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24/05/2006 | SUISSE | N°1A.2/2006

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 24 mai 2006, 1A.2/2006


{T 0/2}1A.2/2006 /col Arrêt du 24 mai 2006Ire Cour de droit public MM. les Juges Féraud, Président,Nay et Reeb.Greffier: M. Kurz. K.________,H.________,recourants, tous deux représentés par Me Ralph Oswald Isenegger, contre Juge d'instruction du canton de Genève,case postale 3344, 1211 Genève 3,Chambre d'accusation du canton de Genève,case postale 3108, 1211 Genève 3. entraide judiciaire internationale en matière pénale avec la Biélorussie, recours de droit administratif contre l'ordonnancede la Chambre d'accusation du canton de Genèvedu 11 novembre 2005. Faits: A.Le 3 décembre 2

004, le Comité de sécurité nationale de la République deBiélo...

{T 0/2}1A.2/2006 /col Arrêt du 24 mai 2006Ire Cour de droit public MM. les Juges Féraud, Président,Nay et Reeb.Greffier: M. Kurz. K.________,H.________,recourants, tous deux représentés par Me Ralph Oswald Isenegger, contre Juge d'instruction du canton de Genève,case postale 3344, 1211 Genève 3,Chambre d'accusation du canton de Genève,case postale 3108, 1211 Genève 3. entraide judiciaire internationale en matière pénale avec la Biélorussie, recours de droit administratif contre l'ordonnancede la Chambre d'accusation du canton de Genèvedu 11 novembre 2005. Faits: A.Le 3 décembre 2004, le Comité de sécurité nationale de la République deBiélorussie a adressé à la Suisse une demande d'entraide judiciaire, pour lesbesoins d'une enquête pénale dirigée notamment contre B.________, C.________et N.________. Directeur commercial de la raffinerie F.________, propriété del'Etat, B.________ aurait organisé la vente à l'exportation de produitspétroliers à trois sociétés contrôlées par N.________. La participation deces sociétés aux enchères créait une concurrence apparente et les produitsétaient livrés à bas prix; ils étaient ensuite revendus, et les bénéficesétaient versés sur des comptes détenus par les dirigeants de la raffinerie oudes membres de leurs familles, auprès de banques étrangères. Certainsmontants auraient été réinvestis dans des achats de produits pétroliers. Cesfaits seraient constitutifs de "détournement par abus de fonction" et deblanchiment d'argent. La demande tendait à l'obtention de renseignementsauprès d'une banque genevoise.Le 3 mars 2005, l'autorité requérante a présenté une demande complémentaire.Les investigations avaient permis de mettre à jour des transferts de fonds àdestination de banques suisses. Il y avait lieu de rechercher les comptesdétenus notamment par B.________ et son épouse, C.________ et ses fils,auprès de différentes banques de Genève et Zurich, et d'en obtenir ladocumentation pour la période du 1er janvier 2003 au 1er octobre 2004. B.Par ordonnances du 1er mars 2005, puis du 11 avril 2005, le Juged'instruction du canton de Genève, chargé d'exécuter ces demandes, est entréen matière. Il est apparu que K.________, fils de C.________, était titulaired'un compte auprès de la banque P.________ à Genève, et de deux comptesauprès de la banque S.________ de Zurich. La société H.________ (IlesMarshall), dirigée par K.________, était également titulaire d'un compteauprès de la même banque. Ces comptes ont été bloqués le 19 mai 2005, à lademande de l'autorité requérante. C.Par ordonnances de clôture partielle du 25 mai 2005, le Juge d'instruction adécidé de transmettre à l'autorité requérante les documents relatifs auxcomptes n° aaa auprès de la banque P.________ et n° bbb auprès de la banqueS.________, détenus par K.________ ainsi qu'au compte n° ccc détenu parH.________ auprès de la banque S.________, pour la période requise. D.Par ordonnance du 11 novembre 2005, la Chambre d'accusation genevoise arejeté le recours formé par K.________ et H.________. Le grief relatif aurespect des droits de l'homme dans l'Etat requérant ne pouvait être soulevépar une société ou par une personne physique située hors du territoire de cetEtat. La demande d'entraide était suffisamment motivée; les faits décritsseraient constitutifs, en droit suisse, de gestion déloyale si F.________était une société de droit privé, ou d'abus d'autorité et de gestion déloyaledes intérêts publics s'il s'agissait d'une entreprise publique, ainsi que,dans les deux cas, de blanchiment d'argent. Sous l'angle de laproportionnalité, les recourants se contentaient de se plaindre du défaut detri des documents saisis, sans présenter d'argumentation plus détaillée. E.K.