La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/05/2006 | SUISSE | N°4C.47/2006

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 30 mai 2006, 4C.47/2006


{T 0/2}
4C.47/2006 /ech

Arrêt du 30 mai 2006
Ire Cour civile

MM. et Mmes les Juges Corboz, Président, Klett, Rottenberg Liatowitsch, Favre
et Kiss.
Greffier: M. Ramelet.

A. ________, demandeur et recourant, représenté par Me Soli Pardo,

contre

X.________ SA,
défenderesse et intimée, représentée par Me Dominique Warluzel.

société anonyme, action en annulation d'une décision de l'assemblée générale,

recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice
du canton de Genève du 16 déce

mbre 2005.

Faits:

A.
A.a X.________ SA (ci-après: la défenderesse) est une société anonyme,
constituée le 3 avril 1980, d...

{T 0/2}
4C.47/2006 /ech

Arrêt du 30 mai 2006
Ire Cour civile

MM. et Mmes les Juges Corboz, Président, Klett, Rottenberg Liatowitsch, Favre
et Kiss.
Greffier: M. Ramelet.

A. ________, demandeur et recourant, représenté par Me Soli Pardo,

contre

X.________ SA,
défenderesse et intimée, représentée par Me Dominique Warluzel.

société anonyme, action en annulation d'une décision de l'assemblée générale,

recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice
du canton de Genève du 16 décembre 2005.

Faits:

A.
A.a X.________ SA (ci-après: la défenderesse) est une société anonyme,
constituée le 3 avril 1980, dont le capital-actions entièrement libéré de
300'000 fr. est composé de 300 actions au porteur de 1'000 fr. chacune. Elle
a pour but social l'achat et la vente de bijoux et pierres précieuses, ainsi
que la recherche de ressources minières dans le domaine des pierres
précieuses. L'art. 12 de ses statuts dispose que l'assemblée générale est
convoquée dix jours au moins avant la date de sa réunion par un avis inséré
dans la Feuille officielle suisse du commerce (FOSC).

A. ________ (le demandeur) a été l'administrateur unique de X.________.
Depuis la fondation de la défenderesse, il détenait à titre fiduciaire, pour
le compte de D.________, l'intégralité des actions de ladite société. Le
demandeur avait déposé toutes les actions de X.________ dans le coffre-fort
de Y.________ SA, à Genève, société dont il était administrateur délégué et
qui est contrôlée par la famille D.________.

A.b A la fin de l'année 2000, A.________ a démissionné de ses fonctions
d'administrateur délégué de Y.________ SA; à la même époque, le demandeur a
pris possession de 50 actions de X.________.

Un litige est né entre le demandeur, Y.________ SA et D.________ au sujet de
la rétribution financière des services rendus à la famille D.________ par
A.________, lequel réclamait à ce titre 1'290'000 fr. à la défenderesse et
258'000 fr. à D.________. Les prétentions du demandeur n'ayant pas été
acceptées, l'avocat C.________ a été désigné curateur par l'autorité
compétente aux fins de représenter la défenderesse dans le litige qui
l'opposait à son administrateur unique.

En 2003, A.________ a requis vainement que Y.________ SA lui remette les
actions de X.________ déposées dans son coffre-fort.

Le 27 novembre 2003, l'avocat genevois B.________, après avoir indiqué à
A.________ qu'il était désormais possesseur de 250 actions au porteur de
X.________, a révoqué au nom du fiduciant tout contrat de fiducie auquel
aurait pu être partie le demandeur et exigé de ce dernier la restitution du
cahier d'actions cotées 1 à 50.

A. ________ a refusé de s'exécuter. Il a prétendu que les actions que lui
avait présentées B.________ n'établiraient pas la qualité d'actionnaire de ce
dernier, étant donné que ces documents n'étaient pas signés.

A.c Par pli du 2 décembre 2003, l'avocat B.________ a exigé du demandeur la
convocation d'une assemblée générale extraordinaire de X.________, dont
l'ordre du jour était la révocation du mandat d'administrateur de A.________
et la nomination d'un nouvel administrateur. Le demandeur n'a pas obtempéré.

