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01/06/2006 | SUISSE | N°4C.410/2005

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 01 juin 2006, 4C.410/2005


{T 0/2}4C.410/2005 /ech Arrêt du 1er juin 2006Ire Cour civile MM. et Mme les Juges Corboz, président, Rottenberg Liatowitsch et Favre.Greffière: Mme Aubry Girardin. A. ________,demanderesse et recourante, représentée par Me Horace Gautier, contre X.________,défendeur et intimé, représenté par Me Jacques Python. acte illicite (recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justicegenevoise du 14 octobre 2005). Faits: A.A.a A.________ est une société de droit indien appartenant à l'Etat indien etautorisée à centraliser l'importation d'urée. B. ________ est

une société de droit turc. En 1994, elle était active dans lecou...

{T 0/2}4C.410/2005 /ech Arrêt du 1er juin 2006Ire Cour civile MM. et Mme les Juges Corboz, président, Rottenberg Liatowitsch et Favre.Greffière: Mme Aubry Girardin. A. ________,demanderesse et recourante, représentée par Me Horace Gautier, contre X.________,défendeur et intimé, représenté par Me Jacques Python. acte illicite (recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justicegenevoise du 14 octobre 2005). Faits: A.A.a A.________ est une société de droit indien appartenant à l'Etat indien etautorisée à centraliser l'importation d'urée. B. ________ est une société de droit turc. En 1994, elle était active dans lecourtage de l'urée, du fer à béton et du ciment. Elle disposait de locaux aucentre d'Ankara et employait une quinzaine de personnes. Le directeur avec signature individuelle de B.________ était X.________.Celui-ci avait pour adjoint et conseiller Y.________. Tous les deux étaientles bénéficiaires économiques de B.________. A.b A la suite d'un appel d'offre, A.________ est entrée en contact avecB.________, qui s'est présentée comme un producteur d'urée. Par contrat du 9 novembre 1995, B.________ s'est engagée, par l'intermédiairede X.________, à livrer à A.________ 200'000 tonnes métriques d'urée enprovenance des pays de la CEI, au prix de US$ 190 la tonne. Le prix de ventetotal, soit US$ 38'000'000, était payable d'avance. En contrepartie dupaiement préalable, B.________ s'engageait à fournir une police d'assurancecouvrant le risque de non-livraison et de non-exécution par le vendeur. Lemontant de la prime d'assurance, qui représentait 1 % du prix total, soit US$380'000, devait être versé par A.________ à B.________ de manière anticipée,en déduction du prix de vente. Le contrat stipulait également que le solde duprix, soit US$37'620'000, serait versé dès la réception de la policed'assurance originale. Une quantité de 50'000 tonnes métriques d'urée devaitêtre livrée immédiatement après réception de l'intégralité du prix de venteet le solde de la marchandise dans les cinq mois à compter de ce moment. A.c Compte tenu du risque lié au paiement préalable, la police d'assuranceconstituait une garantie essentielle pour A.________. Le 2 novembre 1995, anticipant la conclusion du futur contrat, A.________ aordonné un virement bancaire de US$ 380'000 sur le compte de B.________auprès d'une banque à Ankara. Pour des raisons inconnues, B.________ n'ajamais reçu cette somme et les fonds ont été retournés en mai 1996 àA.________.Le 2 novembre 1995 également, B.________ s'est adressée à C.________,représentant officiel de G.________ à Londres, afin d'obtenir une policed'assurance couvrant le risque du défaut de livraison et de l'inexécution parle vendeur. C.________ a sollicité la couverture d'assurance à H.________, àLondres, qui l'a informée qu'elle ne pouvait inclure dans le certificatd'assurance la garantie de non-exécution par le vendeur. Il n'a pas été établi que X.________ ou Y.