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24/05/2006 | SUISSE | N°1A.332/2005

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 24 mai 2006, 1A.332/2005


{T 0/2}1A.332/2005 /col Arrêt du 24 mai 2006Ire Cour de droit public MM. les Juges Féraud, Président,Nay et Reeb.Greffier: M. Kurz. W.________,recourante, représentée par Maîtres Vincent Solariet Alain Macaluso, avocats, contre Juge d'instruction du canton de Genève,case postale 3344, 1211 Genève 3,Chambre d'accusation du canton de Genève,case postale 3108, 1211 Genève 3. entraide judiciaire internationale en matière pénale avec la Biélorussie, recours de droit administratif contre l'ordonnancede la Chambre d'accusation du canton de Genèvedu 11 novembre 2005. Faits: A.Le 3 décem

bre 2004, le Comité de sécurité nationale de la République deB...

{T 0/2}1A.332/2005 /col Arrêt du 24 mai 2006Ire Cour de droit public MM. les Juges Féraud, Président,Nay et Reeb.Greffier: M. Kurz. W.________,recourante, représentée par Maîtres Vincent Solariet Alain Macaluso, avocats, contre Juge d'instruction du canton de Genève,case postale 3344, 1211 Genève 3,Chambre d'accusation du canton de Genève,case postale 3108, 1211 Genève 3. entraide judiciaire internationale en matière pénale avec la Biélorussie, recours de droit administratif contre l'ordonnancede la Chambre d'accusation du canton de Genèvedu 11 novembre 2005. Faits: A.Le 3 décembre 2004, le Comité de sécurité nationale de la République deBiélorussie a adressé à la Suisse une demande d'entraide judiciaire, pour lesbesoins d'une enquête pénale dirigée notamment contre B.________, C.________et N.________. Directeur commercial de la raffinerie F.________, propriété del'Etat, B.________ aurait organisé la vente à l'exportation de produitspétroliers à trois sociétés contrôlées par N.________. La participation deces sociétés aux enchères créait une concurrence apparente et les produitsétaient livrés à bas prix; ils étaient ensuite revendus, et les bénéficesétaient versés sur des comptes détenus par les dirigeants de la raffinerie oudes membres de leurs familles, auprès de banques étrangères. Certainsmontants auraient été réinvestis dans des achats de produits pétroliers. Cesfaits seraient constitutifs de "détournement par abus de fonction" et deblanchiment d'argent. La demande tendait à l'obtention de renseignementsauprès d'une banque genevoise.Le 3 mars 2005, l'autorité requérante a présenté une demande complémentaire.Les investigations avaient permis de mettre à jour des transferts de fonds àdestination de banques suisses. Il y avait lieu de rechercher les comptesdétenus par les personnes poursuivies, les membres de leurs familles, ainsique par certaines sociétés (notamment W.________) auprès de différentesbanques de Genève et Zurich, et d'en obtenir la documentation pour la périodedu 1er janvier 2003 au 1er octobre 2004. B.Par ordonnances du 1er mars 2005, puis du 11 avril 2005, le Juged'instruction du canton de Genève, chargé d'exécuter ces demandes, est entréen matière et a notamment exigé la production des documents relatifs aucompte n° xxx détenu par W.________ auprès de banque S.________ de Zurich. Ala demande de l'autorité requérante, le Juge d'instruction a ordonné, le 19mai 2005, le blocage du compte. C.Par ordonnance de clôture partielle du 25 mai 2005, le Juge d'instruction adécidé de transmettre à l'autorité requérante les documents relatifs aucompte précité, pour la période requise. D.Par ordonnance du 11 novembre 2005, la Chambre d'accusation genevoise arejeté le recours formé par W.________. La demande d'entraide étaitsuffisamment motivée; les faits décrits seraient constitutifs, en droitsuisse, de gestion déloyale si F.________ était une société de droit privé,ou d'abus d'autorité et de gestion déloyale des intérêts publics s'ils'agissait d'une entreprise publique, ainsi que, dans les deux cas, deblanchiment d'argent. Sous l'angle de la proportionnalité, la recourante secontentait de se plaindre du défaut de tri des documents saisis, sansprésenter d'argumentation plus détaillée. Les griefs relatifs au respect desdroits de l'homme dans l'Etat requérant figuraient dans la partie "en fait"du recours, et la recourante n'en tirait aucune conséquence juridique. E.W.