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27/06/2006 | SUISSE | N°4C.82/2006

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 27 juin 2006, 4C.82/2006


{T 0/2}4C.82/2006 /ech Arrêt du 27 juin 2006Ire Cour civile MM. et Mmes les Juges Corboz, Président, Rottenberg Liatowitsch, Favre, Kisset Mathys.Greffière: Mme Godat Zimmermann. A. ________,défendeur et recourant, représenté par Me Eric C. Stampfli,B.________ SA,C.________,D.________,défendeurs et recourants, tous les trois représentés par Me Robert Guinchard, contre X.________,demandeur et intimé, représenté par Me Olivier Weber-Caflisch. autorité de la chose jugée; principe de la bonne foi, recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justicedu canton

de Genève du 20 janvier 2006. Faits: A.Dans la nuit du 26 au 2...

{T 0/2}4C.82/2006 /ech Arrêt du 27 juin 2006Ire Cour civile MM. et Mmes les Juges Corboz, Président, Rottenberg Liatowitsch, Favre, Kisset Mathys.Greffière: Mme Godat Zimmermann. A. ________,défendeur et recourant, représenté par Me Eric C. Stampfli,B.________ SA,C.________,D.________,défendeurs et recourants, tous les trois représentés par Me Robert Guinchard, contre X.________,demandeur et intimé, représenté par Me Olivier Weber-Caflisch. autorité de la chose jugée; principe de la bonne foi, recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justicedu canton de Genève du 20 janvier 2006. Faits: A.Dans la nuit du 26 au 27 septembre 2001, un incendie d'origine criminelle aravagé un immeuble, à Genève; ce bâtiment abritait l'atelier de X.________,artiste-peintre. Le 4 février 2003, A.________ a été reconnu coupable d'incendie intentionnelpar la Cour d'assises de Genève. Par acte déposé le 16 janvier 2004, X.________ a assigné A.________, ainsique B.________ SA, C.________, D.________, E.________, l'Etat de Genève et laVille de Genève, tous pris conjointement et solidairement, en paiement de lasomme de 4'000'000 fr. avec intérêts à 5% dès le 27 septembre 2001. Cemontant représentait le dommage que l'artiste estimait avoir subi à la suitede l'incendie de septembre 2001, qui avait détruit tout son matérielprofessionnel et l'oeuvre de trente ans. La prétention du demandeur étaitfondée sur les art. 41 ss CO et sur la loi genevoise sur la responsabilité del'Etat et des communes (LREC). Par jugement du 8 septembre 2004, le Tribunal de première instance du cantonde Genève a déclaré la demande irrecevable pour les motifs suivants: «Le seul allégué de fait relatif au dommage invoqué mentionne que ledemandeur a perdu "l'intégralité de son matériel professionnel" et "l'oeuvreartistique de 30 années". Y figure un renvoi à une plainte pénale déposéedeux ans et demi plus tôt et dont il résulte que le dommage ne peut êtreévalué avec précision mais peut être estimé, sur la base notammentd'indications fournies par des galeristes, à Frs 2'900'000.-.La liste des oeuvres, meubles et biens personnels qui devait être jointe à laprocédure pénale n'a pas été produite dans le cadre de la présente procédure.A l'évidence, les faits allégués par le demandeur quant à la quotité dudommage subi ne répondent pas à l'exigence de précision minimale posées auxarticles 7 et 126 LPC.En effet, le demandeur agit présentement en paiement d'un montant de Frs4millions, tout en se référant à une plainte pénale mentionnant un dommageévalué à Frs 2'900'000.