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24/05/2006 | SUISSE | N°1A.336/2005

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 24 mai 2006, 1A.336/2005


{T 0/2}1A.336/2005 /col Arrêt du 24 mai 2006Ire Cour de droit public MM. les Juges Féraud, Président,Nay et Reeb.Greffier: M. Kurz. T. _________,recourante, représentée par Me Horace Gautier,avocat, contre Juge d'instruction du canton de Genève,case postale 3344, 1211 Genève 3,Chambre d'accusation du canton de Genève,case postale 3108, 1211 Genève 3. entraide judiciaire internationale en matière pénale avec la Biélorussie, recours de droit administratif contre l'ordonnancede la Chambre d'accusation du canton de Genèvedu 11 novembre 2005. Faits: A.Le 3 décembre 2004, le Comité de

sécurité nationale de la République deBiélorussie a adressé à...

{T 0/2}1A.336/2005 /col Arrêt du 24 mai 2006Ire Cour de droit public MM. les Juges Féraud, Président,Nay et Reeb.Greffier: M. Kurz. T. _________,recourante, représentée par Me Horace Gautier,avocat, contre Juge d'instruction du canton de Genève,case postale 3344, 1211 Genève 3,Chambre d'accusation du canton de Genève,case postale 3108, 1211 Genève 3. entraide judiciaire internationale en matière pénale avec la Biélorussie, recours de droit administratif contre l'ordonnancede la Chambre d'accusation du canton de Genèvedu 11 novembre 2005. Faits: A.Le 3 décembre 2004, le Comité de sécurité nationale de la République deBiélorussie a adressé à la Suisse une demande d'entraide judiciaire, pour lesbesoins d'une enquête pénale dirigée notamment contre B._________,C._________ et N._________. Directeur commercial de la raffinerieF._________, propriété de l'Etat, B._________ aurait organisé la vente àl'exportation de produits pétroliers à trois sociétés contrôlées parN._________, parmi lesquelles T._________. La participation de ces sociétésaux enchères créait une concurrence apparente et les produits étaient livrésà bas prix; ils étaient ensuite revendus, et les bénéfices étaient versés surdes comptes détenus par les dirigeants de la raffinerie ou des membres deleurs familles, auprès de banques étrangères. Certains montants auraient étéréinvestis dans des achats de produits pétroliers. Ces faits seraientconstitutifs de "détournement par abus de fonction" et de blanchimentd'argent. La demande tendait notamment à la saisie, en mains de la banqueP.________ et de la banque X.________, des documents relatifs aux comptesportant la référence de T._________.Le 3 mars 2005, l'autorité requérante a présenté une demande complémentaire.Les investigations avaient permis de mettre à jour des transferts de fonds àdestination de banques suisses. Il y avait lieu de rechercher les comptesdétenus par les personnes poursuivies, les membres de leurs familles, ainsique par certaines sociétés auprès de différentes banques de Genève et Zurich,et d'en obtenir la documentation pour la période du 1er janvier 2003 au 1eroctobre 2004. B.Par ordonnances du 1er mars 2005, le Juge d'instruction du canton de Genève,chargé d'exécuter ces demandes, est entré en matière et a exigé la productiondes documents relatifs aux comptes détenus notamment par T._________ auprèsde banque P.________ et de la banque X.________. Le 15 mars 2005, il aindiqué au représentant de T._________ qu'il entendait transmettrel'intégralité de la documentation remise par les banques; un délai était fixépour faire connaître les objections à une telle transmission. A la demande del'autorité requérante, les comptes ont été bloqués par ordonnance du 19 mai2005.Après avoir exposé ses objections de principe à l'octroi de l'entraidejudiciaire, T._________ a produit, le 12 mai 2005, une liste des piècesbancaires qui pouvaient, selon elle, se rapporter aux faits mentionnés parl'autorité requérante. C.Par ordonnances de clôture du 12 juillet 2005, le Juge d'instruction a décidéde transmettre à l'autorité requérante l'intégralité des documents relatifsau compte n° yyy auprès de banque P.________, pour la période requise, et lesdocuments d'ouverture de quatre comptes auprès de la banque X.