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26/06/2006 | SUISSE | N°4C.83/2006

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 26 juin 2006, 4C.83/2006


{T 0/2}4C.83/2006 /ech Arrêt du 26 juin 2006Ire Cour civile MM. et Mmes les juges Corboz, président, Klett, Rottenberg, Favre et Kiss.Greffier: M. Thélin. X. ________ SA,défenderesse et recourante, représentée par Me Jean-Daniel Théraulaz, contre Y.________,demanderesse et intimée, représentée par Me Philippe Nordmann. responsabilité civile recours en réforme contre l'arrêt rendu le 6 septembre 2005 par la Courcivile du Tribunal cantonal du canton de Vaud. Faits: A.Le 16 août 1994, Y.________ circulait à motocyclette à proximité de Vuarrens.Le conducteur d'une automobile qui a

pprochait en sens inverse a brusquementobliqué à gauche et lui a...

{T 0/2}4C.83/2006 /ech Arrêt du 26 juin 2006Ire Cour civile MM. et Mmes les juges Corboz, président, Klett, Rottenberg, Favre et Kiss.Greffier: M. Thélin. X. ________ SA,défenderesse et recourante, représentée par Me Jean-Daniel Théraulaz, contre Y.________,demanderesse et intimée, représentée par Me Philippe Nordmann. responsabilité civile recours en réforme contre l'arrêt rendu le 6 septembre 2005 par la Courcivile du Tribunal cantonal du canton de Vaud. Faits: A.Le 16 août 1994, Y.________ circulait à motocyclette à proximité de Vuarrens.Le conducteur d'une automobile qui approchait en sens inverse a brusquementobliqué à gauche et lui a coupé la route. Une collision s'est produite; lamotocycliste a subi un traumatisme cranio-cérébral et des fractures de lacheville et de la clavicule gauches. En dépit de trois interventionschirurgicales, la fracture de la cheville n'a pas pu être entièrement guérieet un handicap subsiste au pied gauche.Née le 28 février 1971, Y.________ exerçait la profession d'horticultrice auservice de la commune de Lausanne. Elle s'est mariée en 1995. Depuis août1996, elle collabore avec son mari dans l'exploitation d'un domaine agricoleà A.________ et elle élève leurs quatre enfants qui sont nés de janvier 1997à septembre 2003.L'assurance-accidents a pris en charge les frais de soins et la perte de gainjusqu'au 31 décembre 1998. Dès le 1er janvier 1999, elle a alloué une rented'invalidité calculée sur la base d'une perte de capacité de gain de 30%;elle a en outre alloué une indemnité de 24'300 fr. pour une atteinte àl'intégrité évaluée à 25%. B.Le 17 août 2001, Y.________ a ouvert action contre X.________ SA, lacompagnie qui assurait la responsabilité civile du détenteur de l'automobile,devant le Tribunal cantonal du canton de Vaud. Sa demande tendait au paiementde 705'000 fr. avec intérêts au taux de 5% par an dès le 16 mai 2001.La défenderesse a conclu au rejet de la demande.La Cour civile du Tribunal cantonal a statué par jugement du 24 août 2005; ensubstance, elle a donné gain de cause à la demanderesse.Sur la base d'une expertise économique, elle a retenu que sans le handicap,la demanderesse aurait fourni dans l'exploitation familiale, chaque mois,deux cents heures d'un travail agricole valant 30 fr. l'heure, ce qui auraitengendré un revenu mensuel de 6'000 fr. Elle a retenu une perte de gaincorrespondant à l'invalidité médicale ou théorique, évaluée elle-même à 30%dans les activités agricoles; cette perte s'élevait donc à 2'000 fr. par moisou 24'000 fr. par année. La Cour civile a rejeté l'argumentation de ladéfenderesse selon laquelle la demanderesse aurait pu et dû préserver sacapacité de gain en adoptant, après l'accident, la profession demagasinier-fleuriste.Du 1er janvier 1999 à la date du jugement, la perte cumulée s'élevait à159'500 fr. A concurrence de 99'400 fr., elle avait été compensée par larente de l'assurance-accidents. La défenderesse devait réparation du solde,soit 60'100 fr., avec intérêts au taux de 5% par an dès le milieu de lapériode considérée, soit dès le 27 avril 2002.Dans l'avenir, après le jugement, la demanderesse subirait la même perte de24'000 fr. par an jusqu'à l'âge normal de la retraite, soit soixante-quatreans. Il fallait donc capitaliser une rente temporaire d'activité du mêmemontant pour une femme de trente-quatre ans, payable pendant trente ans; surla base de la table de capitalisation