________ forme un recours de droit administratif concluant à l'annulationde l'ordonnance de la Chambre d'accusation et au rejet des demandesd'entraide judiciaire.La Chambre d'accusation et le Juge d'instruction se réfèrent à leursdécisions respectives. L'Office fédéral de la justice (OFJ) se rallie aucontenu de ces décisions, en précisant qu'il entend exiger de la part del'Etat requérant des garanties quant au respect des droits des prévenus(respect des art. 7, 10 et 17 Pacte ONU II, interdiction des tribunauxd'exception, respect des garanties de procédure mentionnées à l'art. 14 pacteONU II, droit d'information et de visite de la délégation suisse,interdiction de la peine de mort). Le Tribunal fédéral considère en droit: 1.Le recours de droit administratif est interjeté en temps utile contre unedécision confirmée par l'autorité cantonale de dernière instance, relative àla clôture de la procédure d'entraide judiciaire (art. 80f de la loi fédéralesur l'entraide internationale en matière pénale - EIMP, RS 351.1). Larecourante est titulaire du compte bancaire au sujet duquel le Juged'instruction a décidé de transmettre des renseignements; elle a qualité pouragir (art. 80h let. b EIMP et 9a let. a OEIMP). 2.Reprenant l'argumentation soumise à la cour cantonale, la recourante estimeque la demande d'entraide serait insuffisamment motivée. On ne verrait pas enquoi consiste l'appropriation des biens ou le blanchiment d'argent.F.________ serait une société anonyme et aucun de ses dirigeants n'aurait laqualité de fonctionnaire. La demande ne préciserait pas les contratslitigieux, leur date et les prestations échangées. La liste des personnespoursuivies et des sommes détournées ne serait pas une indication suffisante. 2.1 Selon l'art. 28 al. 2 EIMP, toute demande d'entraide doit indiquer sonauteur, son objet, la qualification juridique des faits et "la désignationaussi précise et complète que possible de la personne poursuivie" (let. d). Al'instar de l'exposé des faits exigé par les art. 14 CEEJ et 28 al. 3 EIMP,ces indications doivent permettre de s'assurer que les faits décrits sontpunissables en droit suisse, qu'il ne s'agit pas de délits (politiques oufiscaux) pour lesquels l'entraide est exclue, et que, au regard notamment deleur importance et de leurs auteurs, le principe de la proportionnalité estrespecté (ATF 118 Ib 122 consid. 5b). Toutefois, selon la jurisprudence, l'onne saurait exiger de l'Etat requérant un exposé complet et exempt de toutelacune. En effet, la procédure d'entraide a précisément pour but d'apporteraux autorités de l'Etat requérant des renseignements au sujet des pointsdemeurés obscurs (ATF 117 Ib 88 consid. 5c et les arrêts cités).L'autorité suisse saisie d'une requête d'entraide en matière pénale n'a pas àse prononcer sur la réalité des faits évoqués dans la demande; elle ne peutque déterminer si, tels qu'ils sont présentés, ils constituent uneinfraction. Cette autorité ne peut s'écarter des faits décrits par l'Etatrequérant qu'en cas d'erreurs, lacunes ou contradictions évidentes etimmédiatement établies (ATF 126 II 495 consid. 5e/aa p. 501; 118 Ib 111consid. 5b p. 121/122). 2.2 Dans ses demandes d'entraide (la seconde ne faisant que reprendre lesfaits exposés dans la première), l'autorité requérante expose clairement queF.________ est propriété de l'Etat biélorusse, et que son directeur étaitfonctionnaire. Avec la complicité des autres dirigeants, celui-ci aurait,d'avril 2002 à octobre 2004, mis sur pied la vente aux enchères de produitspétroliers, à un prix plus bas que celui du marché, en faisant croire à uneconcurrence entre les sociétés participant aux enchères, alors que celles-ciétaient en réalité administrées par la même personne, N.________. Lesproduits avaient été revendus à un prix supérieur à de grandes compagniesétrangères, et les bénéfices, versés sur le compte d'une société off-shorecontrôlée également par N.________, étaient ensuite répartis entre lesdirigeants de F.________. La demande mentionne une partie de ces transferts,effectués notamment par le biais du compte de la recourante.La demande décrit avec une précision suffisante les auteurs, la date et lemode opératoire des infractions. Il est clairement indiqué que les dirigeantsde F.________ auraient vendu à un prix insuffisant les produits del'entreprise, et se seraient approprié la différence, après revente à un prixplus élevé. Comme le relève la Chambre d'accusation, on peut y voir des actesde gestion déloyale, réprimés par les art. 158 ou 314 CP selon que leursauteurs sont ou non des fonctionnaires. L'indication selon laquelleF.________ serait une entreprise d'Etat n'est au demeurant contredite paraucun élément du dossier; la dénomination de l'entreprise ne permet pasd'exclure un contrôle de l'Etat, ni la nomination de fonctionnaires à la têtede l'entreprise. Supposé pertinent, le grief doit donc être écarté. 