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06/07/2006 | SUISSE | N°1P.236/2006

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 06 juillet 2006, 1P.236/2006


{T 0/2}1P.236/2006 /col Arrêt du 6 juillet 2006Ire Cour de droit public MM. et Mme les Juges Féraud, Président, Reebet Pont Veuthey, Juge suppléante.Greffier: M. Kurz. A. ________,recourant, représenté par Me Julien Fivaz, avocat, contre B.________, représentée par Me Christine Sordet, avocate,C.________, représenté par Me Lorella Bertani, avocate,Procureur général du canton de Genève,case postale 3565, 1211 Genève 3,Cour de cassation du canton de Genève,case postale 3108, 1211 Genève 3. procédure pénale, recours de droit public contre l'arrêt de la Cour de cassation du cant

on deGenève du 24 mars 2006. Faits: A.Par arrêt du 22 juin 2005, l...

{T 0/2}1P.236/2006 /col Arrêt du 6 juillet 2006Ire Cour de droit public MM. et Mme les Juges Féraud, Président, Reebet Pont Veuthey, Juge suppléante.Greffier: M. Kurz. A. ________,recourant, représenté par Me Julien Fivaz, avocat, contre B.________, représentée par Me Christine Sordet, avocate,C.________, représenté par Me Lorella Bertani, avocate,Procureur général du canton de Genève,case postale 3565, 1211 Genève 3,Cour de cassation du canton de Genève,case postale 3108, 1211 Genève 3. procédure pénale, recours de droit public contre l'arrêt de la Cour de cassation du canton deGenève du 24 mars 2006. Faits: A.Par arrêt du 22 juin 2005, la Cour correctionnelle sans jury du canton deGenève a condamné A.________ à 5 ans, 2 mois et un jour de réclusion, pourcontrainte sexuelle, viol et acte d'ordre sexuel sur la fille de son épouse,D.________, née en 1988. Celle-ci s'était déjà plainte, en avril 2001,d'attouchements de la part d'un inconnu, mais elle avait admis que sesdéclarations étaient fantaisistes. Au début de l'année 2002, elle avaitconfié à son ami, puis à des assistants sociaux, qu'elle avait été violée parson beau-père. Les abus avaient commencé par des attouchements en 1997,suivis d'actes sexuels complets fin 1999 jusqu'au début 2002, pour cesser enseptembre 2002 lorsque D.________ avait quitté le domicile de sa mère endisant fuir les violences familiales pour aller vivre chez son père. LeTribunal correctionnel a retenu que la victime n'avait pas sensiblement variédans ses déclarations. Celles-ci concordaient avec les observations de l'amide la victime (concernant la réaction de celle-ci à la réception d'un SMSqu'elle croyait envoyé par A.________ et le fait qu'elle n'était plus viergelors de leur première relation intime), avec les emplois du temps de la mèreet de l'accusé, avec l'état dépressif de la victime en 2001, ainsi qu'avec leprocessus de révélation: les premières déclarations d'avril 2001 faisaientpenser à une tentative de dénonciation; des révélations indirectes avaientensuite été faites à des tiers et la mère avait été informée en dernier, cequi excluait une manipulation de sa part. L'expert concluait à la crédibilitéde la victime. B.Par arrêt du 24 mars 2006, la Cour de cassation genevoise a rejeté le pourvoiformé par A.________. Celui-ci soutenait que la mère de D.________ avaittoujours projeté sur sa fille la crainte d'une agression de type sexuel etque celle-ci, dans le contexte d'une procédure de divorce houleuse, avait puse convaincre d'avoir subi des abus de la part du recourant. La cour aconsidéré que le rapport d'expertise avait tenu compte de l'impact ducomportement de la mère sur la crédibilité des dires de sa fille. Lestroubles de la mère et les soupçons émis ultérieurement par celle-ciconcernant des actes analogues sur la fille cadette, n'avaient aucuneincidence sur la véracité des déclarations de la victime. Le recourant seplaignait du défaut d'enregistrement vidéo des déclarations de la victime àla police. Toutefois, il n'avait fait aucune réserve à ce propos au cours dela procédure. Il avait d'ailleurs pu interroger la victime lors des débats,alors que celle-ci se trouvait derrière un paravent. Ce procédé, accepté parles parties, satisfaisait aux exigences de l'art. 6 CEDH. C.A.