-. Il ne dit pas un mot de cette différence etn'indique aucun des critères qui lui permettent de chiffrer, fût-ceapproximativement, la valeur du matériel, des meubles et des oeuvres perdues.Certes, la preuve relative au nombre et à la dimension des oeuvres qui ontbrûlé dans l'incendie doit essentiellement être rapportée par l'audition detémoins.A tout le moins le demandeur pouvait-il étoffer son offre de preuve par laproduction de la liste jointe à la plainte pénale, de quittances relatives àl'achat de son matériel professionnel, de quittances relatives à la vente deses oeuvres, d'attestations de ses galeristes, de propositions et/ou contratd'assurance pour les objets se trouvant dans ses locaux par exemple, touséléments qui, ajoutés à la preuve par témoins, auraient permis au tribunal defixer, cas échéant, le montant du dommage subi en application de l'article42al. 2 CO.Il faut relever en effet que si le dommage ne pouvait qu'être grossièrementestimé lors du dépôt de la plainte pénale, survenu moins d'un mois aprèsl'incendie, le demandeur agit civilement plus de deux ans après la survenancede celui-ci et aurait pu mettre cette période à profit pour réunir lespremiers éléments de preuve à cet égard.Le manque de précision des allégués du demandeur quant à la quotité dudommage subi entraîne pour conséquence une violation du droit à la contrepreuve des défendeurs, qui ne peuvent ni contester utilement l'unique faitallégué sur ce point, ni établir une liste de témoins susceptibles d'apporterla preuve contraire de ce fait.Il s'ensuit que l'assignation, qui ne répond pas aux exigences de l'article7LPC, est nulle, ce qui entraîne l'irrecevabilité de la demande, et non ledéboutement du demandeur de ses conclusions.» Le demandeur n'a pas interjeté appel de ce jugement. B.Par acte déposé le 23 décembre 2004, X.________ a derechef assigné les mêmesdéfendeurs, sauf E.________, en paiement de la somme de 2'179'883 fr. avecintérêts à 5% dès le 27 septembre 2001. Soulevant l'exception de chose jugée, les défendeurs ont conclu àl'irrecevabilité de la demande. Par jugement du 31 mai 2005, le Tribunal de première instance du canton deGenève a admis l'exception de chose jugée et déclaré la demande irrecevable. Statuant le 20 janvier 2006 sur appel de X.________, la Chambre civile de laCour de justice du canton de Genève a annulé le jugement de première instanceet renvoyé le dossier au premier juge pour instruction et jugement de lacause sur le fond. C.A.________ interjette un recours en réforme. Il conclut à l'annulation del'arrêt attaqué, à l'admission de l'exception de chose jugée et audéboutement de X.________ de ses conclusions en paiement. Il a égalementdemandé à être mis au bénéfice de l'assistance judiciaire. Par décision du 10avril 2006, la cour de céans a admis cette requête et désigné Me Eric C.Stampfli comme avocat d'office de A.________. Par l'intermédiaire d'un conseil commun, B.________ SA, C.________ etD.________ recourent également en réforme. Ils demandent au Tribunal fédérald'annuler l'arrêt cantonal, de déclarer irrecevable la demande en paiement deX.________ et de rejeter les requêtes en mainlevée définitive des oppositionsqu'ils avaient formées. X. ________ propose de déclarer irrecevables les conclusions de B.________SA, C.________ et D.________ tendant au rejet des requêtes en mainlevéedéfinitive des oppositions. Pour le surplus, il conclut au rejet des deuxrecours. Le Tribunal fédéral considère en droit: 1.1.1 A.________ est recherché en tant qu'auteur de l'incendie du 27 septembre2001, alors que B.________ SA et ses administrateurs, C.________ etD.________, le sont en qualité de propriétaire de l'immeuble, respectivementorganes de la société, en particulier pour n'avoir pas pris les mesuresnécessaires à la sécurité du bâtiment. Quant à l'Etat et à la Ville deGenève, ils sont recherchés sur la base de la LREC, pour non-dénonciation dela part de plusieurs membres du service d'incendie et de secours. Selon lademande, les défendeurs répondent ainsi du dommage en vertu de causesdifférentes. Ils forment dès lors une consorité simple (Fabienne Hohl,Procédure civile, tome I, n. 470, p. 103 et n. 533, p. 111). Contrairementaux consorts nécessaires, les consorts simples peuvent agir - et notammentrecourir - indépendamment les uns des autres (Marie-Françoise Schaad, Laconsorité en procédure civile, thèse Neuchâtel 1993, p. 261 et p. 431;Messmer/Imboden, Die eidgenössischen Rechtsmittel in Zivilsachen, n. 39, p.59/60). Sous cet angle, les recours de A.