3d/cc et 4d), on ne saurait
considérer que les "non-transactions" sont sans effet sur l'impôt préalable
déductible.

5.
5.1L'intimée a reçu de son actionnaire principal un prêt très important. Une
faible partie de cette somme a fait l'objet d'un abandon de créance, de même
que les intérêts, jusqu'au 31 octobre 2001.

Selon l'autorité intimée, le prêt - tant dans sa partie commercialement
justifiée (au sens qu'elle aurait pu être accordée par un tiers) que pour son
solde qui doit être qualifié d'apport dissimulé - ne justifie aucune
réduction de la déduction de l'impôt préalable qui a grevé les dépenses
d'investissements de l'intimée. Il en va de même de la part de la créance et
des intérêts qui ont été abandonnés.

Pour la recourante, de telles opérations ne donnent droit à la déduction de
l'impôt préalable que si elles proviennent d'un actionnaire direct, qu'elles
sont consenties en dehors d'un échange de prestations et qu'elles sont
justifiées par l'usage commercial. Cette dernière condition ne serait pas
remplie en l'espèce, ce qui conduirait à la réduction "totale" de la
déduction, les montants en cause représentant des dons.

Il convient dès lors de qualifier les diverses opérations précitées et de
déterminer leurs effets sur la déduction de l'impôt préalable. On peut
constater d'emblée que le prêt ainsi que l'abandon de créance et des intérêts
accordés à l'intimée l'ont été par son actionnaire direct, de sorte qu'il n'y
a pas lieu d'examiner quelle solution devrait être adoptée dans le cas où de
tels financements sont consentis par des intéressés plus éloignés (sociétés
soeur, fille, grand-mère, autres proches des actionnaires directs, ou même
tiers). En effet, sous réserve de cas particuliers (par exemple la société
anonyme à but idéal, art. 620 al. 3 CO), le rapport d'actionnariat crée une
situation particulière entre la société et son actionnaire, comme le relève
l'autorité intimée (cf. décision attaquée, consid. 3d/aa). Celui-ci
n'entretient pas des relations bénévoles ou gratuites avec la société car,
grâce aux droits que lui confèrent ses actions, il compte bénéficier d'un
retour des prestations qu'il lui consent. La situation de tiers ou de
personnes qui ne participeraient que de façon médiate à la société apparaît
différente, car ceux-ci n'ont pas de moyens d'action directs vis-à-vis de la
société.

