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27/06/2006 | SUISSE | N°4C.59/2006

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 27 juin 2006, 4C.59/2006


{T 0/2}4C.59/2006 /fzc Arrêt du 27 juin 2006Ire Cour civile M. et Mmes les juges Corboz, président, Klett et Kiss.Greffier: M. Thélin. X. ________ SA,défenderesse et recourante, représentée par Me Inès Feldmann, avocate, contre O.________,demanderesse et intimée, représentée par Me Maurizio Locciola, avocat. contrat de travail; résiliation immédiate recours en réforme contre l'arrêt rendu le 5 janvier 2006 par la Cour d'appelde la juridiction des prud'hommes du canton de Genève. Faits: A.X. ________ SA est une société active dans la production et lacommercialisation des montre

s. Ses administrateurs sont A.________,B.________ et C.________....

{T 0/2}4C.59/2006 /fzc Arrêt du 27 juin 2006Ire Cour civile M. et Mmes les juges Corboz, président, Klett et Kiss.Greffier: M. Thélin. X. ________ SA,défenderesse et recourante, représentée par Me Inès Feldmann, avocate, contre O.________,demanderesse et intimée, représentée par Me Maurizio Locciola, avocat. contrat de travail; résiliation immédiate recours en réforme contre l'arrêt rendu le 5 janvier 2006 par la Cour d'appelde la juridiction des prud'hommes du canton de Genève. Faits: A.X. ________ SA est une société active dans la production et lacommercialisation des montres. Ses administrateurs sont A.________,B.________ et C.________. Plusieurs personnes parentes de A.________ ontcollaboré dans l'entreprise, en particulier M.________, informaticien,N.________, responsable de la production des montres, et la fille decelui-ci, O.________. Cette dernière a été engagée dès le 3 septembre 2001 enqualité de secrétaire et assistante informaticienne au département de lagestion du stock. Dès août 2003, son salaire fut fixé à 5'000 fr. par mois,payable treize fois par an.Dès avril 2003, de graves dissensions sont apparues entre A.________ etB.________. Le premier a alors transféré son bureau hors de l'entreprise.Par la suite, A.________ a souhaité recevoir la liste des montres produites,d'une part, et la liste des montres vendues, d'autre part. Ces listes étaientrespectivement tenues par O.________ et par une autre collaboratrice,S.________. A.________ était censément en droit de s'adresser aux personnescompétentes afin d'accéder à toutes les données de l'entreprise. O.________lui a fourni la liste qu'elle détenait elle-même mais S.________ refusait delui remettre l'autre liste. A.________ a alors chargé M.________ de se laprocurer sans le concours de S.________, avec les moyens techniques qu'ilmaîtrisait, puis de la lui transmettre par l'intermédiaire de O.________ etde N.________. Chacun d'eux a agi conformément aux instructions deA.________. Au moment de ces faits, N.________ avait été licencié et n'avaitplus accès aux locaux de l'entreprise; il a reçu la liste à son domicile.Le 1er décembre 2003, X.________ SA a résilié avec effet immédiat le contratde travail de O.________ au motif qu'en agissant ainsi, elle avait transmisdes documents confidentiels à des tiers. L'employeuse a également licenciéM.________. O. ________ s'est trouvée en incapacité de travail, pour cause de maladie, du18 novembre 2003 au 16 février 2004. Le 11 décembre 2003, elle s'est opposéeà son licenciement. B.Le 13 mai 2004, O.________ a ouvert action contre X.________ SA devant lajuridiction des prud'hommes du canton de Genève. Sa demande tendait aupaiement de diverses sommes au total de 65'086 fr.25 qu'elle réclamait enconséquence de son licenciement, avec intérêts au taux de 5% par an dès cettedate.Contestant toute obligation, la défenderesse a conclu au rejet de la demande.Elle a pris des conclusions reconventionnelles tendant au paiement de 100'000fr. à titre de dommages-intérêts.Statuant par un jugement du 4 juillet 2005, le Tribunal des prud'hommes aretenu que le licenciement immédiat était injustifié. La demanderessen'aurait pas dû se dessaisir de la liste hors des locaux de travail;néanmoins, elle avait agi selon les instructions de A.