________ aient été informés du faitque l'assurance ne couvrait que le risque maritime, à l'exclusion du risquede l'inexécution par le vendeur. Le 6 novembre 1995, B.________ a informé A.________ que la police d'assurancemaritime les protégeait entièrement et elle lui a remis, lors de la signaturedu contrat, le 9 novembre 1995, le certificat de couverture émis parH.________, en lui indiquant que la police couvrait le risque d'inexécution. En mai 1996, dans le cadre d'une enquête du gouvernement indien sur lecontrat conclu entre B.________ et A.________, cette dernière a été informéeque la police ne couvrait pas le risque de non-livraison et d'inexécution ducontrat. A.d Le 15 novembre 1995, A.________ a versé US$ 37'620'000 à la banqueI.________ en faveur de B.________. Après avoir demandé des renseignementssur la transaction, cette banque a retourné les fonds à A.________ quelquesjours plus tard. Le 22 novembre 1995, trois comptes bancaires aux noms de B.________,X.________ et Y.________ ont été ouverts auprès de la banque D.________ àGenève. Les documents d'ouverture du compte de B.________ indiquaient enqualité d'ayants droit économiques X.________ et Y.________. Le 23 novembre 1995, B.________ a invité A.________ à faire virer le prix devente sur son compte ouvert auprès de D.________. Le 29 novembre 1995, lasomme de US$ 37'620'000 a été versée par A.________ sur ce compte. Le 30 novembre 1995, ledit compte a été débité et les sommes suivantes ontété transférées:- US$ 28'100'000 sur le compte de X.________ auprès de D.________; sur cettesomme, US$ 12'500'000 ont été répartis, entre le 30novembre 1995 et le 20mai 1996, sur les comptes de X.________, de sa fille et de Y.________ dansdes banques à Ankara, Almaty et à Genève; le 6 mars 1996, US$ 4'750'000 ontété versés sur le compte de B.________ auprès de la banque E.________ et, le28 mai 1996, US$ 3'000'000 sur le compte de Z.________ auprès de la banqueF.________ à Monaco;- US$ 1'100'000 sur le compte de Y.________ auprès de D.________, dont US$780'000 ont par la suite été virés sur les propres comptes de Y.________ etsur ceux de son épouse auprès d'une banque à Ankara;- US$ 4'000'000 sur le compte d'une société n'étant pas active dans lecommerce de l'urée auprès d'une banque à Dubai;- US$ 2'000'000 à une société américaine n'étant pas active dans le commercede l'urée;- US$ 342'000 à C.________;- US$ 200'000 à l'agent commercial de B.________ à New-Delhi;- US$ 150'000 retirés en espèces. A.e A la réception du prix de vente, B.________ a pris différentes mesures envue de l'exécution du contrat avec A.________. En décembre 1995, elle a donné une procuration à un dénommé W.________, de lasociété F.________ au Kazakhstan, et lui a demandé, le 21 décembre 1995, definaliser l'achat de 25'000 à 50'000 tonnes métriques d'urée auprès d'uneusine en Ouzbékistan. Ces négociations n'ont finalement pas abouti. Le 21décembre 1995 également, W.________ a été chargé d'entamer des négociationsavec une usine du Caucase, afin de pouvoir charger 50'000 tonnes métriquesd'urée en janvier 1996, B.________ étant prête à investir dans l'usine pourla restructurer. Une déclaration d'intention en ce sens a été signée le 27décembre 1995, mais aucun accord n'a été trouvé. Le 16 janvier 1996, B.________ a reçu une offre de vente d'urée émanant d'unesociété afghane. La transaction n'a pas abouti. Le 29 février 1996, B.________ a conclu avec une société slovaque un contratportant sur la livraison de 25'000 tonnes métriques d'urée d'originesud-américaine ou australienne au prix de US$ 180 par tonne métrique. Lalettre de crédit destinée à permettre l'exécution du contrat avec B.________,que X.________ et Y.