________ et H.________ forment un recours de droit administratif concluantà l'annulation de l'ordonnance de la Chambre d'accusation et au rejet desdemandes d'entraide judiciaire.La Chambre d'accusation et le Juge d'instruction se réfèrent à leursdécisions respectives. L'Office fédéral de la justice (OFJ) se rallie aucontenu de ces décisions, en précisant qu'il entend exiger de la part del'Etat requérant des garanties quant au respect des droits des prévenus(respect des art. 7, 10 et 17 Pacte ONU II, interdiction des tribunauxd'exception, respect des garanties de procédure mentionnées à l'art. 14 pacteONU II, droit d'information et de visite de la délégation suisse,interdiction de la peine de mort).Le 2 mai 2006, les recourants ont produit une décision de non-lieu rendue enfaveur de K.________. Les recourants en déduisent que la cause serait devenuesans objet et pourrait être rayée du rôle, et qu'elle devrait être renvoyéeau Juge d'instruction afin que celui-ci lève les mesures de blocage. Le Tribunal fédéral considère en droit: 1.Le recours de droit administratif est interjeté en temps utile contreplusieurs décisions confirmées par l'autorité cantonale de dernière instancerelatives à la clôture de la procédure d'entraide judiciaire (art. 80f de laloi fédérale sur l'entraide internationale en matière pénale - EIMP, RS351.1).1.1 Les recourants sont titulaires des différents comptes au sujet desquelsle Juge d'instruction a décidé de transmettre des renseignements; ils ontqualité pour agir (art. 80h let. b EIMP et 9a let. a OEIMP). 1.2 Les recourants soutiennent que la décision de non-lieu rendue dans l'Etatrequérant rendrait la cause sans objet. Tel n'est pas le cas: les ordonnancesde clôture, telles que confirmées par la Chambre d'accusation, constituentl'objet du présent recours, et leur validité n'est pas affectée par unedécision prise dans le cadre de la procédure pénale étrangère. Par ailleurs,comme cela est relevé ci-dessous (consid. 3.5), la décision de non-lieun'enlève rien, sur le fond, à la pertinence des renseignements transmis pourla procédure pénale étrangère. 2.Reprenant l'argumentation soumise à la cour cantonale, les recourantsestiment que la demande d'entraide serait insuffisamment motivée. On neverrait pas en quoi consiste l'appropriation des biens ou le blanchimentd'argent. F.________ serait une société anonyme et aucun de ses dirigeantsn'aurait la qualité de fonctionnaire. La demande ne préciserait pas lescontrats litigieux, leur date et les prestations échangées. La liste despersonnes poursuivies et des sommes détournées ne serait pas une indicationsuffisante. 2.1 Selon l'art. 28 al. 2 EIMP, toute demande d'entraide doit indiquer sonauteur, son objet, la qualification juridique des faits et "la désignationaussi précise et complète que possible de la personne poursuivie" (let. d). Al'instar de l'exposé des faits exigé par les art. 14 CEEJ et 28 al. 3 EIMP,ces indications doivent permettre de s'assurer que les faits décrits sontpunissables en droit suisse, qu'il ne s'agit pas de délits (politiques oufiscaux) pour lesquels l'entraide est exclue, et que, au regard notamment deleur importance et de leurs auteurs, le principe de la proportionnalité estrespecté (ATF 118 Ib 122 consid. 5b). Toutefois, selon la jurisprudence, l'onne saurait exiger de l'Etat requérant un exposé complet et exempt de toutelacune. En effet, la procédure d'entraide a précisément pour but d'apporteraux autorités de l'Etat requérant des renseignements au sujet des pointsdemeurés obscurs (ATF 117 Ib 88 consid. 5c et les arrêts cités).L'autorité suisse saisie d'une requête d'entraide en matière pénale n'a pas àse prononcer sur la réalité des faits évoqués dans la demande; elle ne peutque déterminer si, tels qu'ils sont présentés, ils constituent uneinfraction. Cette autorité ne peut s'écarter des faits décrits par l'Etatrequérant qu'en cas d'erreurs, lacunes ou contradictions évidentes etimmédiatement établies (ATF 126 II 495 consid. 5e/aa p. 501; 118 Ib 111consid. 5b p. 121/122). 2.2 Dans ses demandes d'entraide (la seconde ne faisant que reprendre lesfaits exposés dans la première), l'autorité requérante expose clairement queF.