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24/05/2006 | SUISSE | N°1A.330/2005

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 24 mai 2006, 1A.330/2005


{T 0/2}1A.330/2005 /col Arrêt du 24 mai 2006Ire Cour de droit public MM. les Juges Féraud, Président,Nay et Reeb.Greffier: M. Kurz. les époux N.________ et V.________,recourants, représentés par Maîtres Vincent Solariet Alain Macaluso, avocats, contre Juge d'instruction du canton de Genève,case postale 3344, 1211 Genève 3,Chambre d'accusation du canton de Genève,case postale 3108, 1211 Genève 3. entraide judiciaire internationale en matière pénale avec la Biélorussie, recours de droit administratif contre l'ordonnancede la Chambre d'accusation du canton de Genèvedu 11 novembre 2

005. Faits: A.Le 3 décembre 2004, le Comité de sécurité nation...

{T 0/2}1A.330/2005 /col Arrêt du 24 mai 2006Ire Cour de droit public MM. les Juges Féraud, Président,Nay et Reeb.Greffier: M. Kurz. les époux N.________ et V.________,recourants, représentés par Maîtres Vincent Solariet Alain Macaluso, avocats, contre Juge d'instruction du canton de Genève,case postale 3344, 1211 Genève 3,Chambre d'accusation du canton de Genève,case postale 3108, 1211 Genève 3. entraide judiciaire internationale en matière pénale avec la Biélorussie, recours de droit administratif contre l'ordonnancede la Chambre d'accusation du canton de Genèvedu 11 novembre 2005. Faits: A.Le 3 décembre 2004, le Comité de sécurité nationale de la République deBiélorussie a adressé à la Suisse une demande d'entraide judiciaire, pour lesbesoins d'une enquête pénale dirigée notamment contre B.________, C.________et N.________. Directeur commercial de la raffinerie F.________, propriété del'Etat, B.________ aurait organisé la vente à l'exportation de produitspétroliers à trois sociétés contrôlées par N.________. La participation deces sociétés aux enchères créait une concurrence apparente et les produitsétaient livrés à bas prix; ils étaient ensuite revendus, et les bénéficesétaient versés sur des comptes détenus par les dirigeants de la raffinerie oudes membres de leurs familles, auprès de banques étrangères. Certainsmontants auraient été réinvestis dans des achats de produits pétroliers. Cesfaits seraient constitutifs de "détournement par abus de fonction" et deblanchiment d'argent. La demande tendait à l'obtention de renseignementsauprès d'une banque genevoise.Le 3 mars 2005, l'autorité requérante a présenté une demande complémentaire.Les investigations avaient permis de mettre à jour des transferts de fonds àdestination de banques suisses. Il y avait lieu de rechercher les comptesdétenus par les personnes poursuivies, les membres de leurs familles, ainsique par certaines sociétés (notamment W.________) auprès de différentesbanques de Genève et Zurich, et d'en obtenir la documentation pour la périodedu 1er janvier 2003 au 1er octobre 2004. B.Par ordonnances du 1er mars 2005, puis du 11 avril 2005, le Juged'instruction du canton de Genève, chargé d'exécuter ces demandes, est entréen matière. Il est apparu que N.________ et son épouse V.________ étaienttitulaires du compte n° zzz auprès de la banque S.________ de Zurich, surlequel 299'000 USD avaient été versés, en provenance d'un compte détenu parW.________, dont les époux N.________ et V.________ étaient les ayants droit.Le Juge d'instruction a ordonné, le 24 mai 2005, la production des documentsbancaires ainsi que le blocage du compte des époux N.________, et V.________conformément à la demande de l'autorité requérante. C.Par ordonnance de clôture partielle du 27 mai 2005, le Juge d'instruction adécidé de transmettre à l'autorité requérante les documents relatifs aucompte précité, pour la période requise. D.Par ordonnance du 11 novembre 2005, la Chambre d'accusation genevoise arejeté le recours formé par les époux N.________ et V.________. La demanded'entraide était suffisamment motivée; les faits décrits seraientconstitutifs, en droit suisse, de gestion déloyale si F.