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12/06/2006 | SUISSE | N°1A.50/2006

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 12 juin 2006, 1A.50/2006


{T 0/2}1A.50/2006 /col Arrêt du 12 juin 2006Ire Cour de droit public MM. les Juges Féraud, Président,Reeb et Eusebio.Greffier: M. Kurz. A. ________,recourant, représenté par Me François Roger Micheli, avocat, contre Ministère public de la Confédération,Taubenstrasse 16, 3003 Berne. Entraide judiciaire internationale en matière pénale avec l'Espagne, recours de droit administratif contre la décision du Ministère public de laConfédération du 10 février 2006. Faits: A.Le 9 août 2005, un Juge d'instruction de Villagarcia de Arousa (Espagne) aadressé à la Suisse une demande d'ent

raide judiciaire, pour les besoins d'uneenquête ouverte, notamment...

{T 0/2}1A.50/2006 /col Arrêt du 12 juin 2006Ire Cour de droit public MM. les Juges Féraud, Président,Reeb et Eusebio.Greffier: M. Kurz. A. ________,recourant, représenté par Me François Roger Micheli, avocat, contre Ministère public de la Confédération,Taubenstrasse 16, 3003 Berne. Entraide judiciaire internationale en matière pénale avec l'Espagne, recours de droit administratif contre la décision du Ministère public de laConfédération du 10 février 2006. Faits: A.Le 9 août 2005, un Juge d'instruction de Villagarcia de Arousa (Espagne) aadressé à la Suisse une demande d'entraide judiciaire, pour les besoins d'uneenquête ouverte, notamment, contre A.________, pour blanchiment de capitaux.Celui-ci aurait fourni à B.________ une vedette rapide, Y.________, destinéeà importer de la cocaïne en Espagne. La vedette était embarquée à bord d'uncargo chargé de cocaïne provenant de Colombie. Avec l'appui d'un remorqueur,la vedette devait transporter la drogue jusqu'aux côtes espagnoles. Le 11octobre 2003, le cargo avait été arraisonné en haute mer avec un chargementde 7,5 tonnes de cocaïne. Des écoutes téléphoniques auraient démontré queA.________ connaissait B.________, aussi bien que l'utilisation qui seraitfaite de la vedette Y.________. Celui-ci avait été cédé 50'000 euros - alorsqu'il en valait un million - par la société propriétaire, C.________.,société dissoute peu après la vente. A.________ et ses sociétés ayant connudes mouvements de fonds, notamment avec la Suisse, sans commune mesure avecleurs activités déclarées, l'autorité requérante désire obtenir tousrenseignements sur les personnes physiques et morales mentionnées, etnotamment sur les comptes bancaires de A.________. B.L'exécution de cette demande a été confiée au Ministère public de laConfédération (MPC), déjà en charge d'une enquête contre A.________ pourparticipation à une organisation criminelle et blanchiment d'argent. Pardécision du 16 décembre 2005, le MPC est entré en matière, en considérant queles faits décrits tomberaient, en droit suisse, sous le coup des art. 305biset 260ter CP. Il a décidé de remettre dans un premier temps à l'autoritérequérante les pièces déjà en sa possession, en impartissant aux ayants droitun délai pour accepter une remise simplifiée ou pour motiver leur opposition.Dans ses déterminations du 13 janvier 2006, A.________ a contesté les faitsexposés dans la demande. Il relevait que l'infraction de blanchiment était,en droit espagnol, indépendante d'une provenance illicite ou criminelle desfonds, raison pour laquelle il déclarait s'opposer à l'entraide en ce quiconcernait cette infraction. La requête présentait des contradictions etavait un but fiscal. C.Par décision de clôture partielle du 10 février 2006, le MPC a décidé detransmettre à l'autorité requérante les documents d'ouverture et les relevés,dès le 1er janvier 2000, relatifs à onze comptes bancaires détenus notammentpar A.________ dans des banques de Genève et de Lugano, ainsi que desdécomptes et relevés de cartes de crédit, pour la même période, et leprocès-verbal d'interrogatoire de A.________, du 10 novembre 2004.L'intéressé avait consenti à une transmission simplifiée pour les besoins del'enquête n° 190/02 relative au trafic de stupéfiants, mais s'était opposé àla transmission pour la procédure n° 911/04 relative au blanchiment d'argent.En dépit d'une traduction française inexacte ("alguna connexión" étaittraduit par "aucune connexion" avec le trafic de drogue), l'exposé faisaitapparaître le lien présumé entre A.