Stauffer/Schaetzle, 5e éd., n° 12y,l'application du facteur 18,00 aboutissait au montant de 432'000 fr. La rented'assurance-accidents, également capitalisée, devait être déduite par 270'469fr. La défenderesse était débitrice du solde par 161'531 fr., avec intérêtsdès la date de la capitalisation, c'est-à-dire dès le lendemain du jugement.La Cour civile a évalué le dommage ménager consécutif au handicap. Elle s'estréférée au temps normalement consacré à la tenue du ménage dans une famillepaysanne, d'après les données statistiques rapportées par l'expert. Dans lavie de la demanderesse, elle a considéré séparément plusieurs périodessuccessives pour tenir compte des variations intervenues ou à intervenir dansle nombre et l'âge des enfants. Elle a retenu une valeur de 30 fr. l'heurepour l'activité de la mère de famille et elle a calculé le dommage d'après untaux d'invalidité médicale de 15% dans les activités ménagères. Pour chacunedes périodes futures, postérieures au jugement, elle a capitalisé une rented'activité à la fois temporaire et différée. Les sommes alloués s'élèvent à28'000 fr., 92'111 fr. et 272'741 fr., respectivement avec intérêts dès le 15octobre 1997, le 27 avril 2002 et le 25 août 2005.Accédant aux conclusions de la demanderesse, la Cour civile a alloué 30'000fr. à titre d'indemnité de réparation morale, avec intérêts dès la date del'accident. Elle a déduit l'indemnité de l'assurance-accidents pour atteinteà l'intégrité, ainsi que les intérêts de cette indemnité dès le 6 mai 1999.Elle a enfin alloué 5'000 fr. au titre des frais d'avocat avant procès, avecintérêts dès le 31 août 2001, lendemain de la notification de la demande. C.Agissant par la voie du recours en réforme, la défenderesse requiert leTribunal fédéral de modifier le jugement de la Cour civile en ce sens qu'ellesoit condamnée à verser seulement l'indemnité de réparation morale. A titresubsidiaire, elle demande le renvoi de la cause à la juridiction cantonale.La demanderesse conclut au rejet du recours. Le Tribunal fédéral considère en droit: 1.Le recours est formé par une partie qui a succombé dans ses conclusionstendant à sa libération. Il est dirigé contre un jugement final rendu endernière instance cantonale par un tribunal suprême (art. 48 al. 1 OJ), dansune contestation civile dont la valeur litigieuse dépasse le seuil de 8'000fr. (art. 46 OJ). Déposé en temps utile (art. 54 al. 1 OJ) et dans les formesrequises (art. 55 OJ), il est en principe recevable.Le recours en réforme peut être exercé pour violation du droit fédéral, àl'exclusion des droits constitutionnels et du droit cantonal (art. 43 al. 1OJ; ATF 127 III 248 consid. 2c et les arrêts cités). Le Tribunal fédéral doitconduire son raisonnement juridique sur la base des faits constatés dans ladécision attaquée, à moins que des dispositions fédérales en matière depreuve n'aient été violées, qu'il y ait lieu de rectifier des constatationsreposant sur une inadvertance manifeste ou qu'il soit nécessaire de compléterles constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenucompte de faits pertinents, régulièrement allégués et clairement établis(art. 63 al. 2, 64 OJ; ATF 130 III 102 consid. 2.2 p. 106, 136 consid. 1.4 p.140). Dans la mesure où la partie recourante présente un état de fait quis'écarte de celui contenu dans la décision attaquée, sans se prévaloir avecprécision de l'une des exceptions qui viennent d'être rappelées, il n'est paspossible d'en tenir compte (mêmes arrêts).Le Tribunal fédéral ne peut pas juger au delà des conclusions des partiesmais il n'est pas lié par motifs que celles-ci invoquent (art. 63 al.1OJ)et il apprécie librement la portée juridique des faits (art. 43 al.4, 63 al.3 OJ). Néanmoins, en règle générale, il se prononce seulement sur lesquestions juridiques que la partie recourante soulève conformément auxexigences de l'art. 55 al. 1 let. c OJ concernant la motivation du recours(ATF 127 III 397 consid. 2a p.400; 116 II 92 consid. 2 p. 94). 2.Il est constant que la défenderesse peut être recherchée selon l'art. 65 al.1 de la loi fédérale sur la circulation routière (LCR) pour lesdommages-intérêts et l'indemnité de réparation morale auxquels lademanderesse a encore droit, le cas échéant, par suite de l'accident du16août 1994. L'indemnité de réparation morale n'est d'ailleurs pluslitigieuse. Conformément à l'art. 62 al. 1 LCR, les dommages-intérêts doiventêtre évalués selon les règles applicables aux conséquences d'actes illicites. 