________ était unesociété de droit privé, ou d'abus d'autorité et de gestion déloyale desintérêts publics s'il s'agissait d'une entreprise publique, ainsi que, dansles deux cas, de blanchiment d'argent. Sous l'angle de la proportionnalité,les recourants se contentaient de se plaindre du défaut de tri des documentssaisis, sans présenter d'argumentation plus détaillée. Les griefs relatifs aurespect des droits de l'homme dans l'Etat requérant figuraient dans la partie"en fait" du recours, et les recourants n'en tiraient aucune conséquencejuridique. E.N.________ et V.________ forment un recours de droit administratif concluantà l'annulation de l'ordonnance de la Chambre d'accusation et au rejet desdemandes d'entraide judiciaire.La Chambre d'accusation et le Juge d'instruction se réfèrent à leursdécisions respectives. L'Office fédéral de la justice (OFJ) se rallie aucontenu de ces décisions, en précisant qu'il entend exiger de la part del'Etat requérant des garanties quant au respect des droits des prévenus(respect des art. 7, 10 et 17 Pacte ONU II, interdiction des tribunauxd'exception, respect des garanties de procédure mentionnées à l'art. 14 pacteONU II, droit d'information et de visite de la délégation suisse,interdiction de la peine de mort). Le Tribunal fédéral considère en droit: 1.Le recours de droit administratif est interjeté en temps utile contre unedécision confirmée par l'autorité cantonale de dernière instance, relative àla clôture de la procédure d'entraide judiciaire (art. 80f de la loi fédéralesur l'entraide internationale en matière pénale - EIMP, RS 351.1). Lesrecourants sont titulaires du compte bancaire au sujet duquel le Juged'instruction a décidé de transmettre des renseignements; ils ont qualitépour agir (art. 80h let. b EIMP et 9a let. a OEIMP). 2.Reprenant l'argumentation soumise à la cour cantonale, les recourantsestiment que la demande d'entraide serait insuffisamment motivée. On neverrait pas en quoi consiste l'appropriation des biens ou le blanchimentd'argent. F.________ serait une société anonyme et aucun de ses dirigeantsn'aurait la qualité de fonctionnaire. La demande ne préciserait pas lescontrats litigieux, leur date et les prestations échangées. La liste despersonnes poursuivies et des sommes détournées ne serait pas une indicationsuffisante. 2.1 Selon l'art. 28 al. 2 EIMP, toute demande d'entraide doit indiquer sonauteur, son objet, la qualification juridique des faits et "la désignationaussi précise et complète que possible de la personne poursuivie" (let. d). Al'instar de l'exposé des faits exigé par les art. 14 CEEJ et 28 al. 3 EIMP,ces indications doivent permettre de s'assurer que les faits décrits sontpunissables en droit suisse, qu'il ne s'agit pas de délits (politiques oufiscaux) pour lesquels l'entraide est exclue, et que, au regard notamment deleur importance et de leurs auteurs, le principe de la proportionnalité estrespecté (ATF 118 Ib 122 consid. 5b). Toutefois, selon la jurisprudence, l'onne saurait exiger de l'Etat requérant un exposé complet et exempt de toutelacune. En effet, la procédure d'entraide a précisément pour but d'apporteraux autorités de l'Etat requérant des renseignements au sujet des pointsdemeurés obscurs (ATF 117 Ib 88 consid. 5c et les arrêts cités).L'autorité suisse saisie d'une requête d'entraide en matière pénale n'a pas àse prononcer sur la réalité des faits évoqués dans la demande; elle ne peutque déterminer si, tels qu'ils sont présentés, ils constituent uneinfraction. Cette autorité ne peut s'écarter des faits décrits par l'Etatrequérant qu'en cas d'erreurs, lacunes ou contradictions évidentes etimmédiatement établies (ATF 126 II 495 consid. 5e/aa p. 501; 118 Ib 111consid. 5b p. 121/122). 2.2 Dans ses demandes d'entraide (la seconde ne faisant que reprendre lesfaits exposés dans la première), l'autorité requérante expose clairement queF.________ est propriété de l'Etat biélorusse, et que son directeur étaitfonctionnaire. Avec la complicité des autres dirigeants, celui-ci aurait,d'avril 2002 à octobre 2004, mis sur pied la vente aux enchères de produitspétroliers, à un prix plus bas que celui du marché, en faisant croire à uneconcurrence entre les sociétés participant aux enchères, alors que celles-ciétaient en réalité administrées par la même personne, N.