________, l'organisation - voire lefinancement - du trafic de stupéfiants, ainsi que le blanchiment d'argent.L'enquête menée en Suisse avait révélé un complexe international de sociétésdestinées à recueillir et à faire transiter des fonds d'originepotentiellement criminelle. Les renseignements étaient utiles à l'enquête, etportaient sur une période adéquate; était réservée la transmission ultérieurede certains renseignements datant d'avant l'année 2000. D.A.________ forme un recours de droit administratif par lequel il demandel'annulation de la décision de clôture partielle.Le MPC et l'Office fédéral de la justice concluent au rejet du recours. Le Tribunal fédéral considère en droit: 1.En vertu de l'art. 80g al. 1 de la loi fédérale sur l'entraide internationaleen matière pénale (EIMP; RS 351.1), le recours de droit administratif estouvert contre la décision de clôture rendue par l'autorité fédéraled'exécution, confirmant la transmission de renseignements à l'Etat requérant(cf. art. 25 al. 1 EIMP). 1.1 Selon l'art. 80h let. b EIMP, a qualité pour agir quiconque est touchépersonnellement et directement par une mesure d'entraide et a un intérêtdigne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée. La personne viséepar la procédure pénale étrangère peut recourir aux mêmes conditions (art. 21al. 3 EIMP; ATF 130 II 162 consid. 1.1 p.163-164 et les exemples dejurisprudence cités). Conformément à l'art. 9a OEIMP, le recourant a qualitépour agir dans la mesure où il s'oppose à la transmission de renseignementsconcernant les comptes bancaires dont il est le titulaire, ainsi que lesdécomptes de ses cartes de crédit. Il a également qualité, au sens de l'art.80h let. b EIMP, pour s'opposer à la transmission du procès-verbal relatif àson audition (ATF 126 II 258 consid. 2d/bb p. 261). 1.2 L'Espagne et la Suisse sont toutes deux parties à la Conventioneuropéenne d'entraide judiciaire en matière pénale (CEEJ, RS 0.351.1). Estégalement applicable la Convention européenne relative au blanchiment, audépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime (CBl; RS0.311.53), entrée en vigueur le 1er septembre 1993 pour la Suisse et le 1erdécembre 1998 pour l'Espagne, et explicitement invoquée dans la demanded'entraide. Les dispositions de ces traités l'emportent sur le droit internerégissant la matière, soit l'EIMP et son ordonnance d'exécution (OEIMP; RS351.11), qui restent cependant applicables aux questions non réglées,explicitement ou implicitement, par le droit conventionnel, et lorsque ledroit interne est plus favorable à l'entraide que le traité (ATF 123 II 134consid. 1a p. 136; 122 II 140 consid. 2 p. 142; 120 Ib 120 consid. 1a p.122/123, 189 consid. 2a p.191/192; 118 Ib 269 consid. 1a p. 271, et lesarrêts cités). 1.3 Le Tribunal fédéral examine librement si les conditions pour accorderl'entraide judiciaire sont remplies et dans quelle mesure la coopérationinternationale doit être prêtée (ATF 123 II 134 consid. 1d p. 136/137; 118 Ib269 consid. 2e p. 275). Il statue avec une cognition libre sur les griefssoulevés sans être toutefois tenu de vérifier d'office la conformité de ladécision attaquée à l'ensemble des dispositions applicables en la matière(ATF 123 II 134 consid. 1d p. 136/137; 119 Ib 56 consid. 1d p. 59). 2.Dans un grief de nature formelle, qu'il convient d'examiner en premier lieu,le recourant reproche au MPC de n'avoir pas procédé conformément à l'art. 80aEIMP. Après réception, en 1994, d'une première demande d'entraide jugéeinsuffisamment motivée, le MPC a ouvert une procédure pénale et a recueilliles documents et renseignements qui font l'objet de l'ordonnance de clôture.Il en résulterait une confusion des procédures. Selon l'ordonnance d'entréeen matière, l'autorité avait déjà décidé d'accorder l'entraide, avant que lerecourant ne puisse présenter ses observations. 