________ est propriété de l'Etat biélorusse, et que son directeur étaitfonctionnaire. Avec la complicité des autres dirigeants, celui-ci aurait,d'avril 2002 à octobre 2004, mis sur pied la vente aux enchères de produitspétroliers, à un prix plus bas que celui du marché, en faisant croire à uneconcurrence entre les sociétés participant aux enchères, alors que celles-ciétaient en réalité administrées par la même personne, N.________. Lesproduits avaient été revendus à un prix supérieur à de grandes compagniesétrangères, et les bénéfices, versés sur le compte d'une société off-shorecontrôlée également par N.________, étaient ensuite répartis entre lesdirigeants de F.________. La demande mentionne une partie de ces transferts.La demande décrit avec une précision suffisante les auteurs, la date et lemode opératoire des infractions. Il est clairement indiqué que les dirigeantsde F.________ auraient vendu à un prix insuffisant les produits del'entreprise, et se seraient approprié la différence, après revente à un prixplus élevé. Comme le relève la Chambre d'accusation, on peut y voir des actesde gestion déloyale, réprimés par les art. 158 ou 314 CP selon que leursauteurs sont ou non des fonctionnaires. L'indication selon laquelleF.________ serait une entreprise d'Etat n'est au demeurant contredite paraucun élément du dossier; la dénomination de l'entreprise ne permet pasd'exclure un contrôle de l'Etat, ni la nomination de fonctionnaires à la têtede l'entreprise. Supposé pertinent, le grief doit donc être écarté. 3.Les recourants invoquent ensuite le principe de la proportionnalité enrelevant, d'une part, que les investigations bancaires requises seraientd'une ampleur exagérée et, d'autre part, que le Juge d'instruction auraitomis d'effectuer le tri auquel il était tenu. 3.1 Le principe de la proportionnalité empêche d'une part l'autoritérequérante de demander des mesures inutiles à son enquête et, d'autre part,l'autorité d'exécution d'aller au-delà de la mission qui lui est confiée (ATF121 II 241 consid. 3a). L'autorité suisse requise s'impose une grande retenuelorsqu'elle examine le respect de ce principe, car elle ne dispose pas desmoyens qui lui permettraient de se prononcer sur l'opportunité del'administration des preuves. Saisi d'un recours contre une décision detransmission, le juge de l'entraide doit lui aussi se borner à examiner siles renseignements à transmettre présentent, prima facie, un rapport avec lesfaits motivant la demande d'entraide. Il ne doit exclure de la transmissionque les documents n'ayant manifestement aucune utilité possible pour lesenquêteurs étrangers (examen limité à l'utilité "potentielle", ATF 122 II 367consid. 2c p. 371). 3.2 Contrairement à ce que soutiennent les recourants, l'entraide requise n'arien d'une recherche indéterminée de moyens de preuve. L'autorité requéranteexpose en effet clairement les raisons qui l'amènent à s'intéresser àl'ensemble des avoirs détenus en Suisse par les dirigeants de F.________ etleurs présumés complices. Le champ des investigations est ainsi limité à despersonnes déterminées; la période est elle aussi circonscrite puisqu'elles'étend du 1er janvier 2003 au 1er octobre 2004. L'étendue de l'entraiderequise ne viole donc pas le principe de la proportionnalité. 3.3 Selon la jurisprudence, lorsque l'autorité requise a saisi les documentsd'exécution, elle trie les documents à remettre en vue du prononcé d'unedécision de clôture. A défaut d'un accord portant sur la remise facilitée(art. 80c EIMP), elle fait établir un inventaire précis des pièces dont laremise est contestée. Elle impartit au détenteur un délai pour faire valoiren détail les arguments s'opposant selon lui à la transmission. Elle rendensuite une décision de clôture soigneusement motivée. Que le détenteurnéglige de se déterminer ou ne le fait que d'une manière insatisfaisante nedispense pas l'autorité d'exécution d'effectuer le tri commandé par leprincipe de la proportionnalité (ATF 130 II 14 consid. 4.3-4.4 p. 16-18). 