6.
6.1Les crédits, y compris les prêts, sont des opérations exclues du champ de
l'impôt sans droit à la déduction de l'impôt préalable chez celui qui les
octroie (art. 18 ch. 19 lettre a LTVA, 14 ch. 15 lettre a OTVA). Ce n'est pas
le versement des fonds et leur remboursement ultérieur qui représentent un
échange de prestations à titre onéreux, mais bien la mise à disposition d'un
capital contre un intérêt (ou d'autres rémunérations) (Dziadkowski/Walden,
Umsatzsteuer, 4ème éd., Munich/Vienne 1996, p. 171 s.;
Camenzind/Honauer/Vallender, op. cit., n.802). L'emprunteur (auquel aucune
TVA n'a d'ailleurs été facturée en sus des intérêts) n'a droit à aucune
déduction de l'impôt préalable. Il ne peut non plus demander la déduction
d'impôts préalables portant sur des prestations de conseils ou autres
dépenses administratives en relation avec le prêt (notice no 16 concernant le
traitement fiscal des chiffres d'affaires en relation avec des
papiers-valeurs ainsi que le traitement fiscal des intérêts et des
dividendes, éditée par l'Administration fédérale le 16 août 1995, ch. 2.1 par
analogie; voir aussi la brochure spéciale no 610.526-01 «Modifications de la
pratique valables à partir du 1er janvier 2005» [ci-après: Modifications de
la pratique], éditée par l'Administration fédérale, ch. 2.4).
6.2 La qualification des apports des (futurs) actionnaires à une société est
loin d'être univoque. A en croire la doctrine allemande et autrichienne,
l'apport, lors de la création de la société, peut être considéré comme un
échange de prestations (prestations en espèces ou en nature contre des droits
d'actionnariat), du moins en cas d'apports en nature; au cours de la vie de
la société, l'apport serait assimilé à une activité considérée comme ne
relevant pas de la TVA (non-transaction). Selon d'autres avis, les droits de
sociétariat ne représenteraient pas une contre-prestation; celle-ci
consisterait en un avoir pour balance (Auseinandersetzungsguthaben), ou en
l'extinction de l'obligation de procéder à l'apport ou encore en
l'augmentation de valeur de la participation. L'opinion selon laquelle
l'apport serait de manière générale une opération non imposable est également
soutenue. Il en irait de même des apports dissimulés et des versements
supplémentaires d'actionnaires, qui ne font l'objet d'aucune
contre-prestation (Hans Georg Ruppe, Umsatzsteuergesetz, Kommentar, 3ème éd.,
Vienne 2005, n. 77 ss, 83 ad § 1; Dziadkowski/Walden, op. cit., p.89 ss;
Bunjes/Geist, Umsatzsteuergesetz, Kommentar, 8ème éd., Munich 2005, n. 45 ss
ad § 1; Wolfram Birkenfeld, Das grosse Umsatzsteuer-Handbuch, Cologne 1996
ss, vol. I, § 50, n. 533 ss, 560 ss). La doctrine suisse considère les
apports à une société comme des activités ne relevant pas de la TVA, faute
d'échange de prestations. Il en irait de même des abandons de créances et
prestations à fonds perdu des actionnaires (Camenzind/Honauer/Vallender, op.
cit., n.450 ss). En contrepartie, l'impôt préalable sur les opérations en
rapport direct avec des apports n'est pas déductible (Metzger, op. cit., n. 8
et 9 ad art. 38; Camenzind/Honauer/Vallender, op. cit., n. 1419 s.).
L'Administration fédérale partage cette opinion pour autant que les autres
conditions qu'elle a posées soient remplies (cf. consid. 5.1 ci-dessus;
notice no 23, précitée). Elle admet toutefois la déduction par la société
bénéficiaire des apports de l'impôt préalable grevant les frais de
constitution ainsi que les frais d'augmentation du capital, d'obtention de
capitaux étrangers et les frais en relation avec des contributions
d'assainissement (Modifications de la pratique, ch. 2.4, qui déroge à la
notice no 16, précitée, ch. 3.1).
6.3 Au regard des considérations ci-dessus, il n'est pas nécessaire de
qualifier de manière définitive les prêts et les apports. En effet, ces deux
formes de financement des entreprises bénéficient d'un traitement identique,
ce qui garantit leur neutralité au plan de la TVA. Une société doit pouvoir
choisir entre un financement au moyen de fonds propres ou par emprunt,
provenant de son ou de ses actionnaires directs, sans que des conséquences
fiscales différentes n'influencent ce choix. A cet égard, la TVA se distingue
des impôts directs où le choix du financement (capital propre dissimulé) peut
conduire à une diminution indue d'impôt.

6.4 Ainsi, les prêts obtenus par l'intimée - qu'ils soient qualifiés de prêts
véritables exonérés selon l'art. 18 ch. 19 lettre a LTVA (art. 14 ch. 15
lettre a OTVA) ou d'apports (le cas échéant dissimulés) considérés comme des
"non-transactions" au sens de l'art. 38 al. 4 LTVA - ne sont pas soumis à la
TVA et ne donnent pas droit, en principe, à la déduction de l'impôt préalable
(Rivier/Rochat Pauchard, Droit fiscal suisse, La taxe sur la valeur ajoutée,
Fribourg 2000, p. 140).

A bon droit, l'autorité intimée a considéré que l'abandon de créance et la
renonciation aux intérêts dus représentent également des apports. Il s'agit
en effet d'opérations de financement, ou de refinancement par l'actionnaire,
de même nature que la libération de la valeur nominale des actions, le
versement d'un agio, des prestations à fonds perdu ou des versements
supplémentaires (décision attaquée, consid. 3c/aa et 4d).