2.1 L'art. 80a EIMP prévoit que l'autorité d'exécution rend une ordonnanced'entrée en matière, et procède aux actes d'entraide requis. Contrairement àce que semble prétendre le recourant, l'ordre des opérations n'est nullementimposé par cette disposition. En effet, lorsque l'autorité requérante, dansle cadre d'une procédure pénale nationale (qu'elle soit ou non en rapportavec les faits mentionnés par l'autorité étrangère), a déjà recueilli lesdocuments et renseignements qui font l'objet de la demande d'entraide,l'exécution consiste simplement à verser les pièces de la procédure pénale audossier de l'entraide. Il serait inutile, et contraire au principe decélérité (art. 17 EIMP), d'exiger de l'autorité d'exécution qu'elle répètel'ensemble des investigations qu'elle a déjà effectuées dans le cadre de sonenquête. Pour autant que le droit d'être entendu des ayants droit estrespecté, et qu'un tri est effectué conformément aux règles applicables àl'entraide judiciaire, la manière de faire adoptée par le MPC n'est en riencontraire au droit fédéral. 2.2 Il n'est pas non plus critiquable que le MPC ait, dans sa décisiond'entrée en matière, manifesté l'intention de donner suite à la demanded'entraide: tel est précisément le but de la décision visée à l'art. 80aEIMP, qui porte sur l'admissibilité de principe. La décision du 16décembre2005 réservait d'ailleurs d'autres actes d'exécution et, dans sa lettre detransmission, le MPC permettait à la recourante de présenter ses objectionsen vue de la décision finale. Le grief doit donc être rejeté. 3.Le recourant estime que la demande d'entraide n'aurait pas été présentée parl'autorité compétente. L'enquête n° 911/04 suivie par le magistrat deVillagarcia de Arousa porte sur un délit de blanchiment, alors quel'infraction contre la santé publique (trafic de stupéfiants) est poursuiviepar l'"Audience nationale" sous le n° 190/02. Le Juge d'instruction ne seraitdonc pas compétent pour requérir l'entraide en rapport avec ce second délit. 3.1 L'argumentation du recourant apparaît surprenante puisque celui-ci aexpressément consenti, dans ses observations, à l'octroi de l'entraidejudiciaire dans la mesure où elle concerne le trafic de stupéfiants(procédure 190/02). Le MPC a considéré qu'il y avait sur ce pointconsentement - irrévocable - à une exécution simplifiée (art. 80c al. 1EIMP), et le recourant ne remet pas en cause cette appréciation. Il n'estdonc plus autorisé à contester l'octroi de l'entraide pour les besoins de laprocédure n° 190/02. 3.2 Supposé recevable, le grief devrait de toute manière être écarté.L'autorité requérante, dont la compétence n'est pas contestée pour ce quiconcerne l'enquête pour blanchiment d'argent, expose que son enquête se fondesur les éléments de preuve recueillis au cours de l'enquête précédemmentouverte en raison du trafic de stupéfiants, et ne cache pas l'étroiteconnexité entre les deux procédures. Elle demande par conséquent (ch. 9 desactes requis) de pouvoir utiliser les renseignements transmis dans laprocédure connexe. S'agissant d'une enquête ouverte pour les mêmes faits maispour une infraction distincte, pour laquelle l'entraide est susceptibled'être accordée, une telle utilisation est sans autre admissible (art. 67 al.2 let. a EIMP). 4.Le recourant soutient ensuite que la demande d'entraide serait entachéed'erreurs et de contradictions. Contrairement à ce qu'indique l'autoritérequérante, il a été remis en liberté provisoire le 31 décembre 2003 contreune faible caution, faute d'indices suffisants et de risque de collusion. Larequête mentionne en outre qu'il n'y aurait "aucune connexion" avec le traficde drogue. Il y aurait une contradiction en ce sens que le recourant nepourrait avoir participé à la fois au trafic de drogue et à l'infraction deblanchiment. 4.1 Selon l'art. 14 CEEJ, la demande d'entraide doit notamment indiquer sonobjet et son but (ch. 1 let. b), ainsi que l'inculpation et un exposésommaire des faits (ch. 2). Ces indications doivent notamment permettre àl'autorité requise de s'assurer que l'acte pour lequel l'entraide estdemandée est punissable selon le droit des Parties requérante et requise(art. 5 ch. 1 let. a CEEJ), qu'il ne constitue pas un délit politique oufiscal (art. 2 al. 1 let. a CEEJ) et que le principe de la proportionnalitéest respecté (ATF 118 Ib 111 consid. 4b et les arrêts cités). Le droitinterne (art. 28 EIMP) pose des exigences équivalentes, que l'OEIMP préciseen exigeant l'indication du lieu, de la date et du mode de commission desinfractions (art. 10 OEIMP).Lorsque l'entraide judiciaire est aussi requise, comme en l'espèce, pour larépression d'infractions de blanchiment, la demande doit comporter desindications suffisantes pour admettre l'existence d'une infraction préalable,comme l'exige l'art. 305bis CP. L'autorité requérante ne peut se contenterd'évoquer la possibilité abstraite que les mouvements de fonds aient uneorigine criminelle (arrêt 1A.188/2005 du 24 octobre 2005, consid. 