________. Lesproduits avaient été revendus à un prix supérieur à de grandes compagniesétrangères, et les bénéfices, versés sur le compte d'une société off-shorecontrôlée également par N.________, étaient ensuite répartis entre lesdirigeants de F.________. La demande mentionne une partie de ces transferts.La demande décrit avec une précision suffisante les auteurs, la date et lemode opératoire des infractions. Il est clairement indiqué que les dirigeantsde F.________ auraient vendu à un prix insuffisant les produits del'entreprise, et se seraient approprié la différence, après revente à un prixplus élevé. Comme le relève la Chambre d'accusation, on peut y voir des actesde gestion déloyale, réprimés par les art. 158 ou 314 CP selon que leursauteurs sont ou non des fonctionnaires. L'indication selon laquelleF.________ serait une entreprise d'Etat n'est au demeurant contredite paraucun élément du dossier; la dénomination de l'entreprise ne permet pasd'exclure un contrôle de l'Etat, ni la nomination de fonctionnaires à la têtede l'entreprise. Supposé pertinent, le grief doit donc être écarté. 3.Les recourants invoquent ensuite le principe de la proportionnalité enrelevant, d'une part, que les investigations bancaires requises seraientd'une ampleur exagérée et, d'autre part, que le Juge d'instruction auraitomis d'effectuer le tri auquel il était tenu. 3.1 Le principe de la proportionnalité empêche d'une part l'autoritérequérante de demander des mesures inutiles à son enquête et, d'autre part,l'autorité d'exécution d'aller au-delà de la mission qui lui est confiée (ATF121 II 241 consid. 3a). L'autorité suisse requise s'impose une grande retenuelorsqu'elle examine le respect de ce principe, car elle ne dispose pas desmoyens qui lui permettraient de se prononcer sur l'opportunité del'administration des preuves. Saisi d'un recours contre une décision detransmission, le juge de l'entraide doit lui aussi se borner à examiner siles renseignements à transmettre présentent, prima facie, un rapport avec lesfaits motivant la demande d'entraide. Il ne doit exclure de la transmissionque les documents n'ayant manifestement aucune utilité possible pour lesenquêteurs étrangers (examen limité à l'utilité "potentielle", ATF 122 II 367consid. 2c p. 371). 3.2 Contrairement à ce que soutiennent les recourants, l'entraide requise n'arien d'une recherche indéterminée de moyens de preuve. L'autorité requéranteexpose en effet clairement les raisons qui l'amènent à s'intéresser àl'ensemble des avoirs détenus en Suisse par les dirigeants de F.________ etleurs présumés complices. Le champ des investigations est ainsi limité à despersonnes déterminées; la période est elle aussi circonscrite puisqu'elles'étend du 1er janvier 2003 au 1er octobre 2004. L'étendue de l'entraiderequise ne viole donc pas le principe de la proportionnalité. 3.3 Selon la jurisprudence, lorsque l'autorité requise a saisi les documentsd'exécution, elle trie les documents à remettre en vue du prononcé d'unedécision de clôture. A défaut d'un accord portant sur la remise facilitée(art. 80c EIMP), elle fait établir un inventaire précis des pièces dont laremise est contestée. Elle impartit au détenteur un délai pour faire valoiren détail les arguments s'opposant selon lui à la transmission. Elle rendensuite une décision de clôture soigneusement motivée. Que le détenteurnéglige de se déterminer ou ne le fait que d'une manière insatisfaisante nedispense pas l'autorité d'exécution d'effectuer le tri commandé par leprincipe de la proportionnalité (ATF 130 II 14 consid. 4.3-4.4 p. 16-18). 