________, avecun protocole de crédit et une communication de la banque. D.Par ordonnance du 11 novembre 2005, la Chambre d'accusation genevoise arejeté le recours formé par T._________. La demande d'entraide étaitsuffisamment motivée; les faits décrits seraient constitutifs, en droitsuisse, de gestion déloyale si F._________ était une société de droit privé,ou d'abus d'autorité et de gestion déloyale des intérêts publics s'ils'agissait d'une entreprise publique, ainsi que, dans les deux cas, deblanchiment d'argent. S'agissant du principe de la spécialité, l'Etatrequérant était présumé en assurer le respect. Sous l'angle de laproportionnalité, la recourante se contentait de se plaindre du défaut de trides documents saisis, sans présenter d'argumentation plus détaillée. Enfin,la recourante n'avait pas eu accès à la demande d'entraide complémentaire,mais celle-ci ne la concernait pas. E.T._________ forme un recours de droit administratif concluant à l'annulationde l'ordonnance de la Chambre d'accusation et de l'ensemble des décisionsincidentes antérieures.La Chambre d'accusation et le Juge d'instruction se réfèrent à leursdécisions respectives. L'Office fédéral de la justice (OFJ) se rallie aucontenu de ces décisions, en précisant qu'il entend exiger de la part del'Etat requérant des garanties quant au respect des droits des prévenus(respect des art. 7, 10 et 17 Pacte ONU II, interdiction des tribunauxd'exception, respect des garanties de procédure mentionnées à l'art. 14 pacteONU II, droit d'information et de visite de la délégation suisse,interdiction de la peine de mort). Le Tribunal fédéral considère en droit: 1.Le recours de droit administratif est interjeté en temps utile contre deuxdécisions confirmées par l'autorité cantonale de dernière instance, relativesà la clôture de la procédure d'entraide judiciaire (art. 80f de la loifédérale sur l'entraide internationale en matière pénale - EIMP, RS 351.1).La recourante est titulaire des comptes bancaires au sujet desquels le Juged'instruction a décidé de transmettre des renseignements; elle a qualité pouragir (art. 80h let. b EIMP et 9a let. a OEIMP). 2.Reprenant l'argumentation soumise à la cour cantonale, la recourante estimeque le respect du principe de la spécialité ne serait pas garanti. L'Etatrequérant n'est pas lié avec la Suisse par un traité, il serait connu pour nepas respecter les droits fondamentaux, et les autorités lituaniennes, saisiesde demandes d'entraide dans la même cause, auraient sanctionné des recherchesillicites de preuves sur leur territoire par des agents biélorusses. 2.1 Consacré à l'art. 76 EIMP, le principe de la spécialité empêche l'Etatrequérant d'utiliser les renseignements et documents remis à d'autres finsque la répression des infractions pour lesquelles la Suisse a accordé sacollaboration, en particulier pour les besoins de procédures fiscales.Toutefois, de même que seule la personne poursuivie peut se prévaloir desvices de procédure mentionnés à l'art. 2 EIMP - pour autant qu'elle ensubisse concrètement les conséquences, ATF 129 II 268 consid. 6 p. 270 et lesarrêts cités -, seule la personne susceptible de subir les conséquences d'uneviolation de ce principe a qualité pour s'en prévaloir. Elle n'est donc pashabilitée à soulever cet argument au bénéfice de tiers, faute de disposerd'un intérêt suffisant (arrêt non publié du 2 avril 1992 dans la cause J.).Le principe de la spécialité tend également à protéger la souveraineté del'Etat requis, mais le particulier n'a pas non plus qualité pour agir dans cesens. 2.2 La recourante ne prétend pas qu'une procédure fiscale - ou toute autreprocédure pour laquelle l'entraide judiciaire serait exclue - serait encours, ou risquerait d'être ouverte à son encontre dans l'Etat requérant.Elle n'a pas, comme cela est relevé ci-dessus, qualité pour agir au nom deses ayants droit qui, par hypothèse, courraient un tel risque. Le grief -davantage fondé sur l'art. 2 EIMP que sur l'art. 67 EIMP - est par conséquentirrecevable. 3.La recourante soutient ensuite que la demande d'entraide seraitinsuffisamment motivée. On ne verrait pas en quoi les comptes de larecourante auraient pu être utilisés pour recevoir les fonds litigieux.F._________ serait une société anonyme et aucun de ses dirigeants n'aurait laqualité de fonctionnaire. La demande ne préciserait pas les contratslitigieux, leur date et les prestations échangées. 3.1 Selon l'art. 28 al. 2 EIMP, toute demande d'entraide doit indiquer sonauteur, son objet, la qualification juridique des faits et "la désignationaussi précise et complète que possible de la personne poursuivie" (let. d). Al'instar de l'exposé des faits exigé par les art. 14 CEEJ et 28 al. 3 EIMP,ces indications doivent permettre de s'assurer que les faits décrits sontpunissables en droit suisse, qu'il ne s'agit pas de délits (politiques oufiscaux) pour lesquels l'entraide est exclue, et que, au regard notamment deleur importance et de leurs auteurs, le principe de la proportionnalité estrespecté (ATF 118 Ib 122 consid. 