7.
7.1
L'impôt préalable ne peut être déduit si les prestations acquises sont
utilisées notamment pour une activité exclue du champ de l'impôt (art. 17 et
18 LTVA, art. 13 et 14 OTVA) ou qui n'est pas considérée comme une opération
au sens de la TVA (art. 38 al. 4 LTVA). Cela ne signifie pas que la réduction
de la déduction de l'impôt préalable soit semblable dans tous les cas.

Les dons et subventions visent à encourager et soutenir une activité qui ne
serait pas viable par elle-même ou la commercialisation de produits ou de
services à un prix réduit par rapport au marché; ils représentent des
recettes supplémentaires qui complètent les chiffres d'affaires (imposables,
exclus ou exonérés) du bénéficiaire. La réduction de l'impôt préalable doit
en tenir compte (brochure spéciale no 06 «Réduction de la déduction de
l'impôt préalable en cas de double affectation», éditée par l'Administration
fédérale en septembre 2000, ch. 1.1.4).

Les apports - comme les prêts - représentent de simples moyens de financement
permettant à la société qui les obtient d'exercer une activité génératrice de
plus-value en suivant les lois du marché. Ils ne représentent donc pas des
chiffres d'affaires complémentaires. Comme ils ne sont pas soumis à la TVA,
ils entraînent la réduction de la déduction de l'impôt préalable, lorsqu'ils
reposent sur des prestations qui ont été acquises par la société avec la
charge de la taxe préalable. Dans la mesure où les prêts et apports sont en
relation directe avec de telles prestations, la déduction de l'impôt qui
grève celles-ci doit être refusée (Camenzind/Honauer/Vallender, op. cit.,
n.1420). Il n'est pas exclu non plus que l'impôt préalable grevant les frais
administratifs généraux fasse l'objet d'une réduction appropriée, si ceux-ci
sont en rapport avec les prêts et apports. Ce traitement différent ressort
implicitement du texte légal qui prévoit une réduction "proportionnelle" dans
le cas des dons et subventions (art. 38 al. 8 LTVA), alors que tel n'est pas
le cas à l'alinéa 4 de l'art. 38 LTVA. Que les apports et prêts servent
ensuite à acquérir des biens ou services grevés de la TVA n'autorise pas à
réduire la déduction de ces montants d'impôt préalable. Une éventuelle
réduction dépendra en principe uniquement du caractère imposable ou non de
l'activité à laquelle ces biens et services seront affectés (art. 38 al. 1
LTVA).

S'agissant de la réduction induite par les prêts et apports, il appartiendra
à
la recourante d'examiner si elle entend maintenir la pratique libérale
instaurée dans les Modifications de la pratique à partir du 1erjanvier 2005
(cf. ci-dessus consid. 6.2 in fine) ou si elle préfère revenir à la pratique
précédente conforme à la lettre de la loi.

7.2 En l'espèce, l'intimée a obtenu des prêts importants qu'elle a consacrés
à financer ses investissements hôteliers. Quelle que soit la qualification de
ces prêts (fonds étrangers ou apports dissimulés, y compris la part de la
créance et les intérêts abandonnés), ils justifient la réduction de la
déduction de l'impôt préalable qui a grevé les opérations à leur base
(conseils, frais administratifs, etc.). En revanche, la déduction de l'impôt
préalable grevant les investissements de l'intimée ne saurait être réduite,
car ces opérations sont en relation avec l'activité hôtelière de l'intimée.
Seul le caractère imposable (ou non) de cette activité est déterminant pour
une éventuelle réduction de cette déduction. Il s'agit dès lors de savoir si
celle-ci remplit les conditions de l'art. 38 al. 1 et 2 LTVA.

8.
8.1Selon la recourante, les contributions des actionnaires (apports de
capitaux, primes, aides et contributions versées à fonds perdu, abandon et
postposition de créance en rapport avec des prêts, abandon ou réduction
d'intérêts, etc.) ne seraient justifiées par l'usage commercial que pour
autant que l'ensemble des circonstances permettent d'admettre que
l'entreprise peut atteindre une rentabilité appropriée en tenant compte des
principes de l'économie d'entreprise. Les prêts, apports et contributions
doivent pouvoir être utilisés pour l'activité future et ne pas servir
seulement à la compensation des pertes (notice no 23, précitée, ch. 2.1.3 et
2.2.1). A défaut, il s'agirait de dons qui donnent lieu à la réduction
proportionnelle de l'impôt préalable. Tel serait le cas des prêts et autres
contributions obtenus par l'intimée dont l'activité ne serait pas viable.