________ ont fait ouvrir dans une banque à Genève, afinalement dû être annulée, car la banque du fournisseur n'avait pas présentéla garantie d'exécution. Une autre lettre de crédit, ouverte en faveur d'unexportateur situé en Arabie Saoudite, a aussi dû être annulée, la banque dufournisseur n'ayant pas présenté la garantie d'exécution. Le 12 avril 1996, B.________ a conclu un contrat avec une usine de Salavatportant sur la vente de 60'000 tonnes métriques d'urée au prix de US$ 167 latonne métrique, étant précisé que le contrat prévoyait la possibilitéd'augmenter à 120'000 tonnes métriques la quantité d'urée. Le 19 juin 1996,le prix a été ramené à US$ 155 par tonne pour des livraisons de 25'000 tonnesmétriques en juin/juillet 1996, à condition que le prix soit payé d'avance.B.________ a organisé le transport de l'urée jusqu'au port deSaint-Pétersbourg. Une cargaison de 9'007 tonnes métriques d'urée, payée US$1'395'000 par le biais du compte de B.________ auprès de E.________, a étélivrée en septembre 1996 à A.________, qui l'a refusée, car elle necorrespondait pas aux spécifications contractuelles. A de multiples reprises au cours de l'année 1996, B.________ a indiqué àA.________ que les retards étaient dus aux conflits agitant l'ex-URSS et auxconditions climatiques rigoureuses, tout en précisant que l'urée était prêteet sur le point d'être acheminée. Les demandes de A.________ de pouvoirinspecter la marchandise, de connaître les ports de chargement ou de pouvoirse rendre sur les lieux de production n'ont pas été suivies d'effet. A.f En mai 1996, A.________ a déposé une plainte pénale en Inde à l'encontrede X.________ et de Y.________. Dans le cadre de la demande d'entraidejudiciaire des autorités indiennes, le Ministère public de la Confédération aordonné la saisie des comptes de B.________, de X.________ et de Y.________auprès de D.________ en juin 1996. Le 16 septembre 1996, X.________ et Y.________ ont été arrêtés à Genève etextradés vers l'Inde où la procédure pénale est toujours pendante. Par sentence du 3 décembre 1998, un tribunal arbitral, statuant sur requêtede A.________ en vertu de la clause figurant dans le contrat, a condamnéB.________ à payer à la société indienne US$ 40'690'003 à titre dedommages-intérêts. B.A la requête de A.________, les biens de B.________, X.________ et Y.________auprès de D.________ ont été séquestrés le 3 octobre 2000. Au 30septembre2002, ces comptes présentaient des soldes s'élevant respectivement à US$232'253, US$ 10'763'472 et US$ 394'757. X. ________ et Y.________ ont formé opposition aux commandements de payer quileur ont été notifiés par voie édictale en validation du séquestre. Le 7 novembre 2002, A.________ a assigné X.________ devant le Tribunal depremière instance du canton de Genève, en paiement de US$ 11'205'608 avecintérêt à 5 % dès le 29 novembre 1995 à titre de dommages-intérêts. Elle aégalement requis la validation du séquestre et la mainlevée définitive del'opposition formée au commandement de payer. Admettant l'application du droit suisse, X.________ a conclu au déboutementde A.________. Par jugement du 3 février 2005, le Tribunal de première instance a déboutéA.________ de l'intégralité de ses conclusions. Le 14 octobre 2005, la Chambre civile de la Cour de justice, statuant surappel de A.________, a confirmé le jugement du 3 février 2005, rejetantl'action en dommages-intérêts. Elle a considéré en substance qu'aucun acteillicite ne pouvait être imputable à X.________, le comportement de celui-cin'étant constitutif ni d'un abus de confiance (art. 138 CP), ni d'uneescroquerie (art. 146 CP) ou, subsidiairement, d'un acte de gestion déloyale(art. 158 CP); en outre, à défaut de crime préalable, l'infraction deblanchiment d'argent au sens de l'art. 305bis CP ne pouvait être invoquée. C.Contre l'arrêt du 14 octobre 2005, A.________ (la demanderesse) interjette unrecours en réforme au Tribunal fédéral. Elle conclut à la condamnation deX.