3.4 En l'occurrence, le Juge d'instruction ne semble pas avoir respecté cetteprocédure. Toutefois, tant l'absence d'une procédure de tri formelle qu'uneéventuelle violation du principe de la proportionnalité peuvent être réparéesà l'occasion du recours formé contre la décision de transmission. Lesrecourants ne contestent pas avoir eu accès aux pièces saisies à tout lemoins dans le cadre de la préparation du recours cantonal. Les documentsconcernés par l'ordonnance de clôture ne sont au demeurant pas nombreux. Dansces conditions, les recourants ne pouvaient se contenter de se plaindre de laprocédure suivie par le juge d'instruction; ils devaient simultanémentprésenter leurs objections sur le fond à la transmission de documentsdéterminés, en indiquant en quoi aurait dû consister le tri requis. Si lajurisprudence impose à l'autorité d'exécution de procéder au tri des pièces,on ne saurait interpréter cette obligation comme dispensant le détenteur deson devoir de coopération. Soulevé sous cette forme et à ce stade, l'argumentapparaît contraire au principe de la bonne foi (cf. ATF 126 II 258 précité),ainsi qu'au principe de célérité (art. 17 EIMP) qui commande de faire valoiren temps utile ses objections. Le grief doit par conséquent être écarté. 4.Les recourants invoquent enfin l'art. 2 EIMP, en produisant un rapportrelatif aux violations des droits de l'homme commises dans l'Etat requérant.Bien que figurant dans la partie "en fait" de leur recours, le grief étaitclairement reconnaissable, et ne pouvait être déclaré irrecevable. 4.1 Il n'y a pas lieu de rechercher si le motif invoqué par la Chambred'accusation pour refuser d'entrer en matière est justifié. En effet, selonla jurisprudence constante, les personnes physiques ne peuvent invoquerl'art. 2 EIMP que dans la mesure où elles sont concrètement exposées auxviolations alléguées. Tel est le cas de l'accusé se trouvant sur le sol del'Etat requérant, ou de la personne soumise à une demande d'extradition ou detransfèrement de la part de cet Etat (ATF 130 II 217 consid. 8.2 p. 227 et lajurisprudence citée). C'est en premier lieu aux recourants qu'il appartientde rendre vraisemblable l'existence d'un risque sérieux et objectif,susceptible de les toucher de manière concrète (ATF 130 II 217 consid. 8.1.227 et les arrêts cités). En l'espèce, les recourants sont domiciliés enLituanie. N.________ est originaire de ce pays, et il n'est ni prétendu, nivraisemblable qu'il puisse être extradé à l'Etat requérant, si ce dernier enformait la demande. Faute d'être concrètement menacés, les recourants n'ontdonc pas qualité pour invoquer l'art. 2 EIMP. 4.2 Dans sa réponse, l'OFJ indique qu'il entend néanmoins requérir certainesgaranties de la part de l'Etat requérant, conformément à l'art. 80p EIMP,"afin de permettre la poursuite des relations d'entraide avec le Belarus dansl'intérêt de la lutte contre la criminalité transnationale et afin d'éviterque la place financière suisse ne soit utilisée à des fins criminelles". Lesrecourants n'ayant pas qualité pour agir sur ce point, il n'appartient pas auTribunal fédéral - qui n'est pas une autorité de surveillance - de seprononcer sur le principe et sur le contenu de ces garanties. Il y a lieunéanmoins de relever que l'éventuelle décision que prendra l'OFJ en vertu del'art. 80p al. 3 EIMP ne pourra être remise en cause par les recourants, pourles raisons qui précèdent. 5.Le recours de droit administratif est ainsi rejeté, dans la mesure où il estrecevable. Conformément à l'art. 156 al. 1 OJ, un émolument judiciaire estmis à la charge des recourants, qui succombent. Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 1.Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 2.Un émolument judiciaire de 4000 fr. est mis à la charge des recourants. 3.Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des recourants, auJuge d'instruction et à la Chambre d'accusation du canton de Genève ainsiqu'à
l'Office fédéral de la justice (B 154 604/01). Lausanne, le 24 mai 2006 Au nom de la Ire Cour de droit publicdu Tribunal fédéral suisse Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1A.330/2005
Date de la décision : 24/05/2006
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2006-05-24;1a.330.2005 ?
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