5b). Toutefois, selon la jurisprudence, l'onne saurait exiger de l'Etat requérant un exposé complet et exempt de toutelacune. En effet, la procédure d'entraide a précisément pour but d'apporteraux autorités de l'Etat requérant des renseignements au sujet des pointsdemeurés obscurs (ATF 117 Ib 88 consid. 5c et les arrêts cités).L'autorité suisse saisie d'une requête d'entraide en matière pénale n'a pas àse prononcer sur la réalité des faits évoqués dans la demande; elle ne peutque déterminer si, tels qu'ils sont présentés, ils constituent uneinfraction. Cette autorité ne peut s'écarter des faits décrits par l'Etatrequérant qu'en cas d'erreurs, lacunes ou contradictions évidentes etimmédiatement établies (ATF 126 II 495 consid. 5e/aa p. 501; 118 Ib 111consid. 5b p. 121/122). 3.2 Dans sa première demande d'entraide, l'autorité requérante exposeclairement que F._________ est propriété de l'Etat biélorusse, et que sondirecteur était fonctionnaire. Avec la complicité des autres dirigeants,celui-ci aurait, d'avril 2002 à octobre 2004, mis sur pied la vente auxenchères de produits pétroliers, à un prix plus bas que celui du marché, enfaisant croire à une concurrence entre les sociétés participant aux enchères,alors que celles-ci étaient en réalité administrées par la même personne,N._________. Les produits avaient été revendus à un prix supérieur à degrandes compagnies étrangères, et les bénéfices, versés sur le compte d'unesociété off-shore contrôlée également par N._________, étaient ensuiterépartis entre les dirigeants de F._________. Contrairement à ce que soutientla recourante, celle-ci est largement mentionnée dans la demande, en tant quesociété gérée par N._________, acheteuse de produits pétroliers ayantparticipé aux enchères fictives.La demande décrit avec une précision suffisante les auteurs, la date et lemode opératoire des infractions. Il est clairement indiqué que les dirigeantsde F._________ auraient vendu à un prix insuffisant les produits del'entreprise, et se seraient approprié la différence, après revente à un prixplus élevé. Comme le relève la Chambre d'accusation, on peut y voir des actesde gestion déloyale, réprimés par les art. 158 ou 314 CP selon que leursauteurs sont ou non des fonctionnaires. L'indication selon laquelleF._________ serait une entreprise d'Etat n'est au demeurant contredite paraucun élément du dossier; la dénomination de l'entreprise ne permet pasd'exclure un contrôle de l'Etat, ni la nomination de fonctionnaires à la têtede l'entreprise. Par ailleurs, conformément à l'art. 64 al. 1 EIMP,l'autorité suisse d'entraide n'a pas à s'interroger sur la qualificationjuridique des faits exposés, selon le droit de l'Etat requérant. Supposépertinent, le grief doit donc être écarté. 4.La recourante invoque ensuite le principe de la proportionnalité en relevant,d'une part, que les investigations bancaires requises seraient d'une ampleurexagérée et, d'autre part, que le Juge d'instruction aurait omis d'effectuerle tri auquel il était tenu. Le 29 avril 2005, la recourante avait produitune liste des documents pouvant se rapporter aux faits de la cause. Le Juged'instruction n'avait fait aucun cas de cette sélection, en ordonnant unetransmission en bloc, sans aucune motivation. 4.1 Le principe de la proportionnalité empêche d'une part l'autoritérequérante de demander des mesures inutiles à son enquête et, d'autre part,l'autorité d'exécution d'aller au-delà de la mission qui lui est confiée (ATF121 II 241 consid. 3a). L'autorité suisse requise s'impose une grande retenuelorsqu'elle examine le respect de ce principe, car elle ne dispose pas desmoyens qui lui permettraient de se prononcer sur l'opportunité del'administration des preuves. Saisi d'un recours contre une décision detransmission, le juge de l'entraide doit lui aussi se borner à examiner siles renseignements à transmettre présentent, prima facie, un rapport avec lesfaits motivant la demande d'entraide. Il ne doit exclure de la transmissionque les documents n'ayant manifestement aucune utilité possible pour lesenquêteurs étrangers (examen limité à l'utilité "potentielle", ATF 122 II 367consid. 