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17/07/2006 | SUISSE | N°4P.110/2006

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 17 juillet 2006, 4P.110/2006


{T 0/2}4P.110/2006/ech Arrêt du 17 juillet 2006Ire Cour civile MM. et Mmes les Juges Corboz, président, Rottenberg Liatowitsch, Favre, Kisset Mathys.Greffier: M. Carruzzo. A. ________B.________ A.S.,recourantes,toutes deux représentées par Mes Jean-Marc Reymond et Silvio Venturi, contre C.________ SA,intimée, représentée par Me Jean-Pierre Gross,Chambre des recours du Tribunal cantonal du canton de Vaud, Palais de justicede l'Hermitage, route du Signal 8, 1014 Lausanne. art. 9 et 29 al. 2 Cst.; appréciation des preuves; procédure civile vaudoise;droit d'être entendu, recours de droit

public contre l'arrêt de la Chambre des recours du Tribu...

{T 0/2}4P.110/2006/ech Arrêt du 17 juillet 2006Ire Cour civile MM. et Mmes les Juges Corboz, président, Rottenberg Liatowitsch, Favre, Kisset Mathys.Greffier: M. Carruzzo. A. ________B.________ A.S.,recourantes,toutes deux représentées par Mes Jean-Marc Reymond et Silvio Venturi, contre C.________ SA,intimée, représentée par Me Jean-Pierre Gross,Chambre des recours du Tribunal cantonal du canton de Vaud, Palais de justicede l'Hermitage, route du Signal 8, 1014 Lausanne. art. 9 et 29 al. 2 Cst.; appréciation des preuves; procédure civile vaudoise;droit d'être entendu, recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre des recours du Tribunalcantonal du canton de Vaud du 5 octobre 2005. Faits: A.C. ________ SA (intimée) est une société anonyme de droit espagnol, dont lesiège est à ... (Espagne) et l'un des buts le commerce de ciment. A. ________ B.V. (recourante) - anciennement X.________ B.V. - est unesociété de droit néerlandais, avec siège à ... (Pays-Bas), active dans lecommerce international de ciment. B. ________ A.S. (recourante) - anciennement Y.________ A.S. - est unesociété de droit turc dont le siège est à ... (Turquie). A.a Les parties ont entretenu des relations contractuelles portant sur lalivraison de ciment. Il en est résulté un différend. Reprochant auxrecourantes de ne lui avoir pas livré, en 1997 et 1998, les quantités deciment prévues dans le contrat du 25 octobre 1995, l'intimée leur a réclaméle paiement de USD 4'000'000.-, à titre de peine conventionnelle, et de USD939'635.75 à titre de dommages-intérêts. Les recourantes ont contesté cesprétentions et exigé, de leur côté, que l'intimée versât USD 534'999.47 àA.________ B.V. en paiement du ciment que celle-ci lui avait livré en 1997. A.b Sous le titre "Droit et juridiction", le chiffre XII du contrat du 25octobre 1995 énonce, notamment, ce qui suit: "... Mais dans le cas où un tel règlement n'est pas possible, les partiesconviennent que ce différend sera soumis à la juridiction du tribunalcompétent à Lausanne, en Suisse, où la décision sera finale et liera les deuxparties. Le droit suisse sera applicable conjointement avec les ICC 500(édition 1993) et la dernière édition des Incoterms." B.Par demande du 16 septembre 1998, adressée à la Cour civile du Tribunalcantonal du canton de Vaud, l'intimée a conclu à ce que les recourantesfussent condamnées solidairement à lui payer USD4'000'000.- plus intérêts.Dans leur réponse, les recourantes ont conclu au rejet de la demande et,reconventionnellement, au paiement de USD 534'999.47 en faveur de A.