Pour l'autorité intimée, il serait manifeste que le rapport entre les fonds
propres et les fonds empruntés de l'intimée est disproportionné. On peut
toutefois faire l'économie d'une étude de rentabilité, car ni les apports en
capital, qu'ils soient dissimulés sous forme de prêts ou qu'ils consistent en
créances ou intérêts abandonnés, ni les prêts véritables ne donnent lieu à
une diminution du droit de déduire l'impôt préalable.

L'intimée estime que son activité se développe positivement et que rien ne
permet de considérer que les prêts en cause ne se justifieraient pas
commercialement, de sorte que la réduction de la déduction de l'impôt
préalable confinerait à l'arbitraire, d'autant que la recourante admet
appliquer des critères variables et parfois subjectifs en fonction de la
spécificité de chaque cas.

8.2 Aux termes de l'art. 38 al. 1 et 2 LTVA, les affectations qui donnent
droit à la déduction de l'impôt préalable doivent être justifiées par l'usage
commercial et sont les livraisons de biens imposables, les prestations de
services imposables, les opérations pour lesquelles il y a eu imposition par
option, la remise de cadeaux et d'échantillons à certaines conditions (al.
2), ainsi que les activités en relation avec l'étranger ou qui seraient
imposables si l'assujetti les effectuait sur territoire suisse (al. 3 qui
renvoie à l'al. 1). L'art. 29 al. 1 OTVA indiquait simplement que pour
bénéficier de la déduction de l'impôt préalable, l'assujetti devait utiliser
les biens ou prestations de services en cause "pour un des buts indiqués au
2e alinéa", ces buts étant par ailleurs identiques à ceux de l'art. 38 LTVA
(sous réserve d'une modification mineure s'agissant de la remise de cadeaux).

Ces formulations concrétisent positivement le principe constitutionnel selon
lequel "les dépenses n'ayant pas de caractère commercial ne donnent pas droit
à la déduction de l'impôt préalable" (art. 196 ch. 14 al. 1 lettre h in fine
Cst.). La modification introduite à l'art. 38 al. 1 LTVA (utilisation pour
des affectations "justifiées par l'usage commercial") devait notamment régler
de manière plus générale le sort de l'impôt préalable grevant les dépenses de
luxe, les frais de représentation et les frais de nourriture et de boissons
(cf. art. 38 al. 5 LTVA, 30 al. 1 et 2 OTVA; Camenzind/Honauer/Vallender, op.
cit., n.1388 ss; Metzger, op. cit., n. 2 ad art. 38). Il n'en demeure pas
moins que, sur le plan général, les biens et services qui ouvrent le droit à
la déduction de l'impôt préalable doivent être affectés à des opérations
imposables (sous réserve de la remise de cadeaux, art. 38 al. 2 lettre d
LTVA, 29 al. 2 lettre d OTVA), seules celles dont il est établi qu'elles
servent un but commercial justifiant la déduction. Cela exclut que les biens
et services affectés à une consommation privée donnent droit à la déduction
de l'impôt préalable. Cela vaut également lorsque le consommateur est un
assujetti et qu'il affecte des biens et services à un autre but que son
activité commerciale, soit à des opérations imposables (Daniel Riedo, Vom
Wesen der Mehrwertsteuer als allgemeine Verbrauchsteuer, thèse Zurich 1998,
p. 254, 259).