3.4 En l'occurrence, le Juge d'instruction ne semble pas avoir respecté cetteprocédure. Toutefois, tant l'absence d'une procédure de tri formelle qu'uneéventuelle violation du principe de la proportionnalité peuvent être réparéesà l'occasion du recours formé contre la décision de transmission. Lesrecourants ne contestent pas avoir eu accès aux pièces saisies à tout lemoins dans le cadre de la préparation du recours cantonal. Les documentsconcernés par les ordonnances de clôture ne sont au demeurant pas nombreux.Dans ces conditions, les recourants ne pouvaient se contenter de se plaindrede la procédure suivie par le juge d'instruction; ils devaient simultanémentprésenter leurs objections sur le fond à la transmission de documentsdéterminés, en indiquant en quoi aurait dû consister le tri requis. Si lajurisprudence impose à l'autorité d'exécution de procéder au tri des pièces,on ne saurait interpréter cette obligation comme dispensant le détenteur deson devoir de coopération. Soulevé sous cette forme et à ce stade, l'argumentapparaît contraire au principe de la bonne foi (cf. ATF 126 II 258 précité),ainsi qu'au principe de célérité (art. 17 EIMP) qui commande de faire valoiren temps utile ses objections. Le grief doit par conséquent être écarté. 3.5 Sur le fond, les recourants semblent considérer que la décision denon-lieu rendue le 14 juillet 2005 en faveur de K.________ rendrait sansutilité la documentation bancaire requise. Tel n'est pas le cas. L'autoritérequérante soupçonne que les proches des inculpés ont, volontairement ou non,pu participer aux transferts des fonds détournés. Le recourant est le fils del'un des protagonistes; selon l'ordonnance de non-lieu, il aurait mis àprofit son titre de séjour en Autriche et ses possibilités de déplacements enEurope pour ouvrir un compte censé recueillir des commissions résultant d'uncontrat de consultance (en réalité inexistant) entre C.________ etN.________. Il est aussi précisé que le recourant surveillait l'arrivée desfonds et procurait de l'argent comptant. Si le recourant a été mis hors decause, l'autorité requérante conserve un intérêt à déterminer l'ensemble desactivités qu'il a pu déployer en faveur de son père et sur instructions decelui-ci. 4.Les recourants invoquent enfin l'art. 2 EIMP, en produisant un rapportrelatif aux violations des droits de l'homme commises dans l'Etat requérant. 4.1 La Chambre d'accusation a considéré que la société recourante ne pouvait,en tant que personne morale, se prévaloir de cette disposition, ce qui estconforme à la jurisprudence constante (ATF 129 II 268 consid. 6 p. 270 et lesarrêts cités). Quant aux personnes physiques, elles ne peuvent invoquerl'art. 2 EIMP que si elles rendent vraisemblable l'existence d'un risquesérieux et objectif, susceptible de les toucher de manière concrète (ATF 130II 217 consid. 8.1. 227 et les arrêts cités). Tel est le cas de l'accusé setrouvant sur le sol de l'Etat requérant, ou de la personne soumise à unedemande d'extradition ou de transfèrement de la part de cet Etat (ATF 130 II217 consid. 8.2 p. 227 et la jurisprudence
citée). La Chambre d'accusation aretenu que C.________ est domicilié en Autriche, ce qui le met à l'abri desmauvais traitements qu'il prétend redouter. Les recourants ne mettentnullement en doute cette appréciation, d'autant mieux fondée qu'un non-lieu aété prononcé dans l'Etat requérant. 4.2 L'OFJ indique qu'il entend néanmoins requérir certaines garanties de lapart de l'Etat requérant, conformément à l'art. 80p EIMP, "afin de permettrela poursuite des relations d'entraide avec le Belarus dans l'intérêt de lalutte contre la criminalité transnationale et afin d'éviter que la placefinancière suisse ne soit utilisée à des fins criminelles". Les recourantsn'ayant pas qualité pour agir sur ce point, il n'appartient pas au Tribunalfédéral - qui n'est pas une autorité de surveillance - de se prononcer sur leprincipe et sur le contenu de ces garanties. Il y a lieu néanmoins de releverque l'éventuelle décision que prendra l'OFJ en vertu de l'art. 80p al. 3 EIMPne pourra pas être remise en cause par les recourants, pour les raisons quiprécèdent. 5.Le recours de droit administratif est ainsi rejeté, dans la mesure où il estrecevable. Conformément à l'art. 156 al. 1 OJ, un émolument judiciaire estmis à la charge des recourants, qui succombent. Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 1.Le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable. 2.Un émolument judiciaire de 4000 fr. est mis à la charge des recourants. 3.Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire des recourants, auJuge d'instruction et à la Chambre d'accusation du canton de Genève ainsiqu'à l'Office fédéral de la justice (B 154 604/01). Lausanne, le 24 mai 2006 Au nom de la Ire Cour de droit publicdu Tribunal fédéral suisse Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1A.2/2006
Date de la décision : 24/05/2006
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2006-05-24;1a.2.2006 ?
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