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31/05/2006 | SUISSE | N°U.232/05

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 31 mai 2006, U.232/05


Cause {T 7}U 232/05 Arrêt du 31 mai 2006IVe Chambre MM. et Mme les Juges Ursprung, Président, Widmer et Frésard. Greffière : MmeMoser-Szeless Zurich Compagnie d'Assurances SA, Mythenquai 2, 8002 Zurich, recourante,représentée par l'Etude de MesJean-Michel Duc, Didier Elsig et Marie-ChantalMay, chemin du Fénix 122, 1095 Lutry, contre E.________, intimé, représenté par Me Jean-Marie Agier, avocat, FSIH, placedu Grand-Saint-Jean 1, 1003Lausanne Tribunal des assurances du canton de Vaud, Lausanne (Jugement du 7 janvier 2005) Faits: A.E. ________ travaillait comme aide de cuisine au Resta

urant X.________. A cetitre, il était assuré contre le ri...

Cause {T 7}U 232/05 Arrêt du 31 mai 2006IVe Chambre MM. et Mme les Juges Ursprung, Président, Widmer et Frésard. Greffière : MmeMoser-Szeless Zurich Compagnie d'Assurances SA, Mythenquai 2, 8002 Zurich, recourante,représentée par l'Etude de MesJean-Michel Duc, Didier Elsig et Marie-ChantalMay, chemin du Fénix 122, 1095 Lutry, contre E.________, intimé, représenté par Me Jean-Marie Agier, avocat, FSIH, placedu Grand-Saint-Jean 1, 1003Lausanne Tribunal des assurances du canton de Vaud, Lausanne (Jugement du 7 janvier 2005) Faits: A.E. ________ travaillait comme aide de cuisine au Restaurant X.________. A cetitre, il était assuré contre le risque d'accidents professionnels et nonprofessionnels auprès de l'Alpina Compagnie d'assurances SA (dont les droitset obligations ont été reprises par succession universelle dès le 31 décembre2003 par la «Zurich» Compagnie d'assurances SA; ci-après: Alpina). Le 17 juin 2003, le prénommé a été hospitalisé au Centre hospitalierY.________ en raison d'une chute d'un balcon d'environ 5 mètres «dans descirconstances peu claires», qui a provoqué une fracture du type Burst de L1,ainsi que des calcanéums droit et gauche; il présentait en outre uneintoxication à l'alcool aiguë (rapport médical initial LAA du 14 octobre2003). Selon le rapport de la police établi le 13 juillet 2003, la centraleavait été avertie le 17 juin 2003, à 00h.27, par un témoin, S.________, quivenait de voir tomber un homme depuis un balcon du 1er étage de l'immeubleZ.________, sur le trottoir de l'avenue W.________. Des déclarationsrecueillies sur place auprès de l'amie de E.________, H.________, ilressortait que celui-ci s'était présenté chez elle, alors qu'il était sousl'influence de l'alcool; qu'il lui avait déclaré qu'elle ne l'aimait pas, ceà quoi elle avait répondu avoir des sentiments à son égard, mais ne paspouvoir vivre avec lui au vu de son penchant pour l'alcool; qu'il s'étaitalors dirigé vers le balcon, s'était accroché à l'extérieur de la barrière decelui-ci et s'était laissé tomber. Lors d'un entretien avec un inspecteur de l'Alpina (le 11 septembre 2003),l'assuré a déclaré que le soir du 16 juin 2003, après une discussion avec sonamie qui lui reprochait de ne pas avoir rangé la barrière du balcon, il avaitenjambé la barrière pour fixer un fil de fer, mais que ses pieds avaientsoudain glissé; il s'était alors retenu au balcon un moment, mais avait dûlâcher prise à cause de douleurs au poignet avant de tomber du balcon. De soncôté, H.________ a notamment indiqué à l'inspecteur que le soir en question,elle avait reproché à son ami de n'avoir pas terminé la pose de la barrièreen paille du balcon et qu'ils s'étaient tous deux rendus sur le balcon avantqu'elle ne retourne à l'intérieur; environ une demi-heure plus tard,entendant les sirènes d'un véhicule, elle était à nouveau sortie sur lebalcon d'où elle avait vu son ami. Elle a par ailleurs ajouté avoir d'abordpensé que celui-ci avait voulu sauter du balcon par déception, mais qu'ill'avait détrompée à ce sujet quatre jours après l'événement, en luiexpliquant qu'il n'avait pas sauté, mais était tombé en attachant labarrière. L'inspecteur d'Alpina s'est encore entretenu avec S.