8.3 Le droit de déduire l'impôt préalable suppose une relation entre
l'opération préalable grevée (Eingangsleistung) et l'opération imposable
(Ausgangsleistung) à laquelle celle-là est affectée. La relation peut être
directe (achat d'un produit qui est revendu). Elle peut être indirecte
lorsque la prestation imposable est exécutée grâce à des biens et services
grevés de l'impôt préalable qui n'entrent toutefois pas dans sa composition.
Tel est le cas des moyens de production ou des biens d'investissement. Le
lien entre les deux prestations est économique et les biens et services
grevés que l'assujetti a acquis doivent pouvoir être imputés à son activité
imposable (Riedo, op. cit., p. 254 ss, 256; Camenzind/Honauer/Vallender, op.
cit., n. 1395).

La doctrine paraît divisée sur le point de savoir si une utilisation
effective des biens et services grevés pour une affectation justifiée par
l'usage commercial, c'est-à-dire une opération imposable, est exigée pour que
l'impôt préalable puisse être déduit ou s'il suffit que l'assujetti ait eu
l'intention d'utiliser les biens et services acquis pour l'une des
affectations reconnues par la loi. Dans le premier cas, des opérations
préalables qui échouent (Fehlmassnahmen), telles que des activités
préparatoires non suivies d'effet, des marchandises ou des biens perdus ou
détruits, ne donnent pas droit à la déduction de l'impôt préalable,
puisqu'ils n'ont pas été utilisés pour l'une des affectations légales
justifiées par l'usage commercial. Il y a dans ce cas consommation des biens
en cause, aucune prestation imposable n'ayant été fournie grâce à eux. Selon
une autre opinion, du moment que les biens et services grevés ont été acquis
par un assujetti (une entreprise) en vue d'une affectation justifiée par
l'usage commercial, le droit à la déduction de l'impôt préalable reste
acquis, même si l'activité économique envisagée n'a pas débouché sur des
opérations imposables. L'art. 38 al. 1 LTVA consacrerait la première
solution, même si la pratique est souple (Riedo, op. cit., p. 257 ss;
Camenzind/Honauer/Vallender, op. cit., n. 1395).

Dans une jurisprudence portant sur des états de fait voisins (dite de
l'"erfolgloser Unternehmer"), la Cour de justice des Communautés européennes
a jugé que celui qui manifestait l'intention, confirmée par des éléments
objectifs, de commencer de manière indépendante une activité économique et
qui effectue les premières dépenses d'investissement à ces fins doit être
considéré comme assujetti et a le droit de déduire immédiatement la TVA due
ou acquittée sur les dépenses d'investissement effectuées pour les besoins
des opérations qu'il envisage de faire et qui ouvrent le droit à la
déduction, sans devoir attendre le début de l'exploitation effective de son
entreprise (arrêt du 21 mars 2000, Gabalfrisa SL, C-110/98 à C-147/98, Rec.
2000, p. I-1577, points 45 s.), et cela même lorsque l'administration fiscale
sait dès la première liquidation de la taxe que l'activité envisagée, qui
devait donner lieu à des opérations taxées, ne sera pas exercée (arrêt du 8
juin 2000, Breitsohl, C-400/98, Rec. 2000, p. I-4321, points 34 ss) (cf.
Rivier/Rochat Pauchard, op. cit., p. 150; Riedo, op. cit., p. 261 qui
critique cette jurisprudence qui s'écarterait de l'art. 17 al. 2 de la
sixième directive; Ruppe, op. cit., n. 137 ad § 2; Bunjes/Geist, op. cit.,
n.56 ad § 15 et la jurisprudence citée; Dziadkowski/Walden, op. cit., p.223
ss qui citent également la position du Bundesfinanzhof, selon lequel, si des
opérations taxables ne sont pas réalisées ultérieurement, la qualité
d'assujettie de l'entreprise disparaît, de sorte que le droit à la déduction
de l'impôt préalable s'éteint rétroactivement).