Le 19 décembre 2003, B.________ a saisi le Tribunal de première instance de
Genève d'une demande de convocation d'une assemblée générale de la société
précitée.

Par jugement du 4 février 2004, cette autorité a ordonné la convocation d'une
assemblée générale au siège de X.________ dans le délai légal de 20 jours et
prononcé que l'ordre du jour serait la révocation du mandat d'administrateur
du demandeur et la nomination d'un nouvel administrateur. Le Tribunal de
première instance a admis que B.________ détenait à titre fiduciaire 250
actions au porteur de X.________ et que A.________ ne pouvait pas se
prévaloir de l'absence de signature de ces actions, du moment que c'était à
ce dernier qu'il incombait de les signer. Ce jugement a été confirmé par la
Cour de justice, dont l'arrêt du 13 mai 2004, qui a été notifié au demandeur
le 19 mai 2004, est définitif.

Le 27 mai 2004, l'avocat B.________ a envoyé un courrier recommandé à
A.________, lui indiquant que l'assemblée générale de la défenderesse se
tiendrait au siège de la société le mardi 8 juin 2004 à 9 heures. Le
demandeur ne s'est pas présenté, considérant que l'assemblée était illicite.

L'assemblée générale de X.________ tenue le 8 juin 2004 a révoqué le mandat
d'administrateur de A.________ et désigné B.________ à cette fonction. Le
demandeur ayant refusé de restituer le carnet des actions numérotées 1 à 50,
l'avocat B.________ a informé le premier, par pli du 25 juin 2004, qu'il
avait fait émettre un nouveau carnet d'actions et qu'il s'était fait inscrire
au registre du commerce en qualité d'administrateur unique de la société.

B.
B.aLe 3 août 2004, A.________ a ouvert contre X.________ devant le Tribunal
de première instance l'action instaurée par les art. 706s.CO tendant à
l'annulation des décisions de l'assemblée générale prises le 8 juin 2004 et à
la radiation des inscriptions opérées au registre du commerce. Le demandeur a
fait valoir que l'avocat B.________ n'avait pas qualité pour convoquer
l'assemblée générale en cause et que la convocation n'était pas intervenue
dans les formes et délais prescrits par la loi et les statuts.

La défenderesse a conclu principalement à l'irrecevabilité de la demande pour
défaut d'intérêt pour agir, subsidiairement au déboutement du demandeur.

Par jugement du 3 février 2005, le Tribunal de première instance a déclaré la
demande irrecevable faute de qualité pour agir de A.________. Dans les motifs
de la décision, le premier juge a au surplus relevé que la demande était mal
fondée, étant donné que l'assemblée générale litigieuse avait été convoquée
et l'ordre du jour fixé par le jugement de la même autorité du 4 février
2004, confirmé le 13 mai 2004 par la Cour de justice.

B.b Saisie d'un appel du demandeur, la Chambre civile de la Cour de justice
du canton de Genève, statuant par arrêt du 16 décembre 2005, a confirmé le
jugement entrepris.

Les motifs de cette décision seront exposés ci-après dans la mesure utile.

C.
A.________ exerce un recours en réforme au Tribunal fédéral contre l'arrêt du
16 décembre 2005. A la forme, il conclut à la recevabilité de son recours et,
à titre subsidiaire, à ce que la cause soit retournée à la cour cantonale
pour qu'elle fixe la valeur litigieuse de la cause; au fond, le recourant
conclut à l'annulation des décisions prises par l'assemblée générale de
l'intimée le 8 juin 2004 et à ce que le préposé au registre du commerce
procède à la radiation des inscriptions obtenues à la suite desdites
décisions.

L'intimée propose à titre principal que le recours soit déclaré irrecevable
et que le Tribunal fédéral inflige une amende au recourant en application de
l'art. 31 al. 2 OJ. Subsidiairement, la défenderesse conclut au rejet des
conclusions du demandeur, la même sanction disciplinaire devant être infligée
au recourant.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Interjeté par la partie qui a succombé dans ses conclusions en annulation
des décisions prises par l'assemblée générale de la défenderesse le 8 juin
2004 et dirigé contre un arrêt final rendu en dernière instance cantonale par
un tribunal supérieur (art. 48 al. 1 OJ) sur une contestation civile de
nature pécuniaire (cf. ATF 107 II 179 consid. 1 p.181), le recours en
réforme est en principe recevable, puisqu'il a été déposé en temps utile
(art. 54 al. 1 OJ) dans les formes requises (art.55 OJ).