3.Aux termes de l'art. 46 CO, la victime de lésions corporelles a droit auremboursement des frais et aux dommages-intérêts qui résultent de sonincapacité de travail totale ou partielle, ainsi que de l'atteinte portée àson avenir économique.Selon la jurisprudence, autant que possible, le dommage consécutif àl'invalidité doit être établi de manière concrète. Il faut déterminer leseffets de l'invalidité sur la capacité de gain et l'avenir économique dulésé, ce qui nécessite d'estimer le gain que celui-ci aurait obtenu dans sonactivité professionnelle s'il n'avait pas subi l'accident. La situationsalariale concrète, avant l'événement dommageable, constitue la référence;néanmoins, le juge ne doit pas se borner à constater le revenu réaliséjusqu'alors car il faut surtout déterminer ce que le lésé aurait annuellementgagné dans le futur (ATF 131 III 360 consid. 5.1 p. 363; 129 III 135 consid.2.2 p. 141). La constatation du dommage ressortit en principe au juge dufait; saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral n'intervient que sila juridiction cantonale a méconnu la notion juridique du dommage ou si ellea violé les principes juridiques à appliquer dans le calcul (ATF 128 III 22consid. 2e p. 26; 126 III 388 8a 389; voir aussi ATF 132 III 359 consid. 4 p.366).A l'époque de l'accident, selon les constatations de la Cour civile, lademanderesse était déjà liée à son futur mari et, à court terme, elle auraitde toute manière quitté le service de la commune de Lausanne pour collaboreravec lui à l'exploitation d'un domaine agricole. Il est donc conforme audroit fédéral d'évaluer les conséquences de l'invalidité dans cette nouvellesituation familiale et professionnelle, bien que celle-ci ait débuté aprèsl'accident, plutôt que par rapport à l'emploi occupé immédiatement avant cetévénement. La défenderesse n'élève d'ailleurs aucune critique sur ce point.En cas d'invalidité d'un agriculteur, les dommages-intérêts doivent compenserle préjudice économique résultant de l'entrave subie par le lésé dansl'accomplissement de son activité; on applique alors, par analogie, lesprincipes qui régissent habituellement l'évaluation du dommage ménager (arrêt4C.324/2005 du 5 janvier 2006, consid. 3; cf. Alexandre Guyaz, Dommagesubséquent et perte de gain normative, REAS 2006 p. 126). Il importe donc peuque le préjudice consiste dans la nécessité de recourir aux services detiers, dans une sollicitation accrue des proches du lésé, dans unaccroissement du temps de travail fourni par celui-ci ou dans une diminutionqualitative des prestations fournies. La preuve d'un préjudice concret n'estpas nécessaire car le dommage doit être évalué d'après ce que coûterait lerecours aux services de tiers rétribués (ATF 132 III 321 consid. 3.1 p. 332;131 III 360 consid. 8.1 p. 369; 127 III 403 consid. 4b p. 405/406). C'estdonc vainement que la défenderesse conteste la pertinence de l'expertise etreproche à la Cour civile de n'avoir pas déterminé la valeur de l'activité dela demanderesse d'après le rendement effectif du domaine de A.________. Ilest possible que la valeur des heures de travail consacrées à un domaineagricole, cumulées, excède de façon importante le rendement de ce domaine.Cela signifie que l'exploitation devrait être abandonnée s'il fallaitréellement compenser les conséquences d'une invalidité par l'engagement decollaborateurs salariés, ce qui est évité grâce à la solidarité des membresde la famille. Le responsable de l'invalidité, tenu à réparation, ne doitretirer aucun avantage de ce contexte social et économique.La défenderesse conteste le taux de 30 fr. l'heure retenu tant pour letravail agricole que pour la tenue du ménage et les soins aux enfants.Contrairement à son argumentation, il ne ressort pas de l'arrêt précité du 5janvier 2006 que l'heure d'un agriculteur indépendant doive être évaluée à 19fr. au plus; le Tribunal fédéral a seulement confirmé la méthode consistant àse référer au salaire d'un ouvrier agricole qualifié. La Cour civile a fondéson évaluation sur l'expertise d'après laquelle le taux de 30 fr. l'heure detravail agricole est «largement admis» dans la pratique; ce point relèvedonc de l'appréciation des preuves et celle-ci échappe au contrôle duTribunal fédéral. Quant à l'heure de travail ménager, la Cour civile s'estréférée à la jurisprudence (ATF 131 III 360 consid. 