8.4 La loi régissant la taxe sur la valeur ajoutée, comme l'ordonnance du
même nom, ne règle que de manière fragmentaire les relations entre le droit
d'un assujetti à la déduction de l'impôt préalable et l'obtention de chiffres
d'affaires imposables. L'assujettissement obligatoire ne commence pas en
principe avec l'activité, même si elle est exercée en vue de réaliser des
recettes, mais avec la réalisation d'un certain chiffre d'affaires imposable
(art. 21 ss LTVA, 17 ss OTVA). L'assujettissement facultatif commence bien
avec le début de l'activité, mais l'Administration fédérale peut en fixer les
conditions (art. 27 LTVA, 20 OTVA). Dès lors, il est peu probable que se
présentent des situations d'"erfolgloser Unternehmer", telles que jugées par
la Cour de justice des Communautés européennes. Par ailleurs, l'art. 42 LTVA
(art. 33 OTVA) règle le droit ultérieur au dégrèvement de l'impôt préalable.
Au surplus, les règles générales sur la naissance du droit à la déduction de
l'impôt préalable (art. 38 al. 7 LTVA et 29 al. 6 OTVA) et sur la naissance
de la créance fiscale s'agissant de la fourniture de biens et de services
(art. 43 LTVA et 34 OTVA) s'appliquent.

En revanche, la législation ne pose aucune règle exigeant que la déduction de
l'impôt préalable grevant des investissements ou des moyens de production
soit répartie sur plusieurs périodes fiscales (en fonction de la durée
d'utilisation de ces biens, par exemple). Elle n'exclut pas non plus que les
décomptes de certaines périodes fiscales soient négatifs au détriment du
fisc. L'art. 48 LTVA envisage et règle même cette hypothèse. Il faut rappeler
à cet égard que l'un des buts du passage de l'impôt sur le chiffre d'affaires
à la TVA était l'élimination de la taxe occulte résultant notamment de
l'imposition des biens d'investissement et moyens d'exploitation (cf. rapport
de F. Matthey, BO CN 1993 p.338). Le législateur n'a manifestement pas pris
en compte l'éventualité d'une déflation, de dépressions économiques
sectorielles ou générales, ni même de pertes subies par des entreprises
particulières dont les livraisons imposables se révéleraient globalement d'un
montant plus faible que les biens et services utilisés pour les produire et
ouvrant le droit à la déduction de l'impôt préalable, et cela pendant
plusieurs périodes fiscales, le cas échéant jusqu'au rétablissement de
l'entreprise, avec ou sans assainissement, ou jusqu'à sa disparition.

9.
9.1La recourante considère que les prêts et apports d'actionnaires directs -
en tant qu'activités hors champ ou ne relevant pas de la TVA - n'entraînent
une réduction de la déduction de l'impôt préalable limitée aux opérations qui
en sont à la base (cf. ci-dessus consid. 7.2) que s'il est établi que
l'entreprise peut atteindre une rentabilité appropriée au moment de leur
versement. A défaut, il s'agirait de dons entraînant la réduction
proportionnelle de l'impôt préalable grevant les investissements qu'ils ont
servi à financer, cette dernière réduction étant dans les faits plus lourde
que la première. Par ces qualifications, la recourante instaure implicitement
un rapport étroit entre la déduction de l'impôt préalable grevant les
dépenses d'investissement et le financement de celles-ci.

9.2 La recourante ne peut être suivie lorsqu'elle introduit la notion de
"rentabilité appropriée". Comme le relève l'intimée, celle-ci provoque une
insécurité juridique importante en particulier lorsqu'aucun critère précis
n'est posé et que l'Administration fédérale prétend adapter son
interprétation aux spécificités de chaque cas. Une telle méthode est en
contradiction avec le système de l'auto-taxation de l'assujetti, tel que le
connaît la TVA. En outre, au plan du droit matériel, ce critère apparaît
étranger à la TVA. Certes, la réalisation d'un bénéfice, des liquidités
suffisantes et des actifs permettant d'honorer ses engagements sont des
conditions économiques nécessaires à la survie d'une entreprise commerciale.
L'article 21 LTVA prévoit toutefois expressément que, si l'exercice de
manière indépendante d'une activité commerciale ou professionnelle en vue de
réaliser des recettes est nécessaire pour être assujetti, tel n'est pas le
cas de la poursuite d'un but lucratif. Le principe de la neutralité
concurrentielle ne saurait non plus être invoqué à l'appui du critère
développé par la recourante. Contrairement aux entreprises subventionnées,
l'intimée ne pratique pas des prix inférieurs au marché; du moins, aucune
partie ne l'a prétendu. Il est vrai que si elle devait couvrir l'entier des
charges résultant d'un même financement accordé par des tiers, l'intimée ne
survivrait probablement pas, car elle ne parviendrait pas à augmenter ses
prix dans la mesure nécessaire; le marché précisément le lui interdirait. Par
ailleurs, la recourante s'en prend essentiellement au fait que le financement
consiste en fonds étrangers, du moins apparemment. Or, du point de vue de la
TVA, l'intimée serait dans la même situation si elle était financée
entièrement par des fonds propres des actionnaires directs. Implicitement,
c'est le mode de financement que la recourante considère comme non justifié
par l'usage commercial, alors que seule son importance - et les dépenses
qu'il permet - joue un rôle.