________, d'une part, et deB.________ SA, C.________ et D.________, d'autre part, sont recevables. 1.21.2.1En rejetant l'exception de chose jugée et en renvoyant la cause au jugede première instance pour instruction et jugement, la Cour de justice a renduune décision incidente, puisque la procédure va se poursuivre (ATF 116 II 738consid. 1 p. 741; 114 II 383). En règle générale, le recours en réforme n'est recevable que contre lesdécisions finales (art. 48 al. 1 OJ). Selon l'art. 50 al. 1 OJ, il estrecevable exceptionnellement contre les décisions préjudicielles ouincidentes autres que celles relatives à la compétence (cf. art. 49 OJ),lorsqu'une décision finale peut ainsi être provoquée immédiatement et que ladurée et les frais de la procédure probatoire seraient si considérables qu'ilconvient de les éviter en autorisant le recours immédiat au Tribunal fédéral.Comme elle constitue une exception, l'ouverture du recours en réforme pourdes motifs d'économie doit, comme telle, être interprétée de manièrerestrictive (ATF 122 III 254 consid. 2a p. 255; 118 II 91 consid. 1b p. 92).Le Tribunal fédéral examine librement si les conditions de l'art. 50 al. 1 OJsont réalisées (art. 50 al. 2 OJ). Une décision peut être provoquée immédiatement au sens de l'art. 50 al. 1 OJlorsque le Tribunal fédéral peut la rendre lui-même (ATF 127 III 433 consid.1c/aa p. 436; 122 III 254 consid. 2a p. 255; 105 II 317 consid. 3). Celasuppose qu'il puisse mettre fin définitivement à la procédure en jugeantdifféremment la question tranchée dans la décision préjudicielle ouincidente; en d'autres termes, il faut que la solution inverse de celleretenue dans la décision préjudicielle soit finale au sens de l'art. 48 OJ(ATF 129 III 288 consid. 2.3.3 p. 291; 127 III 433 consid. 1c/aa p. 436; 122III 254 consid. 2a p. 256 et les références). Pour que le recours immédiat soit recevable, encore faut-il qu'il permetted'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse. Le pouvoir d'examenconféré au Tribunal fédéral par l'art. 50 al. 2 OJ n'exempte pas l'auteur durecours d'une collaboration active à la procédure (ATF 118 II 91 consid. 1ap. 92; 116 II 738 consid. 1b/aa; arrêt 5C.234/2003 du 2 avril 2004, consid.3.1). Si le recourant n'expose absolument pas en quoi le cas est exceptionnelet ignore par conséquent la question de la recevabilité, il ne sera pas entréen matière sur le recours (ATF 118 II 91 consid. 1a p. 92; arrêt 5C.15/2004du 25 mai 2004, consid.1). En revanche, s'il fait valoir que les conditionsde l'art. 50 OJ sont remplies, il convient d'opérer une distinction. S'ildécoule manifestement de la décision attaquée ou de la nature de la cause quela poursuite de la procédure prendra un temps considérable et occasionnerades frais très importants, le recourant peut se dispenser d'une longuedémonstration sur ce point; si tel n'est pas le cas, il doit indiquer demanière détaillée quelles questions de fait sont encore litigieuses etquelles sont les preuves longues et coûteuses qui devraient être administrées(ATF 118 II 91 consid. 1a p. 92; 116 II 738 consid.1b p. 741/742). 1.2.2 Si, contrairement à la cour cantonale, il arrivait à la conclusion quel'exception de chose jugée est fondée en l'espèce, le Tribunal fédéraldéclarerait la demande irrecevable et mettrait ainsi un terme définitif à laprocédure (ATF 116 II 738 consid. 1a p. 741; 114 II 383). La premièrecondition posée par l'art. 50 al. 1 OJ est réalisée. Sur la seconde condition, tant le défendeur A.________ que les défendeursB.________ SA, C.________ et D.________ ont abordé la question de larecevabilité. Au surplus, leur argumentation est convaincante. En effet, lenombre de parties en cause, recherchées pour des causes différentes, ainsique la probable nécessité de recourir à une expertise pour établir le dommagesubi par le demandeur laissent augurer d'une procédure longue et onéreuse. Ilconvient dès lors d'autoriser le recours immédiat contre la décisionincidente rejetant l'exception de chose jugée. 