________ qui était sonsupérieur, de sorte qu'elle n'avait pas violé le devoir de fidélité àrespecter envers la défenderesse. Elle s'était d'ailleurs trouvée dans unesituation difficile en raison des tensions créées par le conflit des deuxadministrateurs. Elle avait droit à ce qu'elle aurait gagné si l'autre partieavait respecté le délai de congé, compte tenu de la période d'incapacité detravail, plus le salaire correspondant aux vacances non prises, soit au totalla somme brute, soumise aux déductions sociales, de 22'065 fr.50; elle avaiten outre droit à une indemnité nette de 10'000 fr. correspondant à deux moisde salaire. Ces sommes portaient intérêts selon la demande. Le tribunal arejeté la demande reconventionnelle au motif qu'il n'existait aucune preuved'un quelconque dommage et que, au surplus, la travailleuse n'avait commisaucune faute suffisamment grave.La Cour d'appel s'est prononcée le 5 janvier 2006 sur l'appel de ladéfenderesse. Elle a confirmé le jugement. C.Agissant par la voie du recours en réforme, la défenderesse requiert leTribunal fédéral de modifier l'arrêt de la Cour d'appel en ce sens que lademande principale soit rejetée et que la demande reconventionnelle soitadmise. A titre subsidiaire, elle requiert le renvoi de la cause à lajuridiction cantonale.La demanderesse conclut au rejet du recours. Le Tribunal fédéral considère en droit: 1.Le recours est formé par une partie qui a succombé dans ses conclusionstendant à sa libération et aussi dans ses conclusions reconventionnelles. Ilest dirigé contre un jugement final rendu en dernière instance cantonale parun tribunal suprême (art. 48 al. 1 OJ), dans une contestation civile dont lavaleur litigieuse dépasse le seuil de 8'000 fr. (art. 46 OJ). Déposé en tempsutile (art. 54 al. 1 OJ) et dans les formes requises (art. 55 OJ), il est enprincipe recevable.Le recours en réforme peut être exercé pour violation du droit fédéral, àl'exclusion des droits constitutionnels et du droit cantonal (art. 43 al.1OJ; ATF 127 III 248 consid. 2c et les arrêts cités). Sous réserved'exceptions qui ne sont pas réalisées dans la présente affaire, le Tribunalfédéral doit conduire son raisonnement juridique sur la base des faitsconstatés dans la décision attaquée (art. 63 al. 2 et 64 OJ); pour lesurplus, il apprécie librement la portée juridique des faits (art.63 al. 3OJ).Le Tribunal fédéral ne peut pas juger au delà des conclusions des parties etcelles-ci ne peuvent pas en prendre de nouvelles (art. 55 al.1 let. b OJ).Le tribunal n'est lié ni par les motifs qu'elles invoquent (art. 63 al. 1 OJ)ni par la solution juridique adoptée par la juridiction cantonale (art. 63al. 3 OJ; ATF 130 III 136 consid. 1.4; 128 III 22 consid. 2e/cc in fine);néanmoins, en règle générale, il se prononce seulement sur les questionsjuridiques que la partie recourante soulève conformément aux exigences del'art. 55 al. 1 let. c OJ concernant la motivation du recours (ATF 127 III397 consid. 2a p. 400; 116 II 92 consid. 2 p. 94). 2.Il est constant que les parties se sont liées par un contrat de travail etque celui-ci était conclu pour une durée indéterminée. Le contrat était doncsusceptible d'une résiliation ordinaire avec observation d'un délai de congé,selon l'art. 335c CO, ou d'une résiliation immédiate pour de justes motifs,selon l'art. 337 CO.D'après l'art. 337 al. 2 CO, on considère notamment comme de justes motifstoutes les circonstances qui, selon les règles de la bonne foi, ne permettentpas d'exiger de celui qui a donné le congé la continuation des rapports detravail. Mesure exceptionnelle, la résiliation immédiate pour justes motifsdoit être admise de manière restrictive. D'après la jurisprudence, les faitsinvoqués à l'appui d'un renvoi immédiat doivent avoir entraîné la perte durapport de confiance qui constitue le fondement du contrat de travail. Seulun manquement particulièrement grave justifie le licenciement immédiat dutravailleur. En cas de manquement moins grave, celui-ci ne peut entraîner unerésiliation immédiate que s'il a été répété malgré un avertissement. Parmanquement du travailleur, on entend en règle générale la violation d'uneobligation imposée par le contrat mais d'autres faits peuvent aussi justifierune résiliation immédiate (cf. ATF 129 III 380 consid. 