2c p. 371). 4.2 Contrairement à ce que soutient la recourante, l'entraide requise n'arien d'une recherche indéterminée de moyens de preuve. L'autorité requéranteexpose en effet clairement les raisons qui l'amènent à s'intéresser àl'ensemble des avoirs détenus en Suisse par les dirigeants de F._________ etleurs présumés complices, ainsi que par la recourante dont le compte auraitservi à distribuer le produit des infractions. Le champ des investigationsest ainsi limité à des personnes déterminées; la période est elle aussicirconscrite puisqu'elle s'étend du 1er janvier 2003 au 1er octobre 2004.L'étendue de l'entraide requise ne viole donc pas le principe de laproportionnalité. 4.3 Selon la jurisprudence, lorsque l'autorité requise a saisi les documentsd'exécution, elle trie les documents à remettre en vue du prononcé d'unedécision de clôture. A défaut d'un accord portant sur la remise facilitée(art. 80c EIMP), elle fait établir un inventaire précis des pièces dont laremise est contestée. Elle impartit au détenteur un délai pour faire valoiren détail les arguments s'opposant selon lui à la transmission. Elle rendensuite une décision de clôture soigneusement motivée. Que le détenteurnéglige de se déterminer ou ne le fait que d'une manière insatisfaisante nedispense pas l'autorité d'exécution d'effectuer le tri commandé par leprincipe de la proportionnalité (ATF 130 II 14 consid. 4.3-4.4 p. 16-18). 4.4 En l'occurrence, le Juge d'instruction a certes donné à la recourantel'occasion de se déterminer sur les pièces à transmettre, mais il ne s'estpas prononcé sur le choix proposé par celle-ci. Par conséquent, si uneprocédure de tri formelle a bien eu lieu, la décision de transmission necomporte pas la motivation exigée par la jurisprudence. Toutefois, uneéventuelle violation de l'obligation de motiver ou du principe de laproportionnalité peut être réparée à l'occasion du recours formé contre ladécision de transmission. Dans ce contexte, la recourante ne pouvait secontenter de se plaindre de la procédure suivie par le juge d'instruction;elle devait simultanément présenter - ou renouveler - ses objections sur lefond à la transmission de documents déterminés, en indiquant en quoi auraitdû consister le tri requis. Si la jurisprudence impose à l'autoritéd'exécution de procéder au tri des pièces, on ne saurait interpréter cetteobligation comme dispensant le détenteur de son devoir de coopération. Sur cepoint, la liste présentée par la recourante n'apparaît pas suffisante,puisque sont uniquement énumérées les pièces présentant
un rapport manifesteavec les faits de la procédure étrangère. En ce qui concerne les autrespièces, on peut certes déduire que la recourante s'opposait à leurcommunication, mais on ignore pour quels motifs: l'invocation générale d'undéfaut de pertinence ne saurait constituer un motif suffisant d'opposition;la jurisprudence exige en effet que les objections à la transmission soientétayées pièce par pièce, ce qui n'a pas été fait en l'occurrence. Soulevésous cette forme et à ce stade, l'argument apparaît contraire au principe dela bonne foi (cf. ATF 126 II 258 précité), ainsi qu'au principe de célérité(art. 17 EIMP) qui commande de faire valoir en temps utile ses objections. Audemeurant, compte tenu du rôle central de la recourante dans les achats deproduits pétroliers, une transmission en bloc de la documentation bancaireparaît a priori justifiée. Le grief doit, lui aussi, être écarté. 5.Le recours de droit administratif est ainsi rejeté, dans la mesure où il estrecevable. Conformément à l'art. 156 al. 1 OJ, un émolument judiciaire estmis à la charge de la recourante, qui succombe. Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 1.Le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable. 2.Un émolument judiciaire de 4000 fr. est mis à la charge de la recourante. 3.Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire de la recourante, auJuge d'instruction et à la Chambre d'accusation du canton de Genève ainsiqu'à l'Office fédéral de la justice (B 154 604/01). Lausanne, le 24 mai 2006 Au nom de la Ire Cour de droit publicdu Tribunal fédéral suisse Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1A.336/2005
Date de la décision : 24/05/2006
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2006-05-24;1a.336.2005 ?
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