En conséquence, le rapport que la recourante tente d'établir entre le
financement mis à disposition de l'intimée et la déduction de l'impôt
préalable grevant les biens et services acquis et utilisés en vue de son
activité hôtelière apparaît
erroné. La relation déterminante pour la
déduction de l'impôt préalable est celle qui doit exister entre les biens et
services grevés de l'impôt préalable et leur utilisation pour effectuer des
opérations imposables.

9.3 Ainsi, les prêts et apports - dissimulés ou non - des actionnaires
directs demeurent des opérations exclues du champ de l'impôt ou qui ne
relèvent pas de la TVA selon l'art. 38 al. 4 LTVA; ils ne se transforment pas
en dons quels que soient leurs montants et les résultats de la société
assujettie. Leur incidence se limite à supprimer la déduction de l'impôt
préalable qui grève les opérations qui les fondent.

Dans ces conditions, il est inutile d'examiner si la recourante était en
droit de modifier sa pratique et d'appliquer rétroactivement au 1er janvier
1995 la notice no 23 dans sa version révisée du 1er juillet 2003.

10.
Comme la déduction de l'impôt préalable grevant les biens et services acquis
dépend de leur utilisation effective pour effectuer des opérations
imposables, la question se pose de savoir si cette déduction est remise en
cause lorsque le nombre ou l'importance des opérations imposables est
insuffisant. En cas de disproportion manifeste, comme en l'espèce, la
recourante peut légitimement en rechercher les causes, car il n'est pas usuel
qu'un actionnaire finance à perte indéfiniment une société assujettie.

La cause de la disproportion peut être recherchée dans les biens et services
acquis par l'assujettie, qui seraient pour une part sans relation avec les
opérations imposables qu'elle entend fournir, étant entendu que de simples
erreurs d'appréciation ou de gestion ne sauraient suffire à rompre le rapport
entre opérations préalables et prestations fournies. Les biens et services
qui ne seraient pas utilisés pour une affectation justifiée par l'usage
commercial relèvent d'une consommation finale de l'assujettie. Le
déséquilibre peut également avoir sa source dans les prestations fournies
dont seule une partie remplirait les conditions de l'art. 38 al. 2 LTVA et
représenterait une affectation justifiée par l'usage commercial. Tel serait
le cas si la société, à part ses buts commerciaux, en poursuivait d'autres,
dissimulés, destinés à satisfaire par exemple un hobby ou certains goûts de
luxe de l'actionnaire, tel un mécénat dépourvu de fins publicitaires
(consommation privée). Cela peut aussi être le cas si, dans le cadre de son
activité commerciale, la société poursuit d'autres fins, représentant des
opérations exclues du champ de l'impôt, telles des prestations de services
culturelles (art. 18 ch. 14 et 16 LTVA par exemple) (double affectation selon
l'art. 41 LTVA). Au surplus, les cas où une évasion fiscale serait réalisée
doivent être réservés.

En revanche, dans la mesure où qualitativement les biens et services acquis
grevés de la TVA sont effectivement utilisés pour une affectation justifiée
par l'usage commercial, rien ne légitime une réduction de la déduction de
l'impôt préalable. Le seul fait que l'impôt préalable mis en compte soit égal
ou supérieur à la taxe due sur les opérations imposables ne permet pas encore
de conclure que des biens et services n'auraient pas été effectivement
utilisés pour une des affectations légales. En effet, il est douteux que
l'Administration fédérale puisse corriger un tel déséquilibre - purement
quantitatif - dans le cadre de sa pratique. Il appartient en principe au
législateur de décider, par exemple, si la déduction de l'impôt préalable
grevant des investissements doit être répartie sur un certain nombre de
périodes fiscales ou si des décomptes négatifs en défaveur du fisc ne
sauraient être tolérés que pendant un laps de temps limité.