________B.V., intérêts en sus. L'intimée a augmenté ses conclusions, dans sa répliqueaprès réforme, réclamant en plus de la somme précitée, USD 939'635.75 avecles intérêts y afférents. Se fondant sur l'art. 5 al. 1 LDIP et la prorogation de for stipulée auchiffre XII du contrat du 25 octobre 1995, la Cour civile a admis sacompétence et est entrée en matière. Bien que la contestation n'ait aucunrapport avec la Suisse, les parties étant toutes domiciliées à l'étranger,elle a appliqué le droit de ce pays conformément à l'élection de droitfigurant dans ledit contrat. Par jugement du 1er décembre 2004, elle acondamné solidairement les recourantes à payer à l'intimée USD 3'455'340.84,avec intérêts à 5% l'an dès le 28 juin 1997, et USD 216'403.50 avec intérêtsà 5% l'an dès le 16 novembre 2001. C.Contre ce jugement les recourantes ont formé un recours en nullité cantonalque la Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois a rejeté, dans lamesure où il était recevable, par arrêt du 5 octobre 2005. D.Agissant par la voie du recours de droit public, les recourantes demandent auTribunal fédéral d'annuler cet arrêt. Elles reprochent à la Chambre desrecours d'avoir fait une application arbitraire des art. 4 et 164 al. 3 duCode de procédure civile vaudois (CPC vaud.), d'avoir apprécié les preuves demanière insoutenable et d'avoir violé leur droit d'être entendues en nediscutant pas l'un des arguments qu'elles lui avaient soumis dans leurrecours en nullité. L'intimée conclut à l'irrecevabilité du recours. A titre subsidiaire, elle enpropose le rejet dans la mesure où il est recevable. La Chambre des recours renvoie, quant à elle, aux motifs énoncés dans sonarrêt, sans prendre de conclusion expresse au sujet du recours de droitpublic. E.Les recourantes avaient interjeté préalablement un recours en réforme contrele jugement rendu le 1er décembre 2004 par la Cour civile. La procédure yrelative a été suspendue jusqu'à droit connu sur le recours en nullitécantonal (art. 57 al. 1 OJ). Le Tribunal fédéral considère en droit: 1.Il y a lieu d'examiner si l'intimée fait valoir à juste titre que le chiffreXII du contrat du 25 octobre 1995 contient une renonciation à recouririmpliquant l'irrecevabilité du présent recours de droit public. 1.1 Force est de constater, au préalable, que la décision attaquée n'est pasune sentence rendue dans le cadre d'un arbitrage international. Il ne s'agitdonc pas, en l'occurrence, de la renonciation au recours prévue à l'art. 192LDIP, mais d'une renonciation à entreprendre une décision prise par untribunal étatique ordinaire. A cet égard, la jurisprudence a admis la validité d'une renonciationanticipée à recourir en réforme au Tribunal fédéral, lorsque le litige portesur des droits dont les parties peuvent librement disposer (ATF 113 Ia 26consid. 3b p. 30). Les recourantes sont d'avis qu'il n'est pas possible de renoncer de manièreanticipée à exercer un recours extraordinaire, tel le recours de droitpublic. Elles fondent cet avis sur deux opinions doctrinales, selonlesquelles les parties ne peuvent renoncer à former un recours extraordinairequ'après avoir pris connaissance des motifs de nullité ou de révisionsusceptibles d'entrer en ligne de compte dans le cas concret. Unerenonciation anticipée à un tel recours serait, en effet, contraire auxmoeurs ou limiterait dans une mesure excessive les droits de la personnalité(Oscar Vogel/Karl Spühler/Myriam A. Gehri, Grundriss des Zivilprozessrechts,8e éd., p. 374, n. 69; Fabienne Hohl, Précédure civile, Tome II, p. 252, n.2903). Les auteurs cités ne mentionnant pas expressément le recours de droit public,il n'est pas certain que l'opinion qu'ils professent s'applique aussi à cettevoie de droit. Sans doute se réfèrent-ils de manière générale aux recoursextraordinaires; cependant, leurs explications complémentaires paraissentviser, au premier chef, les moyens extraordinaires de droit cantonal et larévision. Quant au Tribunal fédéral, il a posé, dans un arrêt de 1945, quel'on ne pouvait renoncer valablement par avance au recours de droit publicpour violation de l'art. 4 aCst (ATF 71 I 33 p. 36; arrêt cité, sans autreexplication, par Georg Messmer/Hermann Imboden, Die eidgenössischenRechtsmittel in Zivilsachen, n. 142, p. 199). Cette jurisprudence apparaîttoutefois dépassée à l'heure actuelle, eu égard, notamment, à l'art. 192LDIP, adopté par le législateur en 1987, qui offre aux parties la possibilitéde renoncer d'avance à former un recours de droit public, même s'il en va dela violation de l'ordre public. Au demeurant, dans le premier arrêtsusmentionné, postérieur à celui de 1945 précité, le Tribunal fédéral a admisle principe d'une renonciation anticipée au dépôt d'un recours de droitpublic en se référant à l'arrêt publié aux ATF 66 I 175 s. dans lequel ilavait déjà été jugé qu'un recours de droit public pour arbitraire ne peutplus être exercé lorsque les parties sont convenues de faire trancher leurdifférend par une juridiction cantonale statuant en instance unique (ATF 113Ia 26 consid. 