1.3 Aux termes de l'art. 55 al. 1 let. b 3ème phrase OJ, il ne peut êtreprésenté de conclusions nouvelles dans le recours en réforme. En l'espèce,les défendeurs B.________ SA, C.________ et D.________ n'ont jamais conclu aurejet de la mainlevée des oppositions dans leurs écritures déposées eninstance cantonale. Cette conclusion, formée pour la première fois devant lajuridiction de réforme, est dès lors irrecevable. 1.4 Les recours sont interjetés par des parties qui ont succombé dans leursconclusions tendant à l'irrecevabilité de la demande; ils concernent unecontestation civile dont la valeur litigieuse dépasse le seuil de 8'000 fr.(art. 46 OJ). Au surplus, ils ont été déposés en temps utile (art. 54 al. 1OJ) et dans les formes requises (art. 55 OJ), de sorte qu'il convientd'entrer en matière. 2.2.1La cour cantonale a considéré tout d'abord que le Tribunal de premièreinstance avait rendu, en date du 8 septembre 2004, un jugement au fond, etnon une décision procédurale. Se référant au principe de la bonne foi, elle aconclu toutefois que ce jugement ne jouissait pas de l'autorité de la chosejugée. En effet, appliquant par analogie la jurisprudence relative àl'indication inexacte des voies de recours, les juges genevois ont estimé quele demandeur, même représenté par un avocat, pouvait se fier à l'indication -erronée - figurant dans le jugement du 8 septembre 2004, selon laquelle lanullité de l'assignation entraînait «l'irrecevabilité de la demande, et nonle déboutement du demandeur de ses conclusions», et que, par conséquent, ilétait fondé à renoncer à appeler dudit jugement et à opter pour le dépôtd'une nouvelle demande. 2.2 Selon le défendeur A.________, la Cour de justice a violé le droitfédéral en rejetant l'exception de chose jugée sur la base du principe de labonne foi alors qu'elle avait admis, dans un premier temps, que le jugementdu 8 septembre 2004 jouissait de l'autorité de la chose jugée. A suivre lepremier défendeur, la cour cantonale ne pouvait accorder la protection de laconfiance à une partie dont le conseil pouvait se rendre compte del'inexactitude du dispositif d'irrecevabilité en consultant simplement lalégislation applicable. D'après les défendeurs B.________ SA, C.________ et D.________, le jugementdu 8 septembre 2004, qui constate l'inexistence d'un droit, est doté del'autorité de la chose jugée et la cour cantonale ne pouvait écarter cettefin de non-recevoir en recourant au principe de la bonne foi. Au demeurant,la Cour de justice aurait mal appliqué ce principe, qui ne permet de dérogerqu'au droit de procédure et non à un droit de fond; elle aurait par ailleursomis de procéder à une pesée des intérêts. 3.En premier lieu, il convient d'examiner si le jugement rendu par le Tribunalde première instance le 8 septembre 2004 est revêtu de l'autorité de la chosejugée. 3.1 Selon la jurisprudence, l'autorité de la chose jugée (materielleRechtskraft) relève du droit matériel fédéral dans la mesure où lesprétentions déduites en justice se fondent sur ce droit (ATF 125 III 241consid. 1 p. 242; 121 III 474 consid. 2 p. 476/477). Tel est le cas enl'espèce, le demandeur se basant sur les art. 41 CO, respectivement 55 CC et58 CO, pour réclamer aux défendeurs la réparation du préjudice subi à lasuite de l'incendie de septembre 2001. Le recours en réforme est dès lorsouvert pour se plaindre de ce que l'exception de chose jugée a été rejetée àtort par la cour cantonale. 3.2 L'absence d'autorité de la chose jugée est une condition de recevabilitéde la demande (ATF 121 III 474 consid. 2 p. 477; 119 II 89 consid. 2a p. 90et les arrêts cités). Devant le Tribunal fédéral, le défendeur A.________devait par conséquent conclure à la réforme de l'arrêt attaqué en ce sens quela demande est irrecevable, et non en ce sens que le demandeur est débouté deses conclusions. Cette erreur ne porte toutefois pas à conséquence dans lamesure où il résulte