________ forme un recours de droit public contre cet arrêt, dont il demandel'annulation.Le dossier a été produit, sans observations. Le Tribunal fédéral considère en droit: 1.Le recours de droit public est formé en temps utile contre un arrêt finalrendu en dernière instance cantonale. Le recourant a qualité (art. 88 OJ)pour remettre en cause le bien-fondé et les modalités de sa condamnation. 2.Le recourant se plaint d'une appréciation arbitraire des preuves. Il reprocheà la cour cantonale de ne pas avoir tenu compte de l'environnement familialtrès conflictuel, et notamment du fait que D.________ désirait, selonl'expert lui-même, la séparation de sa mère et du recourant. L'expert avaitaussi mis en évidence l'influence de la mère sur sa fille concernant lesrisques d'agression sexuelle, ainsi que les accusations infondées concernantles attouchements sur la fille cadette. Certaines contradictions auraientégalement été passées sous silence. Enfin, le témoignage - indirect - de laconseillère d'orientation ne pouvait être retenu sans autre, puisque celle-ciétait convaincue sans réserve des propos de la victime et qu'elle l'avaitincitée à déposer plainte. 2.1 Le principe de la présomption d'innocence, consacré par les art. 32 al. 1Cst. et 6 par. 2 CEDH, signifie notamment que le juge pénal ne doit pas tenirpour établi un fait défavorable à l'accusé s'il existe des doutes objectifsquant à l'existence de ce fait. Des doutes abstraits ou théoriques, qui sonttoujours possibles, ne suffisent cependant pas à exclure une condamnation.Pour invoquer utilement la présomption d'innocence, le condamné doit doncdémontrer que le juge de la cause pénale, à l'issue d'une appréciationexempte d'arbitraire de l'ensemble des preuves à sa disposition, aurait dûéprouver des doutes sérieux et irréductibles au sujet de la culpabilité (ATF127 I 38 consid. 2a p. 40 s.; 124 IV 86 consid. 2a p. 87 s.).L'appréciation des preuves est en particulier arbitraire lorsque le juge n'amanifestement pas compris le sens et la portée d'un moyen de preuve ou si,sur la base des éléments recueillis, il a fait des déductions insoutenables(ATF 129 I 8 consid. 2.1 p. 9). Il ne suffit pas qu'une interprétationdifférente des preuves et des faits qui en découlent paraisse égalementconcevable, sans quoi le principe de la libre appréciation des preuves par lejuge du fond serait violé (ATF 120 Ia 31 consid. 2d p. 37 s.). Par ailleurs,il faut que la décision attaquée soit insoutenable non seulement dans sesmotifs, mais aussi dans son résultat (ATF 131 I 57 consid. 2 p. 61 et lajurisprudence citée), ce qu'il appartient au recourant de démontrer en vertude l'art. 90 al. 1 let. b OJ (ATF 131 I 217 consid. 2.1 p. 219 et lajurisprudence citée). 2.2 Les éléments affaiblissant la crédibilité de la victime ont été relevéspar l'expert. Il s'agit du climat de violence dans lequel la victime agrandi, de la volonté de maintenir une séparation entre sa mère et sonbeau-père, de la projection des angoisses de sa mère au sujet d'une agressionsexuelle et de l'hypothèse de pressions maternelles dans la perspective dudroit de garde sur la fille cadette, pour laquelle existait aussi un soupçond'abus sexuels. Toutefois, selon l'expert, les facteurs psychopathologiques,l'analyse du contenu et de la forme du discours ainsi que les circonstancesdes révélations contenaient plus d'éléments spécifiques en faveur de lacrédibilité qu'en sa défaveur. Sur