2.2).Le juge apprécie librement, selon les règles du droit et de l'équité (art.4CC), si le congé abrupt répond à de justes motifs (art. 337 al. 3 CO). Acette fin, il prend en considération tous les éléments du cas particulier,notamment la position et la responsabilité du travailleur, la nature et ladurée des rapports contractuels, ainsi que la nature et l'importance desmanquements. Le Tribunal fédéral ne revoit qu'avec réserve la décisiond'équité prise en dernière instance cantonale. Il intervient lorsque celle-cis'écarte sans raison des règles établies par la doctrine et la jurisprudenceen matière de libre appréciation, ou lorsqu'elle s'appuie sur des faits qui,dans le cas particulier, ne devaient jouer aucun rôle, ou encore lorsqu'elleignore des éléments qui auraient absolument dû être pris en considération; enoutre, le Tribunal fédéral redresse les décisions rendues en vertu d'unpouvoir d'appréciation lorsqu'elles aboutissent à un résultat manifestementinjuste ou à une iniquité choquante (ATF 130 III 28 consid. 4.1 p. 32; 130III 213 consid. 3.1 p. 220; 129 III 380 consid. 2 p. 382).A titre d'administrateur de la société, même en dehors des séances du conseild'administration, A.________ avait le droit de s'adresser aux personneschargées de la gestion afin d'obtenir des renseignements sur la marche del'entreprise; avec l'autorisation du président, il pouvait également prendredes renseignements sur des affaires déterminées (art. 715a al. 2 CO). Pourles renseignements en cause, il avait droit à l'information souhaitée mais ildevait, dans ses investigations, respecter l'organisation hiérarchique del'entreprise et s'adresser aux personnes compétentes selon cette organisation(Georg Krneta, Praxiskommentar Verwaltungsrat [...]: ein Handbuch fürVerwaltungsräte, 2eéd., Berne 2005, ch. 1002 à 1006 p. 198). Le stratagèmequ'il a mis en oeuvre pour obtenir la liste des montres vendues, liste que lacollaboratrice compétente refusait de lui remettre, contrevenait à cetterègle et cela ne pouvait pas échapper à la demanderesse. A.________ aurait dûdemander la liste au supérieur de cette collaboratrice. En prêtant néanmoinsson concours, la demanderesse a commis un manquement car les travailleursdoivent eux aussi respecter la répartition des compétences adoptée parl'employeur (art. 321d CO; Christiane Brunner et al., Commentaire du contratde travail, 3e éd., ch. 1 ad art.321d CO; Manfred Rehbinder, Commentairebernois, ch. 18 ad art.321d CO). La demanderesse n'a cependant pas divulguédes faits destinés à rester confidentiels, ce qui eût été contraire à l'art.321a al.4 CO, car le destinataire de l'information était autorisé à larecevoir. La défenderesse souligne que le stratagème précité comprenait aussile concours de N.________, soit celui d'une personne désormais étrangère àl'entreprise, mais ce fait n'était pas réellement important car lademanderesse pouvait prévoir que son père se comporterait conformément auxinstructions de A.________ en lui transmettant simplement la liste. C'est cequ'il a effectivement fait. La défenderesse souligne aussi vainement queA.________ n'avait plus de bureau dans l'entreprise et qu'il avait des liensfamiliaux avec les travailleurs qui lui ont obéi; ces circonstancesn'influencent pas le jugement à porter sur le comportement de lademanderesse. Dans ces conditions, la Cour d'appel n'abuse pas de son pouvoird'appréciation en retenant que le manquement commis par cette dernièren'était pas suffisamment grave pour justifier un licenciement abrupt. 