clairement, des conclusions mêmes du recours, que lepremier défendeur entend faire admettre l'exception de chose jugée. 3.3 Un jugement a l'autorité de la chose jugée lorsqu'il est obligatoire,c'est-à-dire qu'il ne peut plus être remis en discussion ni par les parties,ni par les tribunaux (arrêt 5C.242/2003 du 20 février 2004, consid.2.1). Ily a autorité de la chose jugée lorsque la prétention litigieuse est identiqueà celle qui a déjà fait l'objet d'un jugement passé en force (identité del'objet du litige). Tel est le cas lorsque, dans l'un et l'autre procès, lesparties ont soumis au juge la même prétention en se fondant sur la même causejuridique et sur les mêmes faits (ATF 125 III 241 consid. 1 p. 242; 123 III16 consid. 2a p. 18; 121 III 474 consid. 4a p. 477; cf. également ATF 128 III284 consid. 3b p.286). L'identité des prétentions s'entend au sens matériel,et non grammatical; il n'est pas nécessaire, ni même déterminant, que lesconclusions soient formulées de manière identique dans les deux procès (ATF123 III 16 consid. 2a p. 19; 121 III 474 consid. 4a p. 478). En principe,seul le jugement au fond (Sachurteil) jouit de l'autorité de la chose jugée.Il faut donc que le juge ait examiné le fondement matériel de la prétentiondéduite en justice; pour déterminer si cette condition est réalisée, il y alieu de se référer aux motifs du jugement, même si l'autorité de la chosejugée ne s'attache qu'au dispositif (ATF 128 III 191 consid. 4a p.195; 125III 8 consid. 3b p. 13; 123 III 16 consid. 2a p. 18; 121 III 274 consid. 4ap. 477/478). 3.4 En l'espèce, le premier et le second procès opposent les mêmes parties; àcet égard, le fait que E.________, désignée comme défenderesse dans lapremière demande, n'apparaisse pas dans la seconde demande, n'est pasdéterminant. Par ailleurs, l'objet du litige est identique, les prétentionsélevées dans les deux actions reposant sur les mêmes faits (l'incendie deseptembre 2001 et les dégâts qu'il a provoqués) et les mêmes fondementsjuridiques (la responsabilité pour acte illicite s'agissant des défendeursA.________, C.________ et D.________; la responsabilité pour les actes de sesorganes et la responsabilité du propriétaire d'ouvrage pour B.________ SA).La deuxième demande ne se fonde pas non plus sur des faits nouveauxintervenus depuis le premier jugement (cf. Hohl, op. cit., n.1305 et 1306,p. 246). Il reste encore à examiner si la décision du 8 septembre 2004 est un jugementau fond. Dans les considérants, qu'il convient d'analyser (cf.consid. 3.3supra in fine), le Tribunal de première instance a relevé que le demandeuravait consacré un seul allégué à la question du dommage subi à la suite del'incendie et de sa quotité, se bornant à indiquer qu'il avait perdu tout sonmatériel professionnel ainsi que «l'oeuvre artistique de trente années». Lejuge a considéré que cet allégué n'était pas suffisamment précis et, pourcette raison, a déclaré la demande irrecevable. En d'autres termes, letribunal a jugé que le demandeur, chargé du fardeau de l'allégation, avaitmanqué à son obligation de motiver suffisamment ses allégués(Substanzierungspflicht). En principe, c'est le droit fédéral qui détermine si les faits, allégués enla forme prescrite et en temps utile selon les exigences cantonales deprocédure, sont suffisamment précis pour permettre de statuer sur laprétention déduite en justice, fondée sur le droit fédéral (ATF 108 II 337consid. 2 et 3, confirmé notamment in ATF 127 III 365 consid. 2b p. 368; 123III 183 consid. 3e p. 188). Ainsi, le juge statue au fond lorsqu'il tient lesfaits allégués dans la demande pour insuffisamment motivés (ATF 115 II 187consid. 3b p. 189/190; Hohl, op. cit., n. 800, p.155 et n. 1302, p. 246).Encore faut-il que les allégations du plaideur permettent au juged'identifier la prétention; si tel n'est pas le cas, le juge déclarera lademande irrecevable dans un jugement de procédure (Prozessurteil; ATF 115 II187 consid. 