1.2 La demande du 3 août 2004 ne tend pas à l'allocation d'un montant en
argent.

L'arrêt attaqué ne constate pas, contrairement aux exigences de l'art. 51 al.
1 let. a OJ, que la valeur litigieuse nécessaire pour recourir en réforme est
atteinte. Dans son recours en réforme, le demandeur a chiffré à au moins
300'000 fr., soit la valeur du capital-actions de l'intimée, la valeur
litigieuse entrant en considération.

Lorsque, comme en l'espèce, la demande ne conclut pas au paiement d'une somme
d'argent déterminée, le tribunal fixe d'office, au préalable, la valeur
litigieuse en la forme sommaire et selon sa libre appréciation, au besoin
après avoir consulté un expert (art. 36 al.2OJ).

Pour déterminer la valeur litigieuse d'une action en annulation d'une
décision de l'assemblée générale d'une société anonyme, il convient de
prendre en compte l'intérêt de la société à cette annulation, et non
l'intérêt personnel du demandeur, puisque la décision la prononçant produit
effet à l'égard de tous les actionnaires en vertu de l'art. 706 al.5 CO
(consid. 1b non publié de l'ATF 116 II 713; ATF 92 II 243 consid. 1b;
Jean-François Poudret, COJ II, n. 9.8 ad art. 36 OJ, p. 287).
In casu, l'intérêt de la société à la nomination de son administrateur
unique, qui a en particulier la charge de gérer les affaires sociales (art.
716 al. 2 CO) et de représenter la société à l'égard des tiers (art. 718 al.
1 CO), ne saurait être inférieur à la valeur de son capital-actions, qui est
de 300'000 fr. Les droits contestés excédant ainsi largement la somme de
8'000 fr. (art. 46 OJ), le recours est recevable ratione valoris.

1.3 Le recours en réforme est ouvert pour violation du droit fédéral (art. 43
al. 1 OJ). Il ne permet en revanche pas d'invoquer la violation directe d'un
droit de rang constitutionnel (art. 43 al. 1 2e phrase OJ) ou la violation du
droit cantonal (ATF 127 III 248 consid. 2c et les arrêts cités).

Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral doit conduire son
raisonnement juridique sur la base des faits contenus dans la décision
attaquée, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient
été violées, qu'il y ait lieu de rectifier des constatations reposant sur une
inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille compléter les
constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte
de faits pertinents, régulièrement allégués et clairement établis (art. 64
OJ; ATF 130 III 102 consid. 2.2, 136 consid. 1.4). Dans la mesure où une
partie recourante présente un état de fait qui s'écarte de celui contenu dans
la décision attaquée, sans se prévaloir avec précision de l'une des
exceptions qui viennent d'être rappelées, il n'est pas possible d'en tenir
compte (ATF 130 III 102 consid. 2.2, 136 consid. 1.4). Il ne peut être
présenté de griefs contre les constatations de fait, ni de faits ou de moyens
de preuve nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ). Le recours n'est pas ouvert
pour se plaindre de l'appréciation des preuves et des constatations de fait
qui en découlent (ATF 130 III 102 consid. 2.2 in fine, 136 consid. 1.4; 129
III 618 consid.3).

Le Tribunal fédéral ne saurait aller au-delà des conclusions des parties, qui
ne peuvent en prendre de nouvelles (art. 55 al. 1 let. b OJ), mais il n'est
pas lié par les motifs qu'elles invoquent (art. 63 al. 1 OJ), ni par
l'argumentation juridique retenue par la cour cantonale (art. 63 al. 3 OJ;
ATF 130 III 136 consid. 1.4; 128 III 22 consid. 2e/cc in fine).