8.3 p. 373) et, dans leslimites du droit, elle a sainement usé de son pouvoir d'appréciation. Pour lesurplus, la défenderesse isole certains éléments de l'expertise pour en tirerdes conclusions opposées à celles de l'expert et elle se réfère à un tauxd'invalidité autre que celui constaté par la Cour civile. Ces critiques sontelles aussi dirigées contre l'appréciation des preuves et elles sont doncirrecevables en instance de réforme. L'évaluation du dommage consécutif àl'invalidité doit ainsi être confirmée. 4.Aux termes de l'art. 44 al. 1 CO, les dommages-intérêts peuvent être réduitsou refusés lorsque des faits dont le lésé est responsable ont contribué àcréer ou à augmenter le dommage, ou ont aggravé la situation du débiteur.Devant le Tribunal fédéral comme en instance cantonale, la défenderessesoutient que la demanderesse aurait pu et dû s'assurer une capacité de gainplus importante après l'accident.La réduction ou le refus des dommages-intérêts doit intervenir, entre autrescas, lorsque la partie lésée n'a pas pris toutes les mesures commandées parles circonstances pour diminuer le dommage (Franz Werro, Commentaire romand,ch. 26 ad art. 44 CO). Cette règle concrétise le principe du ménagement dansl'exercice d'un droit, en l'occurrence le droit du lésé d'exiger réparation,qui est consacré par l'art. 2 CC. Conformément à un principe général du droitde la responsabilité civile, le lésé doit supporter lui-même le dommage dansla mesure où son étendue lui est personnellement imputable (ATF 130 III 182consid. 5.5.1 p. 189; Karl Oftinger/Emil Stark, SchweizerischesHaftpflichtrecht, Zurich 1995, 5e éd., vol. I, p. 385 note n° 28; AlfredKeller, Haftpflicht im Privatrecht, Berne 2002, 6e éd., vol. I, p. 99 et 146ss). Il en résulte que la réparation due par l'autre partie ne s'étend qu'audommage moins important qui subsisterait si le lésé avait satisfait à sondevoir de diminuer le dommage effectif. Contrairement à l'argumentation de ladéfenderesse, compte tenu que ce devoir ne correspond pas à une véritableobligation du lésé mais à une simple incombance, sa violation n'entraîne pasd'emblée la déchéance complète du droit d'exiger réparation (arrêt4C.158/2002 du 20 août 2002, consid. 4c).Le devoir de diminuer le dommage, dans l'intérêt de la partie tenue àréparation, trouve ses limites dans ce qui est équitablement exigible du lésé(arrêt 4C.412/1998 du 23 juin 1999, Pra 1999 p. 890, consid. 2c p. 891). Dansle domaine des assurances sociales, le devoir de limiter autant que possibleles conséquences de l'invalidité est également reconnu (ATF 113 V 22 consid.4a p. 28) mais l'assuré n'est tenu qu'aux mesures exigibles de lui d'aprèsles circonstances objectives et subjectives du cas (arrêt du 22 août 2001traduit in Pratique VSI 2001
p. 274, consid. 5a/aa p. 279). En règlegénérale, l'étendue du devoir de limiter le dommage peut être déterminée parréférence au comportement que le lésé adopterait dans l'hypothèse où ildevrait assumer seul la totalité de ce même dommage (Roland Brehm,Commentaire bernois, 2006, 3e éd., ch. 48 ad art. 44 CO; Oftinger/Stark, op.cit., p.386 note n° 37).Pour satisfaire à son devoir, le lésé ne doit pas seulement prendred'éventuelles dispositions propres à limiter l'accroissement futur dudommage; il doit aussi, le cas échéant, mettre en oeuvre les mesures qui sontde nature à réduire le dommage déjà survenu. A la suite de lésionscorporelles, il s'agit par exemple de se soumettre à une opérationchirurgicale ou à un traitement médical aptes à favoriser la guérison. Devenuinvalide, le lésé doit aussi envisager un changement d'emploi ou deprofession si cette mesure paraît indiquée à l'issue d'une analyseapprofondie de sa situation (Pascal Pichonnaz, Le devoir du lésé de diminuerson dommage, in La fixation de l'indemnité, colloque de l'Université deFribourg, Berne 2004, p. 112/113; Anton Schnyder, Commentaire bâlois, 2003,3e éd., ch. 13 ad art. 44 CO). Le changement d'emploi ou de profession n'estcependant exigible que si les possibilités de reclassement sont établies (ATF89 II 222 consid. 