3b p. 190; Hohl, op. cit., n. 801, p. 155). En l'espèce, laprétention exercée par le demandeur est clairement identifiée puisqu'ils'agit d'obtenir la réparation du préjudice subi à la suite de l'incendie du27 septembre 2001. Il s'ensuit que le Tribunal de première instance a renduun jugement au fond en date du 8 septembre 2004.Il importe peu à cet égard que le juge ait déclaré la demande irrecevable etqu'il ne l'ait pas rejetée comme il aurait dû le faire. En effet, pourdistinguer un jugement au fond d'une décision procédurale, seul le contenu dujugement est déterminant, sans égard à sa dénomination (ATF 115 II 187consid. 3b p. 191). Ainsi, une décision procédurale ne change pas de natureparce que le juge a déclaré mal fondée une demande qu'il aurait dû déclarerirrecevable (ATF 101 II 375 consid. 1 p. 378). A l'inverse, un jugementadmettant l'exception de motivation insuffisante de la demande ne devient pasprocédural simplement parce que le juge l'a désigné comme tel, alors quel'admission de l'exception équivaut en réalité au rejet de la prétention (ATF115 II 187 consid. 3b in fine p. 191 et consid. 3c p. 192). En conclusion, le jugement du 8 septembre 2004 jouit de l'autorité de lachose jugée. 4.Cela étant, il y a lieu de déterminer si, malgré tout, l'exception de chosejugée doit être rejetée en application du principe de la bonne foi, comme lacour cantonale l'a admis. 4.1 Ancré à l'art. 9 Cst., le principe de la bonne foi exige quel'administration et les administrés se comportent réciproquement de manièreloyale. Valant pour l'ensemble de l'activité étatique (ATF 129 II 361 consid.7.1 p. 381), il régit notamment les rapports entre les autorités judiciaireset les justiciables. En particulier, l'administration doit s'abstenir de tout comportement propreà tromper l'administré et elle ne saurait tirer aucun avantage desconséquences d'une incorrection ou insuffisance de sa part. A certainesconditions, le citoyen peut exiger de l'autorité qu'elle se conforme auxpromesses ou assurances qu'elle lui a faites et ne trompe pas la confiancequ'il a légitimement placée dans celles-ci. De la même façon, le droit à laprotection de la bonne foi peut être invoqué en présence, simplement, d'uncomportement de l'administration susceptible d'éveiller chez l'administré uneattente ou une espérance légitime (ATF 129 II 361 consid. 7.1 p. 381 et lesarrêts cités). Le principe de la bonne foi peut également commander larestitution d'un délai de péremption lorsque l'administration a, par sa seuleattitude, fait croire que le dépôt formel d'une demande n'était pasnécessaire (ATF 124 II 265 consid. 4a p. 270 et les arrêts cités).Dans le cadre d'un procès, l'autorité doit s'abstenir d'un comportementpouvant apparaître comme un piège pour le justiciable. En particulier, elledoit se garder de donner des informations erronées sur le déroulement de laprocédure et sur les formalités à remplir ou encore de mener le procès d'unefaçon propre à inciter une partie à ne pas faire valoir ses moyens de manièreutile (Jean-François Egli, La protection de la bonne foi dans le procès, inJuridiction constitutionnelle et Juridiction administrative, Zurich 1992, p.237 et les références). En matière d'indication des voies de droit, l'omission d'une éventuelleobligation à ce sujet ne doit pas porter préjudice au justiciable. Cependant,celui qui s'aperçoit du vice affectant l'indication de la voie de droit ouqui devait s'en apercevoir en faisant usage de la prudence que l'on pouvaitattendre de lui, ne peut se prévaloir d'une indication inexacte sur ce point.En particulier, ne mérite pas de protection la partie dont l'avocat aurait pudéceler l'omission ou l'erreur par la seule lecture du texte légal, sansrecourir à la consultation de la jurisprudence ou de la doctrine (ATF 127 II198 consid. 2c p. 205). 