2.
L'arrêt déféré repose sur une double motivation.
A l'appui de la première, la cour cantonale a tout d'abord rappelé que
l'actionnaire doit avoir un intérêt personnel à l'annulation de la décision
prétendument illicite ou indûment prise lors de l'assemblée générale de la
société anonyme, l'intention de préserver les intérêts de la société pouvant
toutefois suffire. Sous cet angle, elle a retenu que le demandeur, qui
n'avait détenu les actions qu'à titre fiduciaire pour D.________, n'avait en
tout cas pas démontré l'avantage dont pourrait se prévaloir la défenderesse
de le conserver à la fonction d'administrateur unique. L'autorité cantonale a
ajouté qu'elle ne discernait pas plus l'existence d'intérêts personnels du
demandeur comme actionnaire à titre fiduciaire, dès l'instant où le mandat de
fiducie qui lui avait été conféré a été valablement révoqué par l'avocat
B.________ le 27 novembre 2003. En ce qui concernait l'intérêt juridique du
demandeur en tant qu'administrateur de la défenderesse, les juges cantonaux
ont affirmé que l'annulation des décisions attaquées de l'assemblée générale
n'améliorerait pas le statut de l'actionnaire minoritaire A.________, car une
nouvelle assemblée prononcerait immanquablement derechef la révocation de son
mandat d'administrateur. Les magistrats genevois en ont déduit que la demande
était irrecevable, faute d'intérêt dont pourrait se prévaloir le demandeur.

Dans une autre motivation, la Cour de justice a exposé, quant au fond, que le
jugement rendu par le Tribunal de première instance le 4 février 2004,
confirmé par la suite en appel, valait à l'évidence convocation à l'assemblée
générale au sens de l'art. 699 al. 4 CO, comme l'avait relevé B.________ dans
son courrier du 27 mai 2004. Et d'ajouter qu'il serait totalement abusif de
subordonner la mise en application de cette décision judiciaire à une
convocation ordinaire que le demandeur avait très clairement refusée
précédemment. L'autorité cantonale a encore considéré que le délai de
convocation prévu par l'art. 700 al. 1 CO avait été respecté, A.________
ayant largement eu le temps de préparer l'assemblée générale du 8 juin 2004.
A propos du mode de convocation, la Cour de justice a enfin retenu que le
demandeur n'avait pas expliqué pourquoi elle aurait dû intervenir par avis
dans la FOSC, alors que tout l'actionnariat était connu. Partant, a-t-elle
conclu, fût-elle recevable, l'action du demandeur aurait dû être rejetée.

3.
3.1Le recourant prétend en premier lieu que la cour cantonale a violé non
moins que les art. 967 al. 1 CO, 922 ss CC, 8 CC et 622 al. 5 CO en
considérant que sa demande était irrecevable faute d'intérêt personnel à
l'action. D'après lui, il n'a jamais été allégué que la majorité des actions
de la défenderesse aurait été remise à l'avocat B.________ par le demandeur,
ni par D.________. Comme la tradition de ces titres par une personne
légitimée (le fiduciaire ou le fiduciant) n'a pas été invoquée en procédure
et qu'elle n'a de toute manière jamais eu lieu, ce serait en violation du
droit fédéral que la cour cantonale aurait reconnu qu'était valable le
transfert de possession, et donc de propriété,
desdites actions. Le recourant
en déduit qu'il est demeuré actionnaire de la défenderesse, contrairement à
B.________, d'où l'existence en sa faveur d'un intérêt juridique à agir sur
la base de l'art. 706 CO ès qualité, voire en tant qu'administrateur. A cela
s'ajoute, continue le demandeur, que les documents en mains de l'avocat
prénommé ne comportent pas la signature requise par l'art. 622 al.5CO, en
sorte qu'il s'agit de titres radicalement nuls. Qu'il eût peut-être appartenu
au demandeur d'apposer sa signature sur les documents en mains de B.________
ne changerait rien à l'affaire.