________ à lui payer la somme de US$ 11'205'608 plus intérêt à 5% l'an dèsle 29 novembre 2005, à ce que le séquestre du 3octobre 2000 soit validé et àce que la mainlevée définitive de l'opposition au commandement de payernotifié par voie édictale le 21août 2002 soit prononcée. A titresubsidiaire, elle propose le renvoi de la cause à l'autorité cantonale pournouvelle décision dans le sens des considérants.Par ordonnance du 25 janvier 2006, le Président de la Cour de céans a admisla demande de sûretés en garantie des dépens déposée par X.________.A.________ a payé les 30'000 fr. de sûretés relatives à la présente procéduredans le délai imparti. X. ________ (le défendeur) propose le rejet du recours et la confirmation dela décision entreprise. Par arrêt de ce jour, le Tribunal fédéral a rejeté le recours de droit publicformé parallèlement par A.________ à l'encontre de l'arrêt du 14 octobre 2005l'opposant à X.________. Le Tribunal fédéral considère en droit: 1.Interjeté par la demanderesse qui a été entièrement déboutée de sesconclusions et dirigé contre un jugement final rendu en dernière instancecantonale par un tribunal supérieur (art. 48 al. 1 OJ) sur une contestationcivile dont la valeur litigieuse dépasse le seuil de 8'000 fr. (art. 46 OJ),le recours en réforme paraît en principe recevable, puisqu'il a été déposé entemps utile (art. 54 al. 1 OJ) et dans les formes requises (art. 55 OJ). 2.La cause revêt à l'évidence des aspects internationaux, notamment parce quele défendeur n'est pas domicilié en Suisse, de sorte que le Tribunal fédéral,saisi d'un recours en réforme, doit vérifier d'office et avec un pleinpouvoir d'examen le droit applicable (ATF 131 III 153 consid. 3), sur la basedu droit suisse en tant que lex fori (ATF 131 III 511 consid. 2.1). Lademanderesse fonde son action sur l'existence d'un acte illicite. Commeaucune convention internationale n'est applicable (cf. art. 1 al. 2 LDIP), ilconvient d'examiner la question sous l'angle de l'art. 132 LDIP, qui prévoitque les parties peuvent, après l'événement dommageable, convenir à toutmoment de l'application du droit du for. L'élection de droit peut interveniren cours de procès, à condition que les parties expriment clairement leurvolonté réelle d'appliquer le droit suisse (cf. art. 116 al. 2 LDIP; arrêtsdu Tribunal fédéral 6S.803/1995 du 5 novembre 1996 consid. 2b/bb et consid.3a non publié de l'ATF 122 III 73). Tel est le cas en l'espèce, dès lors quel'arrêt attaqué constate que la demanderesse a conclu à l'application dudroit suisse dans sa demande, ce que le défendeur a expressément admis danssa réponse au fond. Il convient donc d'examiner la présente cause sousl'angle du droit suisse, ce qui n'est du reste pas contesté. 3.A titre préalable, la demanderesse invoque une inadvertance manifeste enrelation avec les transferts de fonds opérés du compte de B.________ auprèsde la banque D.________, sur lequel elle avait versé US$37'620'000 au titredu prix d'achat de l'urée. Elle soutient que le détenteur du compte de labanque F.________ de Monaco sur lequel 3'000'000 US$ ont été versés par débitdu compte du défendeur auprès de la banque D.________ n'était pas ledirecteur, comme indiqué faussement dans l'arrêt attaqué, mais le défendeurlui-même. 3.1 Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral doit conduire sonraisonnement juridique sur la base des faits contenus dans la décisionattaquée, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aientété violées, qu'il y ait lieu de rectifier des constatations reposant sur uneinadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille compléter lesconstatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu comptede faits pertinents, régulièrement allégués et clairement établis (art. 64OJ; ATF 130 III 102 consid. 