le plan psychopathologique, l'expertdiscernait, dans les différentes phases de secret, d'impuissance, de prise aupiège et enfin de confidence et de rétractation, le "syndrome d'adaptation del'enfant sexuellement abusé"; la victime avait en outre présenté unchangement de comportement à l'école vers l'âge de neuf ans, ce quicorrespondait aux premiers abus supposés. Le discours ne présentait pasd'incohérence dans son contenu et dans sa forme; il n'y avait pas de phrasestoutes faites ni d'élément évoquant un discours appris par coeur; les affectscorrespondaient au discours; les premières déclarations d'avril 2001pouvaient être comprises comme le début d'une révélation; la victime s'étaitd'abord confiée à son ami, puis dans un contexte non public, et enfin dans uncadre officiel; elle avait eu besoin d'aide extérieure à la famille pourparvenir à faire ses déclarations; celles-ci n'avaient eu lieu qu'après ledépart du domicile familial, à un moment où la mère et le beau-père étaientdéjà séparés, ce qui affaiblissait la thèse de révélations faites dans le butde provoquer une séparation. L'expert a en définitive considéré que lesdéclarations de la victime étaient "fortement crédibles". 2.3 L'argumentation du recourant consiste en définitive simplement àreprendre les éléments à sa décharge, soit notamment le contexte familialconflictuel et violent, le besoin de la jeune fille d'être écoutée et crue etde se rapprocher de sa mère, l'influence de cette dernière sur la question durisque d'agression sexuelle et la plainte déposée par celle-ci concernant desattouchements sur la fille cadette. Tous ces éléments ont été relevés et prisen compte par l'expert qui, au terme de sa synthèse, a conclu sans ambiguïtéà une forte crédibilité de la victime. L'argumentation du recourant, quiapparaît en définitive purement appellatoire, ne démontre en rien que laconclusion de l'expert, suivie par les juridictions genevoises, seraitarbitraire dans son résultat. Dans la mesure où il est recevable, le griefdoit être écarté. 3.Le recourant invoque son droit à l'administration des preuves; il se plaintde ce que la déclaration de la victime à la police, le 10 janvier 2003(contrairement à celle du mois d'avril 2001), n'ait pas fait l'objet d'unenregistrement vidéo, alors que l'art. 10c al. 2 LAVI prévoit que l'auditiondes victimes âgées de moins de 18 ans doit faire l'objet d'un telenregistrement. La présence de la victime à l'audience de jugement, près dedeux ans et demi plus tard, ne saurait pallier ce défaut. Le recourantinvoque également l'art. 6 par. 3 let. d CEDH. L'audition, aux débats, de lavictime derrière un paravent, l'aurait privé d'une véritable confrontation. 3.1 Le recourant invoque l'art. 10c LAVI, perdant de vue que cettedisposition a été introduite, comme cela ressort du titre de la section 3a dela loi, dans le but exclusif de protéger la personnalité des enfantsvictimes. L'idée en est que l'interrogatoire peut entraîner chez l'enfantvictime un effet traumatisant, et que cette seconde atteinte psychique,appelée "victimisation secondaire" est à peine moindre que celle qui estsubie du fait de l'infraction (FF 2000 p. 3510 ss, spéc. p.3525; ATF 129 IV179 consid. 2.3 p. 183). L'enregistrement de la déclaration a ainsisimplement pour but d'éviter la multiplication des interrogatoires, comptetenu du principe, posé à l'art. 10b LAVI, selon lequel une confrontation avecle prévenu est en principe exclue. La disposition invoquée par le recourantne tend donc pas à donner à l'inculpé des droits supplémentaires à ceux quidécoulent du droit d'être entendu et des garanties de procédure prévue auxart. 6 CEDH et 32 Cst. Dans la mesure où une confrontation a quand même eulieu, le recourant n'a plus d'intérêt juridique (art. 88 OJ) à invoquerl'art. 10c LAVI, et son grief est irrecevable (ATF 131 IV 191 consid. 