4.2 Par définition, un jugement revêtu de l'autorité de la chose jugée nepeut pas être remis en cause. Il apparaît dès lors contraire à la sécurité dudroit d'autoriser une partie, par le biais du principe de la bonne foi, àdéposer une seconde fois une action déjà jugée au fond. Dès l'instant où l'onadmet que le jugement du 8 septembre 2004 a autorité de chose jugée, il n'y aplus place pour l'application du principe de la bonne foi. Certes, en déclarant la demande irrecevable et en précisant que le demandeurn'était pas débouté de ses conclusions, le juge de première instance a commisune erreur. La situation créée par cette erreur ne justifie pas pour autantle recours au principe de la bonne foi. Selon la cour cantonale, le demandeuraurait été dissuadé d'interjeter appel contre le jugement du Tribunal depremière instance. L'argument n'est pas décisif. Le demandeur n'a pas étéempêché de recourir en raison d'un renseignement erroné du juge. Il pouvaitsans autre former appel de la décision du 8 septembre 2004. S'il a choisi dene pas utiliser cette voie de droit, c'est parce qu'il a estimé que ledispositif d'irrecevabilité lui permettait de réintroduire l'action. Il s'esttrompé à son tour, mais ne saurait reprocher au juge de l'avoir incité àrecommencer la procédure plutôt qu'à recourir. Il ne s'agit donc pas àproprement parler d'un cas où la confiance du justiciable a été déçue.Au demeurant, rien ne permet d'affirmer qu'en cas d'appel, le demandeuraurait obtenu gain de cause, par le renvoi de l'affaire au juge de premièreinstance pour instruction. Dans ces conditions, on ne voit pas pourquoi, enraison du dispositif erroné du jugement du 8 septembre 2004, le demandeurdevrait, finalement, se trouver mieux loti - en pouvant déposer une secondedemande dont les allégués sont suffisamment motivés - que si son action avaitété tout bonnement rejetée. 5.Sur le vu de ce qui précède, il apparaît que la cour cantonale a violé ledroit fédéral en rejetant l'exception de chose jugée. Par conséquent, lerecours du défendeur A.________ doit être admis, celui des autres défendeursétant admis dans la mesure de sa recevabilité (cf. consid. 1.3 supra).L'arrêt attaqué sera réformé en ce sens que la demande en paiement déposéepar X.________ contre A.________, B.________ SA, C.________ et D.________ estirrecevable. 6.Le demandeur, qui a conclu au rejet des recours, supportera les fraisjudiciaires (art. 156 al. 1 OJ) et versera des dépens aux défendeurs (art.159 al. 1OJ). Si le défendeur A.________, au bénéfice de l'assistancejudiciaire, ne peut recouvrer sa part de dépens, les honorairescorrespondants de son avocat seront pris en charge par la caisse du Tribunalfédéral (art. 152 al. 2 OJ). Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 1.Le recours du défendeur A.________ est admis. Le recours des défendeurs B.________ SA, C.________ et D.________ est admisdans la mesure où il est recevable. L'arrêt attaqué est réformé en ce sens que la demande en paiement déposée parX.________ contre A.________, B.________ SA, C.________ et D.________ estirrecevable. 2.Un émolument judiciaire de 16'000 fr. est mis à la charge du demandeur. 3.Le demandeur versera au défendeur A.________ une indemnité de 18'000 fr. àtitre de dépens. Au cas où ces dépens ne pourraient être recouvrés, la caissedu Tribunal fédéral versera la somme de 18'000fr. à l'avocat d'office dudéfendeur A.________. Le demandeur versera aux défendeurs B.________ SA, C.________ et D.________,créanciers solidaires, une indemnité de 18'000fr. à titre de dépens. 4.La cause est renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision sur lesfrais et dépens de la procédure cantonale. 5.Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à laChambre civile de la Cour de justice du canton de Genève. Lausanne, le 27 juin 2006 Au nom de la Ire Cour civiledu Tribunal fédéral suisse Le Président: La Greffière:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.82/2006
Date de la décision : 27/06/2006
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2006-06-27;4c.82.2006 ?
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