2.2; 127 III 248 consid. 2c et les arrêts cités).Hormis ces exceptions que le recourant doit invoquer expressément, il ne peutêtre présenté de griefs contre les constatations de fait, ni de faits ou demoyens de preuve nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ). L'inadvertance manifeste, susceptible d'être rectifiée d'office par leTribunal fédéral en application de l'art. 63 al. 2 OJ, suppose quel'autorité, par simple inattention, ait omis de prendre en considération toutou partie d'une pièce déterminée, versée au dossier, l'ait mal lue ou malcomprise (cf. ATF 121 IV 104 consid 2b p. 106; 115 II 399
consid. 2a). Il vatoutefois de soi que la rectification d'une inadvertance manifeste n'ad'intérêt que si elle porte sur un fait pertinent. 3.2 En l'espèce, il ressort des constatations cantonales qu'une partieimportante du montant versé par la demanderesse en paiement du prix de l'uréea été transférée sur des comptes privés appartenant en particulier aux ayantsdroit économiques de B.________. Dans ce contexte, il importe peu de savoirprécisément à qui appartenait le compte de la banque F.________ à Monaco, dèslors que les fonds qui y ont été versés avaient déjà fait l'objet d'unpremier transfert du compte de B.________ sur celui du défendeur auprès de labanque D.________. Il n'y a donc pas lieu d'entrer plus avant sur l'existenced'une erreur manifeste à ce propos, ce point étant sans pertinence pourl'issue du litige. 4.La présente cause porte sur une action en dommages-intérêts fondée sur l'art.41 CO, par laquelle la demanderesse tend à obtenir la réparation d'unpréjudice matériel. La responsabilité délictuelle instituée par cettedisposition suppose, entre autres conditions, l'existence d'un acte illicite.Lorsque, comme en l'espèce, une atteinte au patrimoine est invoquée, l'acte,pour être qualifié d'illicite, doit enfreindre une norme qui a pour but deprotéger le lésé dans les droits atteints par l'acte incriminé (ATF 132 III122 consid. 4.1 et les arrêts cités). Tel est le cas de la violation dedispositions pénales qui ont pour but la protection des intérêts patrimoniauxde la victime (cf. ATF 129 IV 322 consid. 2.2.2; Rey, AusservertraglichesHaftpflichtrecht, 2e éd. Zurich 2003, N. 705 ss), dont font notamment partiel'escroquerie (art. 146 CP) et l'abus de confiance (art. 138 CP). Quant aublanchiment d'argent (art. 305bis CP), la jurisprudence a récemment préciséque cette disposition protégeait également les intérêts patrimoniaux de ceuxqui sont lésés par le crime préalable, lorsque les valeurs patrimonialesproviennent d'actes délictueux contre des intérêts individuels (ATF 129 IV322 consid. 2.2.4). Il convient donc d'examiner si c'est à juste titre que lacour cantonale a refusé d'admettre la réalisation des infractions pénalesprécitées, ce que la demanderesse conteste dans son recours en réforme. 5.A ce propos, la demanderesse reproche en premier lieu à la cour cantonaled'avoir appliqué à tort la maxime in dubio pro reo à la place de l'art. 8 CC. Le grief est infondé pour deux motifs. D'une part, dans l'arrêt rendu ce joursur recours de droit public, la Cour de céans est parvenue à la conclusionque les juges cantonaux, contrairement au premier juge, n'avaient précisémentpas appliqué le principe in dubio pro reo (cf.arrêt du 1er juin 2006 dans lacause 4P.308/2005, consid. 3.3). D'autre part, s'agissant d'établir lesconditions d'application de l'art. 41CO, le fardeau de la preuve incombe àla partie demanderesse en vertu de la règle issue de l'art. 8 CC selonlaquelle chaque partie doit, si la loi ne prescrit le contraire, prouver lesfaits qu'elle allègue pour en déduire son droit (ATF 130 III 478 consid.3.3). Il appartenait donc à la demanderesse de démontrer l'existence desfaits constitutifs des infractions sur lesquelles elle fondait sesprétentions et, plus particulièrement, l'intention délictueuse du défendeur.Or, sur ce point, la cour cantonale a conclu, de manière non arbitraired'ailleurs (cf. arrêt 4P.310/2005 précité, consid. 