1.2.2p. 194). Il y a lieu uniquement de rechercher si la procédure, prise dans sonensemble, a permis au recourant d'exercer de manière satisfaisante ses droitsde défense. 3.2 La Cour de cassation a considéré que les modalités de l'audition de lavictime lors des débats, soit le huis clos partiel et l'audition de lavictime en présence de l'accusé, protégée par un paravent, avaient étéordonnées avec l'accord des parties. La Cour de cassation rappelle également,dans son considérant précédent, que les griefs concernant les dispositionsessentielles de procédure ou les droits des parties ne peuvent lui êtresoumis que si, notamment au cours des débats, le recourant a présenté desconclusions ou s'est fait donner acte de l'irrégularité prétendue (art. 341CPP/GE). Tel n'ayant pas été le cas, la Cour de cassation pouvait écartersans autre le grief.Celui-ci était d'ailleurs également mal fondé, car, dans le cas particulierdes victimes mineures, la garantie de l'art. 6 par. 3 let. d CEDH peut êtreassurée sans confrontation avec le prévenu ni interrogatoire direct de lavictime par le défenseur (ATF 129 I 151 consid. 3.2 p. 155 et lajurisprudence citée); le droit de poser des questions aux témoins à charge,de contrôler la véracité des déclarations, de les mettre en doute et decritiquer leur valeur probante peut alors être aménagé de différentesmanières, notamment par le biais de moyens de transmission technique, voirepar écrit (ATF 129 I 151 consid. 5 p. 159 et la jurisprudence citée). Enl'occurrence, la Cour correctionnelle a concilié d'une part l'intérêt de lavictime, et d'autre part les droits de l'accusé, en tentant de limiter aumaximum l'impact d'une confrontation directe. Ce mode de procéder, acceptépar les parties, a notamment permis au recourant d'entendre la victime et delui poser directement des questions. La garantie d'un procès équitable, quine donne aucun droit absolu à une confrontation directe et visuelle entrel'accusé et la victime, est par conséquent respectée. 3.3 Le recourant se plaint enfin de la production par l'accusation, àl'audience de jugement, d'une attestation médicale qui ne constituait ni uneexpertise judiciaire, ni un témoignage direct. Il prétend avoir soulevé cegrief dans son recours cantonal, et reproche à la Cour de cassation de ne pasavoir statué à ce propos. Le recourant ne prétend pas avoir formulé lamoindre réserve à ce sujet lors de la production de la pièce litigieuse, desorte que, conformément à la règle de l'art. 341 CPP/GE, il n'y avait paslieu pour la cour cantonale d'entrer en matière. Au demeurant, bien quementionnée par la Cour correctionnelle, la pièce en question n'avait pas decaractère déterminant, car les premiers juges se sont essentiellement fondéssur l'expertise judiciaire. En principe irrecevable, le grief est aussi malfondé. 4.Sur le vu de ce qui précède, le recours doit être rejeté, dans la mesure oùil est recevable. Un émolument judiciaire est mis à la charge du recourant(art. 156 al. 1 OJ). Il n'est pas alloué de dépens. Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 1.Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 2.Un émolument judiciaire de 3000 fr. est mis à la charge du recourant. 3.Il n'est pas alloué de dépens. 4.Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties, auProcureur général et à la Cour de cassation du canton de Genève. Lausanne, le 6 juillet 2006 Au nom de la Ire Cour de droit publicdu Tribunal fédéral suisse Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.236/2006
Date de la décision : 06/07/2006
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2006-07-06;1p.236.2006 ?
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