6 p. 230) et que l'on peut en espérer une augmentationnotable de la capacité de gain (Stephan Weber, Die Schadenminderungspflicht :eine metamorphe Rechtsfigur, in Haftpflicht- und Versicherungsrechtstagung1999, Saint-Gall 1999, p. 151/152). Dans le cas d'un adulte qui a exercé lamême profession durant des années (Werro, ibid.), ou lorsque l'activitéantérieure peut se poursuivre sans perte de revenu très importante(Oftinger/Stark, op. cit., p. 291 ch. 131), une retenue particulière sejustifie. En raison de la portée toute générale du devoir de diminuer ledommage, et contrairement à ce que le Tribunal fédéral a autrefois jugé (ATF60 II 226 p. 229), le lésé ne peut pas refuser son reclassement au motifqu'il n'a commis aucune faute (arrêt du 22 mai 1984 résumé in JdT 1985 I 426,n° 40). Les efforts exigibles doivent être évalués en tenant compte descirconstances telles que la personnalité du lésé, son âge et son niveau deformation, son intelligence et ses capacités d'adaptation, ses aptitudesprofessionnelles et son habileté manuelle (Weber, ibid.; Oftinger/Stark,ibid.). Comparés aux adultes, les enfants et les jeunes ont de meilleuresfacultés d'adaptation et ils peuvent plus facilement compenser un handicap(ATF 95 II 255 consid. 7c p. 265). Néanmoins, même dans l'évaluation dudommage subi par un enfant, on ne peut pas simplement vouer celui-ci à unmétier hypothétique et indéterminé dans lequel le handicap n'aurait qu'uneincidence inexistante ou insignifiante; au contraire, il s'impose de tenircompte des restrictions auxquelles le lésé sera confronté dans le choix de saprofession (ATF 100 II 298 consid. 4 p. 304). 5.Dans l'application de l'art. 44 al. 1 CO, il appartient au juge de discernerobjectivement les divers facteurs à l'origine du dommage, d'après lescirconstances, et de pondérer de façon appropriée les responsabilités propresde chaque partie (ATF 117 II 156 consid. 3a in fine p.159). La jurisprudencelui reconnaît un large pouvoir d'appréciation et le Tribunal fédéral necontrôle sa décision qu'avec retenue. Il intervient lorsque l'autoritécantonale de dernière instance s'est écartée sans raison des règles établiespar la doctrine et la jurisprudence en matière de libre appréciation, oulorsqu'elle s'est appuyée sur des faits qui, dans le cas particulier, nedevaient jouer aucun rôle, ou encore lorsqu'elle a ignoré des éléments quiauraient absolument dû être pris en considération. En outre, le Tribunalfédéral redresse les décisions rendues en vertu d'un pouvoir d'appréciationlorsqu'elles aboutissent à un résultat manifestement injuste ou à uneiniquité choquante (ATF 131 III 12 consid. 4.2 p. 15; 130 III 182 consid.5.5.2 p. 191; 128 III 390 consid. 4.5 p. 399). En vertu de l'art. 8 CC, dansl'action tendant au paiement de dommages-intérêts, les circonstances propresà justifier la réduction de l'indemnité appartiennent aux faits destructeursou extinctifs dont la preuve incombe à la partie recherchée (cf. ATF 130 III321 consid. 3.1 p. 323; 128 III 271 consid. 2a/aa p. 273). 6.La Cour civile a constaté qu'après l'accident du 16 août 1994, lademanderesse souhaitait continuer de travailler au service de la commune deLausanne et que dès le 1er août 1995, celle-ci l'a employée en qualité demagasinier-fleuriste. Elle l'a cependant licenciée par la suite, ce contrequoi la demanderesse a énergiquement protesté. Aucun autre poste ne lui a étéproposé. Dans la mesure où la défenderesse soutient que la demanderesse adécidé par simple choix personnel de renoncer à tout reclassement, sonargumentation est irrecevable car elle s'écarte de ces constatations quilient le Tribunal fédéral.La Cour civile a aussi constaté qu'en entreprenant de collaborer àl'exploitation d'un domaine agricole, la demanderesse n'a pas choisil'activité la mieux adaptée à son handicap. Elle ne lui impute pas ce choix àfaute car il correspond à sa personnalité - elle a été décrite comme une«personne de la terre» - et à ce qu'elle a toujours souhaité. Lademanderesse n'a jamais envisagé de profession autre que liée à la