4.2), qu'il n'avait pasété démontré que le défendeur n'aurait pas eu, d'entrée de cause l'intentionde ne pas exécuter ses obligations contractuelles. En faisant supporter lesconséquences de cette absence de preuve à la demanderesse, les juges se sontdonc seulement limités à une application correcte de l'art. 8 CC. 6.Invoquant une violation de l'art. 146 CP, la demanderesse soutient que,contrairement à ce que retient l'arrêt attaqué, tous les élémentsconstitutifs de l'escroquerie sont réunis. 6.1 L'escroquerie au sens de l'art. 146 CP est une infraction intentionnelle(Corboz, Les infractions en droit suisse, vol. I, Berne 2002, N 39 ad art.146 CP). Conformément aux règles générales, l'intention doit porter surl'ensemble des éléments constitutifs objectifs de l'infraction (ATF 128 IV 18consid. 3b p. 21). A cet égard, il est déterminant que l'auteur ait agi en sereprésentant (donc en acceptant) une situation dans laquelle ces élémentssont réalisés (ATF 122 IV 246 consid. 3a p. 248). S'agissant d'uneescroquerie, il faut en particulier que l'auteur ait eu l'intention decommettre une tromperie astucieuse (cf. ATF 128 IV 18 consid. 3b p. 21). Il ya lieu de rappeler que la détermination de ce que l'auteur présumé d'uneinfraction voulait ou avait l'intention de faire relève des constatations defait (ATF 125 IV 49 consid. 2d p. 56; 119 IV 222 consid. 2), qui ne peuventêtre remises en cause dans un recours en réforme (cf. supra consid. 3.1).6.2 En l'espèce, on a vu qu'en vertu de l'art. 8 CC, il appartenait à lademanderesse de prouver l'existence d'une intention délictueuse de la part dudéfendeur. Or, la cour cantonale a constaté qu'elle n'était pas parvenue àdémontrer que le défendeur aurait eu, d'entrée de cause, l'intention de nepas exécuter ses obligations contractuelles (cf. supra consid. 5). End'autres termes, il n'a pas été établi que le défendeur, en sa qualitéd'ayant droit économique de B.________, aurait volontairement cherché àencaisser le prix de vente de l'urée sans fournir la marchandise. Les faitsconstatés ne permettant donc pas de retenir l'intention du défendeur detromper astucieusement la demanderesse, ce qui exclut l'existence d'uneescroquerie. Il est donc superflu d'examiner l'argumentation de lademanderesse tendant à démontrer que les autres éléments constitutifs del'art. 146 CP seraient par ailleurs réalisés.En considérant que cette disposition ne pouvait servir de fondement àl'action en responsabilité pour acte illicite introduite par la demanderesse,la cour cantonale n'a donc pas violé le droit fédéral. 7.Se fondant sur l'ATF 129 IV 257, la demanderesse reproche également aux jugescantonaux de n'avoir pas admis l'existence d'un abus de confiance au sens del'art. 138 CP. 7.1 Commet un abus de confiance au sens de l'art. 138 ch. 1 al. 2 CP celuiqui, sans droit, aura employé à son profit ou au profit d'un tiers desvaleurs patrimoniales qui lui avaient été confiées. Cette infraction supposeque l'on soit en présence d'une valeur confiée, ce qui signifie que l'auteuren ait la possession en vertu d'un accord ou d'un autre rapport juridique quiimplique qu'il n'en a pas la libre disposition et ne peut se l'approprier(Corboz, op. cit. N 4 ad art. 138 CP). Ainsi, de l'argent remis sur la based'un prêt consenti dans un but déterminé constitue une chose confiée au sensde la jurisprudence, dès lors que l'on peut déduire de l'accord contractuelun devoir de la part de l'emprunteur de conserver constamment lacontre-valeur de ce qu'il a reçu (cf. ATF 129 IV 257 consid. 