En second lieu, le recourant invoque la violation de l'art. 699 al. 4 CO, qui
traite de la convocation de l'assemblée générale par le juge. A ses yeux, il
résulte de cette norme que "le juge ne convoque pas mais ordonne la
convocation et qu'une fois qu'il a donné l'ordre de convoquer une assemblée
générale, c'est au conseil d'administration de procéder à ladite
convocation". Autrement dit, le juge n'ayant pas désigné une tierce personne,
il revenait au demandeur, administrateur unique, de convoquer l'assemblée
générale. Cette solution n'aurait rien d'abusif, puisque ce n'est pas parce
que le recourant avait refusé la requête en convocation de l'avocat
B.________ qu'il y aurait lieu d'admettre qu'il ne se soumettrait pas à un
ordre de convocation judiciaire.

3.2 Lorsque la décision attaquée se fonde, comme en l'espèce, sur plusieurs
motivations, alternatives ou subsidiaires, toutes suffisantes, chacune doit,
sous peine d'irrecevabilité, être attaquée avec le moyen ou le motif de
recours approprié (ATF 129 I 185 consid. 1.6 p. 189 et l'arrêt cité; 121 IV
94 consid. 1 p. 95).

Le recourant s'est conformé à cette exigence jurisprudentielle, dès lors
qu'il a attaqué, par des griefs séparés, la motivation d'irrecevabilité
retenue par les magistrats genevois et la motivation complémentaire par
laquelle ces derniers ont rejeté l'action au fond.

3.3 Il convient d'emblée de prendre acte que le recourant ne soutient plus en
instance de réforme que tant le délai de convocation de l'assemblée générale
du 8 juin 2004 que le mode de convocation de ladite assemblée n'auraient pas
été conformes à la loi et aux statuts. Il n'y a pas lieu de revenir là-dessus
(art. 55 al. 1 let. b et c OJ).

3.4
3.4.1Il sied d'examiner en priorité le mérite du grief dirigé contre
l'argumentation au fond adoptée par la Cour de justice. En effet, si celle-ci
devait résister au feu de la critique, on pourrait se dispenser de vérifier
si le demandeur avait un intérêt juridiquement protégé à exercer l'action
formatrice instaurée par les art. 706 s. CO qu'il a ouverte le 3 août 2004
devant le Tribunal de première instance.

3.4.2 Selon l'art. 699 al. 3, 1re phrase, CO, un ou plusieurs actionnaires
représentant ensemble 10 pour cent au moins du capital-actions peuvent
requérir la convocation de l'assemblée générale. La convocation doit être
requise par écrit et mentionner les objets de discussion et les propositions
(art. 699 al. 3, 3e phrase, CO).

En l'espèce, il résulte de l'état de fait définitif (art. 63 al. 2 OJ) que
l'avocat B.________ est depuis novembre 2003 porteur, à titre fiduciaire, de
250 actions de la défenderesse, lesquelles représentent le 83,33 % du
capital-actions de cette société. Par courrier du 2 décembre 2003,
l'actionnaire majoritaire a requis du recourant, alors administrateur unique
de l'intimée, la convocation d'une assemblée générale extraordinaire, en
précisant explicitement à ce dernier que les objets portés à l'ordre du jour
étaient la révocation du mandat d'administrateur conféré au demandeur et la
nomination d'un nouvel administrateur. Partant, la convocation extraordinaire
d'une assemblée générale demandée par l'actionnaire majoritaire était
conforme aux exigences de l'art. 699 al.3CO.

Il a été retenu que le recourant n'a pas donné suite à la requête.

L'avocat B.________, en application de l'art. 699 al. 4 CO, s'est alors
adressé au juge pour obtenir la convocation requise.

3.4.3 Si le conseil d'administration ne donne pas suite à la requête des
actionnaires dans un délai convenable, la convocation est ordonnée par le
juge, à la demande des requérants (art. 699 al. 4 CO).

Le recourant affirme que cette norme doit être interprétée en ce sens qu'elle
donne uniquement le pouvoir au juge d'ordonner la convocation, mais non de
convoquer lui-même l'assemblée générale.