terre etelle n'a aucune attirance pour les études théoriques. La Cour civile endéduit qu'un changement de profession ne lui serait pas profitable. Lademanderesse a épousé un agriculteur, ce qui ne saurait non plus lui êtrereproché. Selon l'expérience générale, cette situation implique un engagementimportant dans l'exploitation du domaine agricole, en sus de la tenue duménage et des soins aux enfants. Les époux n'ont d'ailleurs pas d'employés,hormis une apprentie en économie familiale, et leurs ressources ne leurpermettraient pas de recourir à d'autres collaborateurs salariés. Lademanderesse accomplit tout ce qui est en son pouvoir pour faire face lemieux possible aux tâches du ménage et aider son mari dans l'exploitation.Elle a adopté un rythme d'activité qui lui est propre, adapté à son handicap.Elle est ainsi parvenue à un équilibre qui est fondé sur une solutionéconomique comportant un minimum d'aide extérieure.Il est douteux que, dans l'intérêt de la partie tenue à réparation et pourréduire cette prestation au montant le plus faible possible, on puisseattendre du lésé l'abandon du genre de vie et d'activité auquel il sedestinait depuis longtemps. A tout le moins, cela ne peut pas être demandéd'une personne qui, telle la demanderesse, utilise de manière optimale sacapacité de travail résiduelle en combinant judicieusement l'activitélucrative, les tâches ménagères et les soins aux enfants. Compte tenu qu'ellen'a manifesté ni aptitude ni attirance pour une formation scolaire, il esttrès douteux que son reclassement dans une profession commerciale, selon ceque préconise la défenderesse, soit effectivement réalisable. A supposer quela formation nécessaire puisse être acquise, il est encore douteux que lademanderesse parvienne à se procurer un gain notablement supérieur à lavaleur de son activité actuelle. La profession nouvelle s'exercerait hors ducadre familial, avec cette conséquence qu'il faudrait organiser et assurer lagarde des quatre enfants. Les frais correspondants devraient être pris enconsidération; c'est pourquoi la situation familiale de la demanderesse estaussi un facteur défavorable à ce reclassement. Au regard de ses goûtsessentiellement terriens et de son engagement total dans ses activités demère de famille paysanne, on peut admettre avec certitude que même si lademanderesse ne pouvait espérer aucune indemnisation consécutive àl'accident, elle ne modifierait pas son mode de vie et elle ne sereclasserait pas dans une autre profession. La Cour civile retient donc à bondroit, sans excès ni abus de son pouvoir d'appréciation, qu'un changement deprofession n'est pas exigible de la demanderesse.La défenderesse invoque vainement un précédent dans lequel le droit à uneindemnité journalière de l'assurance-maladie dépendait d'une comparaisonentre le revenu que l'assuré aurait obtenu dans sa profession initiale, s'ilavait pu continuer de l'exercer, et celui qu'il pourrait vraisemblablementobtenir s'il acceptait un reclassement (ATF 114 V 281). Or, la Cour civilen'a fait aucune constatation ayant pour objet le revenu que la demanderessepourrait obtenir dans une profession commerciale. La défenderesse ne prétendd'ailleurs pas avoir fait des offres de preuve à ce sujet, que la Cour civileaurait rejetées en violation du droit fédéral. 7.Le recours en réforme se révèle privé de fondement, dans la mesure où lesgriefs présentés sont recevables. A titre de partie qui succombe, ladéfenderesse doit acquitter l'émolument judiciaire et les dépens à allouer àla partie qui obtient gain de cause. Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 1.Le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable. 2.La défenderesse acquittera un émolument judiciaire de 8'500 fr. 3.La défenderesse acquittera une indemnité de 9'500 fr. à verser à lademanderesse à titre de dépens. 4.Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et auTribunal cantonal du canton de Vaud. Lausanne, le 26 juin 2006 Au nom de la Ire Cour civiledu Tribunal fédéral suisse Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.83/2006
Date de la décision : 26/06/2006
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2006-06-26;4c.83.2006 ?
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