2.2.2; 124 IV 9consid. 1; 120 IV 117 consid. 2). Il faut cependant que la destinationconvenue des fonds puisse assurer la couverture du risque du prêteur ou, dumoins, diminuer son risque de perte (ATF 129 IV 257 consid. 2.3 p. 261). Enrevanche, selon la jurisprudence et la doctrine, on ne peut parler de sommeconfiée lorsque l'auteur reçoit l'argent pour lui-même, en contre-partied'une prestation qu'il a fournie pour son propre compte (ATF 118 IV 239consid. 2b p. 241 s.; Niggli/Riedo, Strafgesetzbuch II, Commentaire bâlois2003, N 45 ad art. 138 CP; Stratenwerth/Jenny, Schweizerisches Strafrecht, BTI, 6e éd. Berne 2003, N 56 p. 282). 7.2 Tel est précisément le cas en l'espèce. Les parties ont conclu un contratde vente portant sur 200'000 tonnes métriques d'urée au prix de US$ 190 latonne. En versant au total US$ 38'000'000, la demanderesse s'est doncacquittée de son obligation de payer le prix. B.________ a, pour sa part,reçu l'argent, en contre-partie de la livraison de l'urée qu'elle s'étaitengagée à fournir. Le fait que le prix était payable d'avance, ce que lesparties sont libres de prévoir selon le droit suisse (cf. Venturi,Commentaire romand, N 36 ad art. 184 CO), ne change rien au fait que lasociété venderesse pouvait alors disposer librement du montant versé parl'acheteuse. Contrairement à ce que soutient la demanderesse, on ne se trouvepas dans une situation comparable à celle d'un prêt dans lequel l'emprunteurserait tenu de conserver constamment la contre-valeur de ce qu'il a reçu. Audemeurant, il n'a pas été constaté que c'est parce qu'elle avait transféré lemontant reçu à titre de prix de vente sur différents comptes appartenantnotamment au défendeur, que la société venderesse n'aurait pas été en mesurede fournir l'urée conformément à ses propres obligations. Le paiement du prix de vente ne constitue donc pas une valeur confiée au sensde l'art. 138 ch. 1 al. 2 CP, de sorte que la cour cantonale n'a pas méconnule droit fédéral en refusant de reconnaître l'existence d'un abus deconfiance. 8.Dans son dernier grief, la demanderesse reproche à la cour cantonale de nepas avoir examiné la question de l'application de l'art. 305bis CP, enrelation avec l'existence d'une escroquerie (art. 146 CP) et/ou d'un abus deconfiance (art. 138 CP). Cette critique tombe à faux, dès lors que l'on vient de voir que c'est àjuste titre que la cour cantonale n'a pas retenu l'existence de ces deuxinfractions. Or, le blanchiment d'argent au sens de l'art. 305bis CP supposeune valeur patrimoniale provenant d'un crime au sens de l'art. 9 CP (ATF 122IV 211 consid. 2). Celui-ci faisant en l'occurrence défaut, l'application del'art. 305bis CP est exclue. Dans ces circonstances, le recours ne peut qu'être rejeté. 9.Compte tenu de l'issue du litige, les frais et dépens seront mis à la chargede la demanderesse, qui succombe (art. 156 al. 1 et 159 al.1OJ).L'indemnité allouée à titre de dépens sera prélevée sur les sûretés déposéesen application de l'art. 150 al. 2 et 3 OJ. Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 1.Le recours est rejeté. 2.Un émolument judiciaire de 25'000 fr. est mis à la charge de la demanderesse. 3.La demanderesse versera au défendeur une indemnité de 30'000 fr. à titre dedépens. Ce montant sera prélevé sur les sûretés déposées par la demanderesseà la Caisse du Tribunal fédéral. 4.Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à laChambre civile de la Cour de justice genevoise. Lausanne, le 1er juin 2006 Au nom de la Ire Cour civiledu Tribunal fédéral suisse Le président: La greffière:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.410/2005
Date de la décision : 01/06/2006
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2006-06-01;4c.410.2005 ?
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