3a p. 30). En d'autres termes, le choix conventionnel d'uneinstance cantonale unique implique une renonciation immédiate et anticipée aurecours de droit public, ce que le Tribunal fédéral a jugé admissible dansl'arrêt précité. Semblable renonciation ne va pas non plus à l'encontre de lavolonté du législateur, puisque celui-ci en a expressément prévu lapossibilité, à l'art. 192 LDIP, en matière d'arbitrage international. Cependant, il n'est pas possible de renoncer d'avance à recourir lorsque sonten cause des droits subjectifs strictement personnels, qui échappent à ladisposition des parties, ou encore des droits fondamentaux inaliénables etimprescriptibles (ATF 113 Ia 26 consid. 3b p. 30 s.). Il ne ressort pas de la jurisprudence qu'une renonciation anticipée aurecours serait exclue du seul fait que celui-ci permet de dénoncer laviolation de droits constitutionnels qui ne constituent pas des droitsfondamentaux inaliénables et imprescriptibles. Au demeurant, pour décider del'admissibilité d'une renonciation à recourir, ce qui est déterminant, cesont moins les griefs susceptibles d'être formulés que la nature juridique dela prétention litigieuse, autrement dit le point de savoir si les partiespeuvent disposer librement ou non des droits contestés. C'est sans doute cegenre de considération qui a guidé le législateur, lorsqu'il a codifié lerecours en matière d'arbitrage international en autorisant les parties àrenoncer par avance audit recours, pour autant que la renonciation soitclairement exprimée (cf. art. 192 al. 1 LDIP), quand bien même elles sepriveraient, ce faisant, de la possibilité de soulever les moyens pris de laviolation de principes fondamentaux propres à un Etat de droit, tels quel'ordre public, ou des garanties de procédure mentionnées à l'art. 190 al. 2LDIP (cf.ATF 198/2005 du 31 octobre 2005, consid. 2.2). On a affaire, en l'espèce, à une contestation de nature purement pécuniaire,qui est soumise dans sa totalité à l'entière disposition des parties. Cettecirconstance plaide déjà en faveur de l'admissibilité d'une renonciationanticipée au recours de droit public. La même conclusion s'impose si l'onconsidère les griefs invoqués. Les recourantes se plaignent d'une applicationarbitraire du droit de procédure cantonal, d'une appréciation arbitraire despreuves et de la violation du droit d'être entendu. Il ne s'agit pas dedroits fondamentaux inaliénables et imprescriptibles (sur cette notion, cf.ATF 118 Ia 209 consid. 2). Aussi une renonciation à recourir est-elle enprincipe admissible. 1.2 Il reste à examiner si les parties sont convenues d'une tellerenonciation en prévoyant, dans la clause topique de leur contrat, que "ladécision sera finale et liera les deux parties", resp. "the decision shall befinal and binding for both parties". Avec l'intimée, il faut admettre que tel est le cas. Même s'il n'y est pasindiqué expressément que les parties renoncent à former des recours, laditeclause ne peut pas être comprise autrement que comme une exclusion despossibilités éventuelles d'attaquer la décision rendue par le tribunalcompétent. On ne voit pas, il est vrai, ce que les parties auraient bien puvouloir signifier d'autre, en adoptant la clause en question, que lareconnaissance, par elles, du caractère définitif de la décision à rendre parle tribunal compétent de Lausanne et l'impossibilité d'attaquer