Dans le cas particulier, il ne fait pas de doute que l'activité hôtelière de
l'intimée constitue une affectation donnant droit à la déduction de l'impôt
préalable selon l'art. 38 LTVA. En outre, l'activité est effective; elle ne
relève pas de la simple intention. Enfin, il n'apparaît pas que l'intimée
satisfasse une consommation finale ou privée de ses actionnaires ou poursuive
d'autres buts exclus du champ de l'impôt dans le cadre de son activité
hôtelière: l'exploitation de l'hôtel a débuté il y a plusieurs années et
semble se développer positivement; l'existence, à côté de A.________ Holding,
d'un autre actionnaire important, à savoir B.________ Holding AG, qui, avec
une participation de 34,58%, est en mesure d'empêcher une modification du but
social de l'intimée (art. 704 al. 1 CO), permet d'exclure que celle-ci
poursuive des buts privés, car cela serait contraire aux intérêts de
l'actionnaire minoritaire; la recourante elle-même n'a du reste jamais
allégué que l'intimée poursuivrait de tels buts.

11.
Vu ce qui précède, le recours doit être admis partiellement au sens des
considérants ci-dessus. La décision attaquée doit être annulée et la cause
renvoyée à l'autorité intimée pour qu'elle statue à nouveau sur les frais et
dépens et à l'Administration fédérale pour qu'elle rende une nouvelle
décision sur le fond dans le sens des considérants du présent arrêt.

Succombant pour l'essentiel, la recourante, dont l'intérêt pécuniaire est en
cause, doit supporter les frais judiciaires (art. 156 al. 2 OJ). L'intimée a
droit à des dépens légèrement réduits (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est partiellement admis. La décision attaquée est annulée et la
cause est renvoyée à l'autorité intimée pour qu'elle statue à nouveau sur les
frais et dépens de la procédure devant elle et à l'Administration fédérale
des contributions pour qu'elle rende une nouvelle décision sur le fond dans
le sens des considérants du présent arrêt.

2.
Les frais judiciaires de 25'000 fr. sont mis à la charge de la recourante.

3.
La recourante versera à l'intimée une indemnité de dépens de 20'000 fr.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties et à la Commission
fédérale de recours en matière de contributions.

Lausanne, le 9 août 2006

Au nom de la IIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 2A.245/2005
Date de la décision : 09/08/2006
2e cour de droit public

Analyses

Art. 18 ch. 19 let. a, art. 33 al. 2 et 6 let. b, art. 38 al. 1, 2, 4 et 8LTVA; déduction de l'impôt préalable grevant les investissements financés àl'aide de prêts ou d'apports des actionnaires. Notion d'activités qui ne sont pas considérées comme des opérations(consid. 4.3). Traitement fiscal des prêts et des apports (consid. 6.1-6.4).Réduction de la déduction de l'impôt préalable; distinction entre prêt,apport et don, ainsi qu'entre l'impôt préalable grevant les prestations (deconseils etc.) qui sont à l'origine du prêt ou de l'apport et la chargefiscale grevant les biens et services acquis à l'aide de celui-ci (consid.7). Déduction de l'impôt préalable: affectation justifiée par l'usagecommercial (consid. 8.2); relation entre l'opération grevée et l'opérationimposable à laquelle elle est affectée, en particulier entre desinvestissements ou l'acquisition de moyens de production et les chiffresd'affaires ultérieurs (consid. 8.3, 8.4 et 10). L'exigence que l'entreprisepuisse atteindre une "rentabilité appropriée" lors du versement du prêt oude l'apport, faute de quoi il s'agirait d'un don, est dénuée de fondement(consid. 9).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2006-08-09;2a.245.2005 ?
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