2.2-2.4 etles arrêts cités). Elle ne doit pas pour autant prouver l'existence d'unetelle infraction, et peut se limiter à faire état de transactions suspectes(ATF 129 II 97); elle doit toutefois préciser pour quelles raisons elleconsidère que certaines transactions sont suspectes, et ne peut par exemplese contenter de produire une simple liste de personnes recherchées et desmontants transférés. Il lui faut joindre des éléments propres à démontrer, aumoins à première vue, que les comptes visés ont effectivement servi autransfert des fonds dont on soupçonne l'origine délictueuse (ATF 130 II 329consid 5.1 p. 335 et la jurisprudence citée). 4.2 La demande d'entraide du 9 août 2005 satisfait pleinement à cesexigences. L'autorité requérante explique en effet dans le détail les raisonspour lesquelles le recourant est soupçonné avoir participé à un importanttrafic de drogue. Elle évoque la mise à disposition d'un bateau rapide - cédéà un prix sans rapport avec sa valeur réelle -, l'utilisation de sociétésafin d'en dissimuler le réel propriétaire, les contacts étroits entre lerecourant et B.________ et l'utilisation d'un langage codé propre auxtrafiquants. Comme l'a expliqué le MPC dans sa décision, l'expression "algunaconnexión" doit se traduire par "certains liens" [avec le trafic de drogue];l'inexactitude de la traduction n'enlève d'ailleurs rien au caractère completde l'exposé fourni par l'autorité requérante. Celle-ci soupçonne uneparticipation du recourant allant bien plus loin que la seule mise àdisposition d'une embarcation. Quant à l'infraction de blanchiment, elle faitelle aussi l'objet d'un exposé suffisant: compte tenu des liens évoqués entrele recourant et le trafic de drogue, l'existence de transactions suspectesentre 2000 et 2004 et l'absence de justifications commerciales suffisent àfonder le soupçon de blanchiment. Les arguments à décharge - concernantnotamment la mise en liberté provisoire du recourant - n'ont pas leur placedans la procédure d'entraide. 4.3 Sur le vu de ce qui précède, l'argumentation relative au principe de ladouble incrimination tombe également à faux. En effet, même si, comme leprétend le recourant, l'infraction de blanchiment ne suppose pas forcément,en droit espagnol, une activité criminelle préalable, celle-ci est décriteavec suffisamment de précision pour admettre, en droit suisse, uneapplication tant de l'art. 305bis CP que des art. 260ter CP et 19 LStup. 5.Le recourant invoque enfin le principe de la proportionnalité. Il relève quele produit de la vente de la vedette Y.________ n'aurait pas transité enSuisse et que les actes requis en Suisse seraient sans rapport avec
cettevente. Le recourant perd à nouveau de vue que la vente de la vedetteY.________ n'est qu'un élément censé démontrer la participation active durecourant à un trafic de drogue ainsi qu'au recyclage du produit de cetteactivité. Cela étant, les considérations du MPC relatives au principe de laproportionnalité - notamment quant à la période des investigations -apparaissent pertinentes, et le recourant ne fournit aucune argumentation dedétail susceptible de remettre en cause la transmission de documentsparticuliers. 6.Le recours de droit administratif doit par conséquent être rejeté, dans lamesure où il est recevable. Conformément à l'art. 156 al. 1 OJ, un émolumentjudiciaire est mis à la charge du recourant, qui succombe. Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 1.Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 2.Un émolument judiciaire de 4000 fr. est mis à la charge du recourant. 3.Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant et auMinistère public de la Confédération ainsi qu'à l'Office fédéral de lajustice (B 0151735). Lausanne, le 12 juin 2006 Au nom de la Ire Cour de droit publicdu Tribunal fédéral suisse Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1A.50/2006
Date de la décision : 12/06/2006
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2006-06-12;1a.50.2006 ?
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