3.4.3.1 Selon la jurisprudence, la loi s'interprète en premier lieu selon sa
lettre (interprétation littérale). Il n'y a lieu de déroger au sens littéral
d'un texte clair par voie d'interprétation que lorsque des raisons objectives
permettent de penser que ce texte ne restitue pas le sens véritable de la
disposition en cause. De tels motifs peuvent découler des travaux
préparatoires, du but et du sens de la disposition, ainsi que de la
systématique de la loi. Si le texte n'est pas absolument limpide, si
plusieurs interprétations de celui-ci sont possibles, il convient de
rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la dégageant de
tous les éléments à considérer, soit notamment des travaux préparatoires, du
but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle
repose ou encore de sa relation avec d'autres dispositions légales (ATF 132
III 226 consid. 3.3.5 p. 237 et les arrêts cités). Le Tribunal fédéral ne
privilégie aucune méthode d'interprétation, mais s'inspire d'un pluralisme
pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme; en particulier, il
ne se fonde sur la compréhension littérale du texte que s'il en découle sans
ambiguïté une solution matériellement juste (ATF 132 III 226 ibidem; 124 II
193 consid. 5a p. 199, 372 consid. 5 p. 376; 124 III 321 consid. 2 p. 324).

3.4.3.2 On ne peut déduire du libellé de l'art. 699 al. 4 CO, singulièrement
de l'énoncé "la convocation est ordonnée par le juge", que le juge peut
convoquer lui-même l'assemblée générale extraordinaire, si le conseil
d'administration n'a pas donné suite dans le délai approprié à une requête
des actionnaires. Les termes utilisés dans le texte légal donneraient plutôt
à penser qu'une fois que le juge a décidé qu'il convient d'accéder à la
demande des actionnaires et de convoquer une assemblée générale, il
appartient encore au conseil d'administration de prendre les mesures
concrètes nécessaires à cet effet. C'est là l'avis d'un courant de la
doctrine, fondé sur une interprétation purement littérale de la disposition
en cause (Brigitte Tanner, Commentaire zurichois, n. 68 ad art. 699 CO; Peter
Forstmoser/Arthur Meier-Hayoz/Peter Nobel, Schweizerisches Aktienrecht, § 23,
n. 35, p.206; sous l'ancien droit, qui comportait la même disposition, Emil
Schucany, Kommentar zum schweizerischen Aktienrecht, 2e éd., Zurich 1960, n.
6 ad art. 699 CO, p. 134; Emil Landolt, Beiträge zum Rechte der
Generalversammlung, thèse Zurich 1922, p. 100).

Un second courant, plus important, soutient la thèse que dans des
circonstances particulières, singulièrement s'il y a péril en la demeure, le
juge est habilité à ordonner lui-même la convocation de l'assemblée générale
extraordinaire (Eric L. Dreifuss/André E. Lebrecht, Commentaire bâlois, n. 13
in fine ad art. 699 CO; Pascal Montavon, Droit suisse de la SA, 3e éd., § 33,
ch. 2.4, p. 493; François Chaudet, Droit suisse des affaires, 2e éd., ch.
451, p. 95; Christoph D. Studer, Die Einberufung der Generalversammlung der
Aktiengesellschaft, thèse Zurich 1995, p. 9, ch. 1.1.6; Urs Chicherio, Die
Einberufung der Generalversammlung einer Aktiengesellschaft durch die
Kontrollstelle, thèse Zurich 1973, p. 26 in fine; implicitement, Peter
Böckli, Schweizer Aktienrecht, 3e éd., § 12, ch. 72, p. 1269; cf. également
Christoph von Greyerz, Die Aktiengesellschaft, Schweizerisches Privatrecht,
vol. VIII/2, p. 179, ch. 3; sous l'ancien droit, Wolfhart Bürgi, Commentaire
zurichois, n. 28 ad art. 699 CO).