cettedécision. L'argument des recourantes voulant que les parties, en stipulantcette clause, aient entendu consentir par avance à l'exécution de la décisiondu tribunal lausannois dans leurs pays respectifs ne convainc pas. En effet,la possibilité d'exécuter une décision étrangère ne dépend pas d'uneconvention des parties, mais de la mise en oeuvre des prescriptionsjuridiques applicables. Se référant à la jurisprudence relative à l'art. 192 LDIP, les recourantessoutiennent que le recours auquel il est renoncé devrait être mentionné etexclu expressément. Contrairement à leur opinion, cette jurisprudence ne peutpas être transposée telle quelle au cas d'une décision prise par un tribunalétatique. A l'inverse de la procédure conduite devant celui-ci, qui sedéroule strictement selon les règles établies à cette fin, la procédurearbitrale est laissée, pour l'essentiel, à la disposition des parties. Il enrésulte un besoin d'autant plus impérieux d'une voie de recours destinée àsauvegarder les droits fondamentaux des parties, telle qu'elle a étéinstituée à l'art. 190 al. 2 LDIP. Comme le règlement d'un différend dans lecadre d'une procédure arbitrale n'offre pas les mêmes garanties que si cettetâche est confiée à un tribunal étatique, sans compter que les possibilitésd'attaquer des sentences arbitrales internationales sont de toute façonlimitées, il se justifie que la renonciation à faire usage de cespossibilités soit soumise à des conditions plus strictes que celles dontdépend la validité de la renonciation à attaquer le jugement rendu par untribunal étatique. Au reste, le Tribunal fédéral a récemment précisé sajurisprudence touchant l'art. 192 LDIP en ce sens que les parties n'ont pasbesoin de mentionner expressément l'art. 190 al. 2 LDIP pour exclurevalablement le recours prévu par cette disposition (ATF 131 III 173 consid.4.2.3.1 p. 178; arrêt 4P.198/2005 du 31 octobre 2005, consid. 1.1). Que lesparties n'aient pas expressément exclu le recours de droit public au Tribunalfédéral, dans la présente espèce, ne change, dès lors, rien au fait qu'ellesont valablement renoncé à ce moyen de droit. On ne peut d'ailleurs pass'attendre à ce que des parties étrangères connaissent en détail le systèmede recours de la Suisse ni, partant, à ce qu'elles désignent concrètement parleurs noms les voies de recours entrant en ligne de compte et les excluent(cf., au sujet de l'art. 192 LDIP, l'ATF 131 III 173 consid. 4.2.3.1 p.178). Les recourantes font valoir, enfin, que le Tribunal fédéral, dont le siègeest à Lausanne, est visé, lui aussi, par le chiffre XII du contrat en tantque "tribunal compétent à Lausanne". Cet argument tombe à faux pour la raisondéjà qu'il n'est question, dans ce membre de phrase, que du tribunal ausingulier, par quoi il faut entendre le tribunal appelé à statuer au fond. 1.3 Comme les parties ont valablement renoncé à recourir, le recours de droitpublic soumis au Tribunal fédéral est irrecevable, de sorte qu'il n'est paspossible d'entrer en matière. 2.Cela étant, les recourantes, qui succombent, seront condamnées solidairementà payer l'émolument judiciaire et à verser des dépens à l'intimée (art. 156al 1 et 7 OJ; art. 159 al. 2 et 5 OJ). Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 1.Le recours est irrecevable. 2.Un émolument judiciaire de 20'000 fr. est mis à la charge des recourantes,solidairement entre elles. 3.Les recourantes sont condamnées solidairement à verser à l'intimée uneindemnité de 22'000 fr. à titre de dépens. 4.Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à laChambre des recours du Tribunal cantonal du canton de Vaud. Lausanne, le 17 juillet 2006 Au nom de la Ire Cour civiledu Tribunal fédéral suisse Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4P.110/2006
Date de la décision : 17/07/2006
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2006-07-17;4p.110.2006 ?
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