3.La recourante invoque ensuite le principe de la proportionnalité en relevant,d'une part, que les investigations bancaires requises seraient d'une ampleurexagérée et, d'autre part, que le Juge d'instruction aurait omis d'effectuerle tri auquel il était tenu. 3.1 Le principe de la proportionnalité empêche d'une part l'autoritérequérante de demander des mesures inutiles à son enquête et, d'autre part,l'autorité d'exécution d'aller au-delà de la mission qui lui est confiée (ATF121 II 241 consid. 3a). L'autorité suisse requise s'impose une grande retenuelorsqu'elle examine le respect de ce principe, car elle ne dispose pas desmoyens qui lui permettraient de se prononcer sur l'opportunité del'administration des preuves. Saisi d'un recours contre une décision detransmission, le juge de l'entraide doit lui aussi se borner à examiner siles renseignements à transmettre présentent, prima facie, un rapport avec lesfaits motivant la demande d'entraide. Il ne doit exclure de la transmissionque les documents n'ayant manifestement aucune utilité possible pour lesenquêteurs étrangers (examen limité à l'utilité "potentielle", ATF 122 II 367consid. 2c p. 371). 3.2 Contrairement à ce que soutient la recourante, l'entraide requise n'arien d'une recherche indéterminée de moyens de preuve. L'autorité requéranteexpose en effet clairement les raisons qui l'amènent à s'intéresser àl'ensemble des avoirs détenus en Suisse par les dirigeants de F.________ etleurs présumés complices, ainsi que par la recourante dont le compte auraitservi à distribuer le produit des infractions. Le champ des investigationsest ainsi limité à des personnes déterminées; la période est elle aussicirconscrite puisqu'elle s'étend du 1er janvier 2003 au 1er octobre 2004.L'étendue de l'entraide requise ne viole donc pas le principe de laproportionnalité. 3.3 Selon la jurisprudence, lorsque l'autorité requise a saisi les documentsd'exécution, elle trie les documents à remettre en vue du prononcé d'unedécision de clôture. A défaut d'un accord portant sur la remise facilitée(art. 80c EIMP), elle fait établir un inventaire précis des pièces dont laremise est contestée. Elle impartit au détenteur un délai pour faire valoiren détail les arguments s'opposant selon lui à la transmission. Elle rendensuite une décision de clôture soigneusement motivée. Que le détenteurnéglige de se déterminer ou ne le fait que d'une manière insatisfaisante nedispense pas l'autorité d'exécution d'effectuer le tri commandé par leprincipe de la proportionnalité (ATF 130 II 14 consid. 4.3-4.4 p. 16-18). 3.4 En l'occurrence, le Juge d'instruction ne semble pas avoir respecté cetteprocédure. Toutefois, tant l'absence d'une procédure de tri formelle qu'uneéventuelle violation du principe de la proportionnalité peuvent être réparéesà l'occasion du recours formé contre la décision de transmission. Larecourante ne conteste pas avoir eu accès aux pièces saisies à tout le moinsdans le cadre de la préparation du recours cantonal. Les documents concernéspar l'ordonnance de clôture ne sont au demeurant pas nombreux. Dans cesconditions, la recourante ne pouvait se contenter de se plaindre de laprocédure suivie par le juge d'instruction; elle devait simultanémentprésenter ses objections sur le fond à la transmission de documentsdéterminés, en indiquant en quoi aurait dû consister le tri requis. Si lajurisprudence impose à l'autorité d'exécution de procéder au tri des pièces,on ne saurait interpréter cette obligation comme dispensant le détenteur deson devoir de coopération. Soulevé sous cette forme et à ce stade, l'argumentapparaît contraire au principe de la bonne foi (cf. ATF 126 II 258 précité),ainsi qu'au principe de célérité (art. 17 EIMP) qui commande de faire valoiren temps utile ses objections. Le grief doit par conséquent être écarté. 4.Le recours de droit administratif est ainsi rejeté. Conformément à l'art. 156al. 1 OJ, un émolument judiciaire est mis à la charge de la recourante, quisuccombe. Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 1.Le recours est rejeté. 2.Un émolument judiciaire de 4000 fr. est mis à la charge de la recourante. 3.Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires de la recourante, auJuge d'instruction et à la Chambre d'accusation du canton de Genève ainsiqu'à l'Office fédéral de la justice (B 154 604/01). Lausanne, le 24 mai 2006 Au nom de la Ire Cour de droit publicdu Tribunal fédéral suisse Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1A.332/2005
Date de la décision : 24/05/2006
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2006-05-24;1a.332.2005 ?
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