Cette opinion doit être préférée. Il convient en effet de ne pas perdre de
vue que tout le droit de la société anonyme tend à assurer la prééminence des
intérêts généraux de la société et de l'ensemble de ses membres sur des
intérêts particuliers. Or, si le conseil d'administration, cherchant par
exemple à s'assurer des avantages financiers ou le simple maintien de ses
attributs, se refuse à donner suite à l'ordre de convoquer une assemblée
générale émanant du juge valablement saisi par des actionnaires, on assiste à
un complet blocage des activités sociales pour une période pouvant s'avérer
cruciale pour la survie de la société anonyme. Un tel résultat ne saurait
avoir été voulu par le législateur. Le juge, confronté au risque de la
survenance d'une telle situation, doit ainsi être à même de convoquer
rapidement l'assemblée générale, sans plus passer par le conseil
d'administration ou un tiers neutre.

Cette solution s'impose d'autant plus lorsque, comme dans le cas présent,
l'administrateur unique de la société est en litige avec celle-ci, à laquelle
il réclame paiement d'un montant très important, représentant plus de quatre
fois la valeur nominale du capital-actions.

En résumé, l'interprétation littérale de l'art. 699 al. 4 CO, par sa rigidité
et son manque de pragmatisme, est manifestement contraire au sens véritable
de la norme, tel qu'il résulte du but de la disposition.

3.4.3.3 Par jugement du 4 février 2004, le Tribunal de première instance a
ordonné la convocation d'une assemblée générale au siège de la défenderesse
dans le délai de 20 jours fixé par l'art. 700 al. 1 CO et mentionné
précisément les objets qui seraient portés à l'ordre du jour (cf. art. 700
al. 2 CO). Saisie d'un appel contre cette décision, la Cour de justice l'a
confirmée par arrêt du 13 mai 2004, qui a été communiqué au recourant le 19
mai 2004. L'arrêt cantonal a acquis force de chose jugée formelle.
Au vu de ce qui précède, l'autorité cantonale n'a aucunement transgressé le
droit fédéral en jugeant que l'arrêt définitif susrappelé rendu le 13 mai
2004 valait convocation de l'assemblée générale de la défenderesse qui s'est
tenue le 8 juin 2004.

Le moyen de fond du recourant doit être rejeté.

3.5 La Cour de justice n'ayant pas enfreint l'art. 699 al. 4 CO, le demandeur
devait être débouté de son action en annulation des décisions de l'assemblée
générale extraordinaire précitée.
Ainsi qu'on l'a expliqué ci-dessus, ce résultat épargne à la juridiction
fédérale la tâche de contrôler si le recourant avait un intérêt de nature
juridique à l'annulation de ces décisions (cf. sur cette question ATF 122 III
279).

4.
En définitive, le recours doit être rejeté. Le recourant, qui succombe,
supportera l'émolument de justice et versera une indemnité à titre de dépens
à son adverse partie (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).

L'intimée propose que le recourant soit condamné à une amende disciplinaire
au sens de l'art. 31 al. 2 OJ. Elle n'est pas recevable à requérir une telle
mesure, qui relève de la compétence exclusive du Tribunal fédéral (cf.
Jean-François Poudret, COJ I, n. 3 ad art. 31 OJ p.193). Quoi qu'il en soit,
la question débattue faisant l'objet d'une controverse doctrinale, le
recourant n'a agi en rien de manière téméraire en la soumettant à l'examen du
Tribunal fédéral. Partant, aucune amende disciplinaire ne saurait entrer en
ligne de compte.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 5'000 fr. est mis à la charge du recourant.

3.
Le recourant versera à l'intimée une indemnité de 6'000 fr. à titre de
dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 30 mai 2006

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.47/2006
Date de la décision : 30/05/2006
1re cour civile

Analyses

Convocation par le juge de l'assemblée générale d'une société anonyme(art. 699 al. 4 CO). Le pouvoir du juge résultant de l'art. 699 al. 4 CO fait l'objet d'unecontroverse doctrinale. Prenant en compte les nécessités de la pratique, leTribunal fédéral adopte l'opinion du courant majoritaire, selon laquelle, sile conseil d'administration ne donne pas suite à la requête des actionnairesmentionnés à l'art. 699 al. 3 CO de convoquer une assemblée générale, lejuge est habilité, en particulier s'il y a péril en la demeure, à laconvoquer lui-même, sans plus passer par le conseil d'administration ou untiers neutre (consid. 2 et 3).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2006-05-30;4c.47.2006 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award