3.Hormis en répétant qu'elle tient sa décision pour pleinement justifiée, ladéfenderesse ne conteste guère les sommes que la Cour d'appel a allouées à lademanderesse par suite du licenciement; elle discute seulement un montant de2'600 fr. correspondant à dix jours de vacances.En cas de résiliation immédiate et injustifiée du contrat, le travailleurpeut réclamer ce qu'il aurait gagné si les rapports de travail avaient prisfin à l'expiration du délai de congé; il peut de plus réclamer le salairecorrespondant aux vacances qu'il n'avait pas encore prises lors dulicenciement, si le contrat aurait normalement dû prendre fin dans un délaide deux à trois mois au maximum; si, au contraire, le travailleur est detoute manière indemnisé pour une période plus longue, il a en principe letemps de prendre ses vacances dans cette période et l'employeur est doncdispensé de les remplacer par une prestation en argent (art. 337c al. 1 CO;ATF 128 III 271 consid. 4a/bb p. 282; arrêt 4C.293/2004 du 15 juillet 2005,consid. 5).La Cour d'appel a retenu un délai de congé contractuel de deux mois qu'elle afait débuter après la période d'incapacité de travail pour cause de maladie;en conséquence, elle a alloué les prestations salariales que la demanderesseaurait obtenues du 1er décembre 2003, date du licenciement, au 30 avril 2004.Elle a de plus alloué 2'600 fr. pour dix jours de vacances non prises. Elle apar ailleurs alloué 10'000fr. au titre de l'indemnité prévue par l'art. 337cal. 3 CO.Pendant l'incapacité de travail qui a pris fin le 16 février 2004, lademanderesse ne pouvait ni prendre ses vacances ni chercher un autre emploi.Du 17 février au 30 avril 2004, il s'est écoulé un délai de deux mois etdemi. Avec seulement dix jours de vacances à prendre encore, la demanderessese trouvait donc dans un cas limite au regard de la jurisprudence précitéerelative à l'art. 337c al. 1 CO. Néanmoins, compte tenu qu'un pouvoird'appréciation est reconnu à la juridiction cantonale, la Cour d'appel n'apas violé le droit fédéral en lui allouant aussi ce montant de 2'600 fr. 4.L'arrêt dont est recours ne comporte aucune constatation de fait quipermettrait d'évaluer équitablement, sur la base de l'art. 42 al. 2 CO, ledommage éventuellement subi par la défenderesse par suite du manquementcommis par la demanderesse. Le lien de causalité entre ce manquement etl'éventuel dommage n'est pas non plus constaté. Dans ces conditions, le rejetdes prétentions reconventionnelles est pleinement conforme à l'art. 321e COrelatif à la responsabilité du travailleur et il n'est pas nécessaired'examiner l'argumentation de la défenderesse relative à l'appréciation de lafaute. En dépit des affirmations contraires avancées dans l'acte de recours,il incombe bien à la partie lésée de prouver les faits propres à permettreune évaluation équitable du dommage prétendument subi (ATF 131 III 360consid. 5.1 p. 363), d'une part, et le lien de causalité entre ce dommage etla violation du contrat (ATF 107 II 426 consid. 3b p. 429), d'autre part; lerejet desdites prétentions est donc aussi compatible avec l'art. 8 CC relatifà la répartition du fardeau de la preuve. 5.Le recours en réforme se révèle privé de fondement, ce qui entraîne sonrejet.La procédure n'est pas gratuite car le montant de la demande initiale, quidétermine la valeur litigieuse selon l'art. 343 al. 2 CO, était supérieur auplafond de 30'000 fr. prévu par cette disposition (ATF 122 III 495 consid. 4;115 II 30 consid. 5b p. 41). A titre de partie qui succombe, la défenderessedoit donc acquitter l'émolument judiciaire et les dépens à allouer à l'autrepartie (art. 156 al. 1 et 159 al. 2 OJ). Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 1.Le recours est rejeté. 2.La défenderesse acquittera un émolument judiciaire de 5'000 fr. 3.La défenderesse acquittera une indemnité de 6'000 fr. à verser à lademanderesse à titre de dépens. 4.Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires
des parties et à laCour d'appel de la juridiction des prud'hommes du canton de Genève. Lausanne, le 27 juin 2006 Au nom de la Ire Cour civiledu Tribunal fédéral suisse Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.59/2006
Date de la décision : 27/06/2006
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2006-06-27;4c.59.2006 ?
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