________ etavec l'agent de police B.________ qui était intervenu le soir de l'accident(procès-verbaux d'entretien téléphonique du 16septembre 2003). Le 24 octobre 2003, l'Alpina a rendu une décision par laquelle elle a refusétoutes les prestations en espèces à l'assuré, parce que son comportementdevait être considéré comme une entreprise téméraire. Saisi d'une oppositionde l'assuré, il l'a rejetée par décision (sur opposition) du 8 mars 2004. B.E.________ a déféré cette décision au Tribunal cantonal vaudois desassurances qui a partiellement donné droit à ses conclusions: statuant le 7janvier 2005, le Tribunal a réformé la décision du 8 mars 2004, en ce sensque les prestations en espèces de l'assurance-accidents à allouer à l'assurépar la «Zurich» Compagnie d'assurances sont réduites de moitié. C.L'assureur-accidents interjette un recours de droit administratif contre cejugement, dont il demande l'annulation. E. ________ conclut au rejet du recours, tandis que l'Office fédéral de lasanté publique a renoncé à se déterminer. Considérant en droit: 1.1.1 Le litige porte sur le point de savoir si l'assureur-accidents était endroit de refuser d'allouer toute prestation en espèces pour les atteintes àla santé subies par l'intimé à la suite de l'événement du 17 juin 2003. 1.2 Le jugement entrepris expose correctement les règles légales et lesprincipes jurisprudentiels sur le refus ou la réduction des prestations del'assurance-accidents pour entreprise téméraire (art. 39 LAA et 50 OLAA),ainsi que pour faute ou négligence grave de l'assuré (art. 37 al. 1 et 2LAA), de sorte qu'il suffit d'y renvoyer. On ajoutera que l'entrée en vigueur de la LPGA, au 1er janvier 2003, n'a pasentraîné de modification des art. 39 LAA et 50 OLAA, de sorte que lesprincipes dégagés par la jurisprudence avant cette date continuent às'appliquer sous l'empire de la LPGA; celle-ci prévoit par ailleursexpressément que la réglementation en ce domaine peut déroger à l'art. 21 al.1 à 3 LPGA. 2.2.1La juridiction cantonale a considéré que la version des faits de la soiréedu 16 au 17 juin 2003, telle que recueillie par la police dans le rapport du13 juillet 2000 et précisée par l'agent de police B.________, devait êtreretenue: par dépit amoureux et en vue d'impressionner son amie, E.________,pris d'alcool, avait enjambé la barrière du balcon et s'était accroché àl'extérieur de cette dernière; à un certain moment, il s'était retrouvésuspendu dans le vide, avait lâché ses mains et était tombé d'une hauteur de5 ou 6 mètres pour une raison obscure (perte de contrôle ou faux mouvement).Selon les premiers juges, un tel comportement relève d'une entreprisetéméraire relative, en ce sens que l'assuré s'est exposé à un dangerparticulièrement grave, (enjamber la barrière d'un balcon et se teniraccroché à l'extérieur de celle-ci au risque de tomber et de se blessergravement, voire de mourir), sans prendre des mesures destinées à le ramenerà des proportions raisonnables. Il ne s'agit cependant pas, pour l'autoritécantonale de recours, d'un cas particulièrement grave au sens de l'art.50al. 1, deuxième phrase, OLAA, dès lors qu'en des circonstances normalesl'assuré en pleine possession de ses moyens aurait pu éviter de tomber. Lagravité du cas est par ailleurs réduite du fait que celui-ci a agi pour desraisons passionnelles et sous l'influence de l'alcool. Une réduction desprestations de moitié au sens de l'art. 50 al. 1, première phrase, OLAAapparaît dès lors appropriée. 2.2 La recourante conteste la qualification du comportement de l'assurédonnée par les premiers juges. A son avis, le 17 juin 2003, E.________ avaitcherché soit à mettre fin à ses jours, soit à faire peur à son amie. Dans lapremière hypothèse, l'art.37 al. 1 LAA permettait à l'assureur-accidents derefuser toute prestation d'assurance. Dans la seconde, le comportement adoptépar l'assuré devait être qualifié d'entreprise téméraire absolueparticulièrement grave au sens de l'art.50 al. 1, 2ème phrase OLAA, ce quijustifiait également le refus de prester. En particulier,l'assureur-accidents reproche aux premiers juges d'avoir tenu compte de lacirconstance que l'assuré se trouvait en état d'ébriété, puisquel'appréciation de l'entreprise téméraire se déterminait selon des critèresobjectifs; tout au plus cette circonstance devait-elle être prise enconsidération comme un facteur aggravant. La recourante prétend par ailleursque la question de savoir si l'entreprise téméraire justifie une réductiondes prestations en espèces à raison de 50 % ou le refus de celles-ci relèvedu pouvoir d'appréciation de l'administration, qu'elle avait exercé dans lecadre légal. 3.3.1Il est incontesté - et les parties ne remettent pas en cause ce point -que le comportement de l'intimé constitue une entreprise téméraire au sens del'art. 50 OLAA. Le fait d'enjamber la barrière d'un balcon et de se teniraccroché à l'extérieur de celle-ci à une hauteur de 5 ou 6 mètres dans unétat alcoolisé remplit les caractéristiques d'une telle entreprise. La recourante évoque certes - pour la première fois en instance fédérale - lapossibilité d'une faute intentionnelle de l'assuré au sens de l'art. 37 al. 1LAA en relation avec une tentative de suicide, mais il s'agit d'une hypothèsequi repose sur des indices insuffisants en l'espèce. L'intitulé duprocès-verbal de la police («tentative de suicide») n'apparaît pasdéterminant au regard des explications données à l'inspecteur de l'assureurpar l'agent B.________. Celui-ci a précisé que l'amie de E.________ - qui aexpliqué par la suite ne pas s'être trouvée sur le balcon au moment de lachute - ne lui avait pas, la nuit en question, parlé d'un acte volontaire decelui-ci. Quant à la déclaration de D.________, selon laquelle son ami seraitcapable de faire des «choses inexplicables» après avoir bu de l'alcool, ellene plaide pas davantage en faveur d'une intention suicidaire. Il n'y a dèslors pas lieu de s'écarter de la version des faits retenue par les premiersjuges, dont il apparaît que l'intimé n'avait ni l'intention de se donner lamort, ni celle de se blesser. Le point de savoir si le comportement de l'intimé constitue une entreprisetéméraire absolue (comme le prétend la recourante) ou relative (selon l'avisdes premiers juges) n'est par ailleurs pas déterminant, puisque lesconséquences de l'une ou de l'autre de ces qualifications sont identiques etconduisent soit au refus, soit à la réduction de moitié des prestations enespèces, une autre possibilité étant exclue (ATF 113 V 222). 3.2 La seule question litigieuse est celle de savoir si l'entreprise en causeest particulièrement grave au sens de l'art. 50 al. 1, deuxième phrase, OLAA,ce qui implique le refus de prestations en espèces, ou si une réduction demoitié est justifiée (art. 50 al. 1, première phrase, OLAA). 3.2.1 Pour déterminer les conséquences d'une entreprise téméraire, soitdécider si les prestations en espèces doivent être réduites de moitié ourefusées, l'administration - et, en cas de recours, le juge - dispose d'unlarge pouvoir d'appréciation. Il peut tenir compte des circonstances du casparticulier, comme par exemple les motifs de l'auteur de l'entreprisetéméraire (Maurer, Schweizerisches Unfallversicherungsrecht, p. 512). Laréduction de moitié constitue cependant la règle, le refus des prestationsétant réservé en tant qu'exception aux cas «particulièrement graves»(Alexandra Rumo-Jungo, Die Leistungskürzung oder -verweigerung gemässArt.37-39 UVG, thèse Fribourg 1993, p. 310). Le refus de prestationsprésuppose un comportement insensé ou gravement répréhensible de l'assuré(P.-A. Mettan, Risques totalement exclus de l'assurance-accidents, in:Risques totalement ou partiellement exclus de l'assurance sociale (y comprisla prévoyance professionnelle), Colloque de l'IRAL 1989, p. 67; Maurer, loc.cit.). Dans la doctrine, on trouve les exemples suivants de «casparticulièrement graves»: l'escalade dangereuse d'une façade de nuit, afin desatisfaire ses penchants pour le voyeurisme (Maurer, loc. cit.), la course demontagne très difficile entreprise seul, par mauvais temps et en dépit desconseils donnés par des alpinistes chevronnés ou encore la «roulette russe»(Mettan, loc. cit.).3.2.2 En l'espèce, le comportement de l'intimé n'apparaît pas totalementinsensé ou gravement répréhensible. Pris de boisson, E.________ a agi pardépit amoureux et pour impressionner son amie, sans qu'il soit établi qu'ilait volontairement cherché à se laisser tomber de l'extérieur du balcon surle sol. Par ailleurs, si le balcon situé au premier étage se trouvait déjà àhauteur dangereuse, celle-ci n'était pas pour autant vertigineuse. Sous cetangle la situation n'est pas comparable avec l'exemple de circonstancesaggravantes donné par la Commission ad hoc LAA (recommandations n° 5/83 du10octobre 1983) - escalade dangereuse d'une façade de maison de nuit etfortement sous l'influence de l'alcool - et cité par la recourante, où lesrisques pris par l'intéressé sont certainement plus élevés. Quant à l'influence de l'alcool sur le comportement de l'intimé, cet élémentparticipe déjà en l'occurrence de l'entreprise téméraire et n'a pas à êtreapprécié sous l'angle d'un facteur aggravant. C'est en vain, au demeurant,que la recourante renvoie sur ce point à un arrêt G. F. du 30 décembre 1985(U 24/83; CNA Rapport 1986 n° 3, p. 5). Celui-ci concerne une situation jugéesous l'empire de l'art. 67 al. 3 LAMA, où l'atteinte à la santé consécutive àune entreprise téméraire n'était pas prise en charge, à moins qu'elle eût étéprovoquée dans un état d'incapacité (totale) de discernement et où prévalaitle principe du «tout ou rien» abandonné avec l'entrée en vigueur de la LAA(cf. ATF 113 V 223 consid. 3c). Le Tribunal fédéral des assurances avait,dans le cas mentionné, considéré que l'état d'ébriété de l'assuré n'était passuffisamment avancé pour retenir une incapacité totale de discernement. On nepeut en déduire aucun argument en faveur d'un refus de toute prestation ausens de l'art. 50 al. 1 OLAA. 3.2.3 Il résulte de ce qui précède que les premiers juges étaient fondés àprononcer la réduction de moitié des prestations en espèces dues à l'intimépar la recourante. 4.Vu la nature du litige, la procédure est gratuite (art. 134 OJ). L'intimé quiobtient gain de cause a droit à une indemnité de dépens pour l'instancefédérale à la charge de la recourante (art. 159 al. 1 OJ en corrélation avecl'art. 135 OJ; SVR 1997 IV n° 110 p. 341). Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce: 1.Le recours est rejeté. 2.Il n'est pas perçu de frais de justice. 3.La recourante versera à l'intimé une indemnité de dépens de 600 fr.(ycompris la taxe sur la valeur ajoutée) pour l'instance fédérale. 4.Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal des assurances ducanton de Vaud et à l'Office fédéral de la santé publique. Lucerne, le 31 mai 2006 Au nom du Tribunal fédéral des assurances Le Président de la IVe Chambre: p. la Greffière:


Synthèse
Numéro d'arrêt : U.232/05
Date